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L’affolement du monde

de Thomas Gomart

récension rédigée parMarc CrépinJournaliste indépendant. A occupé plusieurs postes à l'étranger et dirigé les rédactions de France Culture et de France Info.

Synopsis

Histoire

Dans cet ouvrage très documenté, Thomas Gomart dresse un bilan du monde en dix tableaux, analysant les thèmes essentiels de la politique internationale, de l’économie, de la mondialisation, des migrations et des conflits civils ou militaires. Autant de raisons de porter un regard inquiet sur le monde qui vient car il s’emballe et échappe à tout contrôle. Peuples et dirigeants sont parfois gagnés par l’affolement devant le chaos naissant. Quels sont les desseins de la Chine ? Et ceux de la Russie ? Quel destin pour l’Union européenne et pour l’empire américain ?

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1. Introduction

Cet ouvrage, le septième de Thomas Gomart, rompt partiellement avec ce qui a été sa spécialité : le monde russe et post-soviétique. C’est à la fois en historien et en géo-politologue qu’il a sélectionné dix questions sur le monde et sur les relations internationales, toutes susceptibles de nous inquiéter. Le plus difficile est sans doute d’appréhender le changement, le mouvement et la direction qu’il prend…

Alors, apaisement ou tension ? Qu’est ce qui nous attend vraiment ? Nos liens avec le reste du monde peuvent-ils un jour dégénérer en conflit ? Les conflits de demain ressembleront-ils à ceux d’hier ou d’aujourd’hui ? Avons-nous bien vu et compris ce qui se passe en Chine, aux États-Unis, en Russie, en Europe ?

Mesurons-nous ce qui nous attend vraiment lorsque notre environnement se dégrade de plus en plus vite ? Thomas Gomart répond avec simplicité et tente d’expliquer les défis qui s’annoncent.

2. Machiavel a-t-il toujours raison ?

Machiavel n’est jamais loin lorsqu’un expert en géopolitique tente d’y voir clair et se penche méthodiquement sur notre destin planétaire. Thomas Gomart, avec réalisme et précision, sans noirceur ni pessimisme excessif, tente de discerner les menaces qui s’annoncent. Au XV ? siècle, Machiavel était un visionnaire et a montré tout le cynisme des potentats de l’époque. À Florence, le conseiller de Laurent de Médicis allait écouter Savonarole, un prêcheur intégriste qui prônait l’avènement d’une dictature théocratique.

Pour l’auteur, l’analogie s’impose avec notre époque où deux discours s’affrontent toujours : « une prédication qui fustige contre une pensée qui dévoile ». C’est cette histoire qui l’a inspiré. Et si rien de tout cela n’avait changé ? Entre les délires du djihad et les occidentaux incrédules, entre les nationalistes bornés et les bénéficiaires de la mondialisation, entre les régimes autoritaires qui abusent des nouvelles technologies pour contraindre et les Européens idéalistes ou angéliques ? Machiavel avec son réalisme impose la lucidité. Ce livre nous y invite.

3. L’Europe, l’Europe, l’Europe !

L’Europe aussi pose problème. Mais l’Europe ne le voit pas. Loin de dénigrer la construction européenne, ce livre montre qu’elle traverse certainement un moment de remise en cause, sans rien ôter à la richesse de son idéal fondateur. Le chapitre qui lui est consacré occupe une place centrale dans l’ouvrage. C’est aussi parce que l’Europe occupe une position essentielle dans l’histoire et la géographie.

De plus, elle constitue notre point d’observation privilégié. Aujourd’hui, son cadre change et ne correspond plus à celui qui a vu naître la communauté européenne. On ne peut plus être Européen sans y prendre garde, sans ouvrir les yeux sur ce qui se passe aux confins de la planète. Le système international se recompose et cela pourrait se faire au détriment des Européens s’ils ne réagissent pas. Leurs valeurs, leurs choix économiques et politiques, leur bien-être social… Tout sera remis en cause.

