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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

Maurras

de Stéphane Giocanti

récension rédigée parArmand GraboisDEA d’Histoire (Paris-Diderot). Professeur d’histoire-géographie

Synopsis

Histoire

Cet ouvrage est une gageure : il s’agit d’offrir une vision dépassionnée de Maurras, soit d’un homme dont les prises de position feraient toutes, aujourd’hui, scandale. Retraçant chronologiquement le parcours de l’homme, il nous fait découvrir, outre le politicien et le penseur contre-révolutionnaire, un poète tiraillé par les contradictions de son temps et, avant tout, par l’impossibilité de croire quand on a été abreuvé du positivisme le plus pur.

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1. Introduction

Maurras a vécu plusieurs vies : une vie de poète, disciple de Mistral, une vie de de philosophe, tout droit sorti de Comte et de Renan, une vie d’homme politique réactionnaire et une vie d’homme, retranchée, avortée, désordonnée, une vie de libertin. Comme tous les hommes de sa génération, il a grandi dans une France paradoxale : d’une part, abaissée, mutilée, défaite, traumatisée par la déroute de 1870 et la Commune ; d’autre part, centre mondial incontesté des arts et des lettres. Une France majoritairement royaliste qui a fini par accoucher d’une République dominée par la franc-maçonnerie.

Le maurrassisme, nous montre Stéphane Giocanti, est né de la rencontre, en Charles Maurras, de la pensée positiviste et des convictions contre-révolutionnaires. C’est donc un rationalisme et un culte de l’État orienté vers des formes révolues, une synthèse paradoxale dont la tragédie fut d’avoir été constamment défaite sur le plan politique, et la grandeur d’avoir suscité une remarquable postérité littéraire. Ce que l’on a encore pu, récemment, constater : le simple fait d’avoir porté Maurras sur la liste des commémorations nationales de 2018 a, en effet, causé un remarquable scandale.

2. Racines

Charles Maurras a grandi à Martigues, coin de Provence favorisé des dieux, où la République est assimilée au centralisme républicain ennemi des « patois ». Sujet brillant, il tombe tôt sur une influence déterminante, celle du poète provençal Frédéric Mistral (1830-1914). De là une passion, jamais démentie, pour la Provence natale et sa langue d’oc ; et son pendant : une haine implacable pour le centralisme niveleur venu de Paris.

Surtout, le jeune Maurras est soucieux de littérature. S’il se voue à Mistral et au mouvement de la renaissance provençale, il subit aussi l’influence de Lamartine, de Dante, de Verlaine, de Baudelaire, de Poe. Dans cette France fin de siècle, les artistes cherchent à dépasser le romantisme. C’est l’heure du symbolisme, du Parnasse et du naturalisme. Maurras, lui, incline au classicisme, qu’il assimile à la latinité, à la lumière, à la ligne, à la clarté, à la raison, à la France ; et qu’il oppose à l’Allemagne, au romantisme, aux brumes du Nord, à la barbarie. Il cherche, en toutes choses, un équilibre subtil, toujours menacé par les forces de la destruction, qu’il assimilera, après son maître Hippolyte Taine (1828-1893), à la révolution sous toutes ses formes.

La prose et la poésie de Maurras seront ainsi, toujours, extrêmement respectueuses du sens des mots. Netteté des formes, comme dans ces paysages provençaux qui baignèrent ses yeux d’enfant, comme dans son vêtement, toujours impeccable. Ce style fascinera Barrès, Proust, Gide, presque tous les grands noms de l’époque. Mais Maurras n’accouchera d’aucun roman. Car Maurras, tôt, choisit sa voie, qui sera celle du critique.

3. Naissance du maurrassisme

Maurras fut lancé par un prêtre, l’abbé Penon, qui pensait en faire un héraut de la contre-révolution. Or, il ne croyait pas en Dieu. Lecteur de Comte, persuadé que le catholicisme représentait une puissance d’ordre, il ne pouvait cependant se résoudre à en embrasser les dogmes, pas même à croire en Dieu. Alors, l’abbé l’envoya auprès de théologiens qu’il chargea de le convertir. Rien n’y fit.

