Dygest vous propose des résumés selectionnés et vulgarisés par la communauté universitaire.
Voici le résumé de l'un d'entre eux.
de Sarah Barmak
Cet ouvrage est un essai, à la fois personnel et journalistique, dédié au plaisir et à l’orgasme féminin. Sujet encore largement inexploré, la jouissance féminine est à mettre en regard avec une libération de la sexualité des femmes encore loin d’être atteinte dans nos sociétés occidentales. Et, ce, malgré le soi-disant mouvement de « révolution sexuelle » vécu dans les années 1970. En effet, selon les études, plus de 50 % des femmes se déclarent sexuellement insatisfaites de nos jours. Une insatisfaction assez généralisée donc qui est due tant à un manque de désir ou qu’à des difficultés à atteindre l’orgasme. Or si toutes ces femmes ne sont pas, pour autant, atteintes de troubles pathologiques, c’est donc bien du côté de la culture et du construit que le problème se situe. Si parler de sexualité masculine et de ses troubles est devenu chose assez banale, la sexualité féminine reste encore de l’ordre du tabou absolu. Sarah Barmark aborde ainsi directement le plaisir féminin en livrant des explications historiques à ce déni, en tentant de définir – et ce n’est pas si simple !, l’orgasme féminin, en évoquant celles qui ont décidé de vivre et d’assumer pleinement leur plaisir sexuel, et pour finalement poser une question provocante : le plaisir est-il nécessaire ?
À l’heure d’une sexualité omniprésente dans nos sociétés modernes, et particulièrement d’une ère où la pornographie est au cœur du sujet, Sarah Barmak démontre que la sexualité féminine est loin d’être libérée, comme l’on a tendance à le croire et à nous le faire croire. La preuve par les chiffres. La moitié des femmes sont sexuellement insatisfaites, les deux tiers d’entre elles affirment simuler lors de relations sexuelles.
Au-delà des chiffres, une telle insatisfaction quasi générale ne peut s’expliquer par des problèmes physiques. Ce ne sont donc pas les médicaments qui sont la solution, mais bien une nécessaire évolution culturelle de la société actuelle, basée sur l’androcentrisme, un mode de pensée envisageant le monde essentiellement du point de vue des hommes, et, ce, particulièrement en ce qui concerne le sexe et le plaisir. Les femmes, qui ont été élevées dans un monde où la sexualité féminine reste totalement taboue et qui n’ont pas appris à connaître leur propre corps, ont ainsi peur du plaisir, de leur plaisir. Mais qu’est-ce que l’orgasme finalement, s’interroge l’auteure ? Comment décrire cet état si complexe à définir, de l’aveu même des scientifiques, sexologues et autres spécialistes, qui se sont penchés sur l’exercice ? Les dernières découvertes scientifiques permettent-elles d’en savoir plus sur la jouissance ?
Face à ces blocages culturels et scientifiques, certaines femmes sont pourtant rentrées en résistance. Elles veulent vivre pleinement leur sexualité, et aider les autres femmes à se libérer. Elles testent et proposent diverses méthodes, certaines pouvant apparaître extrêmes, pour sortir définitivement de ce carcan normé de la sexualité tel qu’il est imposé encore aujourd’hui, cinquante ans après la supposée révolution sexuelle. C’est un voyage aux confins de la jouissance que nous propose ainsi Sarah Barmak.
S’il est un état difficile à décrire, et donc à définir, c’est bien l’orgasme féminin. Même si les études sont relativement peu nombreuses, elles montrent toutes que le sujet s’avère des plus complexes. Des chercheurs, dès les années 70, ont tenté de comprendre ce qui se passait dans le corps, et dans le cerveau, des femmes lors d’un orgasme.
Avec une méthode originale : ils avaient basé leurs études sur la description par des femmes, mais également des hommes, de leurs ressentis, leur demandant de mettre en mots l’état orgasmique. Ils sont arrivés à une conclusion d’importance : celle que le vécu, très proche entre les hommes et les femmes, était donc indifférenciable en fonction des genres. « Il existe bien plus de nuances entre les orgasmes de différentes femmes – voire entre deux orgasmes vécus par une seule femme dans la même journée – qu’entre les orgasmes des femmes et ceux des hommes, d’après les descriptions qu’ils et qu’elles en font. » (p. 82) Au-delà de cette révélation, ils ont mis en exergue une autre donnée : s’il existe des points communs dans les descriptions, aucun facteur commun n’a cependant pu être mis en avant.