Le monde n’est plus à l’image de l’Europe. Thomas Gomart note que l’évolution de trois puissances va bientôt permettre de redéfinir les relations internationales : la Chine, les États-Unis et la Russie qui contrôlent déjà les flux énergétiques, économiques, technologiques et numériques. L’Europe a abandonné tout effort de défense depuis longtemps, et faute de puissance militaire, elle pourrait aussi subir la volonté d’autres États surpuissants. Elle se trouve progressivement dans une situation d’insularité stratégique et aurait intérêt à retrouver sur ce plan une forme d’autonomie. Les menaces ne manquent pas, à commencer par la menace terroriste, mais elle n’est pas tout.

Enfin, les Européens auraient tort de négliger l’apport de soixante ans de construction européenne et devraient cesser d’expliquer les maux de leurs nations par les décisions de Bruxelles. Dans cette Union européenne mécontente d’elle-même, la cohésion se délite. Les dix premiers pays bénéficiaires de la solidarité européenne (tous, pays d’Europe centrale et orientale) sont aussi les plus nationalistes. Ces pays bénéficiaires des subventions européennes se montrent les plus égoïstes, refusant toute assistance à ceux de leurs partenaires qui sont tenus d’accueillir migrants et réfugiés. C’est ainsi que l’Europe court désormais le risque du repli.

4. La mondialisation… une guerre nouvelle ?

Comment éclairer d’un jour nouveau ces enjeux planétaires, essentiels pour notre survie ? Les premiers qui devraient en prendre conscience sont les Européens confrontés aux changements globaux sans en mesurer toutes les conséquences. Ils avaient initié à la faveur des grandes découvertes cette mondialisation qui prendra son essor au XXe siècle. Ils sont à présent « déboussolés » face à l’implacable montée en puissance de la Chine, à l’inquiétante évolution des États-Unis, à la résurgence de la Russie et aux bouleversements climatiques.

Thomas Gomart affirme qu’il est peu probable que Donald Trump ait lu Montesquieu, lequel écrivait que « le doux commerce entre les nations permet de pacifier leurs relations ». Manifestement l’unilatéralisme américain ne se prête pas à la multiplication des échanges. La mondialisation ne fait d’ailleurs que renforcer l’interdépendance entre les nations même si « aucun État, aussi libéral soit-il, ne se détourne des leviers de la politique économique susceptibles de lui procurer des avantages politiques ». Or, Pékin, Washington et, à un moindre degré, Moscou sont en ordre de bataille. Il n’y a pas de puissance sans supériorité économique. C’est bien sur le terrain de la géo-économie, qu’ils obtiendront des avantages géostratégiques.

La mondialisation entraîne en outre une intégration de plus en plus poussée des appareils productifs. C’est ce qu’on appelle les CGV, les Chaînes Globales de Valeurs. Le commerce ne consiste plus seulement à vendre des biens, mais à réorganiser leur fabrication dans les territoires les plus favorables au profit. Deux puissances ont adopté cette stratégie : la Chine et la Russie. Ce que les Européens « naïfs ou amnésiques » n’admettent pas. De même qu’ils ne croient pas à une confrontation possible.

Ils ne sont pas non plus parvenus à un degré d’intégration politique suffisant pour faire de l’euro, une monnaie de référence et d’échange. Pourtant l’UE occupe une place importante dans l’économie mondiale car aux côtés de la Chine, des États-Unis et de la Russie, elle constitue un ensemble qui représente 55% du Revenu National Brut mondial. Mais l’Europe pourra-t-elle tenir son rang encore longtemps lorsque l’on constate qu’elle est ultra minoritaire parmi les 560 premières multinationales qui emploient 53 millions de salariés ? Elles créent de la valeur, de l’innovation technologique et imposent leurs conditions dans l’emploi salarié. Elles sont majoritairement américaines et chinoises.

