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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

La lutte clandestine en France

de Sébastien Albertelli, Julien Blanc, Laurent Douzou

récension rédigée parBruno Morgant TolaïniEnseignant à l'université de Nîmes et docteur de l’EHESS en histoire moderne.

Synopsis

Histoire

Trois historiens, spécialistes reconnus de la Résistance, conjuguent dans cet ouvrage leurs expertises et leurs regards respectifs pour mieux comprendre l’engagement des résistants de 1940 à 1944. Ils offrent au lecteur une analyse à la croisée de l’histoire et de l’anthropologie, scrutant les pratiques et les sociabilités des résistants, et interrogeant les liens qui se tissèrent progressivement entre ces individus engagés et le reste de la société française. Ils mettent en lumière ce que « vivre en résistance » pouvait concrètement signifier : soumis à un danger permanent, sans modèle préalable auquel se référer, l’univers clandestin de la Résistance n’a jamais cessé d’inventer sa propre action. Cette clandestinité générait des expériences d’une extrême variété tout en exposant l’ensemble de ses protagonistes à des risques mortels.

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1. Introduction

Cet ouvrage porte une attention particulière aux hommes et aux femmes qui ont fait la Résistance, aux actes qu’ils ont commis et aux liens qui les unissaient. De nombreux portraits sont peints, des itinéraires tracés, mêlant de grands noms de la période comme Jean Moulin ou Pierre Brossolette à une foule d’anonymes dont l’action n’a pas été moins déterminante. Chacun des dix-sept chapitres de l’étude s’ouvre sur un document visuel, illustrant une facette de la lutte clandestine ou des individus qui s’y sont engagés.

Suivant une approche chronologique, au demeurant particulièrement convaincante, Sébastien Albertelli, Julien Blanc et Laurent Douzou croisent en permanence l’histoire de la Résistance intérieure à celle de la France libre. Ils ne proposent pas un récit exhaustif des années 1940-1944 mais bien « une » histoire de la Résistance, qui met l’accent sur ses acteurs davantage que sur ses structures, ainsi que sur l’épreuve de la clandestinité, avec tout ce qu’elle pouvait impliquer.

2. Les débuts de la Résistance

Dans la première partie de leur ouvrage, les historiens s’attachent à révéler comment la Résistance a été inventée, de juin 1940 à l’été 1941. La défaite française, aussi foudroyante qu’humiliante, face aux armées allemandes, laissait le peuple sidéré ; Pétain incarnait alors, aux yeux de l’écrasante majorité de la population, le désintéressement, le courage et la résolution.

Pourtant, surgirent rapidement les premiers refus, les initiatives pionnières de celles et ceux qui trouvaient la force de s’arracher à l’abattement ambiant et de « faire quelque chose », agir sur place ou partir pour l’Angleterre retrouver de Gaulle et ses partisans. Les engagements induisaient alors des rencontres et des regroupements pour des actions collectives. Elles ne furent pas les mêmes partout : il était plus facile d’agir au nord, face à un ennemi clairement identifié et visible, qu’au sud où il s’agissait surtout de produire une contre-propagande et de distribuer des tracts.

Les historiens évoquent également les premiers échecs de la Résistance intérieure, avec de nombreuses initiatives qui ne parvinrent pas à s’inscrire dans la durée, rappelant que le choix de la désobéissance constituait, dès 1940, un pari très dangereux. De la même manière, la France libre ne fut pas exempte de tâtonnements : au début de l’année 1941, Passy, qui était alors le chef des services secrets de l’organisation, s’interrogeait sur l’aptitude du général de Gaulle à devenir un grand chef. Tous ces errements et hésitations constituèrent un passage obligé dans le processus d’invention de la Résistance.

La répression, allemande et vichyste, frappa très vite et très durement, surtout dans la zone nord. Tout en décimant les groupes, elle forgea des légendes qui purent susciter l’admiration et, sans doute, des vocations. En juin 1941, le Parti communiste entra dans la mêlée et déclencha la lutte armée, ce qui renforça encore la répression. Pourtant, dans l’opinion, l’attentisme demeurait majoritaire, constituant un refuge, un repli, et non pas encore un soutien complice aux actions de la Résistance. Une nouvelle génération de journaux clandestins vit le jour, à l’instar de Défense de la France, publié en zone occupée, tandis que les contacts entre la France libre et la Résistance intérieure se concrétisaient.

