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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

L’assassinat d’Henri IV

de Roland Mousnier

récension rédigée parBruno Morgant TolaïniEnseignant à l'université de Nîmes et docteur de l’EHESS en histoire moderne.

Synopsis

Histoire

Le 14 mai 1610, le roi Henri IV est assassiné en plein Paris par Ravaillac. L’ouvrage de Roland Mousnier, sous-titré « Le problème du tyrannicide et l’affermissement de la monarchie », propose de comprendre comment l’idée de tuer un roi a pu se propager. Naturellement, il a fallu préalablement considérer Henri IV comme un tyran. Cette étude est une véritable investigation de psychologie collective qui mène à la consolidation du pouvoir royal, l’une des principales conséquences du régicide. Par ces deux axes de recherche, Roland Mousnier montre qu’un événement singulier peut éclairer toute une époque.

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1. Introduction

L’ouvrage de Roland Mousnier ne prétend pas élucider les raisons du geste de Ravaillac : était-ce l’œuvre d’un déséquilibré ou une machination dont il n’aurait été que le bras armé ? Difficile de trancher. L’historien retrace toutefois le portrait moral du meurtrier, sa foi, sa piété, ses fragilités. Pour éclairer le sens de cet événement inouï, il interroge les passions politiques et religieuses du temps.

Ce livre décrit les tensions, les frustrations, les ressentiments suscités par la personne du monarque. Il balaye ainsi l’image du « bon roi Henri », relevant sa légitimité contestée, les incertitudes sur la sincérité de sa conversion, la pression fiscale qu’il faisait subir, ainsi que l’exercice de plus en plus absolu de son pouvoir. Autant de traits qui faisaient passer le roi pour un tyran et rendaient légitime, aux yeux de certains, l’impératif de le mettre à mort.

Pour autant, Roland Mousnier révèle, à travers son livre, que la mort du roi n’a pas ressuscité la monarchie dont Ravaillac avait rêvé, où la coexistence pacifique avec les protestants n’existait pas . Bien au contraire, elle contribua à renforcer considérablement le pouvoir absolu et à sacraliser comme jamais auparavant la figure du souverain.

2. Le roi est mort

Paris, le 14 mai 1610.

Le palais de l’Île de la Cité était en effervescence, préparant l’entrée solennelle de la reine Marie de Médicis prévue le 16 . Le roi Henri IV, âgé de 56 ans, était sur le point de partir avec son armée, et avait déclaré la reine régente en son absence car son fils Louis, futur Louis XIII, n’avait pas neuf ans. Il avait ainsi fait couronner et sacrer sa femme la veille, le jeudi 13 mai, pour fortifier son prestige et son autorité. D’où la nécessité d’une entrée solennelle.

Dans l’après-midi, le roi avait demandé son carrosse pour aller visiter le surintendant des finances, le duc de Sully, souffrant, dans sa résidence de l’Arsenal. Accompagné de quelques gentilshommes, Henri IV souhaitait voir en chemin l’avancée des préparatifs des festivités. Passant dans la rue de La Ferronnerie près du cimetière des Saints-Innocents, le convoi fut bloqué par une charrette de foin ; les valets qui se tenaient sur les marchepieds quittèrent celui-ci pour faire écarter le véhicule gênant. Un homme bondit alors sur la roue du carrosse ouvert et frappa le roi de trois coups de couteau dans la poitrine. L’assassin resta debout. Maîtrisé, il fut conduit dans un hôtel tout près, de crainte que la foule ne se ruât sur lui et le lynchât.

Après qu’on eut jeté un manteau sur le corps du roi, celui-ci fut rapidement ramené au Louvre et déclaré mort. L’émotion était alors très vive dans le palais. La nouvelle se répandit, semant l’effroi et l’étonnement du peuple qui s’exprima par des cris, des pleurs, des lamentations. Le procès-verbal d’autopsie, signé de dix-huit médecins et de treize chirurgiens du roi, daté du 15 mai, porte constatation d’une plaie côté gauche, d’une autre plus bas entre la cinquième et la sixième côte, perçant le lobe du poumon. Cette seule blessure avait causé la mort du monarque.