5. L’ambition implacable de la Chine

Au premier rang des grandes puissances souveraines qui inquiètent, s’impose la Chine. Au Forum de Davos en 2017, le président chinois avait appelé la communauté internationale « à s’engager dans une économie croissante et ouverte » et avait rappelé que la mondialisation était « une arme à double tranchant ». Peu avant, la première décision de Donald Trump fraîchement élu, avait été de se retirer du Partenariat Trans Pacifique (TPP).

Or, cet accord de libre-échange visait à rassembler onze pays autour des États-Unis pour résister aux ambitions chinoises. « En une semaine, la mondialisation avait perdu son leader naturel pour devenir la cause du secrétaire général du parti Communiste chinois ». Xi Jinping s’est d’ailleurs donné un objectif : en 2049, année du centenaire de la fondation de la république populaire chinoise, son pays devra être un « État socialiste moderne, prospère, puissant, démocratique, civilisé et harmonieux ». Sans oublier qu’il sera aussi devenu la première puissance économique et militaire du monde, devant les États-Unis.

Mais pour Thomas Gomart, une observation importante s’impose. La Chine, qui a fait le pari de la mondialisation en inventant son propre modèle d’État, est en passe de l’exporter. Ce qui correspond au « consensus de Pékin » par opposition au « consensus de Washington » qui prônait le libre-échange et la démocratie. Ici le pouvoir chinois préconise « la non-ingérence et l’absence de conditionnalité politique aux investissements économiques ». Il n’est plus question de droits de l’homme et nombre de gouvernements autoritaires en Afrique, en Europe ou en Asie y trouvent leur bonheur. Cela annoncerait « un capitalisme de prédation, et non de libre concurrence » car il serait associé à un soutien politique de Pékin sur la scène internationale. Pour s’en convaincre, il suffit de considérer le niveau de surveillance technologique actuel des acteurs de l’économie chinoise tout autant que celui de la population.

La Chine doit donc vivre un paradoxe : elle est à la fois un partenaire économique majeur des États-Unis et son principal adversaire. Elle nourrit une ambition de puissance globale en devenant une puissance militaire moderne, tout en développant le projet impressionnant d’une nouvelle route de la soie, qui marque le « passage d’une politique étrangère prudente à finalité régionale à une politique proactive, multisectorielle et à finalité globale ».

6. es anciennes grandes puissances vont-elles s’affaiblir ?

La puissance des États Unis est remise en cause et celle de la Russie a considérablement reculé. La faiblesse n’est plus là où on avait l’habitude de la trouver. La nouvelle politique de Donald Trump a eu pour effet de déstabiliser non seulement l’Europe mais aussi la Chine parce que Washington ne se préoccupe plus de « coopération et de leadership mondial, mais privilégie une politique de compétition et de domination ».

Bien sûr, des accords de sécurité continuent de lier les États-Unis à une soixantaine de pays dans le monde. Les alliés restent les alliés, et notamment le Japon, la Corée du Sud, les pays européens. Mais chacun sait depuis les attentats du 11 septembre 2001 que les menaces les plus dangereuses peuvent désormais être asymétriques. L’auteur insiste sur les deux attributs de la puissance américaine : la maîtrise du cyberpower, et sa puissance juridique. Au complexe militaro-industriel a succédé un complexe militaro-numérique. Quant au droit américain, il demeure une arme puisque toute transaction en dollars, impliquant un partenaire américain peut faire l’objet de poursuites.

À propos de la Russie, nul n’ignore comment le totalitarisme stalinien a exploité le patriotisme en posant l’alternative de vie ou de mort au peuple. Aujourd’hui, la Russie est un pays de libre entreprise pourvu qu’elle aille dans l’intérêt du pouvoir : « La Russie n’est ni totalitaire ni fermée, mais promeut un nouvel autoritarisme politique sous couvert d’élections régulières ». La Russie n’a pas choisi l’Occident, même si elle continue de se tourner vers lui. L’auteur rappelle qu’elle « bénéficie néanmoins d’atouts qui lui sont propres et qui, bien utilisés, lui garantissent une autonomie de décision », notamment parce qu’elle dispose de réserves en pétrole et en gaz colossales.

