Dygest vous propose des résumés selectionnés et vulgarisés par la communauté universitaire.
Voici le résumé de l'un d'entre eux.
de Roger Lenglet
En 2006, 250 000 t de nanoparticules étaient consommées en France, ce qui représente des millions de tonnes de nanomatériaux. Enrobées dans un discours superlatif – médicament plus efficace, article plus performant– les nanoparticules sont désormais répandues dans nos assiettes, nos voitures ou nos parapluies. Si leurs propriétés sont fascinantes, ces constructions agencées atome par atome se révèlent être une menace pour notre santé. Elles font courir à l’environnement des risques insoupçonnés. Des molécules manufacturées pourraient même se reproduire d’elles-mêmes de façon incontrôlée. Ces nanorobots ne relèvent plus de la science-fiction. Ils balisent un monde où l’infiniment petit est infiniment profitable. Et ce, avec la bénédiction des pouvoirs publics, qui ont affecté des fonds considérables aux nanotechnologies.
Pour Einstein, les chaussettes ne servaient qu’à faire des trous. Pour Roger Lenglet, elles servent à détruire la planète. L’auteur vise ici les chaussettes au nano-argent. Ce matériau appartient aux nanoparticules qui envahissent notre quotidien, échappant à toute détection. Comme leur nom l’indique, ces particules manufacturées ont un diamètre inférieur à 100 nanomètres, soit cent milliardièmes de mètre.
La réglementation européenne considère comme nanomatériau des produits utilisant des nanoparticules, s’ils en contiennent plus de 50 % et s’ils sont « insolubles ou bio-persistants ». Ce qui est bien restrictif. D’autant que les nanoparticules ont la même dimension que les particules ultrafines (Pufs), dont on connaît désormais la toxicité : particules issues des moteurs diesel, rejets des incinérateurs, etc.
Les chaussettes de Roger Lenglet suggèrent une définition plus immédiate : molécules qui transforment un vêtement en polluant insidieux. Les experts de l’AFFSET (Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail) ont calculé que si 10 % des chaussettes vendues en France contenaient du nano-argent, «18 tonnes d’argent seraient rejetées chaque année dans les eaux superficielles ». Avec les effets qu’un biocide peut avoir sur les micro-organismes ou sur les poissons. L’argent nanoparticulaire est même suspecté de favoriser la multiplication de bactéries résistantes.
Selon le directeur de l’agence, il faudrait interdire tous les textiles miracles dopés à ce nano-argent dont on connaît les effets délétères. Il est désormais démontré que cette substance passe à travers la peau, au moins en cas de lésion. Quand il est inhalé ou avalé, dit l’AFFSET, le nano-argent fragmente l’ADN des cellules et peut provoquer leur destruction. Le Haut Conseil de la santé publique ne dit pas autre chose : chez le rat, les nanoparticules traversent les barrières pulmonaires et digestives. On les détecte dans le foie, le cerveau et les reins.
Au nom de l’hygiène, le nano-argent a pourtant investi les réfrigérateurs, les téléphones, les chaussures, les biberons… On le retrouve même dans l’eau en bouteille. Il serait finalement incorporé dans 526 produits différents, fabriqués par 264 sociétés opérant en France.
Paradoxalement, les stations où sont traitées les eaux de lavage des chaussettes intègrent des filtres en céramique nanoporeuse, en attendant les filtres en nanoparticules de fer pour détruire les contaminants organiques, hydrocarbures compris. De tels procédés améliorent les traitements, mais ils alimentent aussi une fuite en avant. Le Comité de la Prévention et de la Précaution s’en est inquiété dès 2006, se demandant si ces technologies « ne sont pas, elles-mêmes, sources d’effets non maîtrisés qu’il faudra traiter par la suite » (p. 129).
Bien évidemment, Roger Lenglet ne présente pas les nanoparticules une à une. D’ailleurs, personne ne sait pas combien il y en a. En 2013, un inventaire très incomplet faisait état de 1 000 à 1 500 produits en France. De son côté, la Commission européenne se penchait seulement sur la faisabilité d’un tel recensement.
