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Guide pratique de l’intelligence artificielle dans l’entreprise

de Stéphane Roder

récension rédigée parRobert Guégan

Synopsis

Économie et entrepreneuriat

L’intelligence artificielle désigne un ensemble de technologies informatiques qui simule les tâches du cerveau. Comme l’électricité au tournant du XXe siècle, cette nouvelle activité numérique annonce une révolution, et l’entreprise n’y échappe pas. Les fonctions métier, les liaisons entre silos, et surtout la façon de concevoir l’activité vont être radicalement transformées par l’IA. Ce n’est pas seulement une option. Le déploiement de l’IA est aussi une nécessité pour survivre à moyen terme et bâtir l’entreprise du futur. Comment s’y préparer ? Comment la mettre en œuvre ? Selon quelles conditions ? Exemples à l’appui, cet ouvrage propose une grille d’analyse et une méthodologie à destination de tous les acteurs concernés.

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1. Introduction

L’intelligence artificielle rassemble toutes les techniques permettant à des ordinateurs de simuler et de reproduire l’intelligence humaine » (p. 12). La notion n’est donc pas nouvelle. On peut même l’assimiler à l’apparition des premiers algorithmes, et rattacher la BI (business intelligence ou informatique décisionnelle) à sa première apparition dans l’entreprise.

Cette intelligence qui se décline en cinq fonctions principales (la perception, la mémoire ou apprentissage, le calcul, les capacités de communication, les capacités d’exécution) est désormais présente dans nombre d’équipements grand public (reconnaissance vocale, traitement automatique des chèques, etc.)

Elle découle d’un changement de paradigme. L’algorithme traditionnel fixait des règles immuables (sous la forme fréquente de « si...alors »). Le machine learning permet aujourd’hui à l’ordinateur d’adapter les règles en fonction des éléments qu’on lui soumet. À partir d’un jeu de données portant sur la surface, l’ancienneté, l’étage, l’arrondissement… il va être capable d’apprendre à estimer le prix d’un appartement parisien. Il remplace donc le raisonnement d’un agent immobilier expérimenté et s’adapte à l’évolution du marché.

Cette capacité d’analyse, qui se passe de modélisation a priori, fonde « 90 % de l’IA de ces dernières années », selon un taux d’erreur que le contexte va considérer comme acceptable ou non. On peut tolérer un taux de 10 % dans la coloration d’un bonbon, mais pas dans la solidité du câble d’un ascenseur. C’est pourquoi le jeu d’apprentissage est fondamental, voire critique, tant par la qualité des données que par la taille de l’échantillon. Cela explique la supériorité des GAFAM, qui s’appuient sur un volume de données considérable.

2. L’IA apprend sans comprendre

Le machine learning, ou apprentissage automatique, intègre des milliers de paramètres et de données. Il dépasse les capacités de l’humain, mais il est soumis à une limite dont il faut avoir conscience : plus on s’éloigne de Paris pour estimer la valeur d’un logement, plus on s’écarte des jeux d’apprentissage. Ce biais peut être critique : une voiture « autonome » a ainsi tué sa passagère, faute d’avoir pu identifier un rail de circulation tordu. Ce dernier était trop « éloigné » du rail standard, objet de l’apprentissage, pour que l’algorithme le prenne en compte.

Plusieurs méthodes d’apprentissage (supervisé, non supervisé) permettent d’assurer la quantité et la validité de la donnée. Mais les data scientists doivent faire les bons choix en termes de features (données d’entrée).

C’est souligner les avantages du deep learning qui s’appuie sur des réseaux de neurones artificiels. Issu de la recherche mathématique, en particulier des travaux de Yann Le Cun, cet « apprentissage profond » peut s’apparenter, en schématisant beaucoup, à du calcul matriciel. L’ordinateur va reconnaître des représentations (images, textes, vidéos, sons) à force de lui montrer de très nombreuses fois. Sous-ensemble du machine learning, le deep learning permet de dépasser l’approche statistique pour offrir des fonctions de prédiction. Des neurones spécialisés se livrent à un premier filtrage, dont le résultat est transmis en entrée à un autre réseau de neurones, etc.

