Dygest vous propose des résumés selectionnés et vulgarisés par la communauté universitaire.
Voici le résumé de l'un d'entre eux.
de Sigmund Freud
Publié en 1900, l’Interprétation du rêve est un ouvrage fondamental de la science psychanalytique écrit par Sigmund Freud. Alors que la psychanalyse commence à émerger dans le champ scientifique et dans celui des idées en Europe, ce livre en est le témoin le plus significatif à son époque. La question des rêves est revisitée dans une démarche analytique inédite.
Freud a une quarantaine d’années lorsqu’il publie L’Interprétation du rêve (Die Traumdeutung) à un moment où la psychanalyse commence à s’affirmer sur le plan de la méthode.
L'auteur a quitté les neurosciences et reçoit des patients en clinique sur le divan dans le cadre de la méthode d’écoute flottante qu’il a mise au point. Cette œuvre s’inscrit dans un double tournant : celui premièrement de la vie de son auteur, période pendant laquelle il s’acharnera désormais à poser les topiques, c’est-à-dire à tenter de cartographier les schémas qui constituent la psyché humaine, et celui deuxièmement du siècle marqué par la révolution industrielle qui bouleverse les esprits. Freud parle de l’Interprétation des rêves, dès 1897, à son ami le médecin Berlinois Wilhelm Fliess (1858-1928) avec qui il correspond. Le texte paraît pour la première fois à Leipzig en allemand en 1900.
Le père de la psychanalyse pose l’hypothèse qu’il validera tout au long du déroulé de son ouvrage que le rêve est la manifestation normale de l’Inconscient. Il structure l’œuvre en huit chapitres, et le premier de ceux-ci dans une démarche historicisante fera l’état des lieux de la littérature présente à ce jour sur le rêve. Puis, il affirme qu’il est possible d’interpréter le rêve. Une telle avancée est inédite en 1900. Il ira plus loin lorsqu’il tentera de prouver au long du troisième chapitre que le rêve est l’accomplissement du désir.
Nous allons maintenant étayer les principaux concepts se détachant de la thèse de cet ouvrage en explorant les contenus du rêve et les mécanismes de son interprétation. Et ceci après avoir situé la thèse de l’œuvre dans la théorie de Freud. Nous verrons ensuite que le rêve est symptomatique de la vie psychique et que cette œuvre est une grande première dans l’histoire de la pensée.
Freud a utilisé un très vaste matériel clinique pour démontrer son hypothèse de réalisation du désir dans le rêve interprété. Il a puisé dans ses propres rêves qu’il interprète dans le cadre de ce qu’il nomme en tant que pionnier de la psychanalyse, son auto-analyse. Mais son matériel provient aussi des rêves de ses patients et de ses proches. Ce matériel de plus de cent soixante rêves est essentiellement recueilli et exploité dans cet ouvrage.
Dans la partie historique au premier chapitre, il remonte à l’Antiquité classique (Lucrèce, Cicéron, Aristote, …), pour relater l’histoire des rêves dans la littérature. Pour ce faire, il puise dans la philosophie et dans les auteurs psychologues qu’il a pu lire. Mais très vite, il se détache de la plupart des théories existantes en 1899 sur le rêve. Il objecte maintes avancées de la connaissance sur la question pour proposer sa propre approche clinique qu’il développe très vite dès le second chapitre. On ne peut lire et comprendre ce livre sans accepter que le présupposé fondamental de Freud soit l’existence de l’Inconscient. Nous soulignons ce fait parce qu’à l’époque et aujourd’hui encore, la psychologie, notamment cognitive, n’admet pas toujours l’importance de cette existence dans l’analyse de la vie psychique. Selon ce schéma, le rêve serait une expression de l’Inconscient. La formule « voie royale menant vers l’Inconscient », pour désigner le rêve n’est d’ailleurs pas devenue un célèbre adage par accident.
De même, l’importance de l’énergie libidinale et celle de la vie sexuelle infantile sont à prendre en compte nécessairement à la lecture de l'ouvrage. En effet, nombre d’exemples qu’utilise Freud rentrent dans ce cadre de cette interprétation onirique, rêves à contenu sexuel, contenus déformés la plupart du temps. Il faut aussi souligner que l’interprétation des rêves est une pratique appartenant en propre à la psychanalyse, et que celle-ci s’élabore dans un cadre de cure à partir d’une relation triangulaire entre le patient névrosé, l’analyste et la parole du patient.
