dygest_logo

Téléchargez l'application pour avoir accès à des centaines de résumés de livres.

google_play_download_badgeapple_store_download_badge

Bienvenue sur Dygest

Dygest vous propose des résumés selectionnés et vulgarisés par la communauté universitaire.
Voici le résumé de l'un d'entre eux.

Histoire de la Mésopotamie

de Véronique Grandpierre

récension rédigée parArmand GraboisDEA d’Histoire (Paris-Diderot). Professeur d’histoire-géographie

Synopsis

Histoire

Du légendaire Enmerkar à Cyrus le Grand, la Mésopotamie fut un des centres de la civilisation. Y naquirent l’agriculture, l’écriture, l’arithmétique, le calendrier, l’astronomie. Tout cela avait sombré dans les sables, jusqu’à ce que nos orientalistes ne viennent relever les ruines de ces peuples et déchiffrer leurs écritures. Depuis quelques années, ce n’est plus seulement la culture savante qui est découverte ; c’est encore la vie quotidienne, les mœurs de ces peuples qui commencent à se révéler à nous. Tel est l’objet énorme de ce petit livre : donner à comprendre la culture mésopotamienne, des latrines au service divin.

google_play_download_badge

1. Introduction

Durant quatre millénaires, s’épanouit, sur les bords du Tigre et de l’Euphrate, aux pieds du Taurus et du Zagros, la première des civilisations, la civilisation mésopotamienne, à qui nous devons l’agriculture, l’écriture, l’arithmétique et le calendrier. Là se succédèrent Sumer, Akkad, Babylone, Assur, se transmettant un même panthéon et de mêmes textes sacrés, une même écriture, des coutumes semblables.

Évanouies dans les sables, connues seulement par Bérose, Hérodote et la Bible, ces fameuses cités avaient longtemps été l’objet de fantasmes. Babylone, cité du vice, capitale démoniaque, avec sa tour de Babel et ses tyrans odieux. Puis vint le XVIIIe siècle des Lumières, le XIXe de la science historique.

Dans le sillage des banquiers, des aventuriers et autres explorateurs intrépides, des missions scientifiques se jetèrent avidement sur le trésor des siècles. Françaises d’abord, puis anglaises, allemandes et américaines, elles rapportèrent dans les grands musées d’Europe nombre de statues étranges et de tablettes mystérieuses dont bientôt on déchiffra l’écriture. Surgirent alors, au milieu de profanes livres de compte, des textes sacrés, dont la Bible avait seule porté jusqu’à nous le lointain écho : épopée de Gilgamesh, voyage de la déesse Ishtar aux enfers, lamentations, proverbes, contes philosophiques…

Génération après génération, les archéologues continuèrent d’excaver murs, latrines, tablettes, statues, textes, ossements, etc. Ils reconstituèrent le passé à mesure, y compris la vie quotidienne, bien mieux connue désormais que celle des Grecs et des Romains, étant donné que nombre de textes du quotidien, écrits sur tablettes et non sur papyrus, se sont conservés jusqu’à nous.

Sans rien négliger des grands textes sacrés, et après avoir brossé le tableau chronologique des ces milliers d’années de civilisation, Véronique Grandpierre nous fait ainsi pénétrer la civilisation mésopotamienne dans sa quotidienneté : sexualité, nuptialité, nourriture, pratiques religieuses et mentalités. Évidemment, la reconstitution est émaillée de nombreux trous, mais l’auteur ne prétend pas les cacher. Le mystère demeure…

2. Origines

Selon la mythologie mésopotamienne, les dieux inférieurs travaillaient pour les supérieurs, qui jouissaient de l’existence en toute oisiveté. Ils ne se révoltèrent pas, mais eurent une idée : celle de fabriquer un être qui travaillerait pour eux, de sorte qu’eux-mêmes soient débarrassés de tout labeur. Cet être, ce fut l’homme.

On comprend, explique Véronique Grandpierre, l’importance de ce mythe dans la Mésopotamie de ces époques reculées. Car ce pays, ce sont deux fleuves, le Tigre, et l’Euphrate, coulant au beau milieu de contrées désertiques, écrasées de soleil, et sujets à de fortes crues, régulières, mais imprévisibles. L’acclimatation de l’agriculture y nécessita des travaux titanesques. Il fallait irriguer le désert, creuser de canaux, bâtir des barrages. Le résultat en valait la chandelle.

