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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

Psychopathologie de la vie quotidienne

de Sigmund Freud

récension rédigée parValentine ProuvezÉducatrice spécialisée, doctorante en Études Psychanalytiques (Montpellier, Université Paul Valery).

Synopsis

Psychologie

Un an après la publication de L’Interprétation des Rêves (1900) qui constitue le moment fondateur de la psychanalyse, Sigmund Freud souhaite faire connaître du grand public la méthodologie, les découvertes et les concepts fondamentaux de la discipline qu’il a créée. Dans l’écriture de Psychopathologie de la vie quotidienne, publié en 1901, il s’emploie ainsi à utiliser non seulement la clinique mais aussi le quotidien, la culture, le champ social comme un laboratoire expérimental afin de mettre en évidence l’existence de déterminations inconscientes.

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1. Introduction

Freud décrit et analyse dans cet essai plusieurs dizaines de situations observées dans des cadres aussi variés que son cabinet de médecin, les journaux, la littérature, les témoignages individuels, les rencontres et expériences du quotidien, afin d’en proposer une explication scientifique appuyée sur les points de vue et méthodes de la psychanalyse.

Il démontre ainsi que ces phénomènes que nous interprétons usuellement comme des produits du hasard ou de la fortune (du destin) seraient en réalité produits par le surgissement d’une intention refoulée, c’est-à-dire interdite par la conscience.

Afin de suivre le cheminement de Freud, nous nous intéresserons ici dans un premier temps à la division du psychisme entre conscient et inconscient ; puis nous serons conduits à analyser les phénomènes des lapsus, oublis et actes manqués, pour enfin exposer la thèse centrale de l’ouvrage : l’affirmation de l’existence d’un déterminisme psychique absolu.

2. Le sens caché des troubles fonctionnels de la vie quotidienne

Chaque personne connait d’expérience les phénomènes que Sigmund Freud entend analyser dans cet essai. L’oubli de noms, de projets, de rendez-vous, d’une dette dont on doit impérativement s’acquitter, le remplacement malencontreux d’un mot par un autre (lapsus linguae), les accidents ou les maladresses que Freud appelle des actes manqués (comme par exemple le bris inintentionnel d’un objet de valeur) sont autant de petits troubles fonctionnels qui se manifestent continuellement dans la vie quotidienne.

Ces troubles sont passagers et ne sont pas la conséquence d’une altération de nos capacités intellectuelles ou physiques (par exemple d’une maladie) : leur origine n’est pas organique mais bel et bien psychologique. Nous tentons d’accomplir une action dont nous sommes ordinairement capables, d’évoquer le nom d’une personne que nous connaissons bien, de réciter quelques vers d’une poésie apprise par cœur, lorsque quelque chose nous échappe et contrarie notre intention initiale, de façon inattendue.

3. La division du psychisme entre conscient et inconscient

L’existence de déterminations inconscientes, refoulées (exclues) du champ de la conscience, a d’abord été mise en évidence par la clinique des névrosés : le procédé de l’association libre permet en effet de remonter les chaines d’associations inconscientes jusqu’à la reconnaissance d’un désir refoulé ; la conscientisation de ce désir inconscient permet alors la disparition des symptômes que produisait son insistance à contourner la censure pour accéder, sous une forme ou une autre, à la satisfaction. Ces résultats ont conduit Freud à se demander dans quelle mesure les tendances et mécanismes de l’activité de pensée dégagées de l’analyse des névrosés diffèreraient - ou non - du fonctionnement de l’esprit chez des individus sains.

