dygest_logo

Téléchargez l'application pour avoir accès à des centaines de résumés de livres.

google_play_download_badgeapple_store_download_badge

Bienvenue sur Dygest

Dygest vous propose des résumés selectionnés et vulgarisés par la communauté universitaire.
Voici le résumé de l'un d'entre eux.

Les Habits neufs du président Mao

de Simon Leys

récension rédigée parArmand GraboisDEA d’Histoire (Paris-Diderot). Professeur d’histoire-géographie

Synopsis

Société

L’ouvrage est une chronique de la « Révolution culturelle » (1966-1969) par un jeune sinologue catholique souverainement agacé par l’engouement des intellectuels français pour le maoïsme. Cette doctrine est celle de Mao Zedong, dirigeant chinois communiste qui, ayant pris le pouvoir après en 1949 à la faveur de la défaite du Japon et de la guerre civile, devait le conserver jusqu’en 1976, après avoir bouleversé son pays en y introduisant les buts et les méthodes du stalinisme. Point central de la doctrine : la lutte des classes continue même en régime socialiste, et les dirigeants de tels régimes doivent donc soulever régulièrement les masses pour balayer les oppositions et établir la collectivisation et les communes populaires, seul vrai gouvernement du peuple.

google_play_download_badge

1. Introduction

Écrit à chaud en 1966-1967 dans la colonie anglaise de Hong Kong, l’ouvrage de Simon Leys est depuis longtemps passé à l’état de « classique » de la Révolution culturelle chinoise, cette ultime tentative de Mao Zedong. À l’époque, les spécialistes occidentaux de la Chine, ou bien ne parlaient pas chinois, ou bien étaient aveuglés par la maophilie ambiante. Trompés par les mots de l’habile propagande de Pékin, ils pensaient que cette révolution était authentiquement révolutionnaire et réellement culturelle, qu’elle constituait une véritable prise de pouvoir par les masses.

Pour Simon Leys, cette « révolution » n’aura été que d’apparence. Ni culturelle, ni révolutionnaire, elle n’aura été que le prétexte d’un Empereur ne supportant pas d’être devenu un fantoche pour, en fin stratège dénué de scrupules, soulever les masses, plonger le pays dans le chaos et reprendre le pouvoir via une armée qu’il avait auparavant façonnée pour être son instrument, et qui était le dernier rempart devant la guerre civile. Et c’est ainsi que la dernière tentative en date pour appliquer le programme de la Commune de Paris tourna à la comédie, mais comédie sanglante, car il fallut bien réprimer ces foules de dangereux Gardes rouges que l’on avait lâchés sur le pays.

2. Fin de règne prématurée

À la veille de la Révolution culturelle, Mao préside toujours le Comité central, ce qui lui donne une tribune, de laquelle il peut lancer toutes sortes de harangues et de mots d’ordre révolutionnaires, mais il n’a plus aucun pouvoir réel depuis qu’en 1959, à la conférence de Lushan, il a été violemment critiqué, et avait dû pour s’en sortir livrer les clefs du pouvoir à son fidèle serviteur Liu Shaoqi.

Or, ce dernier est avant tout un pragmatique, sans cesse confronté aux limites et aux impossibilités que le réel oppose aux lubies de son maître. Il préside le Parti, dont Deng Xiaoping est le secrétaire général. Pour eux, « peu importe que le chat soit blanc ou noir, pourvu qu’il attrape la souris ». Autrement dit, l’essentiel, c’est de développer la Chine, et peu leur importe que ce soit par des moyens capitalistes ou selon l’orthodoxie marxiste-léniniste. Sur ce point, ils sont en opposition avec Mao, et l’affirmation de Leys selon laquelle Liu n’aurait jamais été qu’un exécutant sans relief paraît pour le moins discutable. Pour Mao, la lutte des classes existe bel et bien dans le nouveau régime, et elle est le moyen par lequel on passera du socialisme au communisme. D’où son entêtement à soulever les masses contre les bureaucrates, les experts et autres techniciens, tous vus comme autant d’agents de la réaction.

