Dygest vous propose des résumés selectionnés et vulgarisés par la communauté universitaire.
Voici le résumé de l'un d'entre eux.
de Sarah Laporte-Daube
Publié en 2019, cet ouvrage s’adresse à ceux et celles qui ont été maltraités pendant leur enfance. L’auteur détaille les différentes maltraitances qui existent, de la violence physique à la violence psychologique en passant par les sévices sexuels, et propose des outils pour reconstruire
Depuis quelques décennies, la parole se libère, les droits des enfants se font plus visibles. Pourtant, le fléau de la maltraitance subsiste et le silence est encore trop souvent pesant.
Sarah Laporte-Daube, spécialiste de la question propose dans son ouvrage une exploration de cette problématique. Quelles sont les différentes formes de violences qui existent ? Que se passe-t-il alors pour les enfants qui la subissent ? Quelles en sont les conséquences ?
Il s’agit ensuite de donner des outils aux enfants devenus grands pour se reconstruire malgré ces traces indélébiles, car le chemin de la reconstruction est possible.
Par définition, la maltraitance « comprend l’ensemble des violences familiales qui ont des conséquences graves sur le développement de l’enfant. Elle peut prendre différentes formes : violence physique, violence psychologique, négligences lourdes, abus sexuels et manipulation mentale » (p.9). Elle a lieu dans tous les milieux sociaux et dans toutes les cultures. Bien entendu, elle ne va pas sans conséquences, les enfants sont traumatisés : peur, colère, tristesse, impuissance, honte et culpabilité sont de émotions qui les envahissent. Ces violences ont un impact considérable sur la construction de la personnalité. Il y a donc les maltraitantes physiques (coups, brûlures, étouffement) qui peuvent aussi être accompagnées de violences verbales. Les maltraitantes psychologiques sont plus difficiles à repérer, mais ont aussi des conséquences sur le développement de l’enfant.
Dénigrement, insultes, étiquettes péjoratives, comparaisons, humiliations et moqueries, rejet, isolement, exigences déraisonnables, harcèlement moral font partie de ces maltraitances. Sont également recensées les négligences lourdes : alimentation, santé, sécurité physique. On évoque aussi la manipulation mentale (alternance de comportements manipulateurs et adaptés, intrusion, chantage affectif, double message, culpabilisation). Pour terminer, citons aussi l’inceste et la pédophilie considérés comme des crimes suprêmes.
Nombre de patients consultent pour des troubles, mais sont souvent dans le déni, car ils ne pensent pas avoir été maltraités, alors que c’est bien cette maltraitance qui est à l’origine de leur mal-être. L’emprise sur l’enfant perdure à l’âge adulte. Il y a bien entendu un rapport de soumission et se développe souvent à côté de cela une dépendance affective vis-à-vis de celui qui a maltraité. La victime recherche l’amour auprès de celle ou celui qui ne lui en a pas donné, « la non-prise en compte des besoins affectifs et la destruction de l’estime de soi sont en général les deux facteurs principaux de la dépendance affective » (p.17). Il existe aussi un phénomène de chosification lorsque l’enfant est considéré comme un objet : un souffre-douleur lorsque le parent a besoin de lâcher ses tensions internes, un soutien moral lorsque le parent a besoin de se confier, un faire-valoir quand le parent met en avant ses performances scolaires, sportives ou sa beauté. Du coup l’enfant fait tout pour répondre aux exigences et aux injonctions du parent (même devenir nul si c’est ainsi qu’il est traité).
Il est possible que les deux parents soient maltraitants, mais lorsqu’il n’y en a qu’un seul, il arrive que l’autre devienne le parent protecteur qui « joue un rôle fondamental dans la reconstruction de l’enfant, et dans son accès à la résilience, qui permet un développement harmonieux de la personnalité malgré les traumatismes subis » (p.18). Si l’autre parent n’est pas protecteur, alors l’enfant n’a pas de pilier affectif sur lequel se reposer.