Après avoir fait ses armes dans la critique philosophique, Maurras se fit un nom, surtout, dans la critique littéraire. À n’en pas douter, son jugement était sûr : c’est lui qui découvrit Proust. Bientôt, le jeune critique devint une plume fort recherchée. Il écrivait de jour comme de nuit, et adopta le mode d’existence bohème. Toujours attaché au provençal, dont il ne cessait de faire la promotion, il s’inquiétait de voir Paris toujours plus écraser sous sa férule les divers peuples dont est composée la nation. Le fédéralisme, décidément, ne semblait pas pouvoir trouver une expression dans cette République fanatiquement une et indivisible.

Quand il découvrit, un jour, ce qu’avaient été les libertés et les franchises de son Martigues natal sous l’Ancien régime ; quand il comprit que toute la France d’avant la République avait été, littéralement, « hérissée de libertés », il conclut naturellement à la nécessité de la monarchie pour la France. C’était en 1895. Le maurrassisme était né : monarchisme moderne, affranchi de la tutelle du catholicisme contre-révolutionnaire.

C’était la synthèse du positivisme et de la contre-révolution, un paradoxe qui dut à la personnalité ardente de Maurras et à ses exceptionnels dons littéraires de séduire une bonne part de l’opinion et de la classe intellectuelle.

4. Dreyfus. Raison d’État

Pour Maurras, les choses sont claires : le capitaine Dreyfus est coupable, l’armée l’a démasqué. L’éventuelle innocence d’un petit capitaine juif ne pèse rien face à la sauvegarde des secrets des services de renseignement.

Chez Maurras, la raison d’État prime sur tout : c’est un grand admirateur de Richelieu, de cette monarchie absolue, qui ne confondait pas le plan de la morale avec celui de la politique, où ne prévalent que les rapports de force : « L’idée du juste n’est pas divine mais humaine. » (Maurras, cité par Giocanti, p. 164). Fidèle à ce principe, il sera un adversaire (au début tout au moins) des aventures coloniales ; non qu’il plaignît le sort des indigènes, mais parce qu’il ne reconnaissait pas la valeur de l’exigence morale qui fondait, pour Jules Ferry, la « mission civilisatrice » de la France.

Mais cette raison d’État n’est pas agressive ou impérialiste. Elle est nationale : mot que Maurras est parvenu à arracher au camp républicain, pour en faire un attribut essentiel de la droite. Maurras cherche l’équilibre, c’est un classique. Équilibre intérieur entre Capital et Travail, qu’il veut harmoniser et non opposer, par un système corporatiste bientôt repris par Mussolini ; équilibre entre les provinces et Paris ; équilibre entre le principe électif et le principe d’autorité ; enfin équilibre diplomatique. Il est à mille lieues de la passion pour la dialectique hégélienne qui fait alors fureur à la Sorbonne.

5. Allemagne

Or, il est pour Maurras une puissance qui est en Europe un facteur permanent de déséquilibre, comme l’est le romantisme en littérature, la Révolution en politique, le grand Capital en économie : c’est l’Allemagne, cette maudite Allemagne qui apparaît, dans le tableau que Maurras brosse de son enfance, comme un cri de douleur dans une mer de tendresse : souvenir de l’invasion de 1870. Cette puissance conjugue et résume, pour lui, tout ce qui est détestable. « J’ai surtout en horreur, écrira-t-il, ces derniers Allemands. L’Infini ! comme ils disent. Le sentiment de l’infini. Rien que ces sons absurdes et ces formes honteuse devraient induire à rétablir la belle notion du fini (…) La divinité est nombre. Tout est nombre, et terminé » (p. 135).

