Dygest vous propose des résumés selectionnés et vulgarisés par la communauté universitaire.
Voici le résumé de l'un d'entre eux.
de Seth Godin
« Nous avons besoin de VOUS pour nous mener. » Tel est le sous-titre de l’ouvrage de Seth Godin, Tribus, dont le sujet est consacré au leadership à l’heure d’Internet. Qu’est-ce qu’une tribu ? Comment la rassembler et la guider ? Tout le monde peut-il devenir un leader ? Vous, le lecteur, êtes invité à prendre le train en marche, à laisser libre court à votre créativité et à votre volonté de changer le monde : l’ère des leaders est venue et Seth Godin vous démontre que, qui que vous soyez et quoi que vous fassiez, vous êtes, vous aussi, concernés.
Tribus, tel est le nom de cet ouvrage de Seth Godin consacré au leadership. Le mot semble sorti du fond des âges par ses connotations historiques et anthropologiques fortes. Et, pourtant, l’auteur nous démontre dans ce petit livre la puissante modernité de ce concept à l’heure des nouvelles technologies. Qu’est-ce qu’une tribu ? Alors qu’il s’en crée chaque jour d’un bout à l’autre de la planète, quel est le nouveau visage de leurs leaders ?
Seth Godin montre ici leur variété infinie. Il explique également à quel point le leader est différent du manager, tout comme s’opposent diamétralement le concept de statu quo et celui de changement. Et s’il invite le lecteur à se lancer et à oser, c’est parce que le monde change et qu’il est désormais mûr pour accueillir les leaders ; plus encore, il a besoin d’eux. Tribus est ainsi un ouvrage de réflexion sur le leadership qui invite aussi à dépasser la peur d’entreprendre et à s’accomplir en osant prendre des chemins de traverse.
Voilà un mot qui désigne une réalité a priori archaïque de l’histoire des sociétés humaines, tout du moins du point de vue ethnocentré du monde occidental. En réalité, il a gardé toute sa pertinence, même à l’heure d’Internet et de la sociabilisation dématérialisée. Pourquoi ? Seth Godin l’explique dès le début de son ouvrage : « Les êtres humains ne peuvent s’empêcher de rechercher une appartenance » (p. 37). Nous n’aimons pas vivre dans la singularité et la solitude la plus absolue. Instinct de survie, peut-être ? Nous voulons faire partie d’un groupe dont nous partageons les opinions et les aspirations.
Autrefois, les tribus étaient géographiquement situées. Les modes de transport et de communication imposaient des limites. À l’ère d’Internet, tout a changé. Il est désormais possible de rejoindre des tribus regroupant des individus disséminés partout dans le monde. Cette connexion instantanée avec le reste de la planète nous permet également d’être intégrés à des tribus de taille et de grandeur inédites. L’identité de chacun d’entre nous peut ainsi se définir, selon Michel Serres, comme l’intersection de toutes nos appartenances à des tribus. C’est dire leur importance dans la construction et dans le bonheur d’une vie.
Dans la construction et l’épanouissement d’une tribu, Internet n’est alors qu’un outil. S’il est un instrument aussi puissant et facilitateur, c’est parce qu’il permet une communication fluide, aisée, rapide entre tous les membres d’un groupe. Or, la communication est l’un des deux piliers essentiels nécessaires à l’épanouissement d’une tribu. L’autre pilier est l’intérêt commun qui lie les membres en leur donnant envie d’agir ensemble.
Ces deux piliers créent le dynamisme. Ils sont également les deux points qui différencient une tribu d’une simple foule. Mais qui créera ces deux valeurs ajoutées ? Qui identifiera l’intérêt commun, l’insufflera et construira le mode de communication afin que tous les membres aient l’envie d’agir en tribu ? C’est le leader.