3. Un seul Ravaillac ?

Une part importante de l’ouvrage de Roland Mousnier se penche sur la psychologie de l’assassin.

Quelles étaient ses motivations ? Ravaillac fut plusieurs fois questionné et torturé, dans le but de connaître ses complices.

L’assassin soutint toujours avoir conçu seul son projet. Les interrogatoires fournissent un grand nombre d’informations et c’est à partir de celles-ci que l’historien construit son portrait. Ravaillac vivait dans l’atmosphère morale d’un double échec, à la fois familial et professionnel. Il se trouvait également dans un état de misère très prononcée, proche de la mendicité. C’était un bon catholique, à la piété très prononcée, qui se repentit d’avoir tué Henri IV et espéra que Dieu lui ferait grâce de l’Enfer puisqu’il agissait pour lui. Avant cette tragique journée du 14 mai, il avait plusieurs fois essayé de parler au roi pour le faire changer de politique. N’y parvenant jamais, il se résolut alors à l’assassiner. Selon lui, le roi voulait faire la guerre au pape, l’Édit de Nantes était mauvais et les protestants n’attendaient qu’une occasion pour massacrer les catholiques et se venger de la Saint-Barthélemy. Ne pas tuer le roi aurait été, selon Ravaillac, un crime envers Dieu.

Roland Mousnier ajoute que de nombreux sujets du royaume pensaient la même chose que l’assassin, s’appuyant sur des témoignages d’époque. L’historien les nomme des « Ravaillac de cœur », à partir desquels il réalise une étude de psychologie collective. En France, mais aussi à l’étranger, de nombreuses personnes s’attendaient à ce qu’il arrive malheur ou roi, voire même complotaient contre lui. Et ce, en raison de considérations essentiellement géopolitiques : Henri IV s’apprêtait à faire la guerre pour défendre les intérêts de princes protestants. Mais comment, dans une société profondément chrétienne, le cinquième commandement, « Tu ne tueras point » a-t-il pu être mis entre parenthèses par tant d’individus qui espéraient la mort du roi ? Roland Mousnier cherche les réponses à cette question dans une institution majeure de l’Ancien Régime : le Parlement de Paris .

4. Le Parlement et la question du régicide

Le 27 mai, le Parlement de Paris qui était chargé du traitement judiciaire du cas Ravaillac, le déclara coupable de crime de lèse-majesté « pour le très meschant, très abominable et très détestable parricide commis en la personne du feu Roy Henry quatriesme ». Il devait faire amende honorable, puis se présenter en place de Grève, où il serait torturé, écartelé par quatre chevaux, puis brûlé et ses cendres jetées au vent. La maison où il était né devait être démolie, ses parents devaient quitter le royaume et il était interdit à ses frères, sœurs, oncles et tantes de porter le nom de Ravaillac. Devant le greffier du Parlement, il persista : il n’avait été ni induit ni aidé par personne.

Après l’horrible exécution dont l’historien relate les différentes étapes avec force détails, nombreux sont ceux qui pensent qu’il y avait, dans le royaume, des individus plus coupables que Ravaillac. Les jésuites surtout, qui étaient considérés par beaucoup comme des fauteurs de trouble appelant ouvertement au meurtre de ceux qui abusent du pouvoir. En effet, des théories légitimant le régicide avaient été colportées depuis plusieurs années par des traités de théologie que Roland Mousnier analyse avec précision.

