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Flic

de Valentin Gendrot

récension rédigée parCatherine Piraud-RouetJournaliste et auteure spécialisée en puériculture et éducation.

Synopsis

Société

Il est, à ce jour, le seul journaliste à s’être lancé un tel défi : infiltrer la police. Pendant un an et demi, formation incluse, Valentin Gendrot a enfilé l’uniforme bleu, pour intégrer le commissariat du 19e arrondissement de Paris. C’est cette immersion hors du commun qu’il raconte dans ce journal de bord. Une plongée dans la misère humaine et dans une violence ordinaire, banalisée, au milieu de collègues souvent paumés, parfois mus par un sentiment d’intouchabilité. Ce livre dévoile les coulisses d'une profession fréquemment accusée de violences et de racisme, et au taux de suicide anormalement élevé. À lire d’urgence, tant par les détracteurs des brutalités policières que par les premiers intéressés. Afin de mieux comprendre l’engrenage de la violence ordinaire.

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1. Introduction

Chaque année, des bavures ou des abus de pouvoir de la part des forces de l’ordre sont dénoncés : passage à tabac de jeunes des banlieues, « gilets jaunes » défigurés par des LBD (lanceurs de balles de défense), dans le cadre de manifestations… Mais l’omerta règne et la police française se serre systématiquement les coudes.

C’est pour ébranler ce mur du silence que Valentin Gendrot a décidé, en 2017, de devenir « flic », en infiltrant la police. Objectif : mieux comprendre la psyché de cette profession qui divise plus que jamais l’opinion depuis la courte embellie des attentats de novembre 2015.

Que se passe-t-il derrière les murs d’un commissariat ? Qui sont vraiment ces hommes et ces femmes assermenté(e)s ? Quelles sont leurs conditions d’exercice au quotidien ? Comment naissent les violences policières ? La police française est-elle vraiment raciste ? Pourquoi est-il si difficile de sanctionner un policier ? Et pourquoi le métier connaît-il un taux de suicide si élevé ? Autant de questions auxquelles ce livre inédit, rédigé sous forme de journal de bord pendant 18 mois d’infiltration, apporte des réponses.

2. La police des laissés pour compte

En 2017, Valentin Gendrot s’inscrit au concours d’adjoint de sécurité (ADS). Ce poste, tout en bas de l’échelle dans la police, désigne un policier contractuel avec permis de port d’arme et droit d’appréhender. Le concours est de niveau 3e : un test de lecture, d’écriture et de calcul ; un test d’effort physique rudimentaire et un entretien devant trois policiers et un psychologue.

Sa formation à l’école de police de Saint-Malo dure seulement trois mois, contre douze en moyenne pour devenir gardien de la paix. Une formation « low-cost », composée de séances de sport et de cours de déontologie expédiés en une dizaine d’heures (soit 1 % du temps de formation, calcule l’auteur) et se limitant souvent à la distribution de polycopiés. La formation pour l’accueil des personnes victimes de violences conjugales, ajout datant de 2014, est bouclée en trois heures. Les ADS testent seulement quatre mises en situation professionnelles durant leur formation. Par comparaison, en Norvège, les policiers reçoivent trois ans de formation, dont deux semaines complètes dédiées aux thématiques ethno-raciales.

Créé en 1997, le statut d’ADS permet à des personnes sans diplôme de découvrir la fonction de policier. Seul prérequis pour devenir ADS : avoir moins de 30 ans. Au départ cantonnés à l’accueil et aux tâches administratives ingrates, ces policiers contractuels peuvent aujourd’hui aussi se retrouver sur le terrain, menotter, procéder à une palpation ou encore participer à une interpellation. Un statut, censé être temporaire, mais finalement devenu permanent et qui demeure pourtant invisible dans les organigrammes officiels de la police nationale.

Valentin Gendrot dresse le portrait de plusieurs de ses collègues, ayant pour la plupart échoués dans la police par défaut, au terme d’un parcours médiocre. « J’ai l’impression que n’importe qui peut devenir flic : un journaliste, un ancien facho et, plus improbable, un mec avec un casier judiciaire », déclare-t-il (p.33). Il cite aussi le mot d’autodérision d’un de ses collègues : « Les policiers sont des délinquants qui ont mal tourné » (p.134).

3. Violence ordinaire, insultes racistes, passages à tabac…

À sa sortie d’école, Valentin Gendron ne décroche pas l’affectation souhaitée. Il patiente plus d’un an pour obtenir enfin, en mars 2019, son premier choix, le commissariat du 19e arrondissement de Paris. Une antenne réputée « sensible », au cœur d’un quartier populaire peuplé de migrants et de toxicomanes. Mais aussi lieu de plusieurs suspicions de violences policières non élucidées.