Le leader est celui qui donne une vision et un élan et parvient à inspirer suffisamment de personnes pour que cela fasse boule de neige. Ainsi naît, grandit et s’épanouit la tribu. S’il semble être à la tête du mouvement, le leader n’est pas une espèce de roi donnant ses ordres afin que ceux-ci se répercutent jusqu’à la base. Il n’est pas non plus un manager. La différence est essentielle, mais elle est souvent floue dans l’esprit des gens. Parce que leader et manager sont à la tête d’un groupe, ils sont souvent confondus. Or, ces deux profils s’opposent. Là où le manager gère, le leader crée.
Le manager est incapable de créer, car il n’est que le maillon d’une chaîne hiérarchique. Il n’a pas l’initiative, il relaie les directives venues d’en haut. Le leader, lui, n’a pas de telles contraintes, car c’est de lui que naît l’idée. Il peut aussi bien se trouver en bas de la pyramide, comme Brad Carlinghouse (p. 235-236), dont l’audacieuse initiative aboutit finalement au départ du P.D.G. de Yahoo! en 2006 (il avait envoyé une note incisive à ses supérieurs pour dénoncer les failles du système et celle-ci avait fuité et s’était retrouvé dans le Wall Street Journal). Le leader est un électron libre qui fait souffler le vent du changement.
Il réussit d’autant mieux lorsqu’il est désintéressé et tourné vers les autres. Le vrai leader ne recherche pas la rémunération. S’il parvient à dynamiser sa tribu, à la faire œuvrer dans un sens commun avec enthousiasme et efficacité, c’est parce que son propos parle à tous ses membres. C’est parce qu’il ne commande pas, mais entraîne et inspire. Seth Godin nous donne ainsi l’exemple de Meghan Mac Donald, coach sportif. Au bout de quelques semaines d’interventions durant lesquelles elle fut présente pour chacun et prodigua conseils et encouragements avec bienveillance, « les membres de l’équipe se [mirent] à se coacher les uns les autres. (…) Meghan [put] quitter l’immeuble, mais l’entraînement [continua]. » Les leaders ne se placent pas sous les feux de la rampe : ils aspirent à la réussite de leur tribu.
Mieux encore, ils souhaitent que celle-ci vienne d’eux-mêmes. L’exemple de Jerry Sternin est ainsi édifiant. Il se rendit au Vietnam pour lutter contre la famine. Il chercha en premier lieu les mères de famille dont les enfants étaient bien nourris et en parfaite santé. Il les mit en avant et les aida à devenir leaders afin qu’elles puissent partager leurs façons de faire avec d’autres mères dont les enfants souffraient de la faim.
Ainsi, ceux dont le leadership rayonne se caractérisent moins par un supposé charisme inné (qu’ils finissent cependant par acquérir du fait de leur réussite) que par une grande capacité à donner d’eux-mêmes.
Seth Godin recourt à cette métaphore fantaisiste, mais évocatrice, pour montrer l’impact que peut avoir l’arrivée d’un leader. On imagine sans peine la pagaille que pourrait causer l’irruption d’une licorne dans une usine de ballons. La peur, surtout : que de dégâts ne pourrait-elle provoquer, avec sa corne sur le front ! L’usine de ballons représente le statu quo, le monde tel qu’il est, le manager qui fait appliquer les règles. La licorne, c’est l’ « hérétique » tel que le définit l’auteur, c’est le mouvement, c’est le leader. C’est vous, dit Seth Godin.
L’opposition entre le statu quo et le changement structure tout l’ouvrage. C’est une composante essentielle de la réflexion de l’auteur. La plupart des gens sont plutôt des observateurs, ou ils se complaisent à l’être. Ils « aiment les produits qu’ils ont déjà (…) [et] aiment manger dans des endroits où ils ont déjà mangé ». Peu curieux, ils se contentent de ce qu’ils ont et restent pétrifiés dans un univers figé.
Ce n’est pas le cas des leaders, qui n’hésitent pas à prendre l’initiative lorsque quelque chose ne fonctionne pas ou qu’une idée nouvelle leur vient. Les leaders sont initiateurs. Seth Godin raconte une expérience qu’il fit en 2008. Il proposa un stage rémunéré et invita tous les postulants sur un groupe Facebook privé. Immédiatement, certains d’entre eux postèrent des sujets, initièrent des conversations, invitèrent leurs collègues à participer, bref, firent preuve de leadership.
