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Le Plaisir du texte

de Roland Barthes

récension rédigée parCendrine VaretDocteure en Lettres Modernes (Université de Cergy-Pontoise).

Synopsis

Arts et littérature

À travers de courts fragments présentés comme des bribes de pensée organisées en abécédaire, Roland Barthes livre ici un dense opuscule d’analyses et de réflexions entièrement dédiées au plaisir du texte. Mais que donne-t-il à entendre derrière la notion de plaisir ? Quelle est cette jouissance dont il parle ? Qu’est-ce qui distingue le plaisir de la jouissance, les oppose ou les réunit ? Parsemé d’exemples littéraires, linguistiques, psychanalytiques, philosophiques et rhétoriques, cet ouvrage a pour dessein d’affirmer le plaisir du texte à travers son rapport charnel au langage.

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1. Introduction

Paru en 1973, Le Plaisir du texte s’inscrit déjà dans une mouvance poststructuraliste, marquant ainsi un tournant dans l’écriture et le style de Roland Barthes.

En avançant cette nouvelle théorie du texte, il fait la part belle au plaisir, notion largement délaissée voire rejetée par les philosophes qui lui préfèrent celle de désir. Il met le texte à l’honneur, le texte dont il nous rappelle qu’il signifie « tissu » et qu’il « se travaille à travers un entrelacs perpétuel (…) » (p. 85). Il énonce l’idée que pour atteindre ce plaisir et pour accéder à une jouissance du texte, il faut avant tout créer des failles, déconstruire les modèles de la langue canonique, des idéologies culturelles et institutionnelles.

Mais le plaisir et la jouissance dont il parle semblent être des entités tout à fait distinctes. Alors faut-il les opposer ? Faut-il les unir ? Ils apparaîtront souvent l’un contre l’autre : à côté, tout près ou à l’opposé, loin ? – puis l’un avec l’autre.

Ce travail sur le plaisir est l’occasion de revenir sur le texte, le langage, le lecteur, l’écrivain, le discours et le signifiant. Pour saisir tous les paramètres du plaisir et de la jouissance, nous aborderons le texte à travers le plaisir de l’écrivain puis celui du lecteur. Nous nous pencherons également sur toutes les ruptures incontournables et le combat dans lequel le langage s’engage alors.

2. Le plaisir d’écrire le texte

En distinguant le « Je » écrivain du « Je » lecteur, Roland Barthes aborde le plaisir du texte à travers deux grandes dimensions : l’une écrite, l’autre lue. Il ne définit pas pour autant un sujet par rapport à un objet, ne place pas d’un côté l’écrivain, de l’autre le lecteur, d’un côté l’actif, de l’autre le passif. Il s’agit là simplement de distinguer le plaisir d’écrire du plaisir de lire. Car le plaisir de l’un ne garantit pas celui de l’autre. Et lorsque l’écriture se définit en tant que simple besoin situé hors de toute jouissance, alors le texte qu’elle produit ne sera qu’un « babil », autrement dit un texte frigide.

Dans sa dimension écrite, le texte est appréhendé comme un corps. Roland Barthes définit le plaisir du texte comme étant un rapport charnel au langage. Le corps textuel est lié au plaisir verbal, le plaisir textuel est lié à la jubilation et à la jouissance. En ayant fréquemment recours à un champ lexical physique et sensoriel, Roland Barthes suggère un rapport charnel de l’écrivain avec le texte qui, ainsi personnifié, « a une forme humaine, c’est une figure, un anagramme du corps ? » (p. 26). La langue est en rapport permanent avec le plaisir. La langue maternelle, ici assimilée au corps de la mère, est le terrain de jeu et de plaisir de l’écrivain.

Dans sa dimension vocale, le texte n’est pas expressif, il est phonétique. L’écriture à haute voix porte le grain de la voix – cet amalgame de timbre et de langage –, le transporte jusque dans les articulations du corps. Ce n’est alors pas la clarté du message qui est en jeu, mais sa sensualité, voire son érotisme. Ici, le texte est irrémédiablement lié à la signifiance ; et la signifiance, « C’est le sens en ce qu’il est produit sensuellement » (p. 82).

3. Le plaisir de lire le texte

Le plaisir du texte est indissociable de celui de la lecture. Et comme le suggère la métaphore de Roland Barthes : découvrir un texte c’est un peu comme découvrir un corps lors d’un strip-tease. Le texte se dévoile progressivement et le lecteur le parcourt selon un rythme, un régime et une intensité qui lui sont propres. On ne lit pas un texte classique de la même manière qu’un texte moderne. Il n’est pas tenu de tout lire si tel est son plaisir, il peut choisir de survoler ou sauter des passages pour se précipiter sur « les lieux brûlants » du texte, sur ses « articulations ». Il prend son plaisir là où il le trouve à partir de l’instant où il ne s’ennuie pas.