En empilant les couches, on parvient ainsi à distinguer un être vivant, puis un homme, puis un visage... qui sera reconnu par votre téléphone.

3. Une activité repensée

Ce procédé, en particulier s’il est décliné sous forme de réseaux de neurones récurrents (ou NRN), permet d’intégrer des concepts complexes et de prendre en compte les contextes. Le deep learning est donc d’un intérêt considérable pour l’entreprise. On peut l’appliquer, par exemple, à la reconnaissance de zones spécifiques d’un document.

Typiquement une facture, qu’il n’y aura plus besoin de saisir manuellement : elle sera automatiquement intégrée à un workflow classique, après analyse intelligente de ses composants.

Plus qu’un détail, car la saisie comptable représente aujourd’hui 50 % du temps de travail des professionnels. En ne laissant à l’humain que le traitement des cas litigieux, le NLU (Natural langage understanding) met donc un terme à des cauchemars techniques comme le vidéo codage ou l’OCR défaillant. Il signe aussi la fin de l’externalisation via les services de BPO (business process outsourcing, comme les petites mains de Madagascar dans le cas présent). Une solution comme Conciliator, qui avance une réduction des coûts de 40 %, permet de réintégrer de la compétence, et in fine de retrouver la maîtrise de la qualité et de la conformité.

Ce n’est qu’un exemple. L’auteur s’attache à plusieurs métiers ou secteurs qui intègrent ou intégreront l’IA au quotidien : le marketing (où le deep profiling et le social listening signent une véritable révolution : la plate-forme Radarly analyse chaque jour sur le Web 150 millions de conversations dans 78 langues pour les restituer sous forme de tableaux de bord), la fonction achat (à partir des informations du marché, le cognitive sourcing a permis à Air France de réduire de 95 % le temps passé à trouver des fournisseurs), le juridique (par l’analyse automatisée de milliers de jugements, la legaltech permet d’optimiser les stratégies contentieuses et de baisser les frais juridiques de 12 % à la SNCF), les ressources humaines, tant pour le recrutement que pour l’administratif (au Club Med, qui gère 55 000 paies par an dans 66 établissements, les contrôleurs ont gagné 30 % de leur temps, les bulletins ont désormais édités avec un assistant digital), etc.

4. Des revenus en plus

Les fonctions corporate voient donc disparaître des tâches répétitives et sans réel intérêt. Mais ce ne sont pas les seules à être impactées par l’IA. La production est également concernée. Pour accompagner les robots, progressivement (évolution incrémentale), ou pour effectuer des opérations de maintenance, car l’IA sait tirer parti de signaux faibles que l’homme ne peut pas analyser.

Dans le secteur pétrolier, par exemple, Total a équipé ses forages de 30 000 points de données, ce qui permet de détecter des pannes 40 jours à l’avance. L’arrêt d’exploitation n’est plus imposé, il devient programmé, lié à d’autres opérations de maintenance. Airbus, qui, avec la maintenance prédictive, pousse la durée de vie de ses pièces, facture le service de surveillance à ses clients, dégageant ainsi un revenu que l’auteur qualifie de AI first : revenu fondé sur des produits pilotés par l’IA.

Cet exemple montre que les données sont un gisement de valeur pour l’entreprise. Elles lui permettent de se déplacer sur sa chaîne de valeur en maintenant les concurrents à distance. D’où l’intérêt de développer de nouvelles offres, en lien avec le service marketing. Ce que fait encore Airbus, en analysant, depuis l’espace, les parcelles des agriculteurs, et en indiquant à ces derniers quelles zones ils doivent traiter.

5. Des coûts en moins

Nouvelle étape de la transformation digitale, l’IA conduit par ailleurs à exploiter des gisements de productivité, en s’attaquant à la long tail (longue traîne), ce « puits sans fonds qu’aucune organisation ne sait chiffrer ». En particulier dans le secteur des notes de frais ou des achats : 20 % de ceux-ci représentent 80 % de la facture totale. Le cost cutting va donc les cibler, mais aucune entreprise ne va payer un consultant 1 000 €/jour pour s’attaquer à des montants de 40 ou 50 €. Ce « bruit de fond » qui gangrène la productivité peut désormais être pris en charge par l’IA, en raison de sa « capacité à exécuter uniformément les tâches complexes d’optimisation à un coût marginal » (p. 53).