Ce type d’émulation positive est à mettre en parallèle avec le comportement moutonnier décrit par l’auteur : des employés qui appliquent des règlements sans s’interroger sur leur pertinence ou des assistants qui font exécuter des ordres venus d’en haut en sachant qu’ils seront sans effet (mais pas sans coût). Les leaders se refusent à cela. Ils doivent agir dans l’instant, dès que surgit l’idée, car « au moment où vous comprenez que votre coin du monde a besoin de changement, c’est trop tard, presque à coup sûr. Ce n’est, en tout cas, pas trop tôt » (p. 207). Et cela tombe très bien, car le monde est en pleine mutation.
Le monde est mûr pour accueillir les changements. Les modes de consommation sont en pleine évolution et de nouveaux modes de pensées se font jour, eux aussi. Autrefois dominait un vieux système : celui des usines, à entendre au sens de structures verticales, hiérarchisées, répondant à des normes strictes de fonctionnement. Les usines fonctionnaient bien, car elles étaient adaptées à leur temps. Pour Seth Godin, ce temps est bel et bien révolu.
Dans un monde d’innovations technologiques permanentes et de communication instantanée, les usines sont en perte de vitesse. Trop monolithiques, elles ont du mal à s’adapter à ces mutations multiples. Pensons à l’exemple de l’industrie de la musique, décortiquée par Seth Godin. Après trente à quarante ans de réussite triomphale, grossièrement de 1960 à 2000, cette industrie a dégringolé. L’apparition des plates-formes de téléchargement et les changements d’usage des consommateurs, entre autres facteurs, ont creusé une brèche dans un mode de fonctionnement bien huilé. La réaction de l’industrie de la musique à ces changements qui n’étaient somme toute rien d’autre que socio-culturels : attaquer en justice son propre public. Pour Godin, l’industrie de la musique a, au moment des mutations, manqué de leaders et de tribus.
Les usines s’adressent à une foule sans visage, qu’elles matraquent de messages venus d’en haut. Les leaders, pendant ce temps, rassemblent une tribu sur un intérêt commun, communiquent avec elle et font en sorte que chaque membre communique avec les autres. Leur succès est tout tracé, à notre époque de communication instantanée et d’innovation permanente. Les gens ont beaucoup plus soif de nouveautés qu’autrefois et font moins confiance aux grandes structures installées depuis longtemps, que de nombreux scandales ont d’ailleurs entachées.
C’est pourquoi les leaders, ces hérétiques qui promeuvent le changement, ces licornes qui provoquent la pagaille dans les usines de ballons ne sont plus brûlés comme autrefois. Ils sont nécessaires et sont parfois même recherchés.
Le Philharmonique de Los Angeles a compris cela : à un millier de chefs d’orchestre installés, qualifiés et de renommée internationale, il a préféré Gustavo Dudamel, un jeune homme qui faisait sensation au Venezuela, certes, mais qui n’avait que 26 ans et un CV ô combien moins prestigieux que celui de ses concurrents (p. 222). Le monde change et les tribus recherchent des leaders pour survivre à ces mutations.
Si le temps des leaders est venu, il n’est pas pour autant si facile d’en devenir un. Certes, vous ne risquez plus le bûcher pour avoir osé proposer une idée nouvelle. Cependant, la peur de l’échec est toujours là et, plus paralysante encore, il y a celle de la critique. Seth Godin incite dans son ouvrage au dépassement de cette peur naturelle. Le livre est un vrai manifeste pour le courage d’entreprendre.
Le leader a conscience de sa peur, mais il la surmonte, tout comme il aide les membres de sa tribu à dépasser leurs barrières. Le leader n’aime pas être critiqué plus que les autres, mais il refuse de se laisser paralyser. Il sait que la critique n’est pas un obstacle. Pourquoi ?