Par facteur commun, les chercheurs faisaient référence à une éventuelle sensation commune et systématique. Si l’orgasme est unique pour chaque individu, une définition exhaustive et universelle apparaît donc impossible… même si nombre de chercheurs, poètes, féministes ou mystiques ont relevé ce défi. Si le nombre de scientifiques s’intéressant à la question est en augmentation depuis quelques années, le problème de ces travaux est qu’ils se focalisent uniquement sur le cerveau. L’orgasme est pourtant loin de n’être qu’une question cérébrale… Parallèlement, sexologues, écrivaines, féministes spécialistes en développement personnel en tout genre tentent aussi de résoudre le mystère de la jouissance féminine. Il faut donc peut-être repartir aux sources mêmes du mot. Le mot « orgasme » provient, en effet, du grec ancien « orgasmos », issu lui-même du verbe « orgàô » signifiant « enfler d’humidité, être excité, avoir très envie ».
Pourtant, ce terme semble quelque peu réducteur puisqu’il décrit plutôt la phase précédant l’orgasme que l’orgasme lui-même. Il n’évoque en rien ce qu’il se passe dans le corps de la femme au moment précis de l’orgasme. C’est donc un long et passionnant cheminement dans un monde encore mystérieux.
L’histoire du plaisir féminin et de l’orgasme serait, d’après Sarah Barmak, une histoire de l’oubli. Parce que si l’organe sexuel masculin a été l’objet d’une littérature foisonnante, dès Léonard de Vinci en 1493, il n’en est pas de même du clitoris. Ce n’est qu’en 2009 que deux gynécologues français, Pierre Foldès et Odile Buisson, ont réalisé une modélisation en 3D des centres du plaisir féminin. Et comme le pointe le Dr Foldès, repris dans cet essai, « la bibliographie médicale nous dit la vérité sur notre mépris des femmes.
Depuis trois siècles, on trouve des milliers de références à la chirurgie du pénis, rien sur le clitoris, hormis quelques cancers ou en dermatologie. Et rien pour lui rendre sa sensibilité. L’existence même d’un organe du plaisir est niée, médicalement » (p. 43). Pourtant, l’auteure fait référence à un autre ouvrage, beaucoup plus ancien, de 1844, d’un anatomiste allemand, Georg Ludwig Kobelt, illustrant des structures clitoridiennes internes.
Le clitoris, certainement le seul organe dont le plaisir est la seule raison d’être, aurait ainsi été découvert puis oublié durant des siècles au gré des évolutions/régressions culturelles. Des fentes vulvaires ont ainsi été gravées sur des pierres par les premiers humains, le sexe tantrique a été décrit il y a 3 000 ans, la Grèce Antique mettait au premier plan le plaisir des femmes, avant même celui des hommes, la sexualité féminine était libérée dans la civilisation arabe médiévale… C’est la chrétienté qui a mis une chape de plomb sur la sexualité féminine : mépris du corps et principalement du système reproducteur féminin alors comparé à un « cloaque », cloaca en latin, littéralement un égout.
Beaucoup plus tard, le XXe siècle n’a pas non plus été LE siècle de la libération sexuelle des femmes même si le sujet pouvait être évoqué avec le père de la psychanalyse, Sigmund Freud, qui fait de la jouissance féminine une énigme, ou grâce au rapport Kinsey, Le comportement sexuel de la femme, du début des années 50. Kinsey -encore un homme pour parler de sexualité féminine !, aura eu le premier le courage de réaliser une description exhaustive de formes de sexualités auparavant considérées comme marginales et immorales : les relations avant le mariage, l'adultère, la masturbation, l'homosexualité, le sadomasochisme, la prostitution, la bisexualité. S’il fut considéré comme le pionnier de la sexologie, en quantifiant le comportement érotique à l’aune des « réalisations orgasmiques », ce professeur d’entomologie et de zoologie n’est resté qu’au stade des statistiques.