La possibilité d’assassiner Henri IV découlait alors d’un syllogisme : il est permis de tuer un tyran ; or, Henri IV est un tyran ; il est donc permis de tuer Henri IV. C’est dans ce contexte de propagation d’idées légitimant de tels actes que l’assassinat eut lieu et que le Parlement de Paris devait rendre sa sentence contre Ravaillac. Ceci fait, la cour souveraine fit enregistrer qu’il était interdit, sous quelque prétexte que ce soit, d’attenter à la personne sacrée des Rois. Elle ordonna également de faire brûler tous les ouvrages séditieux des jésuites. Cette décision fut envoyée dans tout le royaume pour y être lue dans les paroisses, dès le mois de juin. Quiconque contreviendrait à ces décisions serait désormais considéré comme un criminel de lèse-majesté.

5. Un syllogisme vérifié ?

Est-il permis de tuer un tyran ? Voilà une question que pose Roland Mousnier.

L’historien remonte ainsi à l’Antiquité pour examiner les différentes théories légitimant le meurtre du tyran, depuis la Bible et Aristote jusqu’à Saint-Augustin, en passant par Cicéron. Il souligne qu’au Moyen-Âge, des auteurs s’intéressent à la question et apportent une distinction entre tyran d’exercice et tyran d’usurpation, autrement dit entre celui qui abuse du pouvoir et celui qui s’en serait emparé par sédition ou par conquête. Si tout le monde peut se révolter légitimement contre le second, en revanche, seuls les magistrats peuvent agir contre le premier. C’est notamment la position de Saint-Thomas d’Aquin, dont les écrits influencent considérablement les jésuites. Ce dernier se positionne toutefois contre le meurtre, la mort ne pouvant être prononcée que par la justice.

Au XVIe siècle, protestants et catholiques reprennent ces théories. Celles-ci sont propagées par des écrits et plus particulièrement par des pamphlets qui font circuler, à la veille de l’assassinat de Henri IV, des idées très nocives. Il est alors accepté que le cinquième commandement comporte des exceptions. C’est ce qui explique selon Roland Mousnier l’assassinat de Henri III en 1589 et les nombreuses tentatives de meurtre sur Henri IV avant celle, réussie, de 1610. Il serait donc permis de tuer un tyran.

Reste à savoir si Henri IV en était un. L’historien énumère différents éléments qui auraient pu faire passer le roi comme tel. Il est un tyran d’usurpation, car sa légitimité est contestée, sa conversion au catholicisme n’étant pas apparue, pour tous, comme sincère. Ne s’apprêtait-il pas à entrer en guerre pour soutenir des princes protestants allemands ? N’a-t-il pas accordé de très nombreuses libertés aux protestants avec l’Édit de Nantes ?

En outre, les promesses qu’il avait faites au pape au moment de son absolution en 1595 n’ont pas toutes été tenues, notamment la restitution des biens du clergé catholique dans le Béarn. Enfin, la politique fiscale du roi contribua également à le représenter, aux yeux de l’opinion, comme un tyran. La seconde partie du syllogisme était démontrée.

6. Un acte aux conséquences multiples

L’assassinat de Henri IV eut, bien entendu, de nombreuses conséquences, que Roland Mousnier expose dans la troisième partie de son ouvrage. Pour cela, l’historien s’interroge : si Ravaillac avait vécu, aurait-il été satisfait des suites de son geste ? D’abord, après le 14 mai 1610, la coexistence entre catholiques et protestants perdura dans le royaume, la régente Marie de Médicis signant même le 3 juin une confirmation de l’Édit de Nantes. Le protestantisme résista et l’acte de Ravaillac n’a pas permis de l’affaiblir, tout au moins jusqu’à la révocation de l’Édit de Nantes par Louis XIV en 1685.

Ensuite, la mémoire de Henri IV devint dès lors une légende, celle du « bon roi Henri », qui voulait le bien de son peuple et fut un roi martyr. L’historien montre que déjà du vivant du roi, ce mouvement d’exaltation était en route. Mais le coup de couteau de Ravaillac lui donna une nouvelle impulsion, lui conférant l’image d’un héros. À sa mort, son règne devint dans les esprits le temps révolu d’une idylle interrompue entre le monarque et son peuple. Ravaillac avait échoué à disqualifier sa mémoire.