3. Un mouvement à organiser (1941-1942)

Les journaux clandestins qui fleurirent à partir de 1941 poussèrent à structurer l’action des résistants. Ceux-ci se donnèrent pour mission de lutter contre l’apathie ambiante, de mobiliser et de conquérir des couches toujours plus larges de la société. La « guerre des ondes », opposant des stations de radio contrôlée par Vichy à celles contrôlées par les résistants depuis Londres ou Brazzaville, devait également mobiliser l’opinion.

Les différents mouvements de résistance créèrent rapidement des services répondants à leurs divers besoins, comme des faux papiers, d’abord réalisés grâce à des contrefaçons habiles des tampons utilisés par l’administration, puis des pièces susceptibles de résister à une enquête des services de répression furent progressivement élaborées. Les historiens pointent ainsi l’extrême pauvreté de cette résistance pionnière qui fit de la créativité une impérieuse nécessité. Ils rappellent également que toutes ces activités eurent en commun de pousser les premiers résistants à rompre leur isolement initial en multipliant les contacts.

La liaison entre la Résistance intérieure et la Résistance extérieure devint indispensable pour agir efficacement. Aussi, en janvier 1942, le BCRA fut créé (Bureau central de renseignements et d’action), directement rattaché à l’état-major particulier du Général de Gaulle, et dont une partie des fonds alloués était destinée à de l’action politique. Il envoya une cinquantaine d’agents en France depuis Londres avec des missions, essentiellement de sabotage ou de liaison entre résistants. C’est ainsi que, parachuté en zone libre, Jean Moulin devint le représentant de la France libre dans le sud. Gilbert Renault occupa les mêmes fonctions dans le nord, et son réseau, la Confrérie Notre-Dame, connut de nombreux succès, établissant les premières rencontres entre la France libre et les communistes. Les contacts qui s’établirent entre les résistants de Londres et ceux de la France laissèrent transparaître deux mondes fascinés l’un par l’autre, qui aspiraient à se connaître mais avaient des difficultés à s’entendre, notamment parce que les résistants de Londres étaient accusés de trop interférer dans les actions menées sur le territoire français.

À l’automne 1942, les mouvements de la zone sud se coordonnèrent à partir du travail mené par Jean Moulin et, surtout, le débarquement en Afrique du Nord du 8 novembre, dont de Gaulle n’était pas informé, changea la donne : de Gaulle, arrivé à Alger, constitua le Comité français de libération nationale (CFLN), tandis que l’armée allemande envahit la zone libre en représailles.

4. La difficile année 1943

La loi du 16 février 1943 instaurant sur l’ensemble du territoire le Service du travail obligatoire (STO) contraignait tous les jeunes Français nés entre 1920 et 1922 à aller travailler en Allemagne. Cela entraîna une vague d’hostilité, relayée par la presse, et 20 % de ceux qui refusèrent de servir l’ennemi rejoignirent les rangs de la Résistance parce qu’ils cherchaient avant tout un refuge, en prenant le maquis. Mais bien au-delà du renfort de poids que constituaient les réfractaires, ils permirent à la Résistance de sortir de son cadre initial, généralement urbain, et de se diffuser dans les campagnes.

Dans le monde paysan, jusqu’alors étranger sinon hostile à son action, elle cessa d’être une pure abstraction pour devenir une réalité tangible. Naturellement, cette ruralisation de la Résistance ne se fit pas partout au même rythme ni à la même intensité et ce furent les territoires les plus difficiles d’accès (Jura, Alpes, Ventoux) qui virent l’implantation des premiers refuges de résistants.

Le 27 mai 1943 se réunit, rue Dufour à Paris, le Conseil de la Résistance. Il rassemblait huit représentants de différents mouvements, six représentants de partis politiques, deux représentants de syndicats. L’union était faite et prévoyait qu’un gouvernement provisoire devait être confié au général de Gaulle à la fin de la guerre. Dans le même temps, des projets élaborés en vue de la libération prochaine se multiplièrent et le CGE (Comité général des études) se réunit à partir de l’été 1943, proposant une véritable réflexion prospective à propos de la France nouvelle qui sortira du conflit, dans tous les domaines, depuis la vie politique et les institutions jusqu’à l’organisation sociale et économique du pays, en passant par l’éducation ou la presse.

