Dygest vous propose des résumés selectionnés et vulgarisés par la communauté universitaire.
Voici le résumé de l'un d'entre eux.
de Tom & David Kelley
Le design thinking est une technique de pointe destinée à sortir du cadre de la recherche analytique conventionnelle pour développer un projet professionnel ou personnel. Il s’agit de libérer la créativité et l’inventivité présentes en chaque individu afin d’inventer des solutions nouvelles dans n’importe quel domaine. La confiance créative est la méthode mise au point par David et Tom Kelley dans le cadre de la formation de design thinking qu’ils proposent à l’université de Stanford. En la présentant sous forme de livre, ils permettent à tous ceux qui le souhaitent de bénéficier de cette formation afin de transformer leur esprit analytique en esprit créatif.
Pour travailler à l’innovation ainsi qu’à la recherche et au développement, les entreprises adoptent, la plupart du temps, une démarche de type analytique. La norme en vigueur fait que l’on commence toujours par un constat, un audit de la problématique à étudier. Ensuite vient le temps de l’étude et de l’analyse. Ces travaux débouchent sur un plan d’action souvent accompagné de son rétroplanning afin de suivre l’évolution du projet. Ce travail demande un certain temps et s’appuie selon les cas sur une équipe d’experts reconnus pour leur sérieux et leur compétence. Il existe cependant un tout autre moyen pour définir et lancer des nouveaux projets d’entreprise.
Plus empirique, moins conventionnel, mais tout aussi efficace, il repose essentiellement sur l’intuition et la créativité. Sortant du cadre habituel de la réflexion, il s’agit, au contraire, d’ouvrir très largement son esprit à tous les horizons sans frein ni limite. C’est cette démarche que proposent les auteurs de cet ouvrage.
S’appuyant sur la conviction que nous sommes tous des créatifs, ils se proposent de nous initier au design thinking. De la même manière que l’on développe ses muscles en pratiquant régulièrement son sport favori, il est en effet possible d’entrainer son esprit à libérer sa créativité.
Les mots ont leur importance. Quand on regarde le sens donné au mot créativité dans un dictionnaire thématique, ce sont les notions d’imagination, d’inspiration voire de fantaisie ou même de hardiesse qui ressortent.
Tout au plus trouve-t-on une rubrique consacrée à la compétitivité ou au rendement en lien avec l’idée du génie créatif et de l’innovation. Pas d’étonnement alors à constater que ce n’est pas la première qualité que l’entreprise va chercher lors de l’embauche de ses salariés, notamment dans les domaines scientifiques, financiers ou médicaux. D’autant que la mode est plutôt à la multiplication des process dans le monde de l’entreprise d’aujourd’hui, ce qui laisse assez peu de place à l’initiative personnelle.
De sorte que lorsque vous discutez avec les travailleurs, beaucoup vous diront qu’ils ne sont pas vraiment créatifs. Ils risquent même de s’enfuir en courant si vous leur proposez un séminaire ou une journée de travail sur le design thinking. Si toutefois vous parvenez à les convaincre de venir, ils trouveront le moyen de devoir passer un coup de fil important au moment où l’animateur va leur demander de faire un exercice d’improvisation.
En réalité, c’est lié à une certaine peur de se libérer des carcans sécurisants dans lesquels nous nous réfugions tous. Cependant les mentalités évoluent et l’entreprise réalise que les seules techniques analytiques ne suffisent plus face à un monde en perpétuel renouvellement. La créativité n’est plus cantonnée aux seuls départements de communication ou de publicité. Elle est bel et bien devenue indispensable à tous les niveaux afin de répondre aux nécessités d’innovation face à la concurrence des marchés. La capacité à innover est un enjeu trop important aujourd’hui pour en négliger l’un des aspects fondamentaux : la créativité. La confiance créative propose de développer la capacité à associer une pensée créative libérée et innovante grâce à une mise en œuvre concrète réalisable techniquement et viable économiquement.
