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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

Vies et mort du capitalisme

de Robert Kurz

récension rédigée parArmand GraboisDEA d’Histoire (Paris-Diderot). Professeur d’histoire-géographie

Synopsis

Économie et entrepreneuriat

Selon Kurz, il y aurait dans le marxisme un noyau théorique qui non seulement n’aurait pas vieilli, mais serait d’une importance cruciale pour comprendre notre époque. Ce serait la « théorie de la valeur », telle qu’elle apparaît au début du Capital. La thèse est la suivante : plus le capitalisme se développe, plus le travail se technicise et plus la base vitale du système, l’exploitation des travailleurs, perd en consistance. Le capitalisme, ainsi, court à sa perte. Après la fin, deux options : ou bien la barbarie tempérée par le totalitarisme, ou bien le communisme intégral.

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1. Introduction

La conclusion de Kurz est sans appel. Le capitalisme en est arrivé au point où sa chute est imminente. Le progrès technique, causé par le mécanisme de la concurrence, a tellement exclu le travail humain du procès de production qu’il n’est plus possible de faire des profits : ceux-ci, en effet, pour Kurz comme pour tout marxiste authentique, ne peuvent provenir que de l’extorsion de la plus-value par le capitaliste sur le prolétaire. En l’absence de travail humain, point de profit.

Dès lors, le capitalisme ne peut se survivre que dans la fuite en avant. On espère des gains futurs. On produit et on consomme à crédit. La croissance devient vitale, obsessionnelle. On fait tout pour en garder l’illusion. Car, sans elle, le château de cartes du Progrès éternel s’écroulera. Et toutes les tentatives, de gauche, comme de droite, populistes ou socialistes, de sauver le système en y réintroduisant l’État ne sont que pures illusions.

2. Clarifications théoriques

Le marxisme de Robert Kurz est bien particulier. Ici, point de prolétariat chargé de faire advenir une révolution, point de revendications catégorielles dans le cadre du marché du travail, point d’adoration du rôle de l’État ou du Parti. Et pas d’icônes, non plus. L’URSS ne fut selon Kurz qu’un capitalisme de rattrapage, et Lénine, Staline, Mao, que des dictateurs ayant servi les intérêts de leur État dans la concurrence mondiale, et non ceux des travailleurs.

Le marxisme de Kurz est un marxisme de l’essentiel. Ayant déblayé le champ de ruines de la critique sociale et économique, Kurz a trouvé la substantifique moelle du marxisme. Cela s’appelle la « critique de la valeur ». Qu’est-ce à dire ?

Au rebours des économistes libéraux qui l’avaient précédé, Marx considère que l’argent n’est pas qu’un simple signe, médium sans substance servant à réaliser l’essentiel, qui serait l’échange des marchandises elles-mêmes. Puisque l’ordre des choses est renversé, dans le capitalisme, il faut, dit-il, le renverser aussi dans la théorie. L’argent est premier, dans ce système de production. Qu’il le soit donc dans la théorie aussi : pour Marx, la plus-value n’est pas le résultat mais le but de l’échange marchand. Et non seulement de l’échange, mais de la production. On produit pour gagner de l’argent, et non pas pour autre chose. Telle est la logique du capital. L’argent est premier. Le réel est second.

Seulement, remarque Marx et relève Kurz, il y a une petite contradiction. La concurrence entre les producteurs aboutit fatalement à ce que le prix de vente des marchandises soit ramené à leur coût. Le profit, à la longue, devient impossible. Il faut donc inventer, des machines, des procédés, de meilleures organisations du travail, de sorte à augmenter la productivité. C’est le progrès technique, dont les économistes libéraux envisagent le renouvellement éternel.

Mais c’est aussi là que le bât blesse. Certes, cette augmentation de productivité peut s’avérer ponctuellement très profitable à l’inventeur. Mais elle est aussi à terme mortelle pour le système dans son ensemble. Les bénéfices n’ayant d’autre base que l’exploitation du travail humain, il n’est pas douteux que la disparition de celui-ci, effet inévitable de ce progrès technique, doive fatalement entraîner celle du bénéfice, et donc la mort du capitalisme

3. Pourquoi le capitalisme semble toujours renaître de ses cendres

Mais le capitalisme semble toujours renaître de ses cendres. Donné pour mort en 1918, avec l’effondrement impérialiste de la guerre et la révolution de 1917, voici qu’il se porte à merveille dans les années 1920.

