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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

Histoire du sabotage

de Sébastien Albertelli

récension rédigée parBruno Morgant TolaïniEnseignant à l'université de Nîmes et docteur de l’EHESS en histoire moderne.

Synopsis

Histoire

Résistants dynamitant des ponts, agents britanniques détruisant des usines… le sabotage s’est imposé au XXe siècle comme l’une des armes du combat contemporain, à laquelle la Résistance a conféré ses lettres de noblesse durant la Seconde Guerre mondiale. Le phénomène est pourtant plus ancien : les contours de cette arme nouvelle se dessinent à la fin du XIXe siècle, à la croisée de deux mondes que tout oppose : d’un côté, les syndicalistes de la jeune CGT, impose l’idée, de l’autre les militaires en développent le concept, mais rechignent à adopter le terme précisément parce qu’il vient des communistes. Les adeptes du sabotage en sont très tôt convaincus : les sociétés industrielles sont fragiles, car les machines et réseaux – de transmission ou de communication –, à la base de leur puissance, peuvent être paralysés par des destructions ponctuelles aux effets considérables.

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1. Introduction

Le mot « sabotage » a été inventé à la fin du XIXe siècle dans les milieux anarchistes parisiens. Dans cet ouvrage, Sébastien Albertelli étudie l’évolution de cette notion au fil de l’histoire politique et militaire du XXe siècle.

Il évoque notamment les débats qui agitèrent la CGT et le Parti socialiste avant 1914 sur l’utilité et les dangers du sabotage comme instrument du combat social. La Première Guerre mondiale lui donna une autre signification : Français et Allemands tentèrent de l’utiliser comme arme de guerre, sans obtenir de résultat significatif. Entre 1918 et 1939, les états-majors poursuivirent néanmoins la réflexion sur ce type d’action, tandis que la gauche y renonça définitivement.

L’essentiel de l’ouvrage est cependant consacré à la Seconde Guerre mondiale, au cours de laquelle le sabotage, son exécution et sa prévention devinrent un objectif important des alliés et un moyen pour la Résistance française d’affirmer son rôle politique et militaire. Sébastien Albertelli aborde ici les relations complexes entre services britanniques et gaullistes et les différents réseaux opérant en France. Il s’attache ainsi à démontrer que le sabotage est devenu, depuis 1945, un instrument reconnu par les États.

2. Une notion en débat

En argot parisien, à la fin du XIXe siècle, les ouvriers non qualifiés réputés être de mauvais travailleurs étaient couramment appelés des « sabots », et le sabotage vint rapidement désigner le travail de piètre qualité qu’ils exécutaient.

Si la volonté chez certains travailleurs exploités de ralentir la cadence, voire de détériorer leur outil de travail, est une pratique sans doute aussi ancienne que le travail lui-même, la nouveauté résidait alors dans le fait que certains militants syndicaux et politiques ont appelé à le faire de manière consciente, systématique et revendiquée. L’anarcho-syndicaliste Émile Pouget, fondateur du journal Le Père peinard, joua ainsi un rôle majeur dans l’affirmation du sabotage comme tactique révolutionnaire. Au sein de la CGT ou du parti socialiste, certains le présentaient comme l’arme idéale du faible contre le fort, une pratique réputée « insaisissable » car clandestine et individuelle.

Pourtant, les débats étaient nombreux autour de cette pratique, car le sabotage était volontiers perçu comme la préparation d’une insurrection et une potentielle explosion de violence. Or, la culture républicaine refusait la violence révolutionnaire qui pouvait s’apparenter à une guerre civile. Aussi, réformistes et révolutionnaires s’affrontèrent à ce sujet au sein des différents congrès de la CGT. En 1909, à l’occasion d’une grève des postiers, des poteaux supportant des lignes télégraphiques et téléphoniques furent sciés par des saboteurs ; le syndicat national des ouvriers des PTT condamna fermement de tels actes, pourtant menés par les grévistes, car les coupures subies par la population poussaient l’opinion à pencher du côté de l’administration, salissant les ouvriers syndiqués et justifiant leur répression. À la Chambre des députés, Georges Clemenceau qualifia alors le sabotage de « crime national ». L’analyse de Gustave Hervé, dans son journal La guerre sociale, était tout à fait opposée et il s’engagea pleinement en sa faveur.