On peut même appliquer l’IA à la lutte contre les fraudes qui conduisent le e-commerce à perdre 1,39 % de ses revenus, voire 11,3 % pour les transactions supérieures à 500 €. Des études montrent que pour quelques dizaines d’euros par mois, il est possible de réduire ces fraudes de 300 %.

L’IA est donc un enabler (facilitateur, catalyseur…). Elle intervient à trois niveaux qui vont se combiner : dans l’interaction homme-machine, dans le déploiement de process intelligents, et dans l’augmentation des capacités humaines, par la mise à disposition d’assistants digitaux. « Des technologies jusqu’alors réservées à de grands groupes sont maintenant à la portée de tous sur tous les canaux » (p. 87).

6. Comment déployer l’IA ?

L’intelligence artificielle modifiant profondément le fonctionnement de l’entreprise comme sa capacité à concevoir son activité, sa mise en place doit être pensée, organisée, et déployée avec les outils adéquats. C’est un challenge pour le management.

Pour atteindre des performances qui atteignent le double digit, le gain de compétitivité à deux chiffres, les entreprises en général et les PME en particulier peuvent se tourner vers le marché, qui propose généralement des solutions en SaaS (software as a service) déployées dans le cloud : l’Intelligent suite de SAP, l’Intelligent Apps de Gartner, les cognitive Apps et Watson d’IBM (qui a investi plusieurs milliards de dollars en se concentrant sur de grands secteurs comme la santé, la banque – Orange bank ou Crédit Mutuel), Microsoft AI (le couteau suisse de l’IA), etc.

Ces solutions, qui intègrent les bonnes pratiques du métier et/ou autorisent une intégration transversale, peuvent laisser la place à un développement interne, faute de solution disponible. Plusieurs librairies open source (comme Tensorflow proposé par Google) autorisent une telle démarche, mais attention, prévient l’auteur, il ne faut pas se tromper dans ses recrutements (les data scientists offrent deux profils différents : cursus informatique ou cursus mathématique), et « on regardera à deux fois la maîtrise d’un développement qui a un impact fort sur son core business » (p 135). Il est peut-être plus indiqué de se tourner vers les start-up, françaises en particulier, qui peuvent offrir des réponses spécifiques, à l’opposé des solutions génériques des GAFAM. Mais leur modèle de business peut les éloigner des PME. En fait, il n’y a pas une solution meilleure que d’autres : tout dépend des besoins, des objectifs et des moyens existant en interne.

Il faut en effet partir des besoins d’une société structurellement saine, et considérer que l’IA n’est qu’une nouvelle étape dans la vie de l’entreprise. À ce titre, elle se prête à un schéma directeur porté par un Chief digital officer (ou CDO : directeur de la transformation digitale), qui fait apparaître l’ensemble des cas d’usage. Ce schéma et sa roadmap offrent une vue globale pour assurer des retours d’investissement hors norme et piloter la transformation, selon plusieurs indicateurs clés : le ROI, qui doit se manifester en moins d’un an « dans tous les cas », la pénibilité (dont on cherche à s’affranchir), la qualité des données (au cœur de la transformation), la faisabilité (certains métiers ont des talons d’Achille), et la capacité d’intégration au système informatique, d’autant que la DSI va conduire l’implantation de l’IA au quotidien.