D’abord parce qu’un leader n’a nul besoin d’obtenir une majorité pour constituer une tribu, contrairement au candidat à une élection. Il ne lui faut qu’un noyau de vrais fans : Seth Godin avance le chiffre de 1 000 fans comme celui qui permet ensuite à la tribu de s’auto-générer toute seule grâce à l’action motivée de chacun d’entre eux. Dès lors, qu’importe qu’en dehors de la tribu puissent s’élever des critiques ? Celles-ci sont même des preuves de succès : critique-t-on ce qui n’importe pas ? Ce qui ne dérange pas ? Si vous essuyez des critiques, c’est parce que ce que vous faites à des chances de bousculer le statu quo. Donc de réussir. « Persistez. » (pp. 219-220)
Devenir un leader demande du courage, contrairement au fait de suivre toute sa vie les règles édictées par d’autres. Mais cela apporte le bonheur, puisque l’on s’investit dans ce que l’on croit et que l’on génère ensuite la motivation et la joie autour de soi en un cercle vertueux. Il n’est pas certain du tout, en revanche, que vous trouviez le bonheur en continuant de travailler jour après jour dans une usine. Le risque n’est-il donc pas plus grand, finalement, en renonçant de devenir leader sur le sujet qui vous importe ?
Seth Godin le résume parfaitement. Il raconte comment, une nuit, à quatre heures du matin, alors qu’il était assis dans un hall d’hôtel et regardait ses mails, un couple passa et la dame clama : « Est-ce que ce n’est pas triste ? Ce gars vient ici en vacances et il est condamné à regarder ses e-mails. Il ne peut même pas profiter de ses deux semaines de congé. » Ce à quoi l’auteur répond : « Je pense que la vraie question – celle à laquelle ils ne voudraient probablement pas répondre – était : “Est-ce que ce n’est pas triste que nous ayons un job tel que nous évitons tout contact pendant deux semaines avec ce que nous faisons cinquante semaines par an ?”. ».
Le concept de tribus semble plus que jamais d’actualité, et, pour Godin, un leader sommeille en chacun d’entre nous. Il invite dans ce petit ouvrage à le réveiller, car le monde en a besoin. Il a besoin d’hérétiques aptes à bousculer le statu quo avec des idées neuves. Il a besoin de licornes dans ses usines de ballons.
Par le biais d’exemples et en nourrissant son ouvrage de ses réflexions, l’auteur donne confiance à son lecteur. Très facile d’accès, agréable à lire aussi grâce à son ton amical et détendu, Tribus est un livre de chevet qui mêle avec aisance les conseils de développement personnel et les réflexions socio-économiques. Paru pour la première fois en 2008, il est toujours à ce jour un gros succès de librairie.
« Et il est possible qu’il vous manque des check-lists, des instructions sur “comment faire” et le manuel Pour les Nuls vous montrant exactement quoi faire pour trouver une tribu et en prendre la tête. (…) Je peux vous dire que je vais être critiqué par la plupart des gens sur ce que vous venez de lire. » (p. 244) Cela n’a pas manqué. Beaucoup de lecteurs ont reproché à l’ouvrage son manque de structure et de conseils pratiques.
Le fait est que Tribus n’est pas un livre de business et de management entrepreneurial comme les autres. Un des éléments clés de l’ouvrage a été mal reçu ou incompris par des lecteurs qui recherchaient avant tout un guide en développement personnel.
Or, tel n’est pas le but de l’auteur. Le propos ressemble davantage à une promenade intellectuelle centrée autour de notre capacité à innover et créer. Il permet ensuite au lecteur de construire sa propre vision — tout comme le leader saura tracer lui-même le chemin qui le mènera à sa tribu.
Ouvrage recensé
– Tribus - Nous avons besoin de VOUS pour nous mener, Paris, Éditions Diateino, 2009.
Du même auteur
– Le DIP, Gatineau, Éditions Trésor caché, 2008.– La Supercherie d’Icare, Paris, Éditions Diateino, 2013.
Autres pistes
– Clay Shirky, Here comes everybody, Londres, Penguin, 2009.– Dave Logan, Tribal Leadership, New York, Harper Collins Libri, 2014.– Josh Kaufman, Le Personnel MBA, Paris, Leduc, 2013.