1910 fut une année charnière pour le sabotage, qui se focalisa pour la première fois sur les voies ferrées ; la grève des cheminots cette année-là fut accompagnée par de nombreux actes de cette nature. Gustave Hervé et Émile Pouget applaudirent. La grève s’acheva au bout d’une semaine par la défaite des grévistes, et la frustration qui suivit justifie, selon Sébastien Albertelli, une très forte croissance du nombre des sabotages. Ainsi, un déraillement en 1911 montra à tous que le sabotage pouvait faire des victimes humaines. Police et gouvernements se firent de plus en plus menaçants envers les saboteurs et, au sein de la SFIO, beaucoup de voix s’élevèrent pour condamner ces faits : Jean Jaurès expliqua en ce sens que le sabotage était « contraire à l’esprit même du syndicalisme du socialisme ».

3. Du sabotage révolutionnaire au sabotage militaire

Les partisans du sabotage, comme la plupart des révolutionnaires, usaient habituellement d’un vocabulaire martial : combats, armes, batailles étaient des termes constamment employés. Émile Pouget établit ainsi dans son journal un parallèle entre sabotage et guérilla. En effet, à la fin du XIXe siècle, particulièrement pendant les décennies qui suivirent la guerre franco-prussienne de 1870, plusieurs nouveautés ont permis un rapprochement des deux notions : d’abord l’importance croissante des réseaux télégraphiques, téléphoniques et ferrés ; puis l’invention de la dynamite ainsi que de la mélinite ; enfin, la naissance des services secrets.

Les agents des services secrets français (le Deuxième Bureau) s’intéressèrent aux infrastructures des réseaux allemands, aux ponts du réseau ferré et aux écluses en particulier. Les militaires envisagèrent de préparer, en temps de paix, des opérations clandestines hors des frontières nationales, tout en mettant en place parallèlement des dispositifs de protection des infrastructures nationales.

Au début du XXe siècle, alors que la situation internationale se tendait, apparut la crainte d’un sabotage qui viserait spécifiquement l’armée, notamment dans ses composantes les plus techniques, comme l’artillerie et la marine, affaiblissant considérablement la nation qui serait menacée. Les anarchistes et les activistes révolutionnaires avaient ainsi envisagé le sabotage d’une éventuelle mobilisation militaire et l’organisation d’une véritable grève générale. Sébastien Albertelli nuance toutefois ce point : tout indique qu’au-delà des déclarations d’intention, la préparation effective de sabotages en vue d’une éventuelle mobilisation est restée marginale. Dans les années 1910, les autorités militaires ont cependant pris la menace au sérieux.

Sur le carnet B, fichier où étaient inscrites les personnes suspectées d’espionnage sous la IIIe République, devaient désormais figurer les noms de ceux qui étaient susceptibles d’entraver, par le sabotage, la mobilisation ; en 1911, il fut décidé que ces personnes seraient arrêtées de manière préventive en cas de mobilisation. À la veille de la guerre de 1914, ils étaient moins de 2000, et leur inscription ne s’appuyait que très rarement sur des éléments concrets. L’historien précise également que la menace intérieure s’évanouit dès août 1914, et les préfets reçurent l’ordre de ne pas procéder systématiquement aux arrestations. Le sabotage fut finalement inexistant en 1914.

4. La Première Guerre mondiale et l’entre-deux-guerres

Durant la Grande Guerre, ce sont les sabotages opérés aux États-Unis qui ont été les plus importants, surtout dans les ports de San Francisco et de New York, où les explosions se multiplièrent. Ainsi, trois agents allemands infiltrés provoquèrent une gigantesque explosion qui secoua la ville de New York dans la nuit du 29 au 30 juillet 1916.

Le Deuxième Bureau français intégra le sabotage à sa stratégie offensive contre l’Allemagne. Le premier objectif était d’entraver la concentration des troupes allemandes en 1914, mais les résultats ne furent pas à la hauteur des espoirs ; les rares sabotages réussis n’ont pu gêner qu’à la marge la mobilisation et la concentration allemande. Puis les services secrets ont recruté quelques saboteurs durant la guerre, qui étaient en même temps des agents de renseignements, et qui devaient menacer les intérêts stratégiques de l’Allemagne. Pour les introduire sur le territoire ennemi, on étudia le passage par les pays neutres et des missions spéciales aéroportées, mais ces projets ambitieux et novateurs furent peu efficaces. La guerre secrète est finalement restée marginale, influençant peu le cours et la forme du conflit.