Dès que les rois sumériens eurent mis en place l’administration nécessaire (impôt et ordres écrits), le pays se mit à produire des quantités colossales de céréales.

Sumer centralisait et vendait les surplus. La civilisation est, dès l’origine, un tout inextricable : ville, État centralisé, écriture, agriculture et commerce lointain s’expliquent et se supposent ainsi les uns les autres : point de commerce sans surplus agricole, point de surplus sans irrigation ; point d’irrigation sans travaux titanesques ; point de travaux sans Etat ; point d’Etat sans administration ; point d’administration sans écriture ou sans impôt ; point d’impôt sans commerce.

3. Sumer et les invasions

Au sujet des origines, on n’est donc pas renseigné par des textes contemporains des événements, seulement par des mythes. Le premier d’entre eux, c’est celui de Gilgamesh, roi du pays d’Uruk vers 2700 av. J.-C., qui nous est connu par l’épopée qui porte son nom et retrace sa lutte contre la mort et son voyage aux enfers.

À cette époque, le pays est dominé par le peuple sumérien, dont la langue ne se rattache à aucune autre langue connue.

Mais, bientôt, un peuple nouveau entre en scène, le peuple sémite d’Akkad, venu du nord. Les rois akkadiens unifient le pays, soumettent les peuples voisins, jusqu’en Syrie et en Perse. Ils se coiffent de la tiare des dieux, surmontée de serpents, et portent le nom de Seigneurs de Kish, à la fois nom de leur capitale et désignation de l’univers en sa totalité. L’empire, à prétentions universelles, étend ses relations commerciales à l’Inde et au Yémen.

Mais cette prospérité ne dure pas. Bientôt, à nouveau, surgit une vague d’invasions barbares. Akkad s’effondre. C’est la renaissance sumérienne. Il se développe alors une véritable littérature, en sumérien (Épopée de Gilgamesh, hymnes religieux, etc.), qui sera le fondement classique de toute la civilisation mésopotamienne, et un système juridique : on date d’alors le premier Code de loi, qui est un recueil de sentences royales, indiquant le droit et la justice dans des situations concrètes, et appelant une méthode d’interprétation juridique qui n’est pas sans rappeler l’islamique.

Aucunement des lois au sens moderne, puisqu’elles « ne vident […] pas à couvrir l’ensemble des situations potentielles mais, à partir de paradigmes, d’en juger d’autres » (p. 275). Mais cette renaissance ne touche pas que les domaines religieux et juridique. On construit un mur au nord pour se protéger des barbares. On édifie les premières “ziggourats”, ces tours qui escaladent le Ciel.

4. Le rattachement à l'empire perse

À nouveau, viennent les barbares, sémites Amorrites, qui détruisent Sumer. Émerge bientôt le royaume de Babylone, littéralement la « Porte des dieux ».

En 1792 av. J.-C., un certain Hammourabi monte sur le trône, unifie le pays, rédige un Code et impose un calendrier unique à tout le pays. Or, à la même époque, la brillante civilisation de l’Indus disparaît. Le sud du pays, zone sumérienne, perd ses débouchés commerciaux et entre en décadence, définitivement. Le pouvoir est au nord, et y restera. La langue parlée, ce sera l’Assyrien, le sumérien subsistant comme langue de lettrés.

Vers 1200-1000, c’est la terrible invasion des “peuples de la mer”, ces indo-européens qui, avec les Doriens apparurent alors en méditerranée.

Se livrant à d’inouïs massacres, dont les sources égyptiennes se font elles aussi l’écho, ils poussent les Araméens, peuple nomade sémite, à s’installer dans tout le pays, où ils répandront leur langue, qui deviendra la lingua franca de tout le Proche-Orient, jusqu’au Ier siècle.

S’ouvre alors une époque, mieux connue depuis longtemps, grâce aux Hébreux et aux Grecs, celle de l’Empire néo-assyrien de Sardanapale et Sémiramis, dont les vices apparaissent, à la lecture des sources assyriennes, comme autant de mythes.

La capitale se déplace à Ninive, puis à nouveau à Babylone. Mais un certain Nabonide, haut fonctionnaire, accéda au pouvoir.