Sûrs d’eux, tant fut jusque-là couronnée de succès leur tactique d’enterrer dans les sables toutes les initiatives farfelues de leur génial Président, les « technocrates » avancent leurs pions. En 1959-1962, à la faveur d’une sorte de libéralisation intellectuelle instrumentalisée par Liu Shaoqi, les critiques pleuvent sur Mao.

On le compare à un Empereur de l’ancien régime, incapable de tolérer les critiques et sourd aux cris de désespoir du peuple écrasé par les extravagances du Grand Bond en avant (1958-1960), cette tentative d’introduire à la campagne le socialisme et la collectivisation pour rattraper les nations occidentales sur le plan de la production, mais en faisant confiance au génie intrinsèque que Mao prêtait au peuple, ce qui se traduisit par des erreurs techniques considérables et une désorganisation massive du pays qui déboucha sur la catastrophe économique et la famine.

3. Stratégie

Mais Mao, il l’a prouvé durant la guerre civile, est un stratège de très grand talent, et c’est ainsi qu’on ne le voit absolument pas venir. Tandis qu’il semble définitivement privé de son pouvoir de nuisance, confiné dans un rôle d’apparat servant à donner au régime sa légitimité, il forge les outils de sa « révolution culturelle ». Pour cela, il dispose de deux atouts, sous la forme de deux hommes, derniers membres du Comité central qui lui soient dévoués. Le premier est Zhou Enlai, grand maître de la bureaucratie, fidèle parmi les fidèles. Le second est Lin Biao, le ministre de la Défense, qui « s’emploie à développer les milices populaires et implante la base idéologique de la “guerre populaire”», colonne vertébrale de la révolution à venir.

Tout commence sur le plan idéologique, ce qui est facile et, selon Leys, totalement arbitraire, car, affirme-t-il : « la ligne du Parti ayant à fluctuer selon les exigences du moment, il est toujours aisé de se débarrasser du fidèle serviteur sur la base même de ses services passés ». Il s’agit de dénouer le nœud qui enserre Mao depuis la féroce critique dont il a été l’objet lors de la fameuse conférence de Lushan. À l’époque, on s’était servi d’un courageux littérateur, Wu Han, pour lancer la critique de Mao à travers une pièce de théâtre historique. Mao répond sur le même plan. C’est ainsi qu’il fait paraître, à Shanghaï, et non à Pékin, où le pouvoir lui échappe complètement, une critique de ladite pièce.

La chose a l’air anodine. En haut lieu, personne ne s’inquiète : Mao veut lancer une « révolution culturelle » et épurer les milieux culturels ? Qu’à cela ne tienne. On nomme derechef une commission ad hoc, et on la fait présider par l’un des principaux accusés. Mais ça ne prend pas. Mao ne se laisse pas faire, cette fois, et redouble ses attaques, toujours par voie de presse. L’armée et la police se joignent à lui, grâce au réseau d’amitiés qu’il s’était conservé. Cependant, Deng Xiaoping et Liu Shaoqi pensent que ce n’est pas grave. L’incendie est confiné aux étages inférieurs de la hiérarchie : le pouvoir est verrouillé. Mao ne peut rien faire de plus. Comme auparavant, l’objectif est d’enterrer progressivement la poussée de fièvre maoïste.

Grave erreur, car Mao, affirme Leys, est prêt à tout pour récupérer le pouvoir, même à saborder le Parti communiste, et c’est ce qu’il va faire. Comme le Parti résiste, il fait appel, contre lui, aux masses révolutionnaires et à la jeunesse enrégimentée dans les Gardes rouges. Or, et c’est là, pour Simon Leys, que réside cet effroyable cynisme de Mao qu’en Occident on ne veut pas voir : cette bureaucratie contre laquelle il soulève le peuple, c’est la sienne, et il n’aura de hâte que de la remettre en place dès qu’il aura recouvré la réalité du pouvoir. Que ce soulèvement corresponde aux idées de Mao sur la continuation de la lutte des classes en régime socialiste, cela ne trouble pas Simon Leys : son livre est une charge contre les maoïstes germanopratins qui ne connaissent rien à la Chine et que le catholique qu’il est ne peut qu’abhorrer. Telle est la loi de la polémique, qu’elle laisse parfois la passion prendre le pas sur la rigueur.