Dès son premier jour, le journaliste infiltré a la sensation d’intégrer « une bande qui aurait les pleins pouvoirs » (p.142) et laissée à la dérive. Tutoiement quasi systématique des personnes interpellées et des gardés à vue, insultes et coups aux « bâtards » – en grande majorité de jeunes hommes noirs, d’origine arabe ou migrants – passages à tabac dans les fourgons policiers, brimades gratuites, irrégularités manifestes (comme l’appropriation des fruits et des légumes des vendeurs à la sauvette), bavures… Le tout hors procédure, dans une logique de violence gratuite.

On est aux antipodes du code de déontologie enseigné à l’école de police. Paroles racistes, homophobes et machistes fusent au quotidien. Effet collatéral : au fil des jours, Valentin Gendrot sent son niveau d’empathie et d’humanité s’émousser. « Comme si ce boulot m’avait vacciné contre la sensibilité », note-t-il (p.157). Il s’interroge : est-ce le début d’un esprit de corps ?

À ce titre, ces comportements ont été mis en lumière dans une étude sociologique de 2009 sur la manière dont des policiers réalisaient les contrôles d’identité. Ses résultats sont édifiants : les hommes (notamment jeunes) sont entre 3,5 et 10 fois plus contrôlés que les femmes ; les Noirs, entre 3,3 et 11,5 fois plus de risques d’être contrôlés que les Blancs et les Maghrébins, entre 1,8 et 14,8 fois. « Comme si les forces de l’ordre appliquaient une sorte de « présomption de culpabilité » envers une partie de la population », pointe l’auteur (p.104). Le site Internet Bastamag fait état de vingt à trente personnes tuées chaque année par les forces de l’ordre.

4. Couverture & sentiment d’impunité

Valentin Gendrot assiste notamment à un tabassage gratuit, par l’un de ses collègues, contre un adolescent lors d’un contrôle de routine pour tapage. Personne dans la brigade ne proteste. Le gamin porte plainte, une enquête interne est lancée. Le journaliste se retrouve confronté à un cas de conscience : dire la vérité, au risque de faire capoter son infiltration, ou se taire ? Il opte finalement pour la seconde solution, se calquant sur l’attitude adoptée par toute la patrouille, même ceux estimant, en leur for intérieur, qu’il s’agit bel et bien d’une bavure. « La règle tacite a l’air simple à comprendre : quoi qu’il arrive, on se serre les coudes », déplore-t-il (p.98).

Cette omerta est le fait de l’ensemble de l’institution, du plus bas au plus haut de la hiérarchie. Pour la première fois en juin 2018, l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) a donné accès à un décompte officiel des personnes mortes au cours d’une intervention policière : 14 entre juillet 2017 et mai 2018. Mais ce chiffre est considéré comme relatant « un dommage » et non « un recensement des bavures policières ». Par ailleurs, ni les noms des défunts ni les circonstances de leur mort ne sont divulgués. Ainsi, jusqu’à nouvel ordre, le décès d’Adama Traoré, un jeune Français noir mort en juillet 2016 lors de son interpellation par trois gendarmes, est toujours qualifié d’« asphyxie positionnelle ».

Le constat du rapport Toubon de juin 2020 est sans appel : « Depuis le début de son mandat [2013], le Défenseur des droits a demandé l’engagement de poursuites disciplinaires dans trente-six dossiers. Or aucune de ses demandes (…) n’a été suivie d’effet », cite l’auteur (p.107).

À la suite de ces accusations, le ministre de l’Intérieur a annoncé l’abandon de la méthode d’interpellation de prise par le cou dite de « l’étranglement », ainsi qu’une « réforme en profondeur » des organismes d’inspection. Mais en déniant toujours toute notion d’« institution raciste » ou de « violence ».

5. Un quotidien professionnel entre attentisme et misère humaine

Entre deux accès de violence, le temps s’étire au commissariat. Valentin Gendrot et ses collègues travaillent souvent les yeux rivés sur la pendule, en attendant la relève. De fait, le quotidien des policiers se résume souvent à attendre de longues heures qu’il se passe quelque chose.

Cette monotonie décrite par le journaliste se trouve uniquement ponctuée par la traque de menus larcins, de vendeurs à la sauvette ou par des constats de décès à domicile. Il relate notamment la réflexion d’un de ses collègues, qui racontait avoir regardé des éboueurs ramasser des déchets pendant plusieurs heures au cours d’une patrouille. En bref, le métier manque cruellement de sens. On est très loin des univers héroïques et trépidants relayés par le cinéma.

Mais être « flic », c’est aussi, souvent, se heurter de plein fouet à la misère humaine. Valentin Gendrot relate la dureté de son expérience d’un an lors de sa première affectation, fin 2017, à l’Infirmerie psychiatrique de la préfecture de police de Paris. Une structure unique en Europe, au sein de laquelle sont « retenues », la plupart du temps sans leur consentement, des personnes interpellées par la police et présentant des troubles psychiatriques. Parmi ces détenus qui ne disent pas leur nom, un tiers sont SDF, un tiers sont des travailleurs immigrés.

