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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

Le Choc des civilisations

de Samuel Huntington

récension rédigée parAna PouvreauSpécialiste des questions stratégiques et consultante en géopolitique. Docteur ès lettres (Université Paris IV-Sorbonne) et diplômée de Boston University en relations internationales et études stratégiques. Auditrice de l'IHEDN.

Synopsis

Histoire

Le Choc des civilisations est une analyse sur l’état du monde dans l’environnement géostratégique issu de l’effondrement de l’Union soviétique en 1991. C’est également une réflexion prospective sur les perspectives d’évolution des relations internationales à l’aube d’un nouveau millénaire. Qualifié par l’ancien secrétaire d’Etat américain, Henry Kissinger, de « livre le plus important depuis la fin de la guerre froide », l’ouvrage met en avant l’hypothèse selon laquelle l’environnement international succédant à la confrontation bipolaire Est-Ouest sera désormais caractérisé par l’éruption de conflits violents résultant de profondes différences entre de grands blocs d’appartenance civilisationnelle.

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1. Introduction

Le Choc des civilisations est l’aboutissement d’une réflexion amorcée par l’auteur dans la revue de référence en matière de politique étrangère et relations internationales, Foreign Affairs, en 1993, soit deux ans après la fin de la guerre froide.

Huntington s’interroge sur l’origine des conflits futurs dans un contexte caractérisé par l’émergence du concept de « nouvel ordre mondial » (New World Order) évoqué par le président américain George H. W. Bush dans son discours au Congrès des États-Unis, le 11 septembre 1990. Est apparue également à cette époque, la notion d’ « empire global », développée par l’historien Francis Fukuyama et par le stratège Zbigniew Brzezinski.

L’auteur du Choc des civilisations analyse les conséquences pour l’Occident des interactions entre les différentes civilisations qu’il s’applique à discerner. En effet, dans le monde de l’après-guerre froide, les peuples se distinguent non pas par leur différences idéologiques, politiques ou économiques, mais avant tout par leur identité culturelle et civilisationnelle.

Plusieurs questionnements deviennent alors essentiels : de quelle manière les civilisations identifiées par Huntington cohabitent-elles dans le monde issu de la confrontation Est-Ouest ?

Par ailleurs, la position dominante actuelle de l’Occident pourra-t-elle perdurer longtemps ? Quelles sont les probabilités d’occurrence des conflits entre les grands ensembles civilisationnels ? Dans ce nouvel environnement, quel est le poids du monde islamique ?

Enfin, quelles recommandations principales Huntington esquisse-t-il, dans son ouvrage, à l’intention des dirigeants du monde occidental ?

2. Un nouveau monde multipolaire

Comment les civilisations identifiées par Huntington coexistent-elles dans le nouveau monde multipolaire issu de la guerre froide ?

Les civilisations se situent au sommet de la pyramide des groupes culturels auxquels s’identifient les individus : tribus, ethnies, communautés religieuses, nations. Elles peuvent disparaître mais elles peuvent aussi perdurer très longtemps en évoluant et en s’adaptant.

Ce sont les associations d’êtres humains les plus durables. « Les peuples et les nations s’efforcent de répondre à la question fondamentale entre toutes pour les humains : qui sommes-nous ?

Et ils y répondent de la façon la plus traditionnelle qui soit en se référant à ce qui compte le plus pour eux. Ils se définissent en termes de lignage, de religion, de langue, d’histoire, de valeurs, d’habitude et d’institutions. Ils s’identifient à des groupes culturels » .

C’est ainsi que le monde est divisé en quelques blocs civilisationnels majeurs, plus ou moins étendus en termes de superficie : 1) occidental ; 2) latino-américain ; 3) africain ; 4) islamique ; 5) chinois ; 6) hindou ; 7) orthodoxe ; 8) japonais (le Japon constituant à lui seul un ensemble civilisationnel indépendant).

Il est particulièrement intéressant d’identifier, au sein d’aires géographiques continues, les pays qui font figure d’intrus et demeurent, de ce fait, comme enclavés à l’intérieur de ces aires. De la même manière, certains pays sont agrégés à des ensembles géographiquement éloignés.