Les années 1920 et 1930 imposèrent l’agent secret – dont la figure complexe mêlait désormais les traits de l’espion et ceux du saboteur – comme l’acteur central d’une tension devenue permanente entre les États. Toutefois, si l’espionnage en temps de paix était désormais accepté par tous comme un mal nécessaire, le sabotage resta frappé du sceau de l’infamie : aucun pays ne pouvait reconnaître, même tacitement, qu’il le pratiquait. Mais chacun le percevait comme une menace croissante, renforcée par les possibilités accrues d’infiltration offertes par l’avion et le développement d’unités parachutistes.

Le saboteur s’imposa également comme la figure emblématique de la résistance allemande à l’occupation de la Ruhr par la France. Il s’agissait, pour le gouvernement Poincaré, de forcer l’Allemagne à remplir ses obligations en matière de réparations et, en attendant, de se payer sur place en charbon et en marks. En 1923, l’armée française recensa 86 sabotages sur le réseau ferré au mois de mars, 56 en avril, 55 en mai. Sébastien Albertelli explique que cette méthode fut alors utilisée par les autorités allemandes comme moyen de pression pour forcer les Français à négocier.

5. Vers le sabotage résistant

Si la Seconde Guerre mondiale ne fut pas fondatrice en matière de sabotage, elle en constitua une étape décisive dans son histoire, car saboter devint l’une des actions les plus impressionnantes et les plus connues des résistants français et européens. Sébastien Albertelli montre ainsi que les syndicalistes résistants ont assuré, dès le début de la guerre, le lien avec une certaine tradition du sabotage ouvrier, dans ce qu’il appelle le « sabotage insaisissable », présenté comme une manière efficace de faire la guerre : freinage de la production, négligence dans le travail de manière à provoquer des malfaçons imperceptibles, adjonction d’acide ou de sable dans les systèmes de lubrification, etc.

À partir de 1940, le sabotage ne se limita plus à une dimension insaisissable, il devint violent et s’imposa comme l’un des éléments majeurs de la lutte armée. Les actes se multiplièrent à partir de l’été 1941, après que le Parti Communiste fut entré dans la Résistance, visant les voies ferrées, les infrastructures économiques, les mines et les pylônes des lignes à haute tension.

En Grande-Bretagne, Winston Churchill créa en 1940 le Special Operations Executive – la Direction des Opérations spéciales – qui fit entrer le sabotage dans une ère nouvelle. Le projet consistait à concentrer tous les moyens de subversion entre les mains d’une seule organisation qui avait pour objectif de « mettre le feu à l’Europe », et de soutenir tous les mouvements de Résistance européens. Le SOE devint rapidement une organisation mondiale qui compta plus de 13 000 membres au milieu de l’été 1944.

Ses services développèrent de nombreux engins à l’usage des saboteurs, notamment le plastique, qui se manipulait aussi aisément que de la pâte à modeler. Considérant que le saboteur devait être un spécialiste, le SOE créa des écoles de sabotage, assurant la formation de saboteurs français.

Ces derniers s’attaquaient à des cibles militaires et stratégiques : installations pétrolières, bases sous-marines, bases aériennes, sites de lancement d’armes nouvelles allemandes (V1 et V2), réseaux de transport, usines travaillant pour la machine de guerre allemande. Les objectifs étaient souvent très précis, nécessitant la constitution de réseaux sur le terrain, puis progressivement s’imposèrent des opérations ayant pour objectif de travailler à une préparation du Débarquement qui devait avoir lieu sur les côtes françaises.

6. Les saboteurs de la France libre

Pour le général de Gaulle et la France libre, le sabotage pouvait être l’un des moyens d’agir en métropole et de poursuivre la lutte contre l’occupant. Les services secrets de la France libre prirent contact avec le SOE : ils avaient besoin de ses moyens logistiques, et le SOE avait besoin des volontaires français pour former des saboteurs.

