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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

Êtes-vous indispensable ?

de Seth Godin

récension rédigée parMarie Tétart

Synopsis

Économie et entrepreneuriat

Savez-vous ce qu’est un linchpin ? Littéralement, en anglais, c’est un pivot, un petit élément qui permet de fixer une vis à un support. C’est donc lui qui fait tenir tout un ensemble. Dans cet ouvrage, Seth Godin nous incite à devenir ce linchpin : une pièce maîtresse, celle dont les patrons, les investisseurs, les clients en tout genre ne peuvent se passer. Il explique qu’il est temps pour chacun d’entre nous de faire le choix de se démarquer résolument ou de se fondre à jamais dans la masse, car la société est en pleine mutation et a besoin des linchpins pour se transformer.

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1. Introduction

Deux profils émergent de cet ouvrage de Seth Godin : il y a ceux dont on peut se passer, qui sont interchangeables, que l’on peut renvoyer sans état d’âme pour les remplacer par leurs pareils ; et il y a les autres, les linchpins. Partant d’Adam Smith et de son ouvrage La Richesse des nations, l’auteur explique comment le premier type a pu être le modèle du travailleur dans les sociétés occidentales au prix d’un pacte social qui a fonctionné pendant presque 250 ans.

Il montre ensuite que ce pacte est désormais rompu : les temps ont changé, la crise économique et l’omniprésence du Web l’ont fait voler en éclats. Le besoin d’un nouveau type de travailleur s’est ainsi affirmé, le linchpin. Mais qu’est-ce qu’un linchpin ? Seth Godin en brosse le portrait en insistant sur ses trois caractéristiques principales : sa générosité, sa capacité à lier les individus et son art. Être un linchpin n’est pas si facile ; il faut pour cela vaincre la résistance du cerveau reptilien qui veut empêcher tout désir de changement et toute prise de risque. Seth Godin invite le lecteur à lutter contre cet ennemi et il l’affirme résolument : chacun d’entre nous est un linchpin qui ne demande qu’à se libérer de ses entraves.

2. 250 ans de médiocrité

Le mot est fort, mais Seth Godin l’emploie sans hésiter. Depuis les débuts de l’ère industrielle, nous avons été formés à être médiocres afin de devenir les rouages remplaçables des usines qui ont prospéré à travers le monde. Comme démontré dans La Richesse des nations d’Adam Smith (1723-1790), il est plus facile, plus rapide et moins coûteux de fabriquer un objet en décomposant sa construction en de multiples petites tâches confiées à des salariés non qualifiés que de laisser un artisan expert s’occuper de l’ensemble de l’opération. De cette théorie économique a résulté les modèles du taylorisme ou organisation scientifique du travail et du fordisme.

À partir de là a commencé le règne de l’« usine » au sens de grosses structures dans lesquelles « les gens [font] ce qu’on leur dit en échange d’un chèque » (p. 69). Pas plus, pas moins. Un pacte social a en somme été conclu entre les patrons et les travailleurs : si ce dernier suit les directives sans rechigner et avec compétence, il est assuré de bénéficier d’une rétribution honnête, d’une sécurité de l’emploi, d’une sécurité sociale, bref de certains avantages, variables selon les époques et les lieux, mais toujours suffisamment intéressants pour que l’accord soit respecté. Cette prise en charge du travailleur par le patron donnait à l’époque accès à une amélioration de la vie pour celui-ci et sa famille.

L’éducation a même été influencée par ce mode de pensée. L’école reproduit l’univers d’une usine pris dans son acception la plus large : les élèves y sont encadrés, doivent se soumettre à des examens aux consignes claires et sont contrôlés par rapport à leurs résultats. Ce système, nous dit Seth Godin, a un avantage immense pour celui qui y est soumis : il lui épargne de penser. Car c’est là que se trouve selon l’auteur le bénéfice ultime de l’arrangement. Suivre des consignes ôte à l’individu toute responsabilité, donc toute peur face à l’échec et à ses conséquences.