Voué à Sîn, dieu de la lune, il refusa à Marduk, dieu de Babylone, le service divin. Indignés, les prêtres de ce dernier se rallièrent au perse Cyrus le Grand, qui devait reconnaître Marduk et intégrer la Mésopotamie à son immense Empire, mettant ainsi un terme à l’histoire de la Mésopotamie antique.

5. Croyances et religion

Douée d’une longévité plurimillénaire, la religion mésopotamienne a connu des métamorphoses nombreuses liées aux transformations politiques qui affectaient le pays. Chaque cité a, en effet, sa divinité tutélaire et, si elle devient le centre du pays, alors son dieu devient le roi des dieux.

C’est ainsi que le poème de Création explique la suprématie de Babylone à la fin IIe millénaire. Dans ce texte, la naissance du monde est « issue d’une guerre intergénérationnelles entre dieux » (p. 371), à l’issue de laquelle Marduk crée le monde à partir du cadavre de Tiamat (déesse des Eaux primordiales), dont le foie devient notre firmament. « Chaque élément de la nature est donc une pièce du divin. Aucune différence n’existe entre naturel et surnaturel » (p. 372).

Comme il y a correspondance intime entre le monde divin et le monde naturel, il va de soi que l’on peut prédire les événements de l’ici-bas en observant les évolutions de la sphère céleste. Les rois consultent donc les mages, pour tenter de connaître les destinées. Ce qui revêt une grande importance : le roi est le garant de l’harmonie cosmique. Et on le lui rappelle : régulièrement, il doit s’en aller de la ville, avec le dieu tutélaire. La ville est purifiée.

Quand il revient, le grand prêtre lui administre une gifle, car il a fauté. S’il pleure sincèrement, l’année sera faste. Sinon, elle sera néfaste.

6. Vie quotidienne et urbanisme

Le fondement de la famille est le culte des morts, dont le sacerdoce appartient au chef de famille. Mais, si la société mésopotamienne est indéniablement patriarcale, cela ne signifie pas que la femme soit dans un état d’infériorité radical. Le voile qu’elle porte n’est qu’un signe de distinction sociale. Certaines reines ont eu le pouvoir, et le rôle de la déesse Ishtar est central. À certaines époques, elles peuvent diriger un domaine ou passer contrat.

Quoique majoritairement paysanne, la société est très marquée par l’urbanité. Au cœur des villes, les temples, bien sûr, et ces ziggourats, tours à étage par où la Terre rejoignait le Ciel, immenses édifices où s’entassaient des dizaines de millions de briques et dont l’édification nécessitait l’emploi d’une main d’œuvre déportée, selon un usage ancien et toujours plus massif, dont les Juifs firent comme on sait la malheureuse expérience, mais qui concerna bien d’autres peuples et en des proportions encore plus énormes encore.

C’est autour de ces temples, et du palais du roi, que tournait l’activité urbaine : par ces deux institutions, qui détenaient d’immenses terres, la ville était liée à la campagne, cette dernière fournissant les biens alimentaires nécessaires à la vie du palais comme au commerce dont la ville et le prince s’enrichissaient. Mais cette ville n’est pas une cité au sens grec. Ici, point de forum ou d’agora. Quelques larges avenues, d’innombrables petites ruelles organisées en souks (mot d’origine akkadienne), et les portes de la ville, où se tenaient les marchés, où l’on prélevait l’octroi, où l’on rendait justice et où le roi faisait annoncer ses édits.

Faites de briques, car la pierre est rare, les villes étincelaient de mille couleurs, les monuments étant recouverts de briques émaillées. Les ziggourats comptaient sept étages, chacun correspondant à une couleur et à l’un des astres nocturnes. Dans les rues, de nombreux magasins, bien sûr, mais aussi des cabarets où la bière coulait à flots et où les prostituées se donnaient rendez-vous sans crainte, puisque l’adultère n’était puni que pour les gens mariés. Mais rien, dans les sources, qui témoignerait de cette perversion achevée dont la Babylone biblique est le symbole.

Quant aux maisons, leurs fondations étaient « souvent en briques cuites, les sols en terre battue, les murs en briques crues recouvertes de chaux » (p. 207). Avec plus d’une centaine de mètres carrés au sol, les maisons « bourgeoises » n’étaient pas petites. Constituées d’une pièce centrale autour de laquelle rayonnaient les autres pièces, les plus grandes près de l’entrée, elles comptaient au moins un étage, des toilettes, une cuisine et sans doute une terrasse.