Or, de nombreuses analyses réalisées sur des personnes dites non névrosées (dont son auto-analyse) ont également mis en évidence l’existence de telles associations de pensée inconscientes. L’interprétation des rêves, publiée en 1900, met en lumière de façon exemplaire la présence d’innombrables éléments refoulés et leur tendance à faire retour, à la faveur d’un relâchement de l’attention, dans le fonctionnement normal de l’esprit. La division du psychisme humain entre conscient et inconscient ne constituerait donc pas à proprement parler un phénomène pathologique ; ou plutôt, ces troubles caractéristiques de la névrose seraient toujours présents, sous une forme plus ou moins exacerbée, dans l’existence de chacun : tout homme nourrirait dans le fond inconscient de sa mémoire de tels désirs refoulés, tendant à échapper continuellement à la censure de sa conscience morale pour accéder à la satisfaction.

Au moment où Freud s’engage dans l’écriture de Psychopathologie de la vie quotidienne, la psychanalyse est encore une discipline nouvelle qui a besoin d’établir sa place dans le vaste champ des sciences humaines. Or cette inscription s’annonce dès le départ compliquée par les oppositions que ses théories fondamentales soulèvent : la mise en lumière de l’existence d’une dimension psychique inconsciente se heurte aux idéaux de pleine conscience, de libre arbitre et de maîtrise de soi.

Freud comprend que la réception de ses thèses dépend étroitement du fait que les individus puissent constater d’eux-mêmes la puissance de détermination de cet inconscient. C’est pourquoi son but est ici « d'attirer l’attention sur des choses que tout le monde connaît et comprend de la même manière, autrement dit de réunir des faits de tous les jours » (p. 169). La vie quotidienne sert à Freud de terrain et de laboratoire pour analyser l’inconscient.

4. Le sens caché des actes manqués

Freud focalise ici son attention sur les troubles survenant fréquemment dans la vie quotidienne. Il propose de les distinguer en trois grands groupes : « le lapsus linguæ avec les formes connexes du lapsus calami, du lapsus de lecture, du lapsus auditif ; l’oubli […] ; enfin, le geste manqué ». Souvent d’apparence anodine, ces troubles survenant de manière non intentionnelle nous frappent parfois par leur caractère circonstancié et par leur résonance avec nos pensées intimes, de sorte que nous pouvons alors être portés à croire en l’existence d’une causalité externe (c’est ce que nous appelons par exemple le destin). Plus la puissance d’évocation de ce qui advient à priori hors de toute intentionnalité est grande, plus nous tendons à lui attribuer un sens caché. Nous doutons ainsi du caractère inintentionnel de ces étranges concours de circonstances, par trop favorables ou défavorables à la réalisation de certains projets.

Le fonctionnement de l’esprit humain est tel que nous sommes disposés à reconnaître, tel le paranoïaque ou le superstitieux, l’existence d’une signification cachée derrière toute chose. Le paranoïaque exclut ainsi fondamentalement de sa représentation du monde et de son interprétation des événements l’idée de hasard : « Tout ce qu’il observe sur les autres est significatif, donc susceptible d’interprétation » (p. 273). L’homme mystique ou superstitieux interprète les rapports de causalité qu’il perçoit entre les événements comme provenant de sources extérieures : il se représentera une puissance, des lois, une réalité suprasensible. Le psychanalyste lui-même est d’ailleurs porté à rechercher dans les phénomènes d’apparence anodins les signes de l’existence d’un sens caché.

Mais à la différence du superstitieux, il ne pense pas que la détermination de ces événements provienne d’une intentionnalité externe à la vie humaine ; à la différence du paranoïaque, il ne se représente pas non plus que cette vérité latente (en attente d’être révélée par l’interprétation) constitue un message qui lui est personnellement adressé par des forces extérieures. La vérité que le psychanalyste reconnaît et cherche à interpréter dans ce qui survient comme par hasard est de nature subjective ; elle est la vérité du discours de l’inconscient : « Je crois qu’une manifestation non intentionnelle de ma propre activité psychique me révèle quelque chose de caché qui, à son tour, n’appartient qu’à ma vie psychique ; je crois au hasard extérieur (réel), mais je ne crois pas au hasard intérieur (psychique) » (p. 275).