Il faudra attendre la fin des années 1970, avec l’électrochoc créé par le rapport de la sexologue américaine Shere Hite pour que le plaisir féminin revienne sur le devant de la scène. Une vaste enquête sur la sexualité humaine qui a fait scandale par ses conclusions alors très éloignées des représentations sur les pratiques sexuelles et leur fréquence. Mais s’il y a bien eu un mouvement de libération sexuelle pour certaines femmes porté par les féministes, on était loin de la révolution sexuelle annoncée.
Si la sexualité et le plaisir féminin restent encore tabou de nos jours, certaines femmes ont pourtant décidé de faire fi de la bien-pensance et de la culture masculine dominatrice en assumant pleinement leur sexualité et leur recherche du plaisir. « Tout ce que veulent les filles, c’est s’amuser. Elles ne font rien d’autre que s’amuser, et cela brouille les limites entre la thérapie, le porno, la santé, le mysticisme et la prostitution. Bienvenue dans ce monde à la fois sans gêne et sauvage, ce monde de l’underground sexuel féminin d’aujourd’hui. » (p. 109)
Pour aider ces femmes à s’accomplir dans leur sexualité, fleurissent ainsi de multiples expériences et/ou thérapies proposées par les nouveaux spécialistes autodéclarés de la sexualité. Le seul but : attiser leur désir en recherchant de nouvelles pratiques sexuelles. À l’instar de festivals underground, tels que le Burning Man où l’orgasme féminin est présenté en direct sur scène, de structures enseignant la méditation orgasmique, d’ateliers sur la masturbation ou d’éducation sexuelle contemplative, de week-ends de « sexe tantrique » ou mixant chamanisme et éveil sexuel, de séances « d’apprentissage » avec des coachs en sexualité, thérapeutes holistiques et adeptes de BDSM (Bondage, discipline, sado-masochisme)…
Ainsi, face au tabou du plaisir féminin encore très largement répandu partout dans le monde, ces femmes qui décident de s’engager dans la voie du plaisir libéré font figure d’exceptions, « d’oasis dans un désert de tabous et d’injonctions sociales ». Ce siècle , pour l’auteure, coïncide avec une nouvelle approche, qu’elle nomme de « sexploration » où les possibilités d’exploration du plaisir féminin sont démultipliées. Le danger est que ces pratiques deviennent, à leur tour, des dogmes prodigués par les « gourous » d’un nouveau genre de mouvements sectaires.
Sans aller sur ces dangereux chemins des fanatiques du sexe, nombreuses sont cependant, à ses yeux, les possibilités de pratiques sexuelles libérées permettant d’élargir le répertoire orgasmique des femmes.
L’auteure expose une anecdote extrêmement parlante quant à une conception encore trop répandue de nos jours vis-à-vis du plaisir féminin : pourquoi serait-il nécessaire ? Lors d’une discussion informelle avec des femmes qu’elle venait de rencontrer, Sarah Barmak a expliqué le travail d’écriture de son essai qu’elle menait alors. « J’ai parlé du fait que le sexe pratiqué ne satisfait probablement pas les besoins des femmes, puis j’ai évoqué les expérimentations auxquelles s’adonnent de nombreuses jeunes femmes, ainsi que cette inspiration qu’elles retirent du féminisme des années 70. » (pp 185-186) « Des problèmes de riches » lui rétorque l’une de ses interlocutrices… Pour cette femme de la « bonne bourgeoisie catholique », le non-respect du droit des femmes à une sexualité épanouie, que Sarah Barmak considère comme une forme de violence, ne fait pas partie de leurs véritables problèmes.
Les réelles violences qu’elles subissent, à ses yeux, seraient plutôt liées aux guerres, aux viols et autres oppressions qu’elles subissent au quotidien… Pour la journaliste, il persisterait, dans nos sociétés modernes, une hiérarchie, intolérable, des droits. Le plaisir sexuel serait secondaire, non nécessaire, renvoyé après les droits considérés comme inaliénables, tels que ceux inscrits dans la déclaration universelle des droits de l’homme : les libertés individuelles et politiques, les droits économiques et sociaux.