L’auteur consacre toutefois une vingtaine de pages à une présentation, sous forme de fiches, des principales particules et des produits qui les incorporent. On apprend ainsi que le méconnu nano-sélénium, présent dans des thés pré conditionnés, est connu pour entraîner un retard de croissance et une atteinte hépatique chez la souris. Ou que l’on trouve du nano-titane sur les planches de surf.
Sans surprise, les nanoparticules font l’objet de grandes manœuvres dans les secteurs alimentaire et pharmaceutique. Plus du quart des produits avec des nanoparticules vendus en France portent sur les cosmétiques et les produits corporels. Il s’agit de réduire la sensation huileuse d’une crème, par exemple, ou d’utiliser le pouvoir bactéricide du nano-argent. Ces additifs ne sont pas inoffensifs : le nano-dioxyde de titane des crèmes solaires traverse l’épiderme. Il est classé cancérigène par le Centre International de Recherche sur le Cancer, qui dépend de l’OMS.
L’auteur met également en cause les promesses médicales des labos. Certes, les modes d’action des nanoparticules ouvrent d’importantes perspectives de traitement, y compris pour la maladie d’Alzheimer (7 millions de malades en Europe). Mais le mode d’action de particules plus petites que l’ADN ou le virus de la grippe ne peut pas être traité sur le mode banal. En s’affranchissant de la barrière hémato-encéphalique, l’enveloppe ultime qui protège le cerveau, les nanomédicaments cérébraux ouvrent une voie dangereuse, prévient l’auteur.
Dans le secteur agroalimentaire, Roger Lenglet parle de « cuisine clandestine qui dure depuis des années » (p. 115). On ne compte plus les aliments qui utilisent des nanosubstances pour renforcer une couleur ou éviter les grumeaux. Ou plutôt, on en a une idée : plus de 300 aliments, selon le cabinet Helmut Kaiser (2010). Les emballages contiennent aussi de la nano-silice ou du nano-zinc qui finissent dans notre estomac. Au total, le marché des ingrédients nanotechnologiques a dépassé les 20 milliards de dollars en 2010.
L’auteur attire aussi notre attention sur les produits vétérinaires, les produits informatiques et les matériaux de construction. Il mentionne les risques professionnels encourus par le personnel qui manipule des substances comme les nanotubes de carbone. Ces fullerènes sont un des nanomatériaux les plus anciens et les plus fabriqués en raison de ses propriétés (légèreté, résistance, conductivité, effet lubrifiant...) qui intéressent aussi bien l’automobile que les articles de sport. Ses inventeurs ont d’ailleurs reçu un Nobel en 1985. Or, chez les rongeurs, les nanotubes de carbone traversent la barrière placentaire avant de se répandre dans l’embryon, provoquant des malformations. Des tests in vitro signalent qu’ils ont des effets cancérigènes sur les cellules humaines. Tout se passe comme s’ils voyageaient à l’intérieur de l’organisme sans qu’aucune barrière ne les retienne.
S’il est difficile de pister chaque nanoparticule, ce qui constitue à la fois un enjeu sanitaire et une aubaine pour les industriels, le côté sombre de la technologie est désormais connu des toxicologues. En raison de leur bio-persistance, de leur forme, de leurs propriétés chimiques ou électromagnétiques, les micro-particules peuvent être toxiques.
Dans son rapport 2012, l’ANSES (Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire) notait que les nanoparticules peuvent provoquer « du stress oxydant, de l’inflammation, des dommages à l’ADN, des dommages cellulaires (…) et des effets pathologiques à long terme (tels que la formation de granulomes, la fibrose et des mésothéliomes » (p. 169). L’année suivante, l’agence confirmait à Bruxelles la génotoxicité de 15 nanomatériaux. Non sans pointer un phénomène déjà relevé par l’Institut canadien Robert Sauvé : de fortes doses de nanomatériaux sur les cellules peuvent n’avoir qu’un effet limité, alors que des doses plus faibles provoquent des réponses fortes. « Ce phénomène, signale Roger Lenglet, s’explique par le fait que l’état nanoparticulaire multiplie la surface de contact avec le milieu vivant où les éléments se trouvent, ce qui intensifie les échanges physico-chimiques entre eux et lui » (p. 73).