Les relations ne furent pas faciles car les Britanniques entendaient utiliser les hommes et les contacts du mouvement gaulliste tout en contrôlant étroitement son activité en France, tandis que le général de Gaulle n’entendait autoriser l’utilisation de ses hommes que dans le cadre d’un accord global qui aurait fait de lui un partenaire à part entière. La coopération des deux services s’avéra cependant fructueuse. Sébastien Albertelli précise à ce propos que sur l’ensemble des saboteurs de la France libre, 17 % sont morts pendant la guerre, et 11 furent honorés par le général de Gaulle comme Compagnon de la Libération.

L’historien explique qu’il y eut également ce qu’il appelle des « sabotages de masse », c’est-à-dire des actes réalisés par les groupes de la résistance intérieure à une plus grande échelle, nécessitant la coordination de nombreux individus issus notamment des maquis ou du groupe des Francs-Tireurs et Partisans (FTP). Ils eurent principalement lieu à partir de 1943, et davantage en 1944. Beaucoup d’entre eux s’inscrivaient dans le cadre des plans élaborés à Londres pour la préparation du Débarquement (plan Vert de sabotage des voies ferrées, plan Violet de sabotage des infrastructures télégraphiques et téléphoniques, plan Bleu de sabotage des infrastructures électriques, plan Tortue visant à retarder l’arrivée des divisions blindées en renfort vers les plages de Normandie).

Le sabotage intervint également dans les opérations de libération du territoire : des forces spéciales furent parachutées pour soutenir et encadrer la résistance française ; il s’agissait des SAS (de petites unités de commando) et les missions Jedburgh (73 équipes de trois hommes avec au moins un Français) dont le sabotage était l’un des aspects de leur mission. Désormais, le sabotage était sorti de l’action clandestine car il était le fait – en plus du combat direct – d’hommes en uniformes.

7. Conclusion

Cette synthèse sur l’histoire du sabotage étudie l’articulation entre la dimension ouvrière de cette méthode, adoptée par la CGT, et ses applications militaires. Conçu au départ comme un travail volontairement mal fait, le sabotage acquit à partir de 1914 une dimension plus radicale. Mais il fallut attendre la Seconde Guerre mondiale – auquel plus de la moitié de l’ouvrage est consacrée – pour que cette méthode entrât dans une ère nouvelle au sein du Special Operations Executive britannique.

Dès lors, le sabotage fut perçu comme une méthode militaire connue et reconnue, ainsi que comme un élément indispensable à l’effort de guerre. Toutefois, soucieux de ne pas surestimer l’importance ni les effets du sabotage, Sébastien Albertelli insiste souvent sur le caractère parfois démesuré des attentes militantes et militaires qui y sont associées, et des peurs qu’il suscite.

8. Zone critique

Sébastien Albertelli retrace, dans cet ouvrage, la généalogie du sabotage et explique que s’il acquit ses lettres de noblesse au cours de la Seconde Guerre mondiale, il lui est antérieur. Il montre habilement comment cette méthode est passée d’outil de libération sociale utilisé par certains milieux révolutionnaires à une technique de combat de quelques militaires. L’originalité de ce travail réside dans les rapprochements qui y sont faits entre les ouvriers et les soldats, dont les pratiques semblent, au premier abord, si éloignées. Solidement référencée, cette synthèse pointe de nombreuses évolutions techniques et morales, pratiques et institutionnelles, qui ont transformé les pratiques militaires et les relations entre États.

Bien au-delà du champ de l’histoire militaire et diplomatique, elle apporte un éclairage nouveau sur une pratique qui s’est profondément transformée aux XIXe et XXe siècles.

9. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Sébastien Albertelli, Histoire du sabotage, de la CGT à la Résistance, Paris, Perrin, 2016.

Autres pistes– Jean-Jacques Becker, Le carnet B : les pouvoirs publics et l’antimilitarisme avant la guerre de 1914, Paris, Klincksieck, 1973.– Alain Dewerpe, Espion. Une anthropologie historique du secret d’État contemporain, Paris, Gallimard, 1994.– Armel Dirou, La Guérilla en 1870. Résistance et terreur, Paris, Bernard Giovanangeli, 2014. – Olivier Forcade, La République secrète. Histoire des services spéciaux français de 1918 à 1939, Paris, Nouveau Monde Éditions, 2008.– Sébastien Laurent, Politiques du renseignement, Pessac, PUB, 2009.

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