Très tôt, et avec une justesse qui fera de lui, après 1918, un oracle dans la bourgeoisie et les milieux intellectuels, il discerne le danger allemand et sa nature. Militariste, romantique, ennemie de la raison, du génie gréco-latin, que la France aurait pour mission de perpétuer, enivrée par la puissance prométhéenne de son industrie et le poids de sa natalité, l’Allemagne serait, selon Maurras, vouée à vouloir dominer le monde. Elle se pense supérieure. Elle a accouché de la théorie absurde de la race et du sang. Si elle soumet la France, elle soumettra le monde, et c’en sera fini de la civilisation.

Maurras fera tout, durant les deux avant-guerres, pour que la France réarme, et au plus vite. Et qu’elle ne compte pas sur des alliances, la russe comme l’anglaise, qui ne peuvent qu’entraver sa liberté de mouvement. Face à une Allemagne agressive, impérialiste, fourbe et prête aux plus barbares exactions, il entend bien que la France abandonne au plus vite ses naïves illusions démocratiques et internationalistes.

Quitte à écraser au passage d’innocents Dreyfus, il faut sauver la civilisation européenne. Comme chez les léninistes, dont il partage le nihilisme, la fin justifie ici les moyens.

6. Revers

Quand, en 1914, l’ogre allemand fond sur la France, Maurras redouble d’énergie, escamotant la critique contre-révolutionnaire de la levée en masse. Il fait taire ses griefs contre le régime, et se range derrière le gouvernement, prodiguant ses conseils, exhortant sans relâche à l’union nationale. Mais la victoire de 1918 ne fut pas la sienne.

Premier revers : la victoire elle-même, gâchée, selon Maurras et son disciple Jacques Bainville, par l’idéologie républicaine, orientée surtout vers la destruction des régimes d’ordre et des monarchies, le remplacement de ceux-ci par des régimes faibles, proies désignées aux appétits allemands et russes, tandis que la protection de la France n’était assortie d’aucune garantie tangible, l’occupation du Rhin n’étant que temporaire. Deuxième revers, 1926 : L’Église condamne l’Action française. Le lectorat fond, et l’hypothèse d’une restauration monarchique s’éloigne à grands pas. Troisième revers : le Front populaire (1934), accusé de désorganiser le pays et de mener une politique étrangère idéologique, contraire aux intérêts de la France. Quatrième revers : 1936. Échec de la prise du pouvoir par les Camelots du roi, les militants de l’Action française.

Coupable d’amateurisme révolutionnaire, Maurras n’avait rien entrepris pour noyauter les forces de l’ordre. Conséquence de cet échec : nombreuses scissions au sein du mouvement, création de la Cagoule et émergence d’un fascisme français, largement issu des rangs de l’Action française, mais ennemi implacable de cette dernière. Cinquième revers : inaction totale de la République contre Hitler, malgré les objurgations de Maurras. « Monsieur Adolphe Hitler », comme le nomme Maurras, peut tranquillement réarmer ou occuper la Rhénanie. Ces infractions aux traités ne seront pas punies.

7. La chute

Enfin, fatale, prédite par Maurras dans le détail : la défaite. Ici commence la tragi-comédie effroyable, celle d’un vieillard sourd, prophète inécouté, comme il se doit, qui devient la caution idéologique d’un autre vieillard, Pétain. Anti-allemand, Maurras continue à publier son journal, mais il est seul à la barre, les autres grandes plumes du mouvement étant soit mortes, soit gagnées à la résistance (Boutang) ou à la collaboration active (Rebatet). Il est peu et mal informé. Les Allemands le censurent, si bien que les paragraphes, les phrases où il se déchaîne contre eux ne paraissent pas (ou paraissent, mais sous forme de paraboles et d’énigmes que tous ne saisissent pas), tandis que paraissent (et sont relayés par la radio), les textes où il s’en prend aux Juifs et aux résistants, communistes et gaullistes, considérés comme autant de félons ébranlant l’autorité d’un maréchal qui seul peut assurer l’unité et le redressement national, en vue d’une future revanche.