Freud démontre que les sources du rêve sont essentiellement psychiques. Les stimuli du rêve puisent en partie dans la vie diurne ou éveillée, souvent de la veille, mais pas essentiellement. Le rêve est ainsi propre à la vie de l’âme Tous les rêves qu’analyse Freud possèdent ce caractère constant et commun que leur contenu prend sa source dans une expérience vécue récente. Les nombreux exemples de rêves ont en effet un contenu issu d’éléments vécus la veille (pensons à une anecdote visuelle, un objet vu, une personne rencontrée, etc.). Mais en plus de ces éléments, l’excitateur du rêve est aussi un processus à valeur psychique, c’est-à-dire que ce qui a provoqué l’éveil ou la remémoration de ce premier élément vécu la veille, est un mécanisme psychique qui y est associé.
Le rêve est donc un accomplissement de souhait, même si son contenu parait bien souvent incompréhensible au rêveur. La plupart du temps, nous dit Freud, le rêveur n’accorde pas vraiment d’importance à son rêve et même ne s’en souvient pour ainsi dire jamais. Mais une fois que nous rentrons dans le contenu du rêve, nous nous apercevons que cela ressemble à une déformation. Pour illustrer cette déformation, Freud prend l’exemple de l’écrivain face à la censure politique obligé de déformer son langage. Et de même que toute forme de censure, la censure psychique s’opère devant ce qui est inadmissible, en l’occurrence ici le conscient. Pour que le conscient puisse accepter le contenu du désir exprimé par le rêve, il faut que ce contenu traverse la censure et, bien souvent, ce sont les lois morales et sociétales qui refusent d’admettre un tel désir. Cette censure provoque la déformation du contenu du rêve.
Le rêve ou plutôt son interprétation doit tenir compte de la scission entre contenu manifeste et contenu latent. Le contenu manifeste correspond au contenu le plus explicite du rêve, et le contenu latent aux pensées du rêve, ou autrement dit au contenu de pensée, ce qui est caché et qu’il faut soumettre à l’interprétation par l’analyse. « Le contenu de pensée est reconnu derrière le rêve par le travail d’interprétation » (p. 170). Même dans le cas d’un rêve d’angoisse, une fois interprété, l’analyste peut démontrer au patient que ce rêve est un rêve d’accomplissement de désir. L’interprétation de l’analyste dans le cadre de la cure ne peut se faire sans celle premièrement du rêveur qui parlera du contenu manifeste consciemment.
Freud expose ainsi dans le cadre de sa théorie quatre mécanismes psychiques essentiels.
Le processus psychique de déplacement dans le rêve selon Freud est de nature primaire. Le déplacement est le processus par lequel du matériel psychiquement important est remplacé par du matériel a priori indifférent. Chez le névrosé, ou la personne normale non atteinte de pathologies psychotiques graves, la mémoire opère ce même phénomène de déplacement. Par exemple, nous ne nous souvenons pas tous de toute la matière de notre enfance, elle est quelque part enfouie dans notre mémoire. De même, le matériel psychique important se transforme en contenu pouvant apparaître sans importance, donc déguisé. Le rêve mêle ce matériel déguisé et des éléments de la vie courante. « Le résultat de ce déplacement est que le contenu du rêve ne ressemble plus au noyau des pensées de rêve, que le rêve restitue seulement une déformation des souhaits de rêve se trouvant dans l’inconscient » (p. 352).
Par le processus de condensation, Freud explique que le contenu manifeste est une traduction abrégée du contenu latent. Il s’agit d’un mécanisme fondamental dans le travail du rêve. Et le terme apparaît pour la première fois dans l’œuvre de Freud dans l’Interprétation des rêves. Ce phénomène explique aussi la formation de néologismes, de lapsus, etc. La condensation est le processus par lequel certaines images sont fortement investies émotionnellement, et dans le rêve elles acquièrent une forte vivacité. Elle est une caractéristique de la pensée inconsciente. Elle déjoue la censure.