Enfin, et surtout, l’événement du 14 mai 1610 contribua à l’affermissement de l’absolutisme. En effet, après le meurtre, beaucoup de Français ont considéré comme une nécessité de placer le roi si haut qu’on ne pourrait attenter à sa personne ou à son pouvoir. L’idée était de faire du souverain une personne inviolable, et donc de discréditer toutes les théories tyrannicides.

Ce renforcement du pouvoir absolu, Roland Mousnier le constate quelque année après l’assassinat de Henri IV, lors de la convocation des États-Généraux en 1614 . Chaque ordre, pour la satisfaction de ses propres intérêts, demanda alors au roi d’user de son pouvoir absolu ; les États-Généraux abandonnèrent au souverain tout leur pouvoir. L’assassinat de Henri IV aura donc eu pour conséquence première le renforcement de la monarchie absolue.

7. Conclusion

Le coup de couteau de Ravaillac a aidé, à l’inverse de l’intention de son auteur, au succès de l’absolutisme en France. Car le XVIIe siècle allait se révéler un siècle dur, durant lequel la France dut lutter pour son indépendance dans de nombreuses guerres, particulièrement longues et coûteuses, entraînant un effort fiscal important. Pour imposer les décisions nécessaires aux combats, il fallait passer outre des privilèges locaux, des libertés traditionnelles, des droits acquis, et seul un monarque absolu le pouvait.

Mais si le peuple sursautait devant les conséquences de cet absolutisme grandissant, il en sentait également le besoin, pour éviter que le royaume ne soit démembré. Par-là, Ravaillac a bien contribué à maintenir et à développer la France, mais celle qu’il ne voulait pas, celle qu’il avait voulu frapper dans la personne de Henri IV. De ce point de vue, la journée du 14 mai 1610 est bien l’une de celles qui ont contribué à faire la France.

8. Zone critique

Lorsque Roland Mousnier rédigea cet ouvrage en 1964, il était à contre-courant de l’école des Annales, tendance historiographique française qui privilégiait l’histoire du temps long. Dans son avant-propos, il justifie d’ailleurs le choix d’étudier un événement en rappelant qu’un fait singulier peut affecter la vie de millions d’hommes.

En dépit d’un positionnement résolument différent, ces travaux ont rapidement été salués parce qu’ils bousculaient les idées traditionnelles de construction de l’absolutisme et en proposaient une nouvelle lecture. Roland Mousnier influença d’ailleurs d’autres études, notamment celles de Denis Crouzet et de Nicolas Le Roux, qui étudia le meurtre du roi Henri III, en 1589.

Signalons enfin que L’assassinat d’Henri IV se lit avec plaisir voire avec facilité, l’érudition qui le nourrit n’étant jamais pesante. Il est incontestablement, pour reprendre les termes d’Arlette Jouanna qui en rédigea la préface de l’édition de 2008, un « maître-livre ».

9. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Roland Mousnier, L’assassinat d’Henri IV, Paris, Gallimard, coll. « Les journées qui ont fait la France », 2008 [1964].

Autres pistes– Bernard Barbiche, Sully, Paris, Albin Michel, 1978.– Yves-Marie Berce, Nouvelle histoire de la France moderne. 3, La naissance dramatique de l’absolutisme, 1598-1661, Paris, Éditions du Seuil, 1992.– Denis Crouzet, Les guerriers de Dieu : la violence au temps des troubles de religion, vers 1525 - vers 1610, Seyssel, Champ Vallon, 1990.– Olivier Christin, La paix de religion. L’autonomisation de la raison politique au XVIIe siècle, Paris, Seuil, 1997.– Janine Garrisson, L’Édit de Nantes. Chronique d’une paix attendue, Paris, Fayard, 1998. – Nicolas Le Roux, Le Roi, la cour, l’Etat. De la Renaissance à l’Absolutisme, Seyssel, Champ Vallon, 2014.

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