Dygest vous propose des résumés selectionnés et vulgarisés par la communauté universitaire.
Voici le résumé de l'un d'entre eux.
de Richard Dawkins
Pour de nombreux biologistes, la sélection naturelle s’exerce sur les individus. Les plus forts survivent et les plus faibles périssent. La génération suivante hérite donc du patrimoine génétique de ses aînés les plus aptes ; elle est par là mieux armée dans sa lutte pour la survie. Pour Richard Dawkins, c’est le gène, et non l’individu, qui constitue l’unité de base de l’évolution : une bataille fait rage entre tous nos gènes, qui n’ont d’autre dessein que d’être encore présents à chaque nouvelle génération. Ainsi, tout être vivant n’est qu’un véhicule éphémère que les gènes utilisent à leur avantage.
Les gènes, nous dit Richard Dawkins, se servent de nous, ou de n’importe quel autre organisme, pour passer à la génération suivante, et ainsi se propager le plus largement possible.
À ce stade, il est utile de mettre en garde le lecteur : un gène n’a pas d’intention consciente. Il est programmé pour survivre ; c’est en quelque sorte dans sa nature. On pourrait le comparer à un logiciel informatique programmé pour jouer aux échecs. Même si celui-ci joue tous les coups qui lui permettent de gagner, il n’a pas en lui la volonté de le faire. Un gène n’a donc pas de but, et Richard Dawkins ne manque pas de le rappeler dans son ouvrage, mais il est pratique, pour la clarté d’une démonstration, d’utiliser un vocabulaire qui pourrait le faire croire.
Pour comprendre en quoi les gènes sont égoïstes, il convient tout d’abord de définir ce qu’ils sont. Ensuite, il faut expliquer comment ils peuvent nous utiliser pour leur propre survie. Richard Dawkins considère que tout organisme n’est qu’une machine à survie pour des gènes « désireux » de se répandre au détriment des autres. Si un gène donné est égoïste, il est probable qu’il fasse adopter à l’organisme dans lequel il se trouve un comportement égoïste. Pourtant, des animaux au comportement altruiste sont observés dans la nature. Il suffit de regarder par exemple une mère et son enfant.
Comment donc résoudre cet apparent paradoxe ? Cet épineux problème nous amènera à nous interroger sur l’apparition du sexe, et pourquoi il existe tant de différences entre les mâles et les femelles. Enfin, nous pourrons nous demander s’il nous est possible de nous libérer du diktat du gène égoïste.
Richard Dawkins définit le gène comme un réplicateur, c’est-à-dire une entité capable de faire des copies d’elle-même. Loin dans le passé, à une époque où la vie n’était pas apparue sur Terre, des molécules en tout genre se baladaient librement dans la soupe primordiale que constituaient les océans. Elles s’associaient entre elles ou se décomposaient, mais ne se reproduisaient pas. Et puis un jour, une combinaison inédite est apparue. Une molécule particulière a été capable de se répliquer à l’identique : l’acide désoxyribonucléique, ou ADN.
Et quel avantage que cette capacité de reproduction ! Dans un milieu sans concurrence, toute entité douée de cette faculté ne pouvait que se répandre. Et c’est bien ce qui est arrivé. L’ADN a essaimé avec une telle efficacité qu’aujourd’hui, sur Terre, il est commun à tous les êtres vivants. Toutefois, pour qu’un réplicateur soit viable, il doit présenter au moins trois propriétés : la longévité, la fécondité et la fidélité. Si un réplicateur disparaît trop vite, il n’a pas le temps de se répliquer ; s’il ne se reproduit pas à un rythme soutenu, il est condamné ; et si ses copies ne sont pas identiques à l’original, de fait il n’existe plus à la génération qui le suit. En revanche, s’il possède ces trois propriétés, le réplicateur est potentiellement immortel. Ce n’est pas le modèle originel en tant que tel qui survit à travers les âges, mais toutes les générations de ses fidèles copies.
Il se trouve que ces trois propriétés caractérisent les gènes, qui sont des portions d’ADN. Pourtant, il arrive parfois que la copie ne soit pas exactement identique à l’original. Or ces infimes ratés dans le processus de réplication aboutissent, au bout de très nombreuses générations, à plusieurs variantes d’un unique gène ancestral. Dans la soupe primordiale, plusieurs gènes finissent par coexister, et chacun cherche à capter les ressources de son milieu pour se reproduire. Autrement dit, la compétition entre gènes fait rage. Et la sélection naturelle favorisera ceux qui établiront les meilleures stratégies pour survire à travers les âges.