Les victimes de maltraitance sont souvent rongées par un sentiment de culpabilité. L’enfant a tendance à porter la responsabilité de la maltraitance qu’il subit, car c’est une façon pour lui de déresponsabiliser son parent maltraitant et donc de conserver une bonne image de lui. Il y a bien entendu un sentiment de honte. Si ce sentiment est indispensable pour se développer au milieu de ses pairs, lorsqu’elle est excessif, « elle devient destruction de l’estime de soi, voire destruction de l’identité, et déni du droit à l’existence » (p.75).
Les conséquences de la maltraitance sont nombreuses. On parle de syndrome de stress post-traumatique (SSPT). Les symptômes du SSPT sont l’envahissement émotionnel et l’évitement. Le premier consiste en l’apparition répétée de flash-back qui arrivent de façon intrusive lorsque quelque chose active le traumatisme. Il peut aussi s’agir de cauchemars et de stress. L’évitement est une façon de lutter contre l’envahissement émotionnel : éviter les lieux, les situations qui pourraient raviver le traumatisme. Le SSPT peut développer d’autres troubles comme l’irritabilité, le trouble de la concentration, insomnie, l’hypervigilance…
On parle aussi de dissociation mentale qui est le fait d’être coupé de ses émotions, de se sentir comme assommé. Cela peut aller jusqu’à un sentiment de déréalisation, de dépersonnalisation ou encore d’amnésie traumatique qui est la forme la plus sévère de dissociation. Le cerveau peut arriver à se déconnecter face à un traumatisme trop intense. La dissociation mentale se rencontre souvent pour les enfants ayant subi des sévices sexuels. Il faut savoir que la dissociation mentale a un gros impact sur la construction de la personnalité de l’enfant, car la victime n’a pas conscience que certaines parties de sa personnalité ne sont pas dans le champ de sa conscience.
Par contre, toutes ces parties dissociées vont revenir sous forme de symptômes psychiques, somatiques ou par des passages à l’acte. Cela peut entraîner une dissociation de la personnalité.
L’enfant, devenu adulte, développe des croyances négatives sur lui-même. Peur, effroi, impuissance, tristesse, colère. Il se sous-estime, ne se sent pas digne de réussir ou d’être aimé. « Une partie de son être a été détruite par la violence. Nombre de victimes se décrivent comme étant mortes de l’intérieur. » (p.79) Elles sont fragilisées et développent une insécurité affective et une angoisse d’abandon.
Normalement, le schéma de la mère comme principale figure d’attachement peut être inversé et devenir insécure lorsque la mère est maltraitante. Qu’il ait été abandonné ou maltraité, l’enfant développe une angoisse d’abandon qu’il transfère ensuite dans sa vie d’adulte sur son conjoint. À long terme, se développent des schémas : le schéma Abus (la violence fait partie de la vie de l’adulte) ; le schéma Imperfection (l’adulte a une image dégradée de lui-même) ; le schéma Abandon (qu’il rejoue souvent dans les relations amoureuses).
Des stratégies vont être mises en place : soit de capitulation (se mettre avec un conjoint violent ; s’entourer de personnes dénigrantes ; et aller vers des attachements insécures) ; soit d’évitement qui « consiste à mettre de côté les émotions négatives et à fuir les relations affectives en trouvant toutes sortes de dérivatifs pour occuper le champ attentionnel » (dépendances à l’alcool, aux drogues, au sexe ; scarifications ; tentatives de suicide ; troubles alimentaires ; troubles psychosomatiques, ruminations) ; soit de compensation (reproduire le même schéma : devenir violent avec un enfant ; être excessivement jaloux avec son partenaire). Troubles dépressifs, troubles alimentaires, symptôme du trouble borderline sont aussi des conséquences sur le long terme.
On évoque aussi les scénarios de vie qui se mettent en place : le scénario de vie Victime (le plus souvent dans les relations de couple), le scénario de vie Agresseur (violence sur le conjoint et les enfants) ; le scénario de vie Évitant (éviter la souffrance et les relations aux autres par des dépendances à l’alcool).