4. Anarchie

En quelques semaines, c’est toute la Chine qui plonge dans le chaos. L’idée initiale, c’est de renouveler dans tout le pays l’expérience de Shanghaï. Là, les Gardes rouges, c’est-à-dire la jeunesse, ont pris le pouvoir et proclamé la Commune, à l’exemple de celle de Paris. Mais cela ne fonctionne pas. Si, partout, les Gardes rouges maoïstes prennent effectivement les armes, les autorités locales font de même, et nomment leurs troupes identiquement : partout, des Gardes rouges affrontent des Gardes rouges et, pour comble de confusion, tous sans exception se réclament du président Mao.

Devant les excès de cette révolution prolétarienne menée par une jeunesse fanatisée, Mao proclame une nouvelle politique. Partout, dit le génial Président, les Gardes rouges doivent s’unir à l’Armée populaire et aux Cadres locaux, qui sont, dans leur grande majorité, récupérables. Interprétation de Simon Leys : Mao donne, de fait, tout pouvoir à l’Armée, seule autorité constituée dans le pays depuis l’effondrement du Parti, effondrement qu’il suppose plus qu’il ne le démontre. Les révolutionnaires authentiques, nombreux et enthousiastes, sont les dindons de la farce : partout, l’armée les réduit au silence et les passe par les armes. Le processus dure longtemps, car Mao continue à avoir besoin d’eux comme contre-pouvoir. Finalement, il les enverra à l’armée, pour renforcer la défense nationale contre le risque d’intervention soviétique, et dans les champs, afin que les paysans les rééduquent.

La situation est dramatique : la Chine a perdu son épine dorsale, le Parti. L’armée n’est pas outillée pour encadrer réellement la population. Fatalement, sa répression est militaire, toute extérieure, brutale et sans prise sur les esprits. Pékin ne contrôle plus grand-chose et les Commandants militaires régionaux se comportent en véritables féodaux semi-indépendants. Au Xinjiang, au Tibet et dans quelques autres régions, ce sont les pires ennemis des Gardes rouges qui ont le pouvoir.

Du fait de l’anarchie, c’est la personne de Mao qui devient le dépositaire de toute autorité, et le culte de la personnalité connaît alors un regain extraordinaire : on doit au « grandiose Président » une obéissance absolue, même quand on ne comprend pas. La continuité de l’État devant être prévue, il apparaît, comme dans les monarchies, la figure du Dauphin : c’est Lin Biao.

Enfin, puisque les élites sont limogées, le comité central se réduit à quelques membres, parmi lesquels l’épouse et le gendre de Mao. Le pouvoir, qui repose sur une très faible base, est encore fragilisé par la lutte des deux factions qui le composent : les survivants du Groupe de la Révolution culturelle et le complexe militaro-bureaucratique (Zhou Enlai et Liu Biao) qui parvient peu à peu à l’hégémonie, à la fois comme rempart contre l’agitation de l’extrême gauche et comme garantie contre une éventuelle agression soviétique et américaine.

5. Conclusion

Ainsi, pour Simon Leys, la Révolution culturelle chinoise fut une parodie de Révolution, d’autant plus hystérique qu’elle était fausse, conçue d’emblée dans l’unique but de rendre à Mao son pouvoir, avec pour résultat d’éliminer radicalement de la société les éléments authentiquement révolutionnaires, tout en assurant à l’armée et à la bureaucratie un avenir radieux.