Un gène donné, dans le but d’assurer sa descendance, pourrait trouver utile de s’associer à d’autres gènes. Richard Dawkins utilise l’image d’une course d’avirons. Pour espérer la gagner, on pourrait constituer une embarcation avec les meilleurs rameurs. Ça semble un pari raisonnable. Mais il est possible qu’une équipe constituée de rameurs qui, pris individuellement, sont moins bons gagne la compétition parce qu’il y a entre eux une meilleure coordination. Ainsi, un gène qui n’aurait aucune chance face à un autre pourrait espérer survivre en se coordonnant avec d’autres gènes.
Dans la soupe primordiale, où jusqu’alors des portions d’ADN nageaient librement, des associations soudain se créent : des cellules. Et si un gène, par le jeu des mutations, apparaît avec l’idée qu’il aurait plus de chance de survivre s’il amenait des cellules à coopérer, alors la sélection naturelle le favorisera. Les organismes multicellulaires voient ainsi le jour. Finalement, tous les gènes qui parviennent à rendre plus performant l’organisme dans lequel ils se trouvent augmentent leurs chances d’être présents à la génération suivante. Ils constituent un « pool génique ». Et ceux qui, au contraire, l’affaiblissent ne survivent pas.
Ainsi, « l’évolution est le processus par lequel certains gènes deviennent plus nombreux et d’autres moins nombreux dans le pool génique » (p.72). La machine à survie est une combinaison de gènes éphémère, « mais les gènes ont, quant à eux, une très longue vie » (p.46).
Le gène utilise la machine à survie comme un véhicule qui le mène à la prochaine génération. Pour y parvenir, il faut que l’organisme dans lequel il loge vive assez longtemps pour se reproduire. On pourrait en déduire que chaque être vivant est en lutte permanente contre tous les autres, et particulièrement contre les membres de sa propre espèce, puisque ces derniers sont ses concurrents les plus directs quant aux ressources disponibles.
À ce titre, une stratégie qui consisterait à tuer ses rivaux directs serait a priori judicieuse. Mais la « sélection naturelle favorise les gènes qui contrôlent leurs machines à survie de manière telle qu’elles utilisent au mieux leur environnement.
Cela veut dire aussi utiliser au mieux d’autres machines à survie » (p. 99). Ainsi, si un gène poussait son propriétaire à tuer son voisin du dessus, il se pourrait que, sans le savoir, il favorise le voisin du dessous, qui pourrait s’avérer un concurrent plus coriace dans une éventuelle lutte pour survivre. Au final, un équilibre entre les individus se met naturellement en place. Richard Dawkins parle à ce propos de stratégie évolutionnairement stable (SES) qu’il définit « comme une stratégie qui, si elle est adoptée par la plupart de ses membres, ne peut être améliorée par aucune autre stratégie » (p.103). Ainsi, on peut observer de l’altruisme chez bon nombre d’individus au sein d’une espèce donnée parce que leurs gènes, égoïstement, « considèrent » que c’est la meilleure option pour être transmis à la génération suivante.
L’égoïsme du gène explique pourquoi Richard Dawkins est fermement opposé à ce qu’on appelle la sélection par le groupe. Certains scientifiques ont en effet émis l’hypothèse que la sélection naturelle pourrait s’appliquer, non pas sur les individus ou les gènes, mais sur les groupes. Un individu consentirait à se sacrifier si son acte permettait à l’espèce à laquelle il appartient de survivre. Mais Richard Dawkins réfute cette théorie car un gène qui, schématiquement, ordonnerait à son possesseur de se sacrifier pour le bien commun aurait peu de chance de se trouver dans la génération suivante ; le comportement altruiste observé finirait donc par disparaître. En revanche, « un gène pourrait aider les répliques de lui-même se trouvant dans d’autres corps ».