L’« I3P », comme l’appellent les initiés, est un lieu résolument tenu secret, mais de plus en plus contesté par les défenseurs des droits humains. Les personnes ne bénéficient ni tout à fait du statut de patient ni tout à fait du statut de gardé à vue (pas d’avocats notamment). Selon un rapport de 2009, sédation et contention y sont quasi-systématiques. Le rapport pointe aussi l’absence de douches pour les patients, de sonnettes et de volets dans les chambres, et même des pyjamas non adaptés à toutes les tailles. Bref, une zone de non-droit glaçante, peuplée de cris incessants, propre à ébranler durablement le moral des policiers les plus aguerris…

6. Un taux record de suicide, symptomatique du malaise de la profession

Au cours de ses 18 mois d’immersion, Valentin Gendrot va se trouver confronté à pas moins de deux suicides de collègues. Ils sont en effet nombreux à passer à l’acte dans cette profession particulièrement touchée par la dépression. En 2019, 59 suicides ont été comptabilisés au sein de la police française. Soit 60 % de plus que l’année précédente. En juin 2018, un rapport du Sénat pointait un taux de suicide dans la police supérieur de 36 % à celui de la population générale.

Différentes études et rapports ont listé les facteurs dominants pour expliquer ce « sur suicide » des policiers. Le premier étant l’accès aux armes à feu : dans 75,6 % des cas, l’acte ultime est commise avec l’arme de service, que les policiers, qui plus est, sont autorisés depuis 2016 à détenir en permanence en cas d’état d’urgence.

Sont également évoqués : l’abus d’alcool ; les horaires qui nuisent à la vie de famille (davantage de divorces) ; l’indifférence, voire l’antipathie du public ; le système judiciaire dont les décisions peuvent être considérées comme injustes ; une affectation géographique souvent subie ; une charge opérationnelle accrue (induite par la concomitance de nouvelles menaces). Mais aussi les troubles de stress post-traumatique qui naissent de l’exposition répétée à des scènes de violences et de la confrontation fréquente à la mort.

Autres raisons invoquées à ce mal-être : des conditions de travail dégradées, avec des lieux et des équipements vétustes. Pour Valentin Gendrot, s’y ajoute une politique du chiffre aussi stressante que vide de sens : les patrouilles enchaînent les « MAD » (« mises à disposition » ou interpellations), souvent sur des opérations minables, pour gonfler les chiffres de la brigade. À déplorer également : un management trop distant. Le tout pour un salaire de 1 340 euros nets mensuels pour les ADS, guère plus pour les gardiens de la paix. Pour tenir la distance, il faut être très motivé et/ou bien formé. Or, beaucoup ne sont ni l’un, ni l’autre…

7. Conclusion

À la fin de ses dernières semaines d’infiltration qui lui paraissent interminables, Valentin Gendrot présente sa démission le 17 août 2019. Des policiers mal recrutés, mal formés, mal considérés, mal encadrés, mal payés : son livre brosse toutefois un bilan plus accablant pour le système que pour la profession en elle-même. S’il est indéniable que des personnalités violentes et racistes y figurent, bon nombre de ces « flics » de base sont avant tout des laissés pour compte de la société. Ce livre braque les projecteurs sur le blues du policier lambda, pris en étau entre le manque de considération de sa hiérarchie et l’hostilité de la population. Des rancœurs que certains ont tendance à reporter sur ceux qu’ils interpellent, à commencer par les minorités visibles…

Pour Valentin Gendrot, les problèmes qui minent la profession ne seront pas réglés tant que l’abcès ne sera pas crevé. Et il compte bien que son livre contribue à cette prise de conscience.

8. Zone critique

Valentin Gendrot a été en partie exaucé. La parution du livre a largement « fait le buzz ». D’abord, parce que ce récit rencontre son époque. Ce n’est pas un hasard si sa publication est survenue durant le quinquennat d’Emmanuel Macron, marqué par un double phénomène : une explosion des violences policières contre le mouvement des « gilets jaunes » et la naissance du mouvement « Black Lives Matter », relayé notamment par la famille d’Adama Traoré.

Au même moment, des enquêtes publiées par différents médias, dont Mediapart, ont révélé de nombreux propos discriminatoires et racistes émanant de membres de forces de l’ordre. Un contexte qui explique qu’en août 2020 le parquet de Paris ait ouvert une enquête sur les « tabassages » révélés par le journaliste, enquête confiée à l’IGPN. Et en décembre 2020, le président Macron a reconnu de manière explicite l’existence de violences policières. Une première en France.

9. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Valentin Gendrot, Flic : Un journaliste a infiltré la police, Paris, Éditions Goutte d’Or, 2020.

Autres pistes– David Dufresne, Dernière sommation, Paris, Grasset, 2019.– Jean-Marie Godard, Paroles de flics : L'enquête choc, Paris, Fayard, 2018.– Michel Kokoreff, Violences policières : Généalogie d'une violence d'État, Paris, Textuel, 2020.– Frédéric Péchenard, Lettre à un jeune flic, Paris, Tallandier, 2019.

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