L’interprétation du rêve ne peut être également pensée sans les notions fondamentales dans la vie psychique de la régression et du refoulement. La régression est une dynamique de retour en arrière dans le sens commun, mais qui signifie chez Freud que les pensées du rêve se présentent sous forme d’images déformées. Le rêve implique ces deux phénomènes. Et le refoulement selon Freud se produit lorsque le sujet repousse dans l’inconscient une pensée, une idée, une représentation associée à une pulsion qui n’est pas tolérable dans le conscient.
Ces pensées peuvent se manifester dans le rêve au moment où, endormi, le rêveur laisse libre cours à l’expression de son inconscient. C’est alors que la représentation refoulée va apparaître bien souvent déguisée dans le contenu du rêve. L’analyste se doit de tenir compte des refoulements du sujet analysé pour interpréter le rêve.
L’importance du langage est prépondérante dans l’interprétation des rêves, mais aussi de surcroît dans le travail du psychanalyste. Tout comme un chapitre de la Psychopathologie de la vie quotidienne que Freud écrira un peu plus tard en 1901 explicite les mots d’esprit et les déformations de langage qui s’opèrent très souvent avec les homonymes ou néologismes, le contenu des rêves peut parfois être déformé aussi par des abus ou des mauvais usages de la langue.
Comme l’illustre la déformation réalisée par un patient dans l’interprétation de l’un de ses rêves, puisque celui confond le terme voyage « Reisen », avec celui d’élancement « Reissen ». Non seulement le caractère quasi homonymique avait induit en erreur le rêveur, mais ce dernier s’était aussi aperçu dans l’analyse que cette confusion n’était pas intervenue par hasard, elle s’était produite pour oublier une expérience humiliante précise de l’enfance (cf. p. 228). Nous nous rendons bien compte ici que le rêveur seul ne peut interpréter son rêve, mais qu’il a besoin de l’analyste pour associer le récit du contenu à l’interprétation menant vers un désir refoulé. Le sens du rêve échappe au rêveur. C’est la raison pour laquelle une analyse s’impose : le récit du rêve et son interprétation par l’analyste vont permettre au rêveur de connaître non seulement le sens de son rêve, mais aussi son désir propre.
Le rêve n’a pas de présentation. Autrement dit, il ne s’exprime pas directement, il ne reprend que le contenu concret des pensées de rêve pour l’élaborer, et c’est l’interprétation qui rétablit la cohésion que le rêve a anéantie. Le travail du rêve est en mesure d’indiquer dans le matériel du rêve les relations difficilement présentables. Et ce, par la relation causale par exemple. Le travail qui transforme les pensées inconscientes en contenu de rêve est propre et caractéristique de la vie de rêve.
Freud dans ce livre pose sa première topique, développée certes auparavant dans le système neuronal, topique qui pose incontestablement l’Inconscient comme base de la vie psychique. Les trois instances – Conscient, Préconscient, Inconscient – seront ré-exploitées dans une seconde topique en 1915 en tant que Moi, Surmoi, Ça. Freud explique que la plupart des penseurs, et lui-même jusqu’à présent, avaient minimisé le rôle de l’Inconscient qui, en réalité intervient constamment.
Le rêve est l’un des multiples symptômes de manifestation de l’inconscient. Le travail du rêve puis son interprétation, sont un des moyens d’accéder à la connaissance de l’Inconscient.
Freud part d’un rêve qu’il a lui-même fait pour construire sa théorie de l’interprétation. Ce rêve de l’injection faite à Irma est l’un des exemples développés au début de l’œuvre parmi bien d’autres, dont le rêve du livre de botanique. L’auteur décide d’analyser point par point ce rêve qu’il a fait lui-même d’une injection médicale administrée sur l’une de ses patientes. Cette patiente se nomme Irma. Elle souffre de maux de la gorge et du nez, a mal au ventre. Freud, présent dans son rêve et inquiet sur l’état de santé de la jeune femme, l’examine tout d’abord avant d’appeler deux de ses amis médecins pour qu’ils donnent à leur tour un diagnostic. Il s’avère que l’un des deux amis dans le rêve, Otto (qui existe réellement), lui injecte un traitement qui s’avère improbable, et le rêve se termine.