En d’autres termes elle devient l’outil indispensable dont les entreprises ne sauraient se passer dorénavant si elles veulent continuer à se développer dans des sociétés en perpétuelle révolution.
Tout commence par l’empathie.L’un des premiers exemples de mise en application de la confiance créative que nous livrent Tom et David Kelley démontre à quel point l’être humain est le centre de tout le concept de design thinking. Il raconte l’histoire de Doug, concepteur de système d’imagerie médicale. Alors qu’il était invité à voir fonctionner un appareil d’IRM sur lequel il travaillait depuis 2 ans, cet homme a été témoin de la peur d’un enfant face à cette grosse machine bruyante dans laquelle il allait devoir rentrer et rester parfaitement immobile. Consterné de réaliser que le personnel médical était obligé de légèrement anesthésier les enfants pour parvenir à leur faire passer des IRM, il décida d’assister à un atelier de confiance créative afin de trouver comment aborder cette question. Il est ainsi allé observer les enfants dans une crèche, il a discuté avec les spécialistes de l’enfance, puis avec les professionnels de la pédiatrie.
Le résultat de ce travail est la conception de 9 décors d’aventures, grâce à des autocollants répartis sur les murs, le plafond ainsi que sur l’appareil d’IRM. L’équipe qui a travaillé avec lui a mis au point des scénarios que les personnels soignants déroulent avec les enfants. Ils ont pris soin d’y intégrer le bruit de la machine. Par exemple, les grondements de l’IRM deviennent le moment où le vaisseau spatial passe dans « "l’hyper-espace“ ». Le résultat est que l’enfant attend sans bouger, voire avec impatience, le moment où la machine va faire ce gros bruit qui le terrorisait auparavant.
L’idée est de se mettre à l’écoute de ce que les consommateurs, utilisateurs, patients, clients ou usagers… pensent, font, ressentent ou disent, « Do, feel, think, say » Il faut poser beaucoup de questions, utiliser le « pourquoi ? » aussi souvent que possible. Il faut investiguer de manière indirecte puisque les gens ne peuvent généralement pas dire vraiment ce qui leur manque réellement. Ce qu’il faut réussir à détecter ce sont leurs besoins latents, non-conscients.
Si vous étudiez un lieu de travail, par exemple, vous pouvez leur faire commenter leurs gestes ou leur demander de penser tout haut tandis qu’ils agissent. L’idée est de capter ce qui les gêne ou ce qui pourrait améliorer leur confort ou leur sécurité même si cela ne correspond pas à une demande exprimée. Il ne faut pas hésiter à interroger d’autres personnes extérieures pour obtenir des réponses spontanées, des ressentis.
Les auteurs conseillent de se comporter « comme un voyageur curieux, regardant partout autour de lui, notant des détails, ressentant des émotions à tout instant et prêt à s’émerveiller de tout.
Se connecter très en profondeur aux besoins ou aux désirs des autres apporte des idées, des questionnements, des inspirations nouvelles.
Après avoir écouté, observé, collecté dans un état d’esprit curieux et positif vous détenez beaucoup d’informations, de photos, de vidéos, de dessins, d’enregistrements de conversations, etc.
L’étape suivante consiste à trier toutes ces données pour les analyser. Vous pouvez construire un tableau récapitulant les quatre comportements que vous avez étudiés chez les différentes personnes/ Une colonne pour ce que vous les avez vu faire, une pour ce qu’elles ont dit, une pour ce qu’elles ressentent et enfin une pour ce qu’elles pensent. Des éléments récurrents vont déjà apparaître. Il va peut-être s’en dégager des grandes lignes d’une ou plusieurs solutions.
Si cette étape peut sembler revenir à un système d’organisation assez pragmatique, il est important de garder l’esprit ouvert. Il ne s’agit pas trouver des conclusions trop précises. Il ne faut pas oublier que l’attention que vous avez portée aux autres a pu faire ressortir des besoins non conscients. Il est important à ce stade de laisser son esprit complètement libre. Plus le questionnement sera large, plus il laissera venir des idées nouvelles.
