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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

Rêver l’obscur

de Starhawk

récension rédigée parColine GuérinDiplômée d'un master 2 en sociologie (EHESS).

Synopsis

Société

Trois ans après la parution de The Spiral Dance en 1979 (qui était un guide pratique de magie féministe), Starhawk publie Dreaming in the Dark qui cette fois-ci, tente de relier plus explicitement le spirituel au politique. Starhawk est à la fois une sorcière et une activiste écoféministe. Elle a participé à la plupart des mouvements antinucléaire et antimilitariste depuis les années 1970 sur la côte ouest-américaine. Dans cet ouvrage, elle entremêle théorie de la magie et politique ainsi qu’exercice pratique individuel et de groupe pour activiste à des exercices de magie. En complément, elle développe « le terreau » historique qui l’a mené à la religion de la Déesse et à l’action directe féministe et non violente : la chasse aux sorcières et l’expropriation des terres paysannes (enclosure ou disparition des communs). Ce qui lie tous ces éléments, c'est le pouvoir. Starhawk nous propose de penser et d’expérimenter une autre forme de pouvoir (le pouvoir-du- dedans) afin d’honorer la vie, de transformer la société et nous-mêmes.

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1. Introduction

Rêver l’obscur est un livre sur le pouvoir et sur la « vieille religion », la religion wicca plus connue en France sous le terme « néopaganisme » ou « religion de la Déesse ».

Dans cet ouvrage, Starhawk raconte l’histoire de celles et ceux qui ont survécu à l’histoire du patriarcat. En d’autres termes, elle dépeint l’histoire du patriarcat comme l’acharnement à briser le lien entre l’esprit et la chair, la culture et la nature, l’homme et la femme et ce, notamment pendant la chasse aux sorcières entre le XVIe et le XVIIe siècle.

Pour l’autrice, celles et ceux qui ont survécu (practien.nes de la magie) se rendent comptent aujourd’hui que « notre rapport froid et mécaniste au monde » n’est pas si riche, qu’il manque quelque chose pour se sentir bien.

Starhawk se base alors sur ses expériences d’activiste féministe et écologiste sous l’ère Reagan ainsi que ses expériences dans les différents covens (groupe de sorciers) auxquels elle a appartenu.

La question de l’obscur (nos peurs par exemple) incarne le fil rouge de l’ouvrage. Starhawk nous invite à penser et vivre l’obscur comme processus, comme manière d’accéder au changement. Alors, Starhawk se demande comment effectuer ce changement pour l’immanence ?

2. Le temps des bûchers – se (re)connecter au passé

Pour Starhawk « le passé vit dans le présent ». Dès lors, pour raconter l’histoire du patriarcat et tenter de s’en émanciper, il faut se réapproprier nos héritages. Starhawk s’intéresse particulièrement à l’Inquisition qui a eu lieu en Europe au XVIe et XVIIe siècles. C’est à cette époque que les terres des paysans autrefois cultivés collectivement sont « mises en clôture » (enclosure). Cette période marque les débuts du capitalisme, système économique dans lequel la recherche du profit devient l’objectif premier.

À ce moment, les individus voient leur force de travail atomisé (par exemple, la paysannerie est remplacée par l’élevage de moutons, les ateliers de filature jadis dans les maisons deviennent des usines de textile). Les couches les plus pauvres de la population et les marginaux doivent être de plus en plus mobiles et précaires pour travailler. Ce processus d’appauvrissement contribue à détruire le sentiment de communauté. De nouveaux boucs émissaires apparaissent : les guérisseurs et guérisseuses, les vieilles femmes et les femmes seules.

En tant qu’Américaine blanche d’origine européenne, Starhawk reconnaît son héritage culturel à travers cette histoire. Elle sent « celles qui ont brûlé » il y a plusieurs siècles. Sa pensée et sa pratique repose sur le « terreau » de cette histoire de persécution des sorcières. Selon elle, la chasse aux sorcières est liée à trois processus enchevêtrés : « l’expropriation de la terre et des ressources naturelles, l’expropriation du savoir, et la guerre contre la conscience de l’immanence, inhérente aux femmes, à la sexualité et à la magie. » (p.281). Alors, les tâches nourricières assignées aux femmes sont dévalorisées ; leurs corps, la nature et l’ensemble du vivant deviennent des objets à contrôler.