7. Science et sorcellerie

Il y avait, en Mésopotamie, tout un système d’enseignement d’État, développé dès le IIIe millénaire, et organisé en trois « cycles » : le cycle primaire, où l’on apprenait les rudiments du calcul et de l’écriture, le cycle d’approfondissement, où l’on étudiait les textes littéraires, les hymnes, la musique, et un cycle supérieur comprenant trois branches : la divination, l’exorcisme et la lamentation. La discipline était dure : on pratiquait le châtiment corporel.

La science existait, mais pas au sens actuel. Les principes en étaient, plus que la déduction et l’observation scientifique, l’analogie et l’observation à l’œil nu. Cependant, il semblerait que l’on connaissait le théorème de Pythagore, et il est assuré que l’on utilisait le zéro et que l’on extrayait les racines carrées. Les bibliothèques, bien fournies (pas moins de trente mille tablettes dans la bibliothèque de Ninive), étaient réservées aux initiés et on était scribe de père en fils. Il régnait donc un culte du secret, et il demeure malaisé de savoir quelles étaient les connaissances réelles des Mésopotamiens.

Dans ce monde, la magie jouait un grand rôle. Autour d’un malade se pressaient, outre le médecin à proprement parler, qui recevait une amende en cas d’échec et qui donc devait avoir tendance à ne pas tenter l’improbable, un devin, chargé de scruter les astres et les entrailles pour deviner l’avenir, et un exorciste, chargé de transférer le malheur sur un autre être en utilisant le pouvoir que l’on attribuait à la parole d’agir sur ce qu’elle nomme et au geste ou au signe de convoquer réellement ce qu’il montre.

8. Conclusion

Grâce au patient travail des assyriologues, nous connaissons toujours mieux les mythes, les mœurs et les connaissances des anciens Mésopotamiens. Une chose est certaine : s’ils n’étaient pas les monstres que décrit la Bible, leurs villes étaient bien des lieux d’intense brassage ethnique, puisqu’à l’élément originel étaient venus s’adjoindre toutes sortes d’envahisseurs ou des populations déplacées en masse.

Autre certitude : ils ne partageaient pas les certitudes judéo-chrétiennes concernant l’immortalité de l’âme ou la création ex nihilo. Leurs conceptions ont pu donc sembler monstrueuses aux Juifs et aux Grecs, et influencer négativement les représentations qu’ils en avaient. On conçoit que, pour un Père de l’Église, le pessimisme fondamental et l’injonction à jouir d’une vie que l’on sait courte et vouée à la mort, que dispense l’Épopée de Gilgamesh, avait toutes les apparences, effectivement, de la monstruosité.

9. Zone critique

L’ouvrage de Véronique Grandpierre a le grand mérite de présenter au grand public l’« état de la recherche » dans le domaine extraordinairement complexe de l’assyriologie. Grâce à lui, le lecteur commence à comprendre quelque chose à ces quatre millénaires, avec ses multiples dynasties, ses guerres sans nombre et ces dieux innombrables.

Cependant, il ne fait que présenter et synthétiser. Il ne conclut pas. Il ne tente pas de saisir l’essence de la civilisation qu’il décrit, et il ne le peut pas, puisqu’il ne se livre à aucun essai de comparaison historique, ni avec les sociétés contemporaines ni avec les sociétés ultérieures de la même aire géographique.

Et pourtant, mille choses s’y seraient prêtées : il n’est que de songer aux similitudes de l’étoile du berger de l’évangile et de la déesse babylonienne Ishtar-Vénus, épouse du berger Dumuzi. Ou de penser à la coutume, rapportée par Frazer, de ces anciens rois de Babylone systématiquement sacrifiés, comme si le roi n’était, pour reprendre le concept de René Girard, qu’un bouc émissaire.

10. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Histoire de la Mésopotamie, Gallimard, coll. « folio histoire », 2010.

Du même auteur– Sexe et amour de Sumer à Babylone, Gallimard, 2012.

Autres pistes– Jean-Claude Margueron, Les Mésopotamiens, Armand Colin, 1990.– Jean Bottéro, Mésopotamie. L'écriture, la raison et les dieux, Gallimard, coll. « Folio Histoire », 1987.

© 2021, Dygest