Freud relate ensuite son rêve (p. 142-143) et l’analyse point par point en le détaillant et en faisant des associations avec le contenu de sa vie diurne et des éléments de sa réalité. Ayant pris très vite des notes et ayant décelé ou du moins tenté de le faire, le sens de son rêve, Freud comprend qu’il est la réalisation d’un souhait. En effet ce rêve déresponsabilise Freud sur l’état de santé faible de sa patiente dont Otto dans la réalité peu de temps auparavant a fait remarquer à Freud qu’elle n’était qu’imparfaitement guérie. La gêne que cette remarque avait occasionnée chez Freud se transforme dans le rêve en faute de la part d’Otto dans le soin de la jeune femme. Le souhait de se déculpabiliser est alors accompli.
Cet épisode dans la construction de l’interprétation des rêves a été maintes fois commenté par les psychanalystes au cours du XXe siècle. Parce que chaque élément du rêve a été associé avec des éléments de l’environnement ou de la vie de Freud (le hall dans lequel se passe l’action, etc.) ; mais aussi au-delà de ce que Freud a pu en dire, les interprétations qui ont suivi ont tenté de rapprocher des faits de la vie de Freud avec des éléments du rêve (la future naissance de son enfant ...). Ce rêve est considéré comme le premier rêve à être interprété dans l’histoire de la psychanalyse.
Le caractère inédit et expérimental de l’œuvre est lié principalement au fait que la psychanalyse commence à se dessiner et à s’affirmer. Tout comme l’ardente relation épistolaire avec Fliess en a été le syndrome le plus probant, ce livre est une part de l’auto-analyse de Freud. Autoanalyse qui intervient parce qu’en tant que pionnier dans la méthode psychanalytique de libre association, Freud n’a que pour miroir son propre inconscient, son analyse et les lettres que Fliess lui écrira assidument en guise de réponse.
À partir d’exemples cliniques multiples puisés dans les souvenirs de rêves de patients, de proches ou de lui-même, le fondateur de la psychanalyse s’empare de la question des rêves. Il démontre ainsi que leur interprétation est un chemin d’accès vers la vie psychique. Freud profite de ce livre pour poser dans le dernier chapitre sa première topique, autrement dit le schéma de constitution de la vie psychique.
Dans le cadre analytique, l’interprétation du rêve est un moyen d’accéder à la connaissance de l’Inconscient du patient et se déploie selon des mécanismes propres à l’activité psychique basée sur l’énergie pulsionnelle. Ce livre majeur dans la fondation de la science psychanalytique pose des bases méthodologiques pour les praticiens analystes et représente aujourd’hui une œuvre incontournable pour tenter de comprendre l’Œuvre de Freud et la psychanalyse.
Bien qu’aujourd’hui cette œuvre soit devenue majeure pour penser et situer l’évolution de la psychanalyse, sa réception fut lente au début du XXe siècle. En effet sa traduction anglaise par Meyerson ne se fait qu’en 1913 et il faudra attendre 1926 pour que Brill la traduise en français. La réception de l’Interprétation des rêves est secouée de tensions qui ne sont pas surprenantes lorsque l’on sait que l’invention de la psychanalyse est acceptée bien souvent dans l’hostilité au sein de la psychiatrie des débuts du XXe siècle.
Carl Gustav Jung, avec qui Freud a eu une amitié intense jusqu’en 1913, a reçu l’œuvre très favorablement, mais a aussi très vite exploré la voie des rêves d’une autre manière, devenant ainsi une figure dissidente de celle de Freud. L'Interprétation du rêve sera l’œuvre la plus citée dans le séminaire du psychanalyste français Jacques Lacan (1901-1981) qui a revu et actualisé à partir des années 1950 l’Œuvre de Freud en son entier ou presque.
Ouvrage recensé
– L’interprétation du rêve, (Die Traumdeutung), Paris, PUF, « Quadrige », 2000 (1900, 1re éd.).
Du même auteur
– Totem et Tabou, Paris, Editions Points, 2010.– Psychopathologie de la vie quotidienne [1901], Paris, Petite bibliothèque Payot, 1979.– Cinq leçons sur la psychanalyse [1910], Paris, Petite Bibliothèque Payot, 1998.– La naissance de la psychanalyse : lettres à Wilhelm Fliess, notes et plans (1887-1902), Paris, PUF, 2009. – Trouble de mémoire sur l’Acropole, suivi de rêve et télépathie, Paris, l’Herne, 2015.
Autre piste
– Chalmeton Michelle et Vincent, Sigmund Freud: la vie et oeuvre 1856-1939, Ed. Economica, 2005