Et c’est effectivement ce qui se passe pour deux individus qui ont un lien de parenté. En effet, la moitié des gènes d’un enfant provient de la mère, et l’autre moitié du père. Les parents ont donc tout intérêt à fournir les meilleures conditions à leur progéniture pour que celle-ci atteigne l’âge adulte et soit à son tour en mesure de se reproduire. En d’autres termes, un gène qui dirait : « Occupe-toi de ton enfant parce qu’il y a une chance sur deux qu’il m’abrite ! » aurait une plus grande chance de survie qu’un gène qui dirait : « Délaisse ton enfant ! » Dans le second cas, l’enfant aurait moins de chance de survivre pour se reproduire, et le gène qu’il porte ne passerait donc pas à la génération suivante. C’est la sélection par la parenté.
Tant que les parents sont en âge de procréer, les soins qu’ils apportent à leur enfant ne devraient pas primer sur leur propre survie, mais à partir d’un certain âge, et du point de vue du gène, les parents devraient même être plus préoccupés de la survie de leur enfant que de la leur. Pourquoi ? Parce que les gènes d’un individu trop vieux pour se reproduire sont dans une impasse alors que les mêmes gènes, chez son enfant, ont encore la possibilité de se répandre.
Reste un point à éclaircir, car les enfants ne sont pas les seuls à partager la moitié de leur patrimoine génétique avec chacun de leurs parents. C’est aussi le cas des frères et sœurs. Pourquoi n’observe-t-on pas un altruisme aussi marqué entre les membres d’une fratrie qu’entre les parents et leurs enfants ?
Richard Dawkins insiste sur un point : la reproduction ne suffit pas à garantir la survie des gènes. Il y a aussi l’éducation. Pour qu’un gène soit transmis de génération en génération, il faut qu’un père et une mère s’accouplent et qu’un petit naisse de leur union, mais il faut aussi que ce dernier puisse atteindre un âge où il pourra lui-même procréer.
Or reproduction et éducation ont un coût. Dans la nature, le mâle dépense beaucoup d’énergie à trouver une femelle ; il doit parfois se battre pour éliminer ses rivaux. De son côté, la femelle est plus vulnérable et moins mobile pendant la gestation. Délaisser une progéniture à sa naissance représente une lourde perte pour les parents, étant donné l’investissement qu’ils ont déjà consenti. Entre un frère et une sœur, bien qu’ils aient en moyenne 50 % de gènes en commun, la nécessité de s’éduquer mutuellement n’est pas aussi capitale, car ni l’un ni l’autre n’a eu à fournir d’effort pour que chacun d’entre eux naisse. Ainsi, une sœur (ou un frère) a plus à gagner à dépenser son énergie pour trouver un(e) partenaire sexuel(le) plutôt qu’à s’occuper de son frère (ou sa sœur).
Le double investissement que représentent la reproduction et l’éducation permet à Richard Dawkins d’apporter un nouvel éclairage sur la reproduction sexuée. Pourquoi existe-t-il des spermatozoïdes et des ovules ? Après tout, la reproduction sexuée pourrait très bien fonctionner si les gamètes étaient parfaitement identiques. Il suppose alors qu’aux origines de la vie c’était le cas. Dans une population de gamètes semblables, certains auraient pourtant été plus que grands que d’autres et auraient donc été avantagés car, une fois fécondés, ils auraient fourni une plus grande quantité de ressources au futurs embryons.
Ainsi, un gène qui aboutirait à des gamètes plus grands serait favorisé par la sélection naturelle. Cependant, plus ce gamète grossit, moins il se déplace. Et c’est cette caractéristique que les plus petits gamètes ont fini par exploiter. Certes, ces derniers auraient moins d’éléments nutritifs à apporter au futur embryon, mais, en se montrant plus mobiles, ils augmentaient leurs chances de rencontrer un gros gamète. Un gène permettant cette mobilité aurait donc essaimé. Ainsi seraient nés les spermatozoïdes (petits, rapides et n’apportant que leur matériel génétique) et les ovules (grands, immobiles et riches en ressources nutritives).
