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12 leçons de rhétorique pour prendre le pouvoir

de Victor Ferry

récension rédigée parKarine ValletProfesseure certifiée de Lettres Modernes.

Synopsis

Développement personnel

Les réseaux sociaux ont rendu la communication plus facile que jamais. Le problème est que, dans le flux incessant des informations qui circulent sur Internet, nos discours risquent de passer inaperçus et de ne pas atteindre leur cible. La solution ? La rhétorique, cet art du langage qui permet de créer des contenus uniques et percutants. Victor Ferry nous donne les clés pour la mettre en pratique avec efficacité et l’adapter à nos objectifs.

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1. Introduction

À l’heure où les nouvelles technologies et les réseaux sociaux nous permettent de nous exprimer de façon quasi illimitée, la rhétorique apparaît comme une compétence clé pour faire valoir ses idées et se démarquer. Cet art de l’éloquence, qui existe depuis des millénaires et a été théorisé par Aristote dans l’Antiquité, est un outil précieux pour faire mouche auprès de ses auditeurs et de ses lecteurs. Que l’on souhaite défendre une cause ou mettre en avant un projet, il nécessite néanmoins un apprentissage minutieux et une connaissance pointue de l’art de jouer avec les mots et de la psychologie du public.

Quels sont les secrets pour rendre ses discours toujours plus efficaces ? Dans quelle mesure la rhétorique peut-elle nous libérer de la tendance actuelle au conformisme idéologique ? Quelles étapes suivre pour élaborer une ligne de pensée crédible et fédératrice ?

Victor Ferry dévoile les leviers à actionner pour donner une plus grand aura à l’expression de nos convictions et ainsi faire de nous des orateurs accomplis.

2. La rhétorique, une discipline toujours d’actualité

Si le langage n’est pas une capacité proprement humaine, les hommes ont su en faire un moyen de communication plus élaboré et complexe que celui des animaux. La rhétorique en est l’une des représentations les plus sophistiquées. Apparue au Ve siècle avant J.-C., elle se développe concomitamment à l’institution de tribunaux populaires, ainsi qu’à l’émergence de la démocratie à Athènes. Pour bien se défendre et faire impression dans le débat public, les accusés devaient maîtriser l’art oratoire. C’est dans ce cadre que s’est institutionnalisée la rhétorique, sous forme d’écoles dédiées à son enseignement.

Visant à la fois la qualité du contenu, du style et de la structure argumentative du discours, l’apprentissage se décompose en trois phases : la praxis (l’entraînement), la poïesis (la mise en application concrète) et l’hexis (l’appropriation globale des techniques au point d’en faire l’équivalent d’un talent inné). Il repose sur une grande diversité d’exercices : les dissoi logoi, qui consistent à argumenter des points de vue opposés, ou les progymnasmata, dont le but est de produire des formes de discours à la difficulté croissante, telles que la fable, la maxime ou l’éloge paradoxal, destiné à mettre en valeur une personne ou un fait unanimement décrié.

Si ces exercices méritent toujours d’être exploités pour manier la langue avec plus d’aisance, les réseaux sociaux sont aujourd’hui un terrain d’expérimentation inespéré pour les mettre en application. YouTube constitue notamment un tremplin pour tester ses qualités d’orateur et les perfectionner. À condition de diffuser régulièrement des contenus, il permet d’évaluer l’impact qu’ont nos vidéos à travers les commentaires ou le nombre de vues. YouTube est donc un outil d’estimation précieux de notre capacité à mobiliser par nos discours, ainsi que de nos progrès au fil des publications. Pour cela, il convient d’alterner des vidéos de fidélisation, prenant la forme de tutoriels ou de contenus culturels, et des vidéos d’acquisition, destinées à étoffer le champ de ses followers en traitant de sujets plus ancrés dans l’actualité.

Si les réseaux sociaux sont un support propice à mettre en lumière nos idées, l’art de la rhétorique permet de leur donner plus de force. Celui qui la pratique avec persévérance se donne le pouvoir de changer le monde en fonction de ses valeurs.

3. Élaborer son idéologie personnelle

Quand on veut créer un mouvement ou défendre une cause, il faut soigner son ethos, à savoir l’image que l’on renvoie aux autres. Cela passe par l’élaboration d’une éthique personnelle dont on respecte les principes au quotidien. Selon nos convictions, elle peut s’inspirer de valeurs comme l’idéalisme, l’égalitarisme, le principe de responsabilité, l’utilitarisme ou le libéralisme.

Cette philosophie de vie doit se mettre au service du bien-être commun et nous amener à déployer des qualités telles que la bienveillance, l’empathie et le perfectionnisme. Elle doit s’accompagner d’un discours d’expert, associant une connaissance approfondie de notre sujet, des compétences de pédagogue et une capacité à porter un regard critique sur nous-mêmes. Cette double approche est la clé pour se forger une réputation solide et inspirer confiance à son public.