Pathétiquement, enfermé dans ses slogans et ses haines, Maurras ne se rend pas compte que le salut viendra de Russie, d’Angleterre et d’Amérique. Il se trompe d’ennemi, radicalement, exige la mort pour les « terroristes », comme il appelle ces résistants qui ne craignent pas d’assassiner les Allemands dans la rue. Il va même jusqu’à exiger l’exécution d’otages, c’est-à-dire d’innocents. Par un renversement ahurissant, le pourfendeur extralucide de la barbarie nazie s’aligne sur les méthodes de ses ennemis. Résultat : cet homme, qui avait pourtant toute sa vie œuvré pour que les Français prennent conscience du danger hitlérien, fut arrêté, vieillard, à la libération, et condamné à la mort (puis gracié) pour haute trahison. Victime expiatoire pour des ambiguïtés qui, au fond, avaient été partagées par bon nombre de Français. Par une stricte et fatale ironie de l’histoire, l’Antifreyfus tomba, comme le capitaine, victime de la raison d’État.

8. Conclusion

Ombre de la République, et fou du roi de la femme sans tête, comme il désignait Marianne, Maurras erre, toujours, au fond de l’inconscient politique français, qu’il n’aura cessé de travailler sourdement. Comment ne pas voir, en effet, que la politique extérieure gaullienne, c’est tout lui, que la décentralisation, c’est lui, que la monarchie élective qu’organisent nos institutions, c’est encore lui ?

Mais ce n’est pas cette postérité que relève Stéphane Giocanti. Littéraire, sensible à l’esthétique un peu corsetée de Maurras, notre biographe est surtout frappé par la postérité et l’importance littéraires de son héros, gardien de la langue, selon Jules Romain, nouveau Virgile selon T. S. Eliot, accoucheur ou incubateur d’une bonne moitié des talents littéraires de l’époque : Drieu la Rochelle, Rebatet, Brasillach, Déon, Boutang, Bernanos, furent tous des collaborateurs de Charles Maurras, et Proust, Gide, Colette et Valéry reconnaissaient son immense talent.

9. Zone critique

Ce qui manque, peut-être, à l’ouvrage de Stéphane Giocanti : essayer de saisir à quoi correspond Maurras, profondément, dans la société française. Le génie, disait Péguy, est l’expression de tout un peuple. De quel peuple Maurras est-il donc l’expression, l’emblème et l’étendard ? Autant de questions que Stéphane Giocanti n’aborde pas : son objet, en dépit des apparences de l’objectivité scientifique reste moral : il s’agit de sauver Maurras de l’oubli en opérant une sorte de repli tactique dans sa défense.

Pour sauver en Maurras le critique du romantisme littéraire et politique qui constitue l’épine dorsale de son œuvre, Giocanti accepte de le condamner sur l’antisémitisme et la haine de la résistance. Mais ce n’est que du bout des lèvres, car aussitôt Giocanti atténue sa condamnation en l’expliquant par l’âge et pas le défaut d’information dont souffrait, ou aurait souffert, Maurras confiné à Lyon. On sent bien, ici, que la critique est commandée par l’esprit du temps, et l’impression générale qui se dégage de la lecture de ce Maurras, c’est qu’il n’est si long que parce que son auteur ne parvient pas à conclure, ou ne s’y autorise pas, préférant se réfugier dans le domaine apolitique de la pure littérature.

Par ailleurs, on regrettera que Stéphane Giocanti n’aborde pas, non plus, la question de la continuation du maurrassisme dans la Nouvelle Droite, elle aussi païenne, elle aussi fédéraliste.

10. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Maurras, le chaos et l’ordre, Paris, Flammarion, coll. « Grandes Biographies », 2008.

Du même auteur– Pierre Boutang, Paris, Flammarion, coll. « Grandes Biographies », 2016.– C'était les Daudet, Paris, Flammarion, 2013.– Une histoire politique de la littérature, Flammarion, Paris, 2009.

Autres pistes– L'Action Française. Culture, société, politique, Villeneuve-d'Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2008.

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