Après des siècles et des siècles durant lesquels la sexualité des femmes a été réprimée, il serait aujourd’hui indécent de réclamer un droit au plaisir, au seul principe que d’autres apparaîtraient plus essentiels et prioritaires. Tous ces droits feraient pourtant partie d’un seul et même ensemble, celui de la liberté des femmes : de disposer de son corps lors d’un IVG, de refuser les discriminations, la violence et le harcèlement, d’exiger l’égalité d’éducation et professionnelle… Le plaisir sexuel fait appel à une autre forme de liberté : celle pour la femme d’agir – et de jouer !- avec son corps comme elle le souhaite, de profiter de ce qu’il lui offre. Ainsi, affirmer que le désir et le plaisir ne font pas partie d’un registre des besoins importants au regard des besoins vitaux est, à ses yeux, un jugement, destructeur. Refuser ou renier ce droit emmène sur un terrain dangereux. Ce déni, encore trop généralisé, est à l’origine d’une méconnaissance chez les femmes, et les jeunes filles en particulier, sur ce qui « fait du bien, » et par conséquent, sur ce qui « fait du mal ».
Ainsi, ces femmes ne sauront pas établir de limites entre pratiques sexuelles réellement consenties, qui leur font « du bien », et les autres qu’elles peuvent se sentir contraintes d’accepter et auxquelles elles sont susceptibles d’accéder, entre autres, via le prisme déformé de la pornographie. Les encourager à explorer, elles-mêmes, leurs désirs et leurs fantasmes tout personnels, et à avoir accès à une éducation sexuelle sans tabous, c’est ainsi leur permettre d’affirmer en confiance, plus tard, lors des premières relations sexuelles, leurs véritables envies.
Alors que nous vivons une ère où la sexualité fait partie du quotidien, les femmes sont-elles pour autant libérées sexuellement, cinquante ans après ce que l’on a appelé la révolution sexuelle ?
Rien n’est moins sûr d’après Sarah Barmak qui part d’un constat chiffré sur la révélation de l’insatisfaction des femmes quant à leur sexualité. Certes, elles sont mariées, en couple ou célibataires, et ont des rapports sexuels réguliers avec leurs maris, leurs conjoints, leurs amants. Pourtant, la moitié des femmes ne s’épanouissent pas dans une sexualité où la recherche de leur plaisir est loin d’être une priorité.
La faute n’en incombe pas qu’aux hommes maladroits, méconnaissant la sexualité féminine. C’est bien la société androcentrée dans son ensemble qui est en cause. Les femmes, elles-mêmes, éduquées par des siècles de patriarcat et de machisme, ont peur d’explorer leurs corps, de découvrir et d’assumer leur plaisir sexuel. Les mécanismes de l’orgasme féminin sont méconnus, les femmes ressentent une certaine honte à la vivre. Il est donc grand temps de libérer le plaisir féminin. C’est de l’intérêt des femmes, des femmes en devenir, mais aussi, bien plus largement, l’intérêt de tous.
À l’instar de King Kong Théorie de l’écrivaine française Virginie Despentes, de Sorcières, La puissance invaincue des femmes de la journaliste et essayiste franco-suisse Mona Chollet, de Femmes qui courent avec les loups de la psychanalyste, ethnologue et poète américaine, Clarissa Pinkola Estés, cet ouvrage s’inscrit sans aucun doute dans la veine de ces essais féministes d’un genre nouveau. Des ouvrages qui parlent ouvertement de sujets encore tabous, tels que la sexualité féminine, bien loin des traditionnels discours « politiquement corrects » encore omniprésents qui pèsent sur nos sociétés dites « développées ».
Ces féministes assumées font même de la provocation un mode d’expression très efficace. Leur objectif : « faire bouger les lignes » sur la place de la femme dans la société. Elles veulent aussi que les femmes prennent leur vie de femmes à « bras le corps » et n’attendent pas que la société leur donne des droits. Elles doivent s’en emparer.
Ouvrage recensé– Jouir. En quête de l’orgasme féminin, Paris, Zones, 2019.
Autres pistes– Virginie Despentes, King Kong Théorie, Paris, Grasset, 1ère édition, 2007.– Mona Chollet, Sorcières ou la puissance invaincue des femmes, Paris, Zones, 2018.– Clarissa Pinkola Estès, Femmes qui courent avec les loups, Paris, Grasset, 1996.