À nouveau condamné en 1929, puis en 1939-1945, voici qu’on aboutit aux « Trente Glorieuses ». Ensuite, la crise des années 1970 débouche sur l’effondrement de l’URSS. S’ensuit l’euphorie capitaliste des années 1990 et de la mondialisation. Fascinés par cette capacité du capitalisme de renaître, et toujours plus grand, et toujours plus beau, des morts successives que la logique implacable de la « baisse tendancielle du taux de profit » lui inflige, la plupart des économistes et des penseurs modernes se sont laissés, selon Kurz, abuser. Ils croient cette capacité inhérente au capitalisme. Pour Kurz, il n’en est rien. Il n’y aurait là que contingence historique.

À chaque fois que le capitalisme s’est remis en selle, ce fut grâce à une extension du domaine du crédit : aux profits réels, on substitue, et en quantités toujours plus grandes, des espérances de profits futurs.

À chaque crise, le référent métallique tombe un peu plus en désuétude. Et c’est une limite de moins à la création délirante de monnaie gagée sur du crédit. À partir de la Première Guerre mondiale, on voit l’or peu à peu abandonné. Après la Deuxième Guerre mondiale, seul le dollar se retrouve indexé au métal. Depuis 1973, c’est fini, plus rien n’est indexé à l’or. Seul le dollar sert de référent, mais lui-même a totalement perdu pied. Lui seul règne, comme une sorte de monnaie métallique virtuelle. De substitution.

Avec pour seule garantie la réalisation des promesses futures, et pour bras armé l’OTAN, que Kurz considère comme un simple moyen d’empêcher quiconque de s’affranchir de ce dollar qui apparaît aux yeux de tous les dirigeants comme l’ultime rempart contre la crise générale : si le dollar chute, l’ensemble de l’économie mondiale perd sa référence commune. Ce qui annoncerait un chaos commercial global dont, naturellement, personne ne veut, pas même les dirigeants de la Chine ou de la Russie.

Par ailleurs, pendant les années de l’après-guerre, le capitalisme a semblé vivre plus qu’une rémission, une sorte d’heure de gloire au soleil de laquelle le triste et gris socialisme soviétique paraissait bien peu attrayant : les Trente Glorieuses. Pour Kurz, cela s’explique simplement par le fait que la baisse du taux de profit était compensée par la création d’énormément de postes de travail par les industries de biens d’équipement liés à la révolution de l’automation, de la voiture et de la consommation. Les armées de chômeurs des années trente se sont doncretrouvées parquées dans les usines. Et c’est ainsi que le capitalisme avait échappé à la banqueroute. À quoi il faut rajouter l’industrie de l’armement, extrêmement florissante en ces années, et depuis.

4. La micro-informatique et la fin du travail

Mais le génie inventif de l’homme, fouetté par la concurrence capitaliste, devait inventer la micro-informatique. Comme toujours, il s’agissait d’économiser de la force de travail pour écraser la concurrence et gagner la domination du marché. Cependant, cette troisième révolution industrielle devait avoir une conséquence radicale : il s’avéra qu’elle détruisait infiniment plus d’emplois qu’elle ne pouvait en créer. Contrairement à l’époque fordienne, on se retrouvait dans une impasse. L’informatique tue le prolétariat. La mort du prolétariat signifie celle du capital.

Deux résultats. Premièrement, la chute de l’URSS, dont les dirigeants crurent qu’il leur était impossible de participer à cette nouvelle révolution industrielle dans le cadre d’une économie strictement planifiée, et qui se lancèrent donc dans une restructuration complète, dont la dynamique finit par leur échapper complètement. Deuxièmement, la crise des années 1970, que l’on mit indûment sur le dos du « choc pétrolier » et de laquelle on sortit par l’abandon de l’étalon-or, c’est-à-dire par une politique de crédit à tout va. Politique que l’on choisit d’orienter, à partir des années Reagan, vers le système bancaire et non vers la consommation privée ou collective (via les systèmes sociaux). Il se forme, depuis lors, des bulles financières toujours plus monstrueuses, gagées sur des espérances de profit toujours plus irréelles et lointaines. Des sommes colossales d’argent errent, partout sur la planète, faisant grimper l’immobilier, les startups, les bourses, tout ce que le peuple appelle le « monde de la finance » et qu’il exècre.