La conséquence de cette différenciation sexuelle au niveau des gamètes, c’est que, dans le double investissement reproduction/éducation, le mâle mise tous ses efforts sur la reproduction alors que la femelle investirait davantage dans l’éducation. Les hommes seraient donc naturellement volages et les femmes faites pour s’occuper des enfants à la maison ? Les propos de Richard Dawkins, sur bien des points et particulièrement sur celui-là, paraissent volontiers provocateurs. Il en a d’ailleurs conscience et prévient le lecteur : « Je décris simplement comment les choses ont évolué. Je ne dis pas comment nous, humains, devrions moralement nous conduire. […] je sais que je risque d’être mal compris par les gens […] qui ne peuvent faire la différence entre affirmer ce que l’on croit être et militer pour ce qui devrait être. » (p.19)
Cependant, il semble considérer que l’espèce humaine, et seulement elle, a la possibilité de se rebeller contre le diktat du gène égoïste. Il y consacre d’ailleurs un chapitre entier, dans lequel il décrit un nouveau type de réplicateur apparu avec l’homme : le mème. Pour simplifier, les mèmes sont à la culture ce que les gènes sont à la génétique. Admettons, par exemple, qu’un scientifique trouve une nouvelle idée et qu’il l’écrive dans un article. Si cette idée est bonne, elle sera probablement reprise dans d’autres publications. Si elle est mauvaise, elle ne le sera pas et finira par être oubliée. Dans le premier cas, on pourrait dire que, l’idée ayant convaincu un certain nombre de lecteurs, ces derniers avaient à cœur de la partager.
Mais on pourrait aussi envisager que cette idée, apparue dans l’esprit du scientifique, ait utilisé ce dernier de telle sorte qu’il écrive un article à son sujet. Cette idée aurait pu alors pénétrer d’autres esprits, et les aurait utilisés comme véhicules pour se répandre. Cette idée, c’est un mème. Et les mèmes constituent un autre genre de réplicateurs capables de concurrencer les gènes. Ainsi, par la culture, l’homme pourrait s’opposer au déterminisme génétique.
L’idée centrale de Richard Dawkins dans Le Gène égoïste est de trouver l’unité de base sur laquelle s’applique la sélection naturelle. Pendant longtemps, on a pensé qu’il s’agissait de l’organisme individuel, entité égoïste qui luttait pour la survie. Certains ont émis l’hypothèse que le groupe était un meilleur candidat, car elle expliquait mieux les cas d’altruisme observables dans la nature. Richard Dawkins considère quant à lui que c’est le gène. Cela permet à la fois d’expliquer le comportement égoïste des individus, mais aussi l’altruisme apparent des membres d’une même population.
Cependant, le grand mérite de Richard Dawkins est de revisiter entièrement la théorie de l’évolution de Darwin, non pour en souligner les faiblesses ou en contester certains aspects, mais au contraire pour la confirmer et la compléter à l’aune du gène égoïste.
Passionnant ! Richard Dawkins, avec force arguments, offre aux lecteurs un éclairage nouveau sur la théorie de l’évolution de Charles Darwin. Dans un style limpide, qui ne manque pas d’humour, avec çà et là quelques provocations arrogantes, voire de subtils règlements de compte avec certains de ses pairs, il nous présente sa théorie de manière très convaincante, avec un réel sens de la pédagogie, pour des notions qui sont pas toujours simples.
Rien d’étonnant à ce que Le Gène égoïste soit devenu un classique de la littérature scientifique, et peut-être le plus important ouvrage sur l’évolution depuis L’Origine des espèces de Charles Darwin.
Ouvrage recensé– Le Gène égoïste, Paris, Odile Jacob, 1996.
Du même auteur– Pour en finir avec Dieu, Paris, Odile Jacob, 2006.– lI était une fois nos ancêtres : une histoire de l'évolution, Paris, Fayard, 2011.– Le Plus Grand Spectacle du monde, Paris, Fayard, 2011.
Autres pistes– Suzan Blackmore, La Théorie des mèmes. Pourquoi nous nous imitons les uns les autres, Chevilly-Larue, Max Milo, 2006.– Charles Darwin, L’Origine des espèces, Paris, Flammarion, 2008.– Patrice David et Sarah Samadi, La Théorie de l’évolution. Une logique pour la biologie, Paris, Flammarion, 2011.– Philippe Gouillou, Pourquoi les femmes des riches sont belles. Programmation génétique et compétition sexuelle, Louvain, Duculot, 2014.– Stephen Jay Gould, La Structure de la théorie de l’évolution, Paris, Gallimard, 2006.