Balayant l’illusion du retour de l’harmonie dans les relations internationales après la fin de la guerre froide, Huntington souligne au contraire que l’après-guerre froide a donné lieu à d’innombrables conflits sanglants, voire à de nouveaux génocides..

À ce stade précis, resurgit la tentation d’une conception binaire des interactions entre les États nations, opposant par exemple deux idéologies ou deux niveaux de richesses (ex. pays développés vs pays en voie de développement). L’auteur propose également d’aller au-delà de la théorie dite « réaliste », qui place les Etats au centre des affaires mondiales.

On assiste au contraire, selon lui, à un affaiblissement des États pour diverses raisons, ce qui présente un risque d’anarchie voire de chaos. On peut néanmoins, selon Huntington, parfaitement s’en tenir à l’analyse suivante : « En résumé », écrit-il « le monde est divisé en une entité occidentale et une multitude d’entités non occidentales » .

3. La domination de l'Occident

L’Occident sera t-il encore longtemps en mesure de maintenir sa domination et son rayonnement par rapport aux autres blocs culturels ?

La rivalité entre civilisations aurait supplanté le choc entre les idéologies qui prévalait pendant la guerre froide opposant le bloc occidental aux pays du Pacte de Varsovie.

Mais qu’entend Huntington par civilisation occidentale ?

S’efforçant d’en tracer les contours, il délimite une zone constituée de tous les États européens situés à l’ouest de la Russie, de la Biélorussie, de l’Ukraine, de la Roumanie, de la Serbie et de la Bosnie, excluant la Grèce. Il y inclut les pays Baltes, la Slovénie, la Croatie, l’Islande et le Groënland. Hors d’Europe, le bloc culturel occidental comprend également, de toute évidence, les États-Unis, le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande.

Dans l’après-guerre froide, l’Occident prédomine toujours. Mais sa position est menacée par la montée en puissance d’autres civilisations déterminées, soit à l’imiter soit à le combattre Les évolutions géopolitiques découleront des interactions entre la puissance et la culture du monde occidental et celles des autres ensembles civilisationnels, qui se sont érigés soit en rivaux, soit en imitateurs de l’Occident. L’équilibre entre ces ensembles est instable. Dans le nouveau monde multipolaire et multicivilisationnel, l’Occident sera de moins en moins capable d’imposer, par le simple usage de la force, ses valeurs, dont il continuera cependant de promouvoir le caractère universel.

Dans ces conditions, il incombe au monde occidental de protéger son système de pensée et de consentir des efforts en vue de renforcer son unité. Mais il s’avèrera finalement nécessaire pour lui de renoncer à l’universalité de sa culture. Au centre de cette problématique, les États-Unis et la France sont deux États particulièrement concernés, car ces deux puissances se perçoivent comme investies d’une mission universelle.

Dans une telle configuration, l’hyperpuissance des États-Unis sera d’autant plus mise en péril que ce pays est de plus en plus économiquement dépendant de puissances étrangères. Par ailleurs, la multiplication des opérations militaires lancées par les États-Unis s’apparente à une sorte de fuite en avant qui a tendance à accroître l’instabilité du monde en provoquant des formes de radicalisation.

4. L'hypothèse de conflits entre civilisations

Huntington s’efforce d’anticiper la véritable nature du nouveau monde surgi après la fin de la configuration bipolaire qui a prévalu entre 1947 (doctrine Truman du containment) et 1991.

Pour cela, il tente de dépasser les illusions de paix et d’unité mondiale apparues dès la chute du mur de Berlin en 1989. Il entrevoit déjà que le désir d’unité sera supplanté par les clivages, les rivalités, les conflits. Une nouvelle division de la planète en sphères d’influence devra se faire jour, écartant peu à peu l’idée utopique du village planétaire. Dans le monde de l’après-guerre froide, la notion d’empire ou de puissance globale est dépassée. Il faut se rendre à l’évidence qu’aucun État n’a d’intérêt stratégiques globaux et que l’idée de communauté globale n’est plus qu’une utopie.