3. Pouvoir-sur et pouvoir-du-dedans

Cet ouvrage traite principalement de la notion de pouvoir. Pour Starhawk, depuis l’Inquisition, la plupart des sociétés occidentales se sont structurées autour du « pouvoir-sur ». Le pouvoir-sur incarne tous les processus de dominations inhérentes aux différentes institutions de la société, qu’elles soient religieuses, scientifiques, politiques ou familiales.

Le pouvoir-sur est devenu quasiment hégémonique à travers le résultat d’un long processus historique que l’autrice appelle « mise à distance ». La mise à distance est la manière dont nous percevons le monde comme extérieur à nous et à la vie. Elle incarne la dévalorisation du vivant et la domination de l’homme sur la nature (un arbre sacré devient un arbre à abattre). Le pouvoir-sur produit alors un pouvoir d’exclusion d’une partie de l’humanité (esclaves, femmes, personnes racisées etc.) et de hiérarchisation des êtres vivants.

Starhawk se demande alors comment renverser non pas ceux qui sont au pouvoir actuellement mais le pouvoir sur qui tient cette structure. Pour la sorcière féministe, tout n’est pas perdu car il demeure quelques poches de résistances dans la société où le pouvoir-du-dedans est encore palpable. Le pouvoir-du-dedans incarne l’immanence, le pouvoir de la Déesse et du vivant.

La Déesse est l’image normative de l’immanence qui combat la mise à distance. Starhawk invite à (re)trouver le pouvoir-du-dedans en nous. Pour elle, la magie est l’art de changer la conscience à volonté. La magie porte en son cœur un paradoxe : « la conscience donne forme à la réalité ; la réalité donne forme à la conscience » (p.52).

4. Vivre avec la magie ou l’art de s’émanciper

Pour Starhawk, la conscience est partout mais nous ne la voyons pas. Les structures hiérarchiques présentes dans les organisations politiques (comme un parti), la religion (comme l’Église catholique), l’économie (comme une entreprise) et même des groupes moins formels (comme un groupe politique affinitaire) sont toutes façonnées par le pouvoir-sur. Ces structures créent à leur tour des structures en nous et il peut sembler difficile de s’en défaire. Par la magie, Starhawk propose une circulation différente de l’énergie afin d’inventer des structures qui ne seraient pas basées sur le principe de hiérarchie.

Une manière de se défaire de ces structures est de déconstruire les récits qui en sont porteurs. Starhawk dépeint alors les principaux récits que nous intériorisons tels que : le récit de l’apocalypse, le récit des bons garçons et des mauvaises filles, le récit de l’homme élu, et celui du rêve américain.

En parallèle, l’autrice insiste sur l’importance du langage. Pour elle, en prenant connaissance des mots pour nommer, nous pouvons nous réapproprier certains mots du langage de « la mise à distance » pour trouver le pouvoir-du-dedans. Par exemple, le mot sorcière est souvent connoté négativement car il soulève des peurs. Se le réapproprier peut nous aider à transformer ses peurs, à accéder à nos sentiments profonds dont la culture patriarcale tente de nous séparer.

La magie est basée sur l’éthique de l’intégrité et sur la cohérence de nos actes. C’est l’idée de ramasser une cannette de bière dans la nature non pas par culpabilité ou injonction mais par fierté et pouvoir d’agir. Si nous adoptions cette éthique, nous préférerions élaborer des projets coopératifs plutôt qu’accepter des projets industriels dévastateurs. Starhawk ne croit pas que toute l’humanité va adopter cette éthique de l’immanence mais elle encourage à le faire dans sa propre vie, avec ses groupes.

5. Se guérir et (re)trouver du pouvoir

La magie incarne une volonté de trouver le pouvoir-du-dedans et donc, de retrouver notre capacité de nous engager dans la vie et d’arrêter de nous en retirer. Pour expliquer notions et pratiques qu’elle met en place dans son travail de réparation, Starhawk prend l’exemple du « voyage de Joy », une amie qu’elle a accompagnée vers son pouvoir intérieur par la trans. Lors de cette thérapie, Joy pour rencontrer ces trois différents « Soi » : le soi profond, parlant et jeune et ainsi se réconcilier avec. Ces rencontres aideront Joy à se défaire de la « haine de soi », c’est à dire de la représentation interne du pouvoir-sur.