5. Oubli, lapsus, actes manqués

L’analyse du phénomène de l’oubli permet dans un premier temps à Freud d’exposer ses théories fondamentales sur le fonctionnement de la mémoire, et ce concept clé dans la compréhension des névroses qu’est le refoulement. Le psychisme est selon lui un appareil de mémoire organisé en différentes instances : le conscient, le préconscient (le souvenir qui est susceptible de revenir immédiatement à la mémoire) et l’inconscient refoulé (les souvenirs empêchés d’accéder à la conscience en raison de l’affect de déplaisir qui leur est associé).

Ce qui est refoulé tend continuellement à revenir à la conscience sous des formes substitutives, déguisées : ce sont des formations de compromis entre l’impériosité des désirs inconscients et les exigences de la conscience. Les symptômes sont liés au retour du refoulé qui détourne la pensée de son cours initial pour affirmer une vérité inconsciente ou réaliser un désir interdit. Le phénomène de l’oubli manifesterait ainsi la vigilance de l’instance de censure au travail associatif de l’inconscient : les éléments qui ont été repérés comme retour substitutif du refoulé sont systématiquement écartés de la conscience.

C’est ainsi que Freud explique l’oubli passager de mots, de suites de mots ou même d’un projet : une idée est refoulée en tant qu’elle est liée à un élément contrariant. A la place de ce dont nous voulons nous rappeler nous apparaissent alors souvent d’autres choses, de faux souvenirs qui sont également en association avec les contenus refoulés, mais de façon si lointaine qu’ils parviennent à franchir la barrière du refoulement : nous éprouvons alors parfois un vague sentiment de déplaisir, une tension, une angoisse dont nous ne parvenons pas à situer l’origine. De la même façon s’interprète le phénomène si répandu du lapsus : un mot, ou une suite de mots se substitue(nt) dans le discours à un(e) autre. Ce phénomène trahirait l’existence de non-dit, de préoccupations intimes, ou d’un conflit intrapsychique entre certaines déterminations inconscientes et notre volonté consciente.

De la même façon, les actes symptomatiques, accidentels ou « manqués », serviraient également à exprimer des tendances inconscientes ou refoulées à la faveur des relâchements de notre attention : cela peut par exemple être la conséquence d’une hostilité contre soi-même ou autrui, manifeste lorsque nous (nous) blessons inintentionnellement, ou brisons par inadvertance un objet auquel nous sommes attachés.

6. Un déterminisme psychique absolu

La dernière partie de l’ouvrage conclut cette étude par un questionnement général sur la portée de ses résultats. L’analyse de ces nombreux exemples a en effet permis à Freud de mettre en évidence l’existence d’une puissance de détermination inconsciente dans le fonctionnement normal de notre pensée et jusque dans les actes d’apparence anodine que nous réalisons dans notre quotidien. Elle a fait également apparaître la créativité et l’ingéniosité qui caractérisent le travail de l’inconscient ; les mécanismes et processus psychiques qui se révèlent par l’interprétation de ces phénomènes nous surprennent en effet fréquemment par leur complexité, dont celui du rêve est probablement la manifestation la plus exemplaire ; par différents mécanismes, celui-ci parvient à rassembler et condenser des éléments issus de sources très différentes en un seul et même produit : le contenu manifeste du rêve.

Le fait que l’analyse d’exemples si nombreux et différents ait permis, chaque fois, l’identification de processus inconscients déterminants, dispose Freud à conclure en l’existence d’un déterminisme psychique absolu : les actes « en apparence non intentionnels sont en fait parfaitement motivés et déterminés par des raisons qui échappent à la conscience » (p. 257). Il n’y a pas selon lui d’arbitraire dans la formation d’une parole ou d’une pensée, pas de geste qui ne procède fondamentalement d’une intention. Les valeurs qui déterminent nos actions proviennent de sources psychiques différentes – le conscient et l’inconscient – qui peuvent coïncider dans une même orientation, mais entrent aussi fréquemment en conflit et se traduisent alors par des discordances entre volonté et impulsion inconsciente à agir : ce sont les lapsus, les maladresses, les actes manqués.