Si le danger des fullerènes a été pointé dès 1996, la réglementation tarde à se mettre en place. Aucun étiquetage, par exemple, ne signale la présence de nanoparticules. Comme l’explique l’auteur, la filière s’est développée avec un fort soutien des pouvoirs publics, qui n’ont pas écouté - ou voulu entendre - les mises en garde des scientifiques. Les recherches sur de possibles effets des nanoparticules ont d’ailleurs été limitées. En 2005, au niveau mondial, 10 milliards de dollars ont été alloués à la recherche et au développement des nanotechnologies, alors qu’à peine 40 millions de dollars l’étaient aux recherches sur les risques, soit 0,4 %.
La fascination exercée par les possibilités de l’invisible n’explique pas tout. Derrière la magie, il y a un lobby industriel qui a pris naissance aux États-Unis dans les années 1980. Comme l’informatique et son créateur de génie au fond d’un garage, la nanotechnologie a son gourou (Eric Drexler) et son mythe.
L’auteur remet les choses en perspective. Le terme de nanoparticule a été inventé en 1974 par un Japonais, le Pr Taniguchi, dans le cadre de travaux d’abrasion de haute précision. De fait, la nanotechnologie existe depuis longtemps, et l’informatique y a concouru activement. La firme IBM fut ainsi à l’origine du microscope à effet tunnel (1981), dont les améliorations ont permis de manipuler individuellement les atomes, avec un champ de force quantique. En 1989, ses ingénieurs gravaient le sigle « IBM » en agençant 35 atomes de xénon sur du nickel.
Associées à des courbes de croissance vertigineuses, les perspectives des nanoparticules suscitèrent alors l’intérêt de toute l’industrie et celui-des pouvoirs publics. Ingénieurs et scientifiques n’étaient pas en reste, animés par des perspectives de carrière et de brevets. Effet d’aubaine ? L’auteur nous fait découvrir un intense lobbying pour mettre l’argent public au service de l’industrie. Alors que poussaient les campus dédiés à la « nanoscience » (Crolles II à Grenoble puis Minatec, NanoSaclay...), les nanoparticules se répandaient en dehors de tout contrôle, à l’exception peut-être de l’additif E 171 (nano-titane) intégré dans nos aliments.
C’était l’époque où l’on marchait encore pieds nus. Depuis, les colossaux budgets américains (1,7 milliard de dollars de fonds directs en 2014) ont inspiré de nombreux pays, d’autant qu’il n’était pas question « d’accuser un retard technologique ». On connaît l’argument. Une nouvelle fois, il signale d’importantes retombées militaires. En 2002, le département américain de la défense recevait d’ailleurs 31,3 % des fonds alloués à la National Nanotechnology Initiative, soit 243 millions de dollars : un budget « sept fois supérieur à celui de la Nasa » (p. 34).
Les nanomatériaux ne permettent pas seulement d’améliorer les performances des missiles, ou l’équipement du soldat (gilets ultra-résistants.), ils ouvrent la voie à de nouvelles armes qui font de l’ogive nucléaire une curiosité antédiluvienne. On connaît déjà le nanodrone « Libellule » de la DGA (Délégation générale à l’armement) : un engin silencieux de 6 cm et de 120 milligrammes, actionné par 180 000 « muscles » en nano-silicium.
Doté de moyens d’observation, son objectif est de communiquer des informations sur l’ennemi. Cette libellule à 1 000 euros s’accompagne de mouettes (pour transporter du matériel) et de moustiques. « La CIA travaille sur le perfectionnement de ce minuscule drone destiné à prendre des échantillons d’ADN et à injecter sous la peau des nanopuces RFID (Radio frequency identification) », comme celles qui équipent les objets connectés.
À l’image de l'Institute for Soldier Nanotechnologies, les Français ont lancé les programmes NanoRobust, MHANN et P2N, qui associent secteurs public et privé. Ailleurs, la convergence NBIC (nano-bio-informatique-cognitive) fait l’objet de programmes officiels, qui nourrissent les plus vives inquiétudes.La recherche française a bénéficié d’un milliard d’euros entre 2001 et 2005. Et ce n’était qu’un début, ajoute Roger Lenglet. La France et l’Europe ont suivi les Américains, au mépris des traités européens qui ont institué le principe de précaution.