Joy pourra transformer sa haine d’elle-même en « Gardien » pour que des changements réels dans sa vie apparaissent. Le gardien incarne notre pouvoir de choisir, de dresser nos limites, d’exprimer nos émotions ou de les retenir le moment opportun non pas par culpabilité mais par estime de soir. Le Gardien est un aspect du soi profond : il permet d’en appeler au pouvoir-du-dedans et de nous guérir. Pour Starhawk, nombre de psychiatres et médecins sont les descendants de ceux qui ont brûlé les sorcières, ce n’est donc pas eux qui permettent de guérir. C’est la communauté qui est la guérison ultime : « en donnant naissance au Gardien, nous devenons gardiens – de nous-mêmes, l’une de l’autre, de la communauté de vie (p.127) ».

Aller vers la déesse, c’est chercher son Gardien et réveiller son pouvoir intérieur. Ce travail se fait aussi par la recherche d’une création de nouveaux symboles féminins rompant avec les archétypes dualistes des grandes religions monothéistes. C’est aussi une manière de revaloriser les caractéristiques assignées aux femmes (comme les sentiments, le maternel, le nourricier). Enfin c’est permettre une autre compréhension des déesses dans les mythes. Starhawk reprend les mythes de Artémis, Athéna, Koré, Déméter afin d’illustrer le pouvoir de « la jeune fille ». C’est l’idée que la jeune fille en nous peut nous permettre « d’aller dans l’obscur pour transformer la vie ».

6. Construire la communauté/processus de groupe/ le rituel comme lien, l’action comme rituel

La communauté est au coeur de la pensée et de l’activisme de Starhawk. La communauté s’oppose à la mise à distance. Elle nous reconnecte les uns aux autres. Depuis les enclosures et les brûlages en Europe, on a détruit les communautés. L’idée est d’en reconstruire, car pour Starhawk : « la communauté signifie une force qui rejoint notre propre force pour faire le travail qui doit être fait. Un cercle de guérison. Un cercle d’amis. Un lieu où nous pouvons être libres » (p.153).

Pour construire une communauté, les rituels sont très importants, car ils permettent de lier, de rythmer et de recentrer le groupe. Starhawk propose de pratiquer des rituels au sein des groupes à travers leur structuration, leur routine et les conflits qu’ils traversent. Aussi, pour que les membres d’un groupe trouvent leur pouvoir individuellement et collectivement il est nécessaire de travailler à l’émancipation de la culture du pouvoir-sur. Pour ce faire, Starhawk décrit différents rôles qu’elles pratiquent dans ses groupes : la guetteuse d’ambiance, la prêtresse ou le prêtre, les gardiennes de la paix, la médiatrice et la coordinatrice. Ces rôles permettent de donner une place à chacun et de faire circuler l’énergie. Aussi, elle propose des exercices pratiques comme l’écoute active, les groupes de prises de conscience, les brainstorming, les groupes de partage des sentiments, l’autocritique avec réponse, l’apprentissage d’une prise de décision consensuelle, etc. afin que les groupes se forment à des structures non hiérarchiques.

Enfin, elle décrit différentes positions prises par les membres du groupe, ces positions sont comme des représentations des différents sois qui seront aussi mis au travail pendant la vie du groupe : la louve solitaire, l’orpheline, la demandeuse d’asile, le tas, la princesse, le clown, la gentille fille, la haine de soi, le rocher de Gibraltar et la star.

Les rituels ne constituent pas seulement le groupe, ils constituent l’action politique du groupe. Starhawk décrit plusieurs actions pour expliquer les expérimentations de rituels au sein d’une action comme la Women’s pentagon action, le blocage de Diablo Canyon, l’action devant le Bohemian Club ou bien une action menée en prison.Pour elle, une simple manifestation est un rituel, car elle recoupe des éléments qui se répètent. Le rituel qui a le plus fait connaître Starhawk et qui est aujourd’hui pratiqué par nombre d’activistes et celui de la danse spirale, dans lequel apparaît ce psaume : « elle change tout chaque chose qu’elle touche et chaque chose qu’elle touche change ».