3. Les effets pervers du PTAR

Malheureusement, le monde du travail a été bouleversé en quelques décennies par les progrès technologiques et la mondialisation des échanges. Le pacte social entre patrons et travailleurs a volé en éclats. Tous les bénéfices de la médiocrité ont été balayés, pour les salariés en tout cas. Ces derniers ne sont plus pris en charge de manière satisfaisante, même quand ils obéissent avec diligence et efficacité. Ils « sont négligés, sous-payés, stressés et même renvoyés » (p. 27).

Pourquoi seraient-ils encore bien traités alors que leurs employeurs peuvent délocaliser à moindre coût la production dans un pays situé à l’autre bout du monde ou remplacer les postes peu qualifiés (et même les autres) par des systèmes automatisés ? Il n’y a plus d’assurance quant à l’avenir pour les employés médiocres, moyens ou même bons, parce qu’il est très facile de remplacer un individu qui ne fait que respecter les consignes. Il est aussi très facile de le maintenir à un salaire bas.

À priori, cette rupture du pacte ne désavantage que les salariés : les patrons, quant à eux, profitent toujours de l’intérêt d’avoir un PTAR (« Pourcentage de travailleurs aisément remplaçables » (p. 31)) élevé. En réalité, ce n’est pas le cas. Le vice d’avoir une société constituée entièrement de gens remplaçables, c’est qu’elle est reproductible très facilement. Si elle est reproductible, elle est donc concurrentielle. Cela signifie que, tôt ou tard, la société doit tirer son épingle du jeu d’une façon ou d’une autre. Le plus souvent, elle choisit de le faire en baissant les prix... tout comme ses concurrents. Il ne peut y avoir de gagnant à ce nivellement vers le bas. Si toutes les entreprises sont identiques, si aucune ne se démarque d’une façon ou d’une autre, le client ira vers la moins chère. Or, aucun consommateur n’est fidèle aux marchandises ou aux prestations bon marché.

La conclusion de Seth Godin, la voici : « Il n’y a plus de bons emplois dans les entreprises où quelqu’un d’autre vous dit précisément quoi faire » (p. 37). Le temps des linchpins est venu.

4. Qu’est-ce qu’un linchpin ?

Mais qu’est-ce exactement qu’un linchpin ? Que fait-il ? Par quoi se caractérise-t-il ? Quelles sont ses qualités qui le rendent indispensable ? Seth Godin le définit en trois points :– C’est un artiste ;–il donne sans attendre en retour ;– il crée du lien.L’auteur insiste sur ce point : le linchpin est un artiste dans ce qu’il fait. Cela ne signifie pas qu’il est forcément un peintre de talent ou qu’il sait écrire des symphonies qui amènent aux larmes ses auditeurs. Il s’agit tout simplement d’un individu dont les actions provoquent un changement chez autrui. « L’art est un cadeau personnel qui change celui qui le reçoit » (p. 134).

En somme, le linchpin va bien au-delà des consignes qui lui sont données en investissant totalement son travail, en prenant des initiatives en dehors de son domaine d’action et de ses attributions, en se donnant corps et âme à ce qu’il fait. C’est ce que l’on appelle le travail émotionnel et, selon Seth Godin, c’est le travail émotionnel qui produit l’art.

Le linchpin se caractérise également par sa générosité. Nous l’avons vu, il agit sans se contenter d’appliquer les consignes qui lui sont données. Il quitte donc l’accord tacite qui permet l’échange d’un service contre un salaire. Le linchpin offre son art sans contrepartie parce que celui-ci n’a pas de prix – ou peut-être celui-ci prend-il toute sa valeur parce qu’il est offert de manière désintéressée. Le linchpin est enfin une personne qui crée du lien entre les gens. « Seul un humain peut nourrir des relations, avec finesse et transparence et sans se référer à un scénario. » (p. 315)L’art, le don et le lien rendent le linchpin indispensable.