Ces bulles régulièrement explosent, jusqu’à la grande crise de 2008, qui aurait, selon Kurz, tout emporté sur son passage, si le poids colossal de toutes ces dettes n’avait été déplacé sur les États, qui, depuis lors, mènent tous une politique de régression sociale et civilisationnelle de grande envergure. Car il faut désormais rembourser ceux qui ont assez cru au Progrès pour y investir de l’argent qui ne leur appartenait pas.

5. Conclusion

À lire Kurz, on songe au vers d’Hölderlin : « Là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve. » En effet, la situation effroyable où nous met, selon lui, le capitalisme peut déboucher tout aussi bien sur un avenir radieux que sur une chute dans la barbarie. À une condition : que les hommes organisent la planification sociale qu’il appelle de ses vœux, et qui n’est pas n’importe quelle planification sociale. Robert Kurz ne rêve pas de Gosplan soviétique-productiviste.

La planification qu’il prône est affranchie de la logique capitaliste de la valeur. Comme Marx et comme Lénine, il entend laisser l’invention de ces nouvelles formes sociales à la liberté de l’histoire et des hommes. En attendant, il n’attend des hommes qu’une chose : qu’ils résistent à toutes les formes de barbarie qu’impose un capitalisme devenu fou. Qu’ils cessent de se battre pour obtenir une meilleure place dans le système marchand. Qu’ils cessent de confondre le socialisme avec la lutte pour un meilleur salaire : en faisant cela, les travailleurs se comportent comme n’importe quel entrepreneur soucieux de vendre cher sa marchandise, pour augmenter ses profits. Dans le brouillard idéologique présent, résister, ici et maintenant. Sauver la civilisation de la barbarie du chiffre.

Quant à lui et à ses disciples, il leur assigne une tâche de longue haleine : reconstruire une théorie, une sorte de néo-marxisme qui aurait pris acte de la dissolution du prolétariat et de l’échec patent de l’expérience soviétique.

6. Zone critique

Soucieux de rigueur intellectuelle, Kurz entend proposer à notre époque privée de repères philosophiques une construction intellectuelle solide. Sans cela, les efforts pratiques d’émancipation ne pourront qu’être vains. Comme Lénine tout au long de sa carrière, il ne cesse d’affiner et de préciser. Il se retranche.

Certain de la vérité (indéniable) de son analyse, Kurz ne craint pas d’excommunier. On pense à Luther. De Heinrich, théoricien d’un marxisme où l’argent n’est qu’une fonction et où les crises assainissent le système, il ne veut pas entendre parler. La gauche hostile aux « dérives financières » ? Ce sont pour lui autant d’« antisémites structurels », même s’ils se déclarent amis des Juifs. Les écologistes se trompent, qui croient que les maux de l’humanité résident plus dans le système technicien que dans la logique du capital. Ce ne sont, au fond, que des réactionnaires qui s’ignorent, puisqu’ils veulent revenir à la charrue. La liste n’en finirait pas, de tous ceux qui se trompent et sont donc autant d’ennemis à abattre.

Même le peuple, pour finir, est suspect, puisque les luttes de ces gens consistent généralement à se chercher une place dans le capitalisme. Les pauvres, ils veulent un salaire décent, un « boulot », c’est-à-dire, pour Kurz, qu’ils veulent se vendre, entrer dans la danse fatale de l’avoir, du profit, de la possession. Les prolétaires ? Une bande d’embourgeoisés.

En somme, les esclaves sont aussi coupables que les maîtres : eux aussi participent au phénomène de la domination. Ils ne deviennent intéressants que quand ils menacent de tout faire sauter. En somme, Robert Kurz renouvelle – ou continue – le sympathique idéalisme des étudiants de mai 68. Avec les mêmes limites : incompréhension du prolétariat réel et de ses luttes concrètes, jugées trop terre-à-terre ; rejet du travail ; paradoxe d’une critique du capitalisme qui pose comme utopie une liberté dépendante du progrès technique capitaliste.

7. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Vies et mort du capitalisme. Chronique de la crise, Nouvelles édition Ligne, 2011.

Autres pistes– Revue : Jaggernaut n°1. Crise et critique de la société capitaliste-patriarcale, éditions Crise & Critique, 2019.– Trenkle et Lohoff, La Grande dévalorisation, Post-éditions, 2014.– Moishe Postone, Temps, travail et domination sociale, Mille et une nuits, 2009.– Georg Lukacs, Histoire et conscience de classe. Essai de dialectique marxiste, éd. de Minuit, 1984.– Karl Marx, Le Capital, Livre I, PUF, 1993.

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