Car l’étape suivante dépendra totalement de la possibilité de laisser émerger toutes sortes de propositions. Cela peut se faire par un brainstorming. Les auteurs appellent cette étape la phase d’« idéation », en quelque sorte une phase de conception organisée. Même si la démarche est personnelle, il est intéressant de soumettre la phase d’« idéation » à d’autres personnes. Plus il y a d’échanges, plus les idées à naître seront différentes, et les chances de trouver une réponse multipliée. Dans un projet d’entreprise, il faut créer une équipe, de préférence pluridisciplinaire.
En créant des groupes d’esprits divers, les discussions seront nombreuses et les avis divergents. L’idée n’est pas de chercher « la » bonne réponse ni de laisser quelqu’un se mettre en avant. Pour que l’étape soit féconde, il faut au contraire que chacun puisse s’exprimer librement, sans peur de dire n’importe quoi.
Dès que quelques idées concrètes commencent à émerger, il ne faut pas attendre de trop planifier. Il faut se lancer sans hésiter et y aller à fond. Le projet se corrigera en faisant. C’est l’exemple vécu par deux ingénieurs ayant participé à un programme intensif de design thinking. Il leur a été demandé de créer une société réelle en un trimestre. Ils ont alors décidé dans l’urgence de créer une application permettant de lire le fil d’actualité sur l’iPad dont la sortie était annoncée. Ils ont créé un premier prototype en quatre jours. Ensuite, tous les jours, pendant que l’un d’eux faisait tester leur prototype, l’autre améliorait leur système. En deux semaines, après de multiples nouveaux prototypes, leur application a commencé à intéresser les utilisateurs.
En quelques mois leur système s’était transformé en Pulse News, application téléchargée par plus de vingt millions de personnes. En fait ils ont très peu planifié, mais beaucoup testé en fabriquant des quantités énormes de prototypes à bas prix et leur application s’est améliorée au fur à mesure. On pourrait penser que plus on prend de temps pour planifier, organiser et réfléchir, plus le projet sera abouti. Mais il semblerait que ce ne soit pas forcément le cas. Dans leur livre Art & fear, David Bayles et Ted Orland évoquent le cas d’un professeur de céramique qui avait divisé sa classe en deux groupes. Le premier chargé de fabriquer une céramique qui serait évaluée sur sa qualité, tandis que le second groupe serait évalué sur la quantité de céramiques produites. Contre toute attente, c’est le groupe chargé de faire de la quantité qui s’est retrouvé avec la meilleure qualité ! En fait, ils avaient « bâclé » de telles quantités de céramiques que leur pratique s’était automatiquement améliorée.Vouloir trop bien penser un projet peut pousser à la procrastination.
À force de vouloir étudier le plan parfait, celui-ci finit par ne rester qu’un projet jamais abouti. Pour lutter contre le risque de ne pas se lancer dans l’action, il peut être utile de demander de l’aide ou de faire participer d’autres personnes qui vous pousseront à agir. Il faut aussi prendre du recul et s’obliger à minimiser le poids de l’enjeu, ce ne sera peut-être pas le projet de votre vie et ce n’est pas grave, il y en aura d’autres.
Et bien sûr, il faut aussi s’autoriser à faire des erreurs. Décider de réaliser un mauvais travail, c’est déjà commencer à construire quelque chose. Commettre de multiples erreurs n’est pas un échec, mais plutôt une série d’expériences. Tous les grands inventeurs ont raté des quantités de projets avant d’arriver au résultat qui les a rendus célèbres. Les auteurs évoquent une formation qui commence par une séance de jonglage dans laquelle il faut laisser volontairement tomber les balles afin de se préparer mentalement à l’idée du lâcher-prise concernant les échecs.