Sébastien Albertelli, Julien Blanc et Laurent Douzou présentent également l’ensemble de l’appareil de répression allemand et vichyste, qui a tant ravagé les rangs de la Résistance, notamment à l’été 1943. Les arrestations de nombreux pionniers, qui assuraient alors la direction de départements ou de régions déstabilisa l’organisation du mouvement. L’exemple le plus probant demeure celui de Jean Moulin, arrêté sous la fausse identité de Jacques Martel : reconnu, il fut longuement torturé par Klaus Barbie mais ne livra aucun renseignement, préservant toute l’architecture de la Résistance, qu’il connaissait.

Parallèlement, une certaine impatience commençait à se diffuser en cette année 1943 dans la société française et parmi les résistants, dans l’attente d’un débarquement allié qui pourrait venir appuyer les actions menées jusque-là.

5. La question de la clandestinité

Dans la dernière partie de leur ouvrage, les historiens se penchent de manière originale sur la notion de « clandestinité », abordée d’un point de vue anthropologique. Le résistant qui devenait clandestin se cachait derrière un pseudonyme et derrière une fausse identité qui lui servait de « couverture ». Ils signalent que, parfois, le saut dans la clandestinité n’était pas total et le résistant pouvait garder une « façade légale » : Jean Moulin quitta Lyon où il avait un pseudonyme pour les résistants et une fausse identité comme couverture, pour redevenir le préfet Moulin en retraite quand il arriva en Provence.

En outre, le clandestin devait obéir à un certain nombre de règles de sécurité et de comportement en cas d’arrestation. Ces règles se heurtaient au poids de la réalité, à la nécessité de vivre et à la nature humaine, et beaucoup de résistants tentaient de concilier leur engagement avec le maintien d’une vie de famille, des relations amicales et une vie amoureuse, au contraire de ce qu’ils auraient dû faire. La solitude du clandestin était une dure épreuve, de même que l’angoisse de parler sous la torture en cas d’arrestation (seuls les agents londoniens possédaient la fameuse pilule de cyanure). L’engagement résistant était une transgression dont chacun était conscient. Les imprudences étaient fréquentes car avec le temps, un faux sentiment de sécurité s’installait et la vigilance diminuait.

L’ouvrage précise également que les rivalités personnelles et les divisions politiques n’ont pas empêché les résistants, et parmi eux les clandestins, de former un groupe social extrêmement soudé. La hiérarchie existait, mais elle était acceptée et s’accompagnait d’une parfaite égalité devant le risque. Enfin, le sentiment grisant d’aventure et de liberté a souvent été présent dans l’action des clandestins : le bonheur qu’ils ont vécu à combattre l’ennemi et à défendre la France est très souvent signalé dans leurs écrits, notamment leur correspondance.

L’étude conclut cette question de la clandestinité en précisant que beaucoup de résistants ne sont jamais devenus clandestins. Ces « résistants secondaires », qui gardèrent leur identité, leur profession et leur fonction sociale, jouèrent un rôle considérable dans les actions menées tout au long de la guerre. Ils étaient également bien plus nombreux.

6. Résistance et Libération

Le 6 juin 1944, la plus grande armada de l’histoire transportait vers les côtes de Normandie cinq divisions. La nuit précédente, trois divisions aéroportées avaient été parachutées à l’intérieur des terres. L’opération Overlord venait de commencer et avec elle la libération de la France. Induits en erreur par les services secrets alliés qui étaient parvenus à leur faire croire à une simple diversion destinée à cacher le véritable lieu du débarquement, plus au nord, les Allemands tardèrent à engager toutes leurs forces dans la bataille. En quelques jours, au prix de combats acharnés qui causèrent de très lourdes pertes, une solide tête de pont fut établie, point de départ d’une lente reconquête.

Quel rôle la Résistance joua dans cette opération et dans les semaines qui suivirent ? Des messages, principalement diffusés à la radio, devaient activer les différents plans de sabotage. Les infrastructures de communication, à commencer par les voies ferrées, étaient privilégiées : dans un rayon de 30 km autour de la gare de Lyon-Perrache, jusqu’à 70 coupures de voie ferrées furent réalisées en une seule nuit. L’action des résistants contribua ainsi à désorganiser la riposte allemande et à ralentir de 48h l’acheminement et l’arrivée des renforts. La Résistance intérieure joua le même rôle lors du débarquement en Provence du 15 août 1944.