Les victimes de maltraitance doivent suivre une thérapie dont le but principal est la reconstruction. « Contrairement à un trouble psychique, avec la maltraitance, le problème n’est pas intrapsychique à la victime. Il n’est pas non plus relationnel. Il est intrapsychique au parent maltraitant. L’enfant subit donc un problème qui ne lui appartient pas » (p.107). La thérapie sera vraiment efficace si l’enfant est protégé par la justice de son parent maltraitant. Pour l’adulte, la thérapie a pour but la reconstruction, non le changement. Elle va permettre de prendre conscience de la partie vivante de la personnalité et d’activer ses ressources propres. Quels sont les différents types de thérapies à suivre pour se reconstruire ?
Il y a tout d’abord la psychanalyse créée par Freud, les thérapies comportementales et cognitives (TCC) et l’EMDR (Eye-Movement Desensitization and Reprocessing ou Désensibilisation et Retraitement par les Mouvements Oculaires). Pour ce qui est des thérapies comportementales et cognitives, elles interviennent dans trois registres : le cognitif, l’émotionnel et le comportemental. Pour le cognitif, le patient doit travailler sur la perception de ses croyances et pensées négatives pour ensuite ouvrir le champ des possibles. Le registre émotionnel travaille par exemple sur la gestion des émotions par la méditation et la relaxation. Le registre comportemental apprend à modifier les comportements pour traiter les symptômes. L’EMDR est une méthode qui consiste à désensibiliser par des mouvements oculaires le traumatisme en immergeant mentalement le patient dans la situation traumatique. Cela permet de retraiter l’information, d’intégrer l’évènement dans l’histoire de vie pour qu’il devienne un souvenir neutre ou presque.
L’auteure évoque également les ressources propres à chacun. Malgré la tentative de destructivité et la haine du parent maltraitant, la victime est toujours là pleine de vie, de courage et de ressources. La première étape d’une thérapie consiste à activer cette ressource, cette part de vie qui subsiste. « Avant d’affronter vos traumatismes et de vous tourner vers le passé, prenez le temps de chérir cette part de vous vivante. C’est essentiel » (p.114), voilà le conseil de Sarah Laporte-Daube. Chacun peut trouver ses ressources où il veut : dans un conjoint formidable, des amis, une passion… L’auteure invite à la méditation pour se recentrer sur le moment présent et pour devenir observateur de soi-même et à la relaxation qui permet de diminuer le stress. Il faut également avoir une prise de recul sur les pensées, car il y a deux niveaux de réalité : le niveau 1 qui est la réalité telle qu’elle est et le niveau 2 qui correspond à la réalité telle que les gens la perçoivent avec leurs propres grilles de lecture.
Finalement, seul le niveau 2 existe, car il y a toujours une interprétation de la réalité par ses propres filtres. Il faut donc prendre du recul pour essayer de chercher plusieurs interprétations possibles, même si aucune n’est la vérité pure. Il est par exemple possible de s’entraîner avec un tableau en notant dans une première colonne une situation problématique, dans une deuxième des pensées négatives et dans une troisième des pensées alternatives. Il est important aussi de travailler l’affirmation de soi qui consiste à « obtenir des relations équilibrées avec les autres en se faisant respecter et en ne se laissant pas dominer par sa propre agressivité. Une attitude affirmée se veut donc équilibrée, respectueuse de soi et de l’autre » (p.120). L’hygiène de vie est également un outil privilégié pour se reconstruire : dormir suffisamment, manger correctement, faire du sport !
Pour trouver le chemin de la reconstruction, l’auteur invite le patient à développer un autre regard sur son passé. Pour cela, il faut qu’il dépiste son scénario de vie (voir plus haut) en repérant la répétition d’expériences, en explorant ses relations d’attachement. Quelle est sa stratégie inconsciente dominante ? La capitulation, l’évitement ou la compensation ? Il faut également prendre conscience de son angoisse d’abandon et de son insécurité affective. Être dans l’abnégation, la séduction, ou l’isolement (éviter les relations aux autres), c’est certainement souffrir d’un manque affectif. L’angoisse d’abandon, quant à elle, se vit à travers une jalousie excessive envers sa partenaire, tomber sur des partenaires fuyants, ou fuir dès qu’on s’attache, ou encore pratiquer l’adultère.