Ainsi, une lecture rapide et par bribes conviendra tout à fait au récit classique, alors qu’une lecture appliquée qui ne laisse rien passer conviendra certainement mieux à un texte moderne. À titre d’exemples, il ne lira pas Guerre et paix mot à mot, prendra plaisir à survoler ou sauter certains passages de Proust et pas d’autres. Le texte peut alors prendre des allures d’objet fétiche ; en tant qu’objet fétiche, c’est lui qui va choisir le lecteur.

À travers la pratique du lire-rêver, le philosophe Gaston Bachelard avait créé une « pure critique de lecture » comme le souligne Barthes. Il n’envisageait le plaisir qu’en termes de lecture, oubliant au passage que les écrivains, avant d’être lus, avaient écrit et pouvaient être eux aussi concernés par le plaisir.

Mais il arrive aussi parfois que certaines lectures soient perverses. En effet, le lecteur peut prendre plaisir à lire une histoire dont il connaît l’issue, c’est le cas notamment lors d’une lecture d’un texte tragique. Il verra même son plaisir s’effacer au profit de la jouissance lorsqu’il sera confronté à la lecture d’un texte dramatique dont, dans ce cas, il ignore la fin. Ainsi, avec Roland Barthes, le plaisir lié à la lecture n’est plus seulement cet espace sage et lisse auquel on l’associe le plus souvent, mais il va devenir le lieu des ruptures, des éraflures et des failles.

4. Bords, failles, ruptures et jubilation

Roland Barthes constate, à travers la lecture de Sade, que les débordements, les failles, la perte et les ruptures appartiennent également à l’espace du plaisir, au point de lui conférer une saveur toute particulière.

Ainsi, les coupures que le texte impose à la langue mettent en évidence la nécessité de deux bords : un bord conforme aux règles établies par la culture littéraire, et un bord beaucoup plus souple, mobile et subversif.

Il souligne également la duplicité des textes de la modernité qui ont toujours deux bords. Comme le prouve le livre de Philippe Sollers intitulé Lois, qui effectue une déconstruction du modèle de la phrase telle qu’elle est habituellement admise tout en utilisant des procédés linguistiques plus normatifs.

Joindre ou disjoindre les bords de la faille, les deux bords sont indispensables pour qui veut accéder à la jouissance du texte. Certains auteurs se plaisent à joindre les deux bords de la faille, comme Flaubert qui parvient à préserver le caractère sensé de son discours tout en ayant recours à une narrativité déconstruite. D’autres encore préfèrent alterner les deux bords, démultiplier le plaisir jusqu’à porter le texte au plus haut degré de sa dimension érotique. D’ailleurs, « L’endroit le plus érotique d’un corps n’est-il pas là où le vêtement bâille ? » (p. 17).

Car, en effet, c’est bien l’intermittence qui, dans un même mouvement d’apparition-disparition, érotise l’instant. Et c’est également cette rupture de rythme qui se trouve être à la source de toute jubilation textuelle. Et lorsque l’on sait que le texte n’est pas isotrope, à savoir que sa consistance n’est pas homogène, il n’est pas difficile de saisir le caractère imprévisible de ses failles et de ses ruptures.

5. Plaisir et jouissance

En interrogeant le plaisir et la jouissance, en explorant les textes de plaisir et les textes de jouissance, en identifiant des écrivains et lecteurs de plaisir, des écrivains et lecteurs de jouissance, Roland Barthes oppose les deux concepts tout en les conciliant. Lorsqu’il part du principe que plaisir et jouissance ne sont que des forces parallèles, alors il admet qu’elles ne pourront jamais se rencontrer ni communiquer. Mais lorsqu’il dit « qu’entre le plaisir et la jouissance il n’y a qu’une différence de degré », il dit aussi « que l’histoire est pacifiée : le texte de jouissance n’est que le développement logique, organique, historique, du texte de plaisir (…) » (p. 30).

Le plaisir reste cependant difficile à formuler, il se savoure et reste compatible avec la notion de culture ; car la culture reconnaît le plaisir de manière légitime. Il est un contentement. Et cependant, la philosophie ne reconnaît pas le plaisir, elle lui préfère le désir. Seuls quelques marginaux comme Sade ou Fourier revendiquent l’hédonisme. Le texte de plaisir est une pratique de lecture confortable, sans rupture, provoquant parfois l’euphorie et donne une consistance renforcée au « moi ». L’œuvre de Proust est une œuvre de plaisir. Le plaisir ne serait-il alors qu’une petite jouissance ?

La jouissance est beaucoup plus radicale, elle surgit et transcende le plaisir, « déconforte », est faite de ruptures, de répétitions, de combats et de pertes. La jouissance est un évanouissement qui ne se dit pas, car elle n’est pas définie en tant que doctrine. Elle est ici décrite comme l’envers de l’écriture. Le texte de jouissance va souvent à l’encontre de la culture car il reste marginal et se situe généralement hors-limite. Alors, il surgira tel un scandale, une coupure et non un épanouissement.

Enfin, Barthes souligne la proximité de la jouissance et de la peur qu’il présente comme un sentiment « médiocrement indigne », et à qui seul Hobbes voue une passion : « La seule passion de ma vie a été la peur » (p. 66), écrivait-il. Mais ce qui les rapproche avant tout réside dans la clandestinité absolue dont elles s’entourent. Peut-on dire de la jouissance qu’elle ne serait-elle alors qu’un plaisir extrême ?