Freud considère ainsi que les situations qu’il décrit ne se pas rapportent à des cas isolés mais mettent au contraire en lumière des caractères généraux. Mais considérant les oppositions qui ne manqueront pas de se manifester en réaction à ses conclusions (« tout cela est peut-être vrai pour certains, mais pas pour moi »), la posture de Freud se maintient dans l’ouverture : cette étude ne peut bien évidemment prétendre à l’exhaustivité. Par ailleurs, le fait que l’on parvienne à retrouver le sens caché de ces phénomènes par l’analyse ne peut non plus être assuré : la psychanalyse n’est ni miraculeuse ni oraculaire et certaines résistances, s’opposant au passage des éléments refoulés à la conscience, peuvent être très difficiles, voire impossibles à faire tomber.

7. Conclusion

Écrit à destination d’un large public, cet essai vise à accréditer l’hypothèse de l’existence de processus psychiques inconscients par l’analyse d’anecdotes et d’exemples ordinaires, dont chacun a pu faire l’expérience. Freud y montre que les oublis, maladresses, lapsus et accidents qui se produisent dans la vie de tous les jours peuvent être interprétés en remontant les associations logiques formées par le travail de l’inconscient.

Les souvenirs qui ont été refoulés (idées ou désirs interdits par notre conscience morale) tendent en effet à resurgir dans notre vie psychique pour réaliser leurs déterminations. L’inconscient travaille en établissant des analogies et des rapports d’association entre des impressions, des mots ou des idées. Il cherche à trouver les voies substitutives pour se manifester au-dehors sous des formes déguisées à la conscience, ce qu’il ne parvient à réaliser vraiment qu’à la faveur de circonstances particulières : une situation anxiogène, un état de fatigue, un relâchement passager de l’attention, etc.

L’insistance et l’ingéniosité de l’inconscient sont telles que ses valeurs orientent toujours, d’une façon ou d’une autre, l’ensemble de nos pensées et de nos actions. Nos représentations de la réalité sont elles-mêmes produites par ces associations inconscientes : c’est en raison du déterminisme qui nous anime que nous éprouvons le sentiment que notre existence à du sens, et que les événements qui nous arrivent se situent dans une continuité. Notre inconscient parait ainsi disposer d’une capacité infinie à produire du sens. Pour cette raison, conclut Freud : « Je pense […] que pour une bonne part la conception mythologique du monde, qui anime jusqu’aux religions les plus modernes, n’est autre chose qu’une psychologie projetée dans le monde extérieur. » (p. 276).

8. Zone critique

Psychopathologie de la vie quotidienne figure parmi les essais les plus connus et les plus accessibles de l’œuvre freudienne. Il a connu une réception très favorable et a rapidement été traduit dans de nombreuses langues : sa publication a donc été essentielle dans la diffusion des théories psychanalytiques.

Par ses grandes qualités pédagogiques et sa clarté conceptuelle, il constitue une excellente introduction à l’œuvre freudienne et plus largement à la psychanalyse. Il permettra au lecteur non spécialiste de se familiariser à la fois avec les concepts fondamentaux et avec la méthode d’investigation particuliers à cette discipline.

9. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Psychopathologie de la vie quotidienne [1901], Paris, Petite bibliothèque Payot, 1979.

Du même auteur– L’interprétation des rêves [1900], Paris, PUF, 1967.– Cinq leçons sur la psychanalyse [1910], Paris, Petite Bibliothèque Payot, 1998.

Autres pistes– Paul-Laurent Assoun , Introduction à l’épistémologie freudienne, Paris, Payot, 1991.– Michelle et Vincent Chalmeton , Sigmund Freud: la vie et oeuvre 1856-1939, Ed. Economica, 2005.– Marie-Jean Sauret, Freud et l’inconscient, Editions Milan, coll. « Les essentiels Milan », 1999.

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