7. Les acteurs de la transformation

La mise en place de l’IA relève donc de multiples acteurs :

• la direction générale « qui jouera le rôle de visionnaire ». Le leader doit avoir une stratégie à long terme, partagée par le CDO.• les consultants, qui connaissent certains métiers plus que d’autres.• le CDO, chef d’orchestre d’une transformation conduisant à de nouveaux outils que les métiers devront accepter.• les Head of data et Head of AI pour les entreprises qui le peuvent. Il s’agit de séparer le Big Data (que 47 % des entreprises n’ont pas implanté) de l’IA proprement dite. Le déploiement et le stockage de la donnée conduisent à définir une data gouvernance (stratégie business) et un data management (technique)• les data scientists, dont le travail est de modéliser. Ce nouveau métier sélectionne et filtre les données d’entrée, en lien avec les algorithmes qui permettront de les traiter. Son profil va déterminer sa relation avec les informaticiens, et donc le travail de ces derniers. « Il faut savoir choisir son spécialiste », et plus encore le Head of Data Science. • Le DSI qui met en œuvre les solutions techniques. Il ne s’agit pas de créer une structure parallèle, mais d’intégrer les projets IA.• les développeurs, qui devront s’adapter, ce qui peut passer par l’apprentissage de nouveaux langages comme Scala.

Au-delà de ces intervenants spécifiques, l’auteur insiste sur le rôle des data steward, chargés de faire émerger une donnée de qualité, à tous les échelons de l’entreprise, et principalement dans les métiers, au centre de cette nouvelle transformation digitale. Le personnel doit être sensibilisé. Le déploiement de l’IA est un processus collectif, qui modifie autant la culture de l’entreprise que l’activité quotidienne.

8. Conclusion

Les entreprises ne doivent pas seulement investir dans la formation de leurs personnels, c’est désormais une nouvelle culture numérique qu’il faut promouvoir et soutenir. Au-delà des cours en ligne, qui existent déjà (https://fr.coursera.org, par exemple), Stéphane Roder plaide donc pour la création d’une Agence pour le développement de l’Intelligence Artificielle. Il se prononce également pour la mise en place de diplômes spécialisés, à double compétence (comme le MIAGE, bien connu des entreprises), pour que la France se dote d’une stratégie industrielle lui permettant d’éviter les erreurs de la robotisation par exemple. Sera-t-il entendu ?

En matière d’IA, les Français ont des atouts et des talents. Comme Luc Julia, le préfacier, co-inventeur du système Siri, bien connu chez Apple, ou Yann le Cun, prix Turing 2019, aujourd’hui en charge de l’IA à Facebook. Mais notre pays propose « 18 masters de data science qui forment 1 000 data scientists par an dont 30 % partent à l’étranger » (p. 167).

9. Zone critique

La cinquième édition de cet ouvrage souligne l’intérêt qu’il présente, sinon le besoin qu’il révèle, pour l’entreprise et ses acteurs. D’ailleurs, parmi d’autres anglicismes, il ne définit même pas ce qu’est le ROI (Return On Investment), pourtant repère cardinal dans le déploiement de l‘IA ! L’auteur, qui vend des formations via sa start-up, fait également l’impasse sur la bibliographie.

Mais Stéphane Roder fait preuve d’une grande clarté et sa pédagogie est efficace. Exemples à l’appui, il développe un discours axé sur le concret, en phase avec le monde entrepreneurial. Son « mode d’emploi » peut sembler discret sur les aspects informatique et juridique (quid, par exemple, des recours émanant d’un client ou d’un salarié, à l’encontre d’un algorithme développé en externe ?), ce que pourront lui reprocher les professionnels concernés, mais cet ouvrage se veut une introduction, et à ce titre, il remplit sa mission.Si l’on considère que l’entreprise 4.0 sera vertueuse, on regrettera cependant le silence sur deux questions importantes : l’impact écologique de l’IA (entraîner le chat bot GPT-3 suscite des émissions de CO2 équivalentes à celle d’une voiture qui ferait 700 000 km), et son aspect idéologique, que vient rappeler le licenciement de Timnit Gebru, qui s’occupait des questions éthiques chez Google (déc. 2020).

10. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Stéphane Roder, Guide pratique de l’intelligence artificielle dans l’entreprise. Anticiper les transformations, mettre en place des solutions. Paris, Eyrolles, 2020.

Autres pistes– Yann le Cun, Quand la machine apprend. Paris, Odile Jacob, 2019.– Jean Mariani et Danièle Trichite, Ça va pas la tête ! Cerveau, immortalité et intelligence artificielle, l'imposture du transhumanisme, Paris, Belin, 2018.

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