Un facteur d’apaisement existe néanmoins. Au sein des blocs civilisationnels, certains États pourront s’unir autour d'un État phare. À titre d’exemple, dans la sphère occidentale, deux puissances exercent une influence dominante : les États-Unis et l'axe franco-allemand, le Royaume-Uni se trouvant à mi-chemin. Le monde ne pourra trouver un ordre que sur la base des civilisations. S’il n’adopte pas cette optique, le chaos régnera.

L’équilibre mondial est fragilisé lorsque les États phares – « les sources de l’ordre » – ne s’affirment pas suffisamment et ne parviennent pas, par conséquent, à exercer leur fonction ordonnatrice et stabilisatrice. Ces entités sont les clés du nouvel ordre global fondé sur les civilisations . L’absence d’Etat-phare au sein d’un bloc civilisationnel rendra très difficile la résolution des conflits, comme peuvent en témoigner les guerres civiles dans le monde arabe par exemple.

Comme il le déclarait déjà, en 1993, dans la revue Foreign Affairs, Huntington considère que les conflits à venir se produiront le long des lignes de fracture culturelle qui séparent les civilisations. Les frontières entre cultures, religions et races constituent désormais des lignes de fracture. C’est pourquoi, pour des raisons de proximité géographique, des heurts violents opposeront la civilisation islamique à d’autres ensembles civilisationnels situés à proximité.

5. Le poids du monde islamique

Le conflit entre l'Occident et l'Islam constituerait, selon Huntington, le conflit le plus important du millénaire. En témoigne, partout sur la planète, la multiplication de conflits de haute intensité opposant des sociétés islamiques à des sociétés non-islamiques.

Les conflits entre l’Occident et l’islam sont anciens. Huntington assène à cet égard cette assertion poignante : « Chacun a toujours été l’autre de l’autre » . La résurgence de l’islam peut à cet égard être interprétée comme une réaction à ce que Huntington traduit par le terme étrange d’« occidentoxication ». De la même manière, dans le camp occidental, cet anti-occidentalisme a donné lieu en retour au développement d’une peur viscérale vis-à-vis de ce qui est perçu comme une menace islamique .

La véritable raison du conflit entre les civilisations occidentale et islamique est le fait que leurs représentants respectifs sont intimement convaincus de la supériorité de leur propre appartenance. De cet intense antagonisme, a résulté l’irruption de conflits violents. Les Musulmans structurent, pour leur part, leur vision du monde de façon binaire en faisant la distinction entre Dar al-Islam ou « domaine de la soumission à Dieu » et Dar al-Harb, le « domaine de la guerre ».

Les relations entre les civilisations occidentale et islamique ont été exacerbées au vingtième siècle par la disparition d’un ennemi commun : le communisme. Par ailleurs, une forte croissance démographique dans le monde musulman a eu pour effet d’accroître le taux de chômage et de plonger la jeunesse dans la frustration.

6. Recommandations à l'usage des dirigeants occidentaux

Les États-nations, qui ont marqué l’histoire depuis le dix-neuvième siècle par leurs luttes incessantes, demeureront les principaux acteurs sur la scène internationale. Leur politique étrangère continuera d’être motivée par la quête de la puissance et de la richesse, mais les affinités culturelles et civilisationnelles joueront un rôle de plus en plus important.

Dans le nouveau monde qui succède au monde bipolaire dans lequel s’affrontaient des blocs idéologiques, Huntington énonce deux règles qu’il juge fondamentales pour préserver l’ordre mondial et l’équilibre des groupes civilisationnels : celles de l’abstention et de la médiation.

En premier lieu, les États phares devront s’abstenir d’intervenir dans des conflits survenant dans des civilisations autres que la leur. Cette restriction nécessaire sera évidemment difficile à admettre pour les États-Unis dans un premier temps.

Autre condition importante pour une paix durable dans le monde multipolaire et multicivilisationnel de l’après-guerre froide : celle de la médiation concertée, qui supposera que les États-phares concernés se consultent mutuellement afin de contenir ou de mettre un terme à la violence des conflits qui surgissent sur leurs marges et à ceux qui relèvent de leur propre appartenance civilisationnelle.