Mais la médaille avait son revers : en commençant à sortir du bois, la Résistance s’exposait dangereusement à une répression toujours plus féroce, en dépit du fait que la délivrance était imminente ; les arrestations, nombreuses, étaient toujours synonymes de tortures et d’exécutions sommaires.

En outre, la Résistance n’était plus la seule cible des Allemands : les populations civiles, jugées complices, étaient maintenant en première ligne. Les semaines qui suivirent le débarquement furent ainsi marquées par un déchaînement de violence sans précédent de la part de la Wehrmacht, des SS et de la milice de Vichy. De façon générale, le massacre était désormais explicitement considéré, en vertu des décrets émis par le commandement militaire allemand au début de 1944, comme un moyen légitime de rétorsion contre les actes de résistance. Ainsi, à Ascq, dans la nuit du 1er au 2 avril, 86 civils furent fusillés sans autre forme de procès.

Les hécatombes successives n’empêchèrent toutefois pas le territoire national d’être progressivement libéré entre le 6 juin et le 15 septembre 1944, par les armées alliées aidées de la Résistance.

7. Conclusion

Une histoire de la Résistance, centrée autour de la notion de « clandestinité », et présentée de manière chronologique : tel est l’objet de l’ouvrage de Sébastien Albertelli, Julien Blanc et Laurent Douzou. Privilégiant les acteurs du mouvement, les trois historiens apportent, en guise de conclusion de leur étude, une définition de la Résistance, largement inspirée des travaux de Pierre Laborie. Celle-ci s’appuie sur trois piliers : l’idée d’engagement et de volontariat, la conscience de résister (appréciation lucide du danger et des solidarités qui en découlent), et l’impératif de transgression.

Ainsi définie, la Résistance apparaît comme une éthique et une pratique de la plus haute exigence et, en ce sens, elle a été l’affaire d’une élite, d’un petit nombre de femmes et d’hommes engagés. L’ouvrage montre enfin et surtout que la Résistance a mis fin à l’engrenage de la peur et à la logique de démission de nombreux Français, et elle a permis à des citoyens humiliés de retrouver une dignité perdue.

8. Zone critique

Les historiens qui ont rédigé cette étude ne se sont pas partagé les chapitres, ils ont travaillé à six mains, offrant à l’ouvrage une véritable unité de ton, et la complémentarité des domaines de recherche de Sébastien Albertelli, Julien Blanc et Laurent Douzou. Dans la lignée des travaux de Pierre Laborie et Henry Rousso, les historiens réfutent la vision politique de la Résistance qui avait cours dans les années 1980 et 1990, qui exagérait le rôle des résistants, construisant un mythe selon lequel l’ensemble des Français aurait massivement résisté, dès le début de la guerre.

L’approche anthropologique adoptée est en tous points convaincante, offrant un éclairage nouveau sur la notion de clandestinité. On pourrait regretter que la même attention n’ait pas été portée aux résistants ordinaires, à tous ceux qui ont agi sans pour autant renoncer à leur identité ou à leur vie, à tout le moins pour pouvoir établir des comparaisons. En dépit de cela, l’ouvrage est véritablement passionnant et offre un regard nouveau sur la période 1940-1944.

9. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Sébastien Albertelli, Julien Blanc, Laurent Douzou, La lutte clandestine en France. Une histoire de la Résistance, 1940-1944, Paris, Seuil, 2019.

Des mêmes auteurs– Sébastien Albertelli, Histoire du sabotage. De la CGT à la Résistance, Paris, Perrin, 2016.– Julien Blanc, Au commencement de la Résistance. Du côté du musée de l’Homme, 1940-1941, Paris, Seuil, 2010.– Laurent Douzou, Lucie Aubrac, Paris, Perrin, 2009.

Autres pistes– Pierre Laborie, Les Français sous Vichy et l’Occupation, Toulouse, Éditions Milan, 2003.– Martine Pradoux, Daniel Mayer. Un socialiste dans la Résistance, Ivry-sur-Seine, L’Atelier, 2002.– Virginie Sansico, La justice déshonorée, 1940-1944, Paris, Tallandier, 2015.– Laurent Thiery, La répression allemande dans le nord de la France, 1940-1944, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2013.– Anne Verdet, La logique du non-consentement, Rennes, PUR, 2014.

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