De nombreux rapports ont en effet été publiés pour alerter sur la toxicité des nanoparticules ou des nanomatériaux. Y compris au sein des services de l’État. Ces mises en garde étaient d’autant plus fondées que les fibres d’amiante, dont on connaît le pouvoir de dissémination, ne rentraient ni dans la composition des aliments ni dans celle des chaussettes. Mais personne ne tenait à évoquer les risques potentiels, oubliant que la toxicologie est aussi une science. En 2011, Bruxelles décidait d’imposer au secteur agroalimentaire un étiquetage signalant la présence de nanoparticules. Décision tardive et limitée… mais le principe, qui devait être appliqué en 2014, a été vidé de son sens en 2013.
La Nanotechnology Industries Association (NIA) a fait exclure du champ d’application les nanoparticules utilisées « depuis longtemps ». Ce qui, pour l’auteur, est un aveu de taille. Échaudés par le précédent des OGM, les Français ont d’ailleurs boudé le « débat public » organisé en 2010.
Cette condamnation des nanoparticules est aussi explicite. Peu réputés pour leurs talents de contestataires, les assureurs jugent difficilement assurables les risques pour l’environnement ou la santé de particules qui se répandent partout. Qu’il s’agisse d’Axa, ou du Llyod’s, les rapports sont sans équivoque : les nanotechnologies sont porteuses d’une possible catastrophe.
Bien que silencieuse sur l’homologation des additifs alimentaires, cette enquête nous alerte sur les dangers des nanomatériaux, comme sur l’inertie, pour ne pas dire la complicité, des politiques, car les nanoparticules prolifèrent sans le moindre contrôle ni traçabilité.
En France, il a fallu attendre 25 ans pour qu’un décret oblige les producteurs à les déclarer. Encore la sanction ne dépasse-t-elle pas 3 000 euros ! Combien faudra-t-il d’années supplémentaires pour déclarer ce qui est rejeté dans l’environnement, sans la moindre étude d’impact ? En cas de problème, qui sera responsable ? Qui va payer ?
Le constat est d’autant plus préoccupant, qu’on retrouve avec les nanoparticules ce qu’on a déjà vu à l’œuvre avec l’amiante ou le glyphosate, par exemple : mêmes administrations, même pressions... Même principe de précaution ouvertement bafoué, et même victime : notre santé.
Il est dommage qu’à l’occasion de sa réédition, cet ouvrage n’ait pas fait l’objet d’une actualisation. On ignore, par exemple, que l’ANSES a signalé l’additif E 171 comme « susceptible d’entraîner des lésions colorectales précancéreuses ». Mais l’intérêt de ce livre réside dans sa mise en perspective. Servi par des illustrations éloquentes, il retrace l’histoire et les ramifications d’une technologie qui bouleverse le monde. Et pas seulement en raison de ses dangers immédiats.
L’auteur souligne à juste titre que les nanoparticules constituent un vecteur du transhumanisme, car elles offrent la possibilité d’« augmenter », les capacités du corps humain. On ne peut s’empêcher de faire le lien entre cet attrait pour le « surhomme », et l’objectif d’être puissant, collectivement, en dotant notamment la nation américaine de moyens militaires sans précédent. Journaliste, mais aussi philosophe, Roger Lenglet cite Kevin Warwick (titulaire d’une chaire de cybernétique au Royaume-Uni) : « Ceux qui décideront de rester humains et refuseront de s’améliorer auront un sérieux handicap » (p. 179). Cet enjeu-là n’est pas le moindre. Dans cette perspective, choisir les produits peu « performants » est aussi un choix éthique.
Ouvrage recensé
– Nanotoxiques : une enquête. Arles: Actes Sud, 2019
Du même auteur
– Roger Lenglet (avec B. Topuz), Des lobbies contre la santé, Paris, Syros, 2018.
Autres pistes
– Les nanoparticules sur le web francophone :Données actualisées de l’Anses – https://www.anses.fr/fr/content/nanomat%C3%A9riaux Information technique et risques professionnels : http://www.inrs.fr/risques/nanomateriaux/terminologie-definition.htmlQuelques enjeux : https://www.youtube.com/watch?v=Bs_SiaWYXNU (et autres liens YouTube)