7. Conclusion

En dépit des critiques dont l’ouvrage de Huntington a fait l’objet depuis sa parution en 1996, force est de constater que dans la dernière décennie, qu’il s’agisse des révolutions arabes de 2011, des conflits en Libye et en Syrie ou de la montée en puissance de la Russie et de la Chine, de récentes crispations se sont fait jour dans les relations entre l’Occident et le reste du monde, donnant lieu à une réaffirmation encore plus forte des appartenances civilisationnelles.

À titre d’exemple, les tensions observées récemment dans les relations entre la Turquie et ses Alliés de l’OTAN, notamment avec les Etats-Unis, favorisent actuellement la consolidation des liens entre Russes et Turcs. Si cette évolution se poursuit, la puissance turque continuera à s’éloigner du bloc occidental et à se redéployer dans son ancien espace ottoman tout en se projetant également vers le Caucase et vers l’Asie centrale, où elle se perçoit en protectrice des peuples turcs et en porte-drapeau de la civilisation turque. La Russie lui emboîte le pas en promouvant une doctrine néo-eurasiste en contrepoids à l’euro-atlantisme.

8. Zone critique

Dans son effort de classification des civilisations, Huntington s’inscrit dans la lignée de Max Weber, Fernand Braudel, Oswald Spengler ou Arnold Toynbee. Disciple de l’historien Fernand Braudel, il s’en démarque pourtant. On note par exemple qu’il ne reprendra pas la notion de civilisation méditerranéenne, occultant ainsi le fait qu’au sein d’une même civilisation peuvent coexister différentes cultures.

Sa démonstration diverge également de la thèse soutenue par Francis Fukuyama sur l’unification de l’humanité, dès le vingt-et-unième siècle, par le biais de l’expansion de la démocratie libérale sur fond d’homogénéisation culturelle à l’échelle globale. Or, pour Huntington, la démocratie libérale demeure difficilement transposable tandis que l’homogénéisation culturelle n’est qu’un leurre. Ce dernier phénomène dissimule le fait que l’occidentalisation et la modernisation de la société sont deux concepts bien différents, et que l’un n’implique pas forcément l’autre. Ainsi pressent-il déjà qu’au Moyen-Orient, une demi-douzaine de jeunes hommes pourraient très bien s'habiller en jeans, boire du Coca-Cola, écouter du rap, tout en assemblant une bombe pour faire exploser un avion de ligne occidental.

Dès qu’elle est apparue, la théorie du choc des civilisations a donné lieu à d’intenses critiques. Les détracteurs des thèses défendues par Huntington ont souvent jugé que ce dernier présentait en des termes simplificateurs des réalités complexes.

Ses solutions leur paraissaient inadaptées, réductrices. La perspective différentialiste qu’il avait choisie dérangeait les tenants de thèses universalistes. Il lui fut reproché d’accorder une place démesurée au facteur religieux pour expliquer la genèse des conflits. Il fut également accusé d’attiser le séparatisme et, de ce fait, de faire le lit d’une fragmentation à l’infini, de toutes les entités territoriales sur l’ensemble de la planète. Certains penseurs se mirent à craindre une instrumentalisation du mythe séduisant de la théorie du choc des civilisations, par des forces extrémistes de tous bords.

En réaction, les Nations unies jugèrent opportune – à compter de 2004 – la mise sur pied d’une Alliance des civilisations, organisation visant à rapprocher le monde islamique et l’Occident. L’avenir nous dira qui des deux camps a eu la vision prospective la plus exacte.

9. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé

– Le Choc des civilisations, Paris, Odile Jacob,1997.

Autre ouvrage de Samuel Huntington

– Qui sommes-nous ?, Paris, Odile Jacob, 2004.

Autres pistes

– Benjamin R. Barber, Mondialisation et intégrisme contre la démocratie, Paris, Desclée de Brouwer, 2001.– Fernand Braudel, Grammaire des civilisations, Paris, Arthaud, 1987.– Zbigniew Brzezinski, Le Grand échiquier : L'Amérique et le reste du monde, Paris, Bayard, coll. « Actualité », 1997.– Francis Fukuyama, La Fin de l'histoire et le dernier homme, Paris, Flammarion, coll. Histoire, 1992.– Paul Kennedy, Naissance et déclin des grandes puissances, Paris, Livre de Poche, 2004.

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