Parmi de nombreux autres, Seth Godin en donne un exemple avec Paul, un ouvrier qui travaille pour le fournisseur d’énergie Con Edison. Paul fait très bien son travail de terrassement, de pose et de maintenance de conduites de gaz. Il est aussi celui qui « s’occupe des voisins en colère, entre dans les sous-sols, replace les arbustes – des choses essentielles, mais non prévues » (p. 317). Paul donne de lui-même en allant au-delà des consignes et en créant du lien avec les gens. Il sera beaucoup plus difficile à remplacer que ses collègues. De ce fait, il est l’exemple parfait du linchpin.

5. L’ennemi du linchpin : le cerveau reptilien

Il n’est pas si facile d’être un linchpin. Si c’était le cas, le monde serait fait d’éléments irremplaçables. La nature humaine se coule spontanément dans un autre moule, celui de l’individu moyen évoqué plus haut, qui recherche la sécurité, la facilité et la satisfaction immédiate. La faute en revient à son cerveau reptilien. Celui-ci « a faim, a peur, se met en colère et veut du sexe (…), manger et se sentir en sécurité » (p. 166). Il s’enfuit face au danger et se soucie de ce que disent les autres, car son statut social lui offre des avantages qu’il veut conserver. Il est donc source de résistance lorsqu’affleurent des envies de changements, des idées novatrices, des projets qui nécessitent des prises de risque.

Le cerveau reptilien passe l’essentiel de son temps à contrer la part créative et généreuse de l’individu, ce que les Grecs anciens appelaient le « daemon » et les Romains le « génie ». C’est cette dernière qui vous permet d’être un individu conscient, doué de parole et de réflexion et apte à donner et à créer. Or, elle a rarement le dessus sur le cerveau reptilien : lorsque celui-ci intervient, le daemon se soumet. Ainsi s’expliquent tous les comportements humains en apparence aberrants que nous adoptons alors qu’ils nous lèsent. Le recul devant l’envoi d’une candidature à une grande école alors que celle-ci a été préparée pendant des mois, la dérobade face à une discussion franche avec un employeur, le recours à une méthode inutile par peur d’en essayer d’autres qui ouvrent sur des champs inconnus.

Bien entendu, le cerveau reptilien aime beaucoup les consignes : celles-ci lui permettent d’agir sans prendre aucun risque. Le linchpin, lui, apprend à reconnaître la voix de cet ennemi intérieur, cette résistance qui lui murmure à l’oreille que ce qu’il s’apprête à faire ne va pas fonctionner et qu’il devrait y renoncer. Il apprend aussi à relativiser les échecs et à les utiliser comme tremplin, alors que le cerveau reptilien utilise ceux-ci comme grain à moudre pour insuffler la résignation. Il n’écoute pas les arguments fallacieux qui paralysent l’action. « La seule solution consiste à dénoncer toutes les ruses à la fois pour ne tolérer aucune raison, rationnelle ou irrationnelle, d’empêcher votre art de voir le jour » (p. 229).

6. Une exhortation au lecteur

Comme dans chacun de ses ouvrages, c’est au lecteur que Seth Godin s’adresse, puisqu’il l’exhorte à révéler le linchpin qui est en lui. Tout le monde peut devenir indispensable. C’est une question de choix et non de talent, de réalisations et non d’hérédité. En ce sens, chacun peut développer sa part d’artiste, puisqu’il suffit pour cela de le vouloir – et de faire les efforts nécessaires à la concrétisation de ses projets.

Certes, l’auteur accole le terme de linchpin à des personnalités très connues qu’il semble impossible d’égaler et même d’approcher : Steve Jobs (Apple) et Jeff Bezos (Amazon) par exemple (p. 82). Mais il cite une foule d’autres individus qui changent le monde à leur échelle et de manière tout aussi profonde et efficace, comme « ce marchand de légumes si sympathique (…) pour lequel il vaut la peine de ne pas aller au supermarché où c’est moins cher et plus commode (…) Pour vous, en tant que client, il est indispensable. » (p. 82). Seth Godin montre ainsi au lecteur que, quelles que soient son activité et son aire d’influence, il peut faire preuve d’art et de générosité et donc devenir un linchpin, un individu irremplaçable pour les autres.