7. Érotiser notre rapport à la politique

Accéder au pouvoir-du-dedans c’est avoir la volonté de transformation. Pour Starhawk le premier des pas pour changer est, comme le dit un proverbe des fées de l’art sorcier : « aimez-vous et vous verrez que le Soi est partout. ». Entre soi et son reflet, il y a souvent un miroir déformant. Ce miroir est façonné par la culture patriarcale. Nos relations intimes comme familiales reflètent la culture patriarcale et cette culture reflète ces relations. Les individus reflètent la structuration familiale que leur soi profond a intériorisée enfant. Ainsi nos âmes adoptent en grandissant des schèmes d’autorité et de domination.

Dans la culture patriarcale, les femmes sont socialisées pour devenir les miroirs passifs reflétant la personnalité des hommes. Les hommes sont socialisés dans la séparation et l’obsession d’avoir un impact sur l’autre. Pour Starhawk, cette dualité amène souvent à la destruction. Elle prend l’exemple du violeur qui ne ressent pas que ce que ressent sa victime. Ainsi, la culture de la mise à distance nourrit le sadisme et le sadomasochisme. Ces rapports de domination ne sont pas seulement présents à travers notre sexualité, mais à travers tous les pans de nos vies (par exemple, les relations hiérarchiques au travail).

Il s’agit alors de transformer notre érotisme, notre sexualité pour accéder au pouvoir-du-dedans. Si l’érotisme guérit la coupure entre la chair et l’esprit, Starhawk se demande si nous pouvons utiliser son pouvoir pour guérir nos propres coupures, pour faire des ponts entre spirituel et politique pour créer une culture en faveur de la vie, mais aussi de la joie.

Pour Starhawk, trop de générations se sont demandé ce que leur politique leur demandait de sentir. Selon elle, nous ferons mieux de nous demander : « qu’est-ce que je désire à la racine, dans mon coeur ? Comment puis-je vivre la politique de manière érotique, afin qu’elle approfondisse ma capacité de joie ? ». Cette manière de penser la politique est dangereuse pour la société patriarcale, car elle la menace radicalement les relations de pouvoirs hiérarchiques. Ainsi, bien des mouvements LGBTQI+ terrifient l’ordre du patriarcat en ce qu’ils bousculent les assignations et rapports de dominations entre les genres.

8. Conclusion

En résumé, nous sommes membres d’une communauté, nous prenons forme par elle et avons la responsabilité de lui donner forme aussi. Nous devons nous honorer nos sentiments, là où nous en sommes, et laisser les autres faire de même. L’idée la plus profonde que porte l’éthique de l’immanence est l’importance de créer de la justice. Pour cela, nous avons besoin d’aimer, car l’amour connecte et transforme. Pour Starhawk, en aimant, nous pouvons transformer le monde.

Pour elle, le mouvement d’amour et sexuel est porté par l’énergie vitale. Cette énergie n’est pas limitée aux êtres humains, mais à tous les êtres vivants qui constituent notre environnement.

9. Zone critique

Cet ouvrage est sûrement devenu best-seller aux États-Unis, car il donne de la puissance au lecteur qui se laissera affecter par la pensée de Starhawk. Les plus cartésiens s’intéresseront peut-être davantage aux passages historiques et aux exercices pratiques à faire seul ou en groupe. Pour les personnes plus enclines aux croyances spirituelles, Rêver l’obscur deviendra peut-être leur livre de chevet. Cet ouvrage bouscule souvent les débats.

Depuis sa traduction en France, militantes féministes, universitaires et artistes en discutent, le défendent ou le rejettent. Une chose est certaine c’est qu’au vu de l’émergence de mouvements écoféministes en France, la pensée de Starhawk continuera à faire entendre parler d’elle pendant un moment.

10. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Rêver l’obscur. Femmes, magie et politique, Édition Cambourakis/ collection Sorcières, 2015.

De la même auteure – Starhawk, The Spiral Dance: a Rebirth of the Ancient Religion of the Great Goddess, Harper and Row, 1979.– Starhawk, Chroniques altermondialistes. Tisser la toile du soulèvement global, Édition Cambourakis/Sorcières, 2016.

Autres pistes– Barbara Ehrenreich, Deirdre English, Sorcières, sages-femmes et infirmières. Une histoire des femmes soignantes, Édition Cambourakis/Sorcières, 2016.– Carolyn Merchant, The death of Nature ; woman, ecology and the scientific revolution, Paperback, 1980.

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