Après cette première étape de repérage, la deuxième étape consiste à un travail cognitif : poser des mots sur son vécu et changer de regard sur son enfance, car « nos croyances peuvent souvent faire l’objet de biais cognitifs, car elles ont été modelées par nos expériences de vie » (p.131). Il est important de prendre conscience de l’emprise, même si cela demande du temps et du courage, et il faut accepter le statut de victime. Ces deux points permettent d’attribuer la responsabilité au parent maltraitant. Pour continuer le travail, traiter la culpabilité et la honte est essentiel. Pour cela, il faut reconnaître les pensées négatives et y associer une vision alternative (Ex. : « J’ai mérité les coups car j’étais difficile » deviendra « Tous les enfants font des bêtises »). Si le parent n’a pas su vous aimer, cela vient de lui, non de vous. Sarah Laporte-Daube propose également le travail des lettres : écrire une lettre au parent maltraitant et au parent non protecteur, lettre qui sera envoyée ou non selon son choix. Aussi compliquée soit cette étape, elle est pourtant une véritable libération, elle permet de faire un grand pas dans la reconstruction. L’auteure invite aussi à écrire une lettre à son enfant intérieur.
La troisième étape de ce travail est de prendre soin de ses émotions. Pour cela, il est indispensable d’accepter sa détresse émotionnelle et la gérer. Il s’agit par exemple de reparentage : le thérapeute prend en charge les besoins infantiles qui n’ont pas été pris en compte, puis, au fur et à mesure, c’est le Moi adulte qui prend le relais. Ces besoins sont la sécurité physique, l’affection, la bienveillance, la stabilité émotionnelle et un cadre structurant. Il faut accueillir la tristesse de ne pas avoir vécu une enfance insouciante et légère : cela permet de faire le deuil. C’est une bonne chose aussi de trouver une personne de confiance qui saura faire preuve de soutien et d’empathie. S’autoriser à ressentir et à exprimer sa colère permet de sortir de l’emprise parentale.
L’étape essentielle est la phase comportementale qui consiste ici à casser le scénario de vie. Cela signifie « opérer des changements comportementaux dans votre vie. Ces derniers consistent essentiellement à vous assurer un environnement social et affectif suffisamment bienveillant et sécurisant ; » (p.161). Il s’agit aussi d’affronter à présent le parent réel. C’est une étape très difficile mais qui est essentielle. Tout ceci amène à l’affirmation de soi, à la prise de distance avec le parent voire même à rompre le lien. Il est même possible d’aller jusqu’en justice. L’auteur explique qu’il est important de parler de ce que l’on a vécu à ses enfants pour que cela ne devienne pas un fantôme, un fardeau pour les générations suivantes. Toutes ces étapes n’effaceront pas l’enfance, mais « tant l’intensité que la fréquence de ces souvenirs auront diminué suffisamment pour que vous puissiez désormais emprunter votre propre chemin » (p.249), les choses sont rangées dans le tiroir à leur place ne viennent plus envahir le quotidien.
Avec clarté et précision, Sarah Laporte-Daube propose un ouvrage destiné à la fois aux adultes ayant été maltraités pendant leur enfance et à tous ceux qui souhaitent mieux comprendre ce fléau qui abîme des vies entières.
Mais la psychologue, plus que de décrire la maltraitance, propose aussi de véritables outils qui peuvent donner de l’espoir et de la lumière à ces adultes qui gardent en eux les stigmates de leur enfance volée…
Face à un sujet aussi difficile que la maltraitance parentale, qui empêche la construction et le développement des enfants, tout en laissant de véritables traces, Sarah Laporte-Daube donne un soupçon d’espoir, car la reconstruction est possible !
Le propos est clair, l’ouvrage suit une logique appréciable pour comprendre et agir. Un outil à mettre entre les mains de tous.
Ouvrage recensé– Sarah Laporte-Daube, Après la maltraitance, se libérer des blessures de l’enfance, Montréal, Les Éditions de l'Homme, 2019.
Autres pistes– Carole Bouquet, Martine Brousse, Enfants maltraités, occupons-nous de ce qui ne nous regarde pas, Paris, Cherche Midi, 2019.– Marie-Noëlle Tardy, La maltraitance envers les enfants, Paris, Odile Jacob, 2015.– Jean Labbé, La maltraitance des enfants en Occident : Une histoire d'hier à aujourd’hui, Paris, Hermann, 2019.