6. Langage et combat

Cet ouvrage de Roland Barthes nous rappelle qu’en tant que sémiologue, il s’est beaucoup intéressé aux effets du langage. Selon lui, la parole littéraire est un engagement guerrier, prise entre plaisir et jouissance, elle est souvent ici associée à l’idée de combat.

Car le langage, comme il l’écrit lui-même, est celui qui met en éveil : « Je m’intéresse au langage parce qu’il me blesse ou me séduit »(p. 52). Lorsqu’il évoque le texte, il le situe comme une production dont le sens, une fois cette phase de production effectuée, ne dépend plus de son auteur et finit par lui échapper. Car l’écriture est « hors-lieu » et l’écrivain est une créature de langage emporté dans la guerre des parlers. Mais comme dans toute guerre, il y a parfois des moments de répit et de calme propices au plaisir : « Dans la guerre des langages, il peut y avoir des moments tranquilles, et ces moments sont des textes. (…) Entre deux assauts de paroles, entre deux prestances de système, le plaisir du texte est toujours possible (…) » (pp. 42-43).

La jouissance, quant à elle, demeure très souvent située entre la notion de perte et celle du combat (culturel et social, linguistique, idéologique). Et le texte de jouissance vient alors bousculer tous les repères du lecteur au point de mettre en crise son rapport au langage.

Cette réflexion sur le langage entraîne Roland Barthes vers des contrées où la Phrase, par la force de sa majuscule, acquiert un statut particulier et quasi sacré. L’écrivain, en tant que « Pense-Phrase », à savoir « celui qui pense des phrases », est celui qui lui assure sa pérennité et tout son éclat.

Après avoir mené l’expérience de recenser tous les langages qui l’entouraient, il en vient à développer la théorie du plaisir de la phrase qu’il considère comme un artefact culturel paradoxal : à la fois très ancrée dans une structure hiérarchisée immuable et à la fois infinie à travers toutes ses combinaisons possibles.

7. Conclusion

Tout au long de son essai, Roland Barthes entraîne le lecteur à découvrir, parcourir et savourer tous les plaisirs liés à la lecture et à l’écriture du texte. Sous sa plume, le texte prend corps et se fait corps, lieu de plaisir et de jouissance, sensuel et érotique, aussi complexe à appréhender et à travailler qu’une texture que l’on donnerait à tisser. Il en explore tous les langages, revisite ses dimensions philosophiques, culturelles, psychanalytiques, idéologiques et linguistiques, se réfère à des auteurs et à des œuvres qui lui permettent de soutenir et affirmer ses propos.

Original tant dans son fond que dans sa forme, cet ouvrage est aujourd’hui un classique du genre, et s’il n’y avait qu’une phrase à retenir pour rendre compte de toutes les saveurs de son texte, nous pourrions mettre la citation suivante en exergue : « (…) le livre fait le sens, le sens fait la vie » (p. 51). Et tout est dit.

8. Zone critique

Ce court ouvrage est considéré comme un ouvrage de référence depuis plusieurs dizaines d’années, non seulement pour la pensée critique singulière qu’il développe, mais également pour les thèmes universels qu’il aborde : le plaisir et le texte. S’il n’oppose pas de manière radicale le plaisir à la jouissance, en revanche, du point de vue de la psychanalyse, Lacan et Leclaire les opposent distinctement en qualifiant le plaisir de « dicible » alors que la jouissance demeure « in-dicible » et « inter-dite ».

Même s’il demeure l’un des ouvrages les plus abordables de Roland Barthes, le recours fréquent aux parenthèses et à une graphie en italiques, n’en fluidifie pas forcément la lecture. Il ne faut cependant pas oublier de remettre son livre dans le contexte structuraliste de l’époque qui fait la part belle à cette « nouvelle critique » dans laquelle il s’inscrit. Et se délecter du plaisir que l’auteur semble prendre à la méthode soutenue par Michael Riffaterre, admettant le rôle actif du lecteur qui se doit de faire appel à sa culture pour « interpréter » le texte.

9. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé

– Le Plaisir du texte, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Points/Essais », 1973.

Du même auteur

– Le degré zéro de l’écriture suivi de Nouveaux essais critiques, Paris, Éditions du Seuil, 1953. – Mythologies, Paris, Éditions du Seuil, 1957. – Fragments d’un discours amoureux, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Tel Quel », 1977.– Le Grain de la voix : Entretiens, 1962-1980, Paris, Éditions du Seuil, 1981.

Autour de Roland Barthes

– Éric Marty, Roland Barthes, le métier d’écrire, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Fiction & Cie », 2006.– Tiphaine Samoyault, Roland Barthes, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Fiction & Cie », 2015.– Philippe Sollers, L’Amitié de Roland Barthes, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Fiction & Cie », 2015.– Claude Coste, Roland Barthes ou l’art du détour, Paris, Éditions Hermann, coll. « Savoir lettres », 2016.

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