Beaucoup, parmi les personnes qui ont suivi les ateliers de design thinking, ont décidé de changer d’orientation dans leur vie professionnelle. Le fait d’avoir appris à regarder leurs différents sujets sous l’angle de l’empathie les a souvent conduits à se repositionner dans leur vision de leur propre carrière. Ils ont appris à désinhiber leurs peurs via la découverte de la manière de s’intéresser aux autres. Ils ont appris à se fixer de petits objectifs incluant le droit de se tromper. Ils ont appris à oser se lancer et ont vaincu leur perfectionnisme parfois paralysant.
Et pour beaucoup, le travail en équipes pluridisciplinaires leur a fait découvrir d’autres manières de penser ou de travailler. Ils ont découvert la motivation intrinsèque, cette motivation totalement liée au plaisir de travailler de manière autonome et à l’intérêt que l’individu trouve dans son activité, en dehors de toute stimulation extérieure. Ils ont souvent fini par regarder leur propre vie comme l’un de leurs projets de conception.
Cela les a conduits à découvrir leurs besoins latents, les améliorations qu’ils pourraient apporter à leur manière d’aborder leur métier. Les techniques et les aptitudes qu’ils ont développées dans le cadre du design thinking les ont inspirés plus largement. Ces personnes se sont mises à chercher des manières de vivre autrement leur vie professionnelle et d’y trouver du sens.
En fin de compte la confiance créative repose sur le fait de croire en ses propres capacités à faire aboutir des projets. C’est en ce sens qu’elle se distingue de la recherche plus conventionnelle. Elle aide à produire des idées nouvelles et elle apporte la capacité décomplexée de se lancer dans l’action. Plus on s’entraine à regarder autour de soi comme un observateur curieux, plus on prend l’habitude de considérer les choses à la manière du créatif.
Cet état d’esprit se transforme en une nouvelle manière d’appréhender le monde. Les entreprises du XXIe siècle sont en train de changer, elles sont plus participatives, les grands patrons sont des médiateurs, des facilitateurs. Ils sont conscients que c’est dans leurs équipes que se trouvent les solutions de demain. D’où l’intérêt de décloisonner les départements et de faire collaborer tout le monde librement aux innovations stratégiques.
D’une manière ou d’une autre la nouvelle génération de travailleurs imposera sa vision de l’entreprise. Finies les réunions cadrées dans lesquels chaque département traitait sa petite tranche de projet. Aujourd’hui tout le monde peut discuter d’un grand projet d’entreprise. On est capable de sortir étudier ce qui se passe en dehors ; on est même capable d’inclure le client ou l’utilisateur dans la boucle de la création ou de l’innovation. Moins conventionnelle, cette façon de travailler n’en est pas moins pragmatique, car elle est beaucoup plus souple et apte à s’adapter aux brusques changements que les progrès technologiques imposent. Les entreprises ont sans doute intérêt à proposer à leurs salariés de se former au design thinking.
L’entreprise a tout à y gagner et le climat social aussi, car cette approche collaborative tourne beaucoup autour de l’écoute et de l’observation bienveillante. La confiance créative ne va pas opérer des miracles, mais elle peut apporter un petit courant d’air bienvenu pour entretenir la motivation des travailleurs.
Ouvrage recensé– Tom Kelley & David Kelley, La confiance créative, Paris, InterEditions, 2016.
Autres pistes– Stéphane Biso, Le Naour, Marjorie, Accélerez vos projets par l’innovation collaborative, Paris, Dunod, 2017.– Tim Brown, Barry Katz, L’esprit design : comment le design thinking change l’entreprise et la stratégie, Montreuil, Pearson Éducation, coll. « Village mondial », 2014.– Robert Collart, Michal Benedick, Bâtir une organisation collaborative : activez les leviers de la transformation, Montreuil, Pearson, coll. « Village mondial », 2018.– Claire Essec, Jean-Michel Moutot, Kevin Johnson, David Autissier, L’innovation managériale, Paris, Eyrolles, 2018.