Reste à expliquer le succès populaire et la fonction du maoïsme et de la Révolution culturelle. Simon Leys n’explique pas le succès, et c’est une faiblesse de son travail, qui est davantage un brillant pamphlet contre la maolâtrie occidentale des Sartre, Foucault et autres Glucksmann, que sur l’explication historique proprement dite. Par contre, en ce qui concerne la fonction du maoïsme dans la Chine contemporaine, Simon Leys nous donne une clef : Mao jouerait dans la Chine nouvelle le même rôle que Confucius dans l’ancienne. D’ailleurs, ils se ressemblent. Tous deux éprouvent une méfiance radicale envers les experts et autres spécialistes.

Tous deux croient en la perfectibilité de l’homme et dans les vertus illimitées de la pédagogie. Tous deux furent récupérés par la bureaucratie, et rendus inoffensifs du fait même de leur divinisation. Et ainsi nous pouvons commencer de comprendre ce paradoxe écrasant de la Chine contemporaine, à la fois centre du capitalisme mondial et siège du plus puissant Parti communiste qui soit : on encense le maître dans l’exacte mesure où l’on veut se débarrasser de son enseignement.

6. Zone critique

Quand l’ouvrage de Leys paraît, à Paris c’est l’indignation. Comment, un jeune inconnu se permet d’égratigner la statue du génial dirigeant chinois qui ose continuer la révolution alors que les Soviétiques ont tout abandonné ! Pour les nombreux intellectuels communistes français que mai 68 a excités au possible et que le socialisme « tranquille » de l’URSS ne peut satisfaire, c’est indécent. On reproche à Leys d’être un agent de l’impérialisme américain et de ne rien connaître à son sujet (alors qu’il parle chinois, lit toute la presse, vit à Hong-Kong et s’est rendu en Chine populaire). En fait, c’est un écrivain catholique, influencé par Chesterton et par Orwell, pour qui le maoïsme est un culte et une idolâtrie qu’il se doit de combattre, sans pour autant mettre sa foi en avant. Combat gagné : aujourd’hui, plus personne n’ose nier les crimes du maoïsme au pouvoir.

Cependant, on peut se demander si la Révolution culturelle peut se ramener, comme il l’affirme dans le feu de la polémique, à n’avoir jamais été qu’une prise du pouvoir ? À croire Mao, elle consistait à arracher les racines du révisionnisme dans le monde petit-bourgeois de la culture et à réduire au silence ceux parmi les dirigeants chinois qui s’opposaient à la collectivisation. À ce compte-là, force est de constater que Mao a atteint ses objectifs. Dans le monde de l’enseignement, la Révolution culturelle a véritablement fait table rase. En 1969, l’université n’était plus qu’un aimable forum, où les cours avaient été remplacés par de libres discussions, les cursus raccourcis, les agronomes professionnels remplacés par de vieux paysans.

Quant aux ennemis de la collectivisation, Mao les avait disgraciés ou envoyés en masse à la campagne, avec les Gardes rouges dont l’agitation était devenue nuisible, pour se faire rééduquer par les paysans. Bref, si la Révolution culturelle a été une prise de pouvoir, il n’est pas non plus insensé de penser qu’elle correspondit aux véritables et sincères aspirations du communiste Mao. Car, après tout, elle fut une authentique tentative de faire dépérir l’État : c’est justement ce qui provoqua le chaos et l’emprise subséquente et redoublée du Pouvoir. Or, c’est là exactement le programme communiste. En un sens, on ne saurait être plus conséquent.

7. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Simon Leys, Les Habits neufs du président Mao, dans Essais sur la Chine, Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquin », 2012 [1971, Champs Libres].

Du même auteur– Essais sur la Chine, Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2012.

Autres pistes– Roderick Mc Farquar et Michael Schoenhals, La Dernière Révolution de Mao, Paris, Gallimard, 2009.– Jiang Hongsheng, La Commune de Shanghai, Paris, La Fabrique, 2014.

© 2021, Dygest