L’auteur ne donne pas de carte routière détaillée sur la façon de procéder. Il ne donne pas de consignes pour être un linchpin. Celui-ci doit trouver son propre itinéraire, c’est dans son essence. « S’il y avait une carte, il n’y aurait pas d’art, car l’art est l’acte de naviguer sans carte. » (p.283) La seule alternative est donc là : il faut suivre le chemin tracé par d’autres ou s’aventurer hors des sentiers battus. S’adapter ou se démarquer. Essayez de le faire, juste une fois. Puis arrêtez-vous et constatez. Si vous l’avez fait une fois, vous pouvez le refaire. Vous pouvez en faire une règle de vie et devenir un linchpin.

7. Conclusion

Paru à la suite de l’ouvrage Tribus en 2010, Êtes-vous indispensable ? en reprend les thématiques phares, et notamment le profil de l’individu « pivot » qui, de leader qu’il était dans Tribus, devient ici le linchpin. Pourquoi certaines personnes sont-elles indispensables ? interroge Seth Godin. Il répond à cette question point par point, d’abord en partant du passé, où un autre type de modèle économique exigeait un autre type de travailleur, puis en dévoilant les modifications profondes qui ont bouleversé le monde du travail.

Dans cette société nouvelle, les linchpins sont devenus indispensables par leur générosité, leur travail émotionnel et leur capacité à créer du lien – tout comme les leaders de l’ouvrage Tribus. Le lecteur est invité à révéler cette part de lui qui sommeille en tout un chacun, à s’élever et à oser entreprendre pour s’épanouir dans son travail et dans sa vie de tous les jours. Pour interrompre, aussi, le nivellement par le bas, car « avons-nous besoin d’être encore plus petits et plus médiocres ? » (p. 348)

8. Zone critique

Comme beaucoup d’ouvrages écrits par Seth Godin avant celui-ci, Êtes-vous indispensable ? est devenu un best-seller abondamment vendu et traduit en plus d’une vingtaine de langues. Son contenu entre marketing et développement personnel a séduit à la fois le public et les médias qui encensent régulièrement les contributions de ce « gourou du marketing ».

Comme à Tribus ou Tous les marketeurs sont les menteurs, certains lecteurs ont toutefois reproché à Êtes-vous indispensable le côté brouillon, décousu et dépourvu de contenus pratiques comme les aiment les amateurs d’ouvrages de développement personnel. Seth Godin persiste et signe en prenant les devants :« Dans ce contexte, “Dis-moi quoi faire” est une phrase absurde. » (p. 283) Les autodidactes apprécieront le propos, tout comme ceux qui aiment réfléchir au concept plus qu’à l’aspect pratique d’un sujet.

9. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Êtes-vous indispensable ?, Paris, Éditions Diateino, 2010.

Du même auteur– Tribus - Nous avons besoin de VOUS pour nous mener, Paris, Éditions Diateino, 2009.– La vache pourpre, Paris, Maxima Laurent du Mesnil, 2011.– Les secrets du marketing viral, Paris, Maxima Laurent du Mesnil, 2011.– Permission Marketing, La bible de l’e-mailing et le précurseur de l’Inbound Marketing, Paris, Maxima Laurent du Mesnil, 2011.– Story-telling en marketing. Tous les marketeurs racontent des histoires, Paris, Maxima Laurent du Mesnil, 2011.– C’est ça, le marketing. On ne vous verra pas tant que vous n’aurez pas appris à voir, Paris, Diateino, 2019.

Autres pistes– David Riesman, La Foule solitaire, Arthaud, 1992– Charles Wright Mills, L’Élite au pouvoir, Agone, 2012– Marshall Sahlins, Âge de pierre, âge d’abondance, Gallimard, 2017– Frederick P. Brooks, Le Mythe du mois-homme, Vuibert, 2001– Jonah Lehrer, Faire le bon choix, Robert Laffont, 2010

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