Mais Poutine qui a renforcé considérablement le niveau de vie de ses compatriotes et modernisé son armée veut surtout déplacer la compétition avec l’Occident sur un autre terrain que le terrain économique. Le rapport au monde de la Russie repose sur l’exercice de sa puissance, à l’extérieur, par son intervention en Syrie ou en Ukraine et, à l’intérieur, par la soumission de l’économie au politique. Poutine se réjouit du cadeau que Trump fait à la Russie : l’affaiblissement des liens transatlantiques entre Occidentaux.

7. Conclusion

Cet ouvrage aborde encore bien des sujets comme le contrôle et la domination des espaces (spatiaux ou numériques) qu’ont entrepris toutes les puissances grandes ou moyennes ou encore la Méditerranée, avec les migrations, les flux de réfugiés et les crises politiques, diplomatiques et morales qui les accompagnent. Dans son épilogue, Thomas Gomart décrit un malaise spécifiquement français : la France a oublié « l’importance cruciale de la force en politique ».

Pour y remédier, il fait quatre recommandations : « accepter les réalités d’une mondialisation aux logiques complexes », « refuser toute géopolitique, étroitement hexagonale », « élargir le débat sur l’identité nationale » et « anticiper les probables évolutions du système international ». À noter enfin cette réflexion capitale : la France ne doit pas subordonner sa stratégie internationale principalement à la lutte contre le djihadisme. Les pressions avec le reste du monde sont bien plus importantes.

8. Zone critique

La vaste culture de l’auteur nous offre à chacune des dix étapes de sa description du monde, les moyens de mieux le comprendre. Tout est recontextualisé et on identifie ainsi beaucoup mieux les menaces de demain et les causes historiques du désordre international. Peut-être aurait-il été intéressant d’approfondir certains aspects des crises internationales comme ceux qui ont trait aux migrations ou au surgissement des flux de réfugiés.

En se tenant à égale distance du pessimisme et de l’angélisme, Thomas Gomart fait preuve de réalisme, comme le recommande un de ses maîtres, Machiavel. Mais ici encore, peut-être faudrait-il faire preuve de cynisme lorsqu’on se penche sur notre avenir et ne pas craindre d’inquiéter ou d’affoler. C’est d’ailleurs ce que fait Jean Pierre Dupuy, professeur à l’université californienne de Standford. L’auteur de La guerre qui ne peut avoir lieu, cité par Thomas Gomart, juge que la dissuasion nucléaire est un paradoxe qui ne pourrait en aucun cas, nous éviter une destruction totale.

9. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– L’affolement du monde, 10 enjeux géopolitiques, Paris, Tallandier, 2019.

Du même auteur– Avec Thierry de Montbrial (dir.), Notre intérêt national. Quelle politique étrangère pour la France, Paris, Éditions Odile Jacob, 2017– Le Retour du risque géopolitique. Le triangle stratégique Russie, Chine, États-Unis, Paris Éditions Institut de l’entreprise/Ifri, 2016.

Autres pistes– Nicolas Machiavel, Le Prince et autres textes, Préface de Paul Veyne, Paris, Gallimard 2007 – Jean-Pierre Dupuy, La guerre qui ne peut pas avoir lieu, Paris Desclée de Brouwer, 2019– Ariel Colonomos, Le Pari de la guerre. Guerre préventive, guerre juste ? Paris Denoël, 2009– Edward Luttwak, Le Grand Livre de la stratégie au XXIème siècle, Paris Odile Jacob 2002– Christian Grataloup, Géohistoire de la mondialisation. Le temps long du monde, Paris Armand Colin 2007 (rééd. 2015).

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