Pour préserver l’image qu’on s’est construite, l’auteur conseille de se livrer avec parcimonie sur les réseaux sociaux et de se nourrir des critiques constructives, tout en bloquant celles qui ne visent qu’à nous nuire.

La rédaction d’un manifeste donne l’occasion de mettre la pierre finale à son idéologie. Cette étape permet de donner corps à ses convictions et à sa quête d’idéal à travers un texte fondateur qui dresse les objectifs recherchés et les moyens d’y parvenir. Parmi les manifestes célèbres, celui de Du Bellay, Défense et illustration de la langue française, a contribué à ériger le français en langue officielle et à l’enrichir au XVIe siècle, alors que le grec et le latin dominaient les productions intellectuelles et que différents patois morcelaient la France.

Pour être efficace, un manifeste doit suivre une progression en cinq étapes : identifier les problèmes que l’on souhaite résoudre ; assombrir l’horizon en soulignant la gravité de la situation et l’urgence de se mobiliser ; interpeller les détracteurs pour les mettre face à leurs responsabilités ; prouver le bien-fondé des solutions proposées ; inciter à l’action en proposant des initiatives concrètes et terminant sur une note optimiste.

4. Affronter ses opposants

À l’ère actuelle, la parole s’est démocratisée au point qu’il est impossible de soutenir un point de vue sans trouver sur sa route des opposants. Platon soulignait déjà les dérives de la démocratisation de la rhétorique, permettant aux amateurs de discourir avec brio sur des sujets qu’ils ne maîtrisent pas. Aujourd’hui, il est d’autant plus difficile de prouver le bien-fondé de ses opinions que la vérité est une valeur manipulée sans vergogne.

Au cœur de cette tendance à la désinformation, le bad buzz consiste à jouer sur l’exagération et la grossièreté de ses propos pour susciter la polémique et attirer l’attention sur soi, au détriment de la pertinence du contenu. Le bullshit est aussi une dérive inquiétante qui vient saper les fondements d’un échange constructif puisqu’il s’agit de dire des choses pour faire de l’effet, sans se soucier de la véracité de ce que l’on avance. Selon le chercheur, Sebastian Dieguez, cette tendance s’avère d’autant plus dangereuse qu’elle résulte non pas d’un mensonge assumé, mais d’une indifférence pure et simple à la notion de vérité. Ces dérives intellectuelles nous ont fait basculer dans une ère post-vérité, c’est-à-dire que les infox et le sensationnalisme tendent à prendre le dessus sur l’argumentation objective.

Lorsqu’on défend une cause ou un projet, il convient d’adopter une posture mesurée à l’égard de ses opposants. Il ne faut ni les ignorer ni leur accorder trop d’importance. Un orateur bien préparé dispose par ailleurs d’une vision d’ensemble de son sujet. Il est conscient des postures intellectuelles adverses auxquelles il va être confronté. Outre le sensationnalisme, Victor Ferry en recense trois autres : le relativisme, prônant le droit à avoir un avis contraire et tout aussi pertinent ; le populisme, qui se nourrit du rejet du système et des élites ; l’intellectualisme, qui nie la capacité à être objectif sur un sujet et à être détenteur de solutions universelles. La maîtrise exhaustive de son sujet présente aussi l’avantage de pouvoir se constituer un répertoire de « lieux », c’est-à-dire de thématiques ou d’angles d’approche adaptés à chaque situation. Cela accroît notre réactivité face aux discours des opposants.

Pour affronter ses adversaires avec efficacité, la règle est donc d’anticiper leurs coups en étant maître de son discours et du leur. La mise en lumière des incohérences de leurs arguments est une stratégie visant à fragiliser leur propos et à les discréditer. L’objectif : repérer les sophismes, des arguments prenant l’apparence de vérités générales non étayées par des preuves objectives. On est tous sujets à ces maladresses d’argumentation qui peuvent prendre différentes formes : la généralisation hâtive, consistant à tirer une conclusion générale d’un cas particulier ; l’argument ad baculum, qui vise à imposer un point de vue sous couvert de menace ; l’argument ad populum, qui incite à considérer une opinion comme valide au simple motif qu’elle est largement répandue, etc.

5. Se forger un style convaincant

S’exprimer avec conviction dépend du choix des mots et du rythme que l’on donne à son discours. Les grands classiques de la littérature sont d’excellents modèles pour nous apprendre à passer d’un style bas, celui de la conversation, à un style élevé, plus travaillé. La clé pour conférer une touche personnelle à ses discours et se débarrasser des clichés ? Les figures de style, utilisées par les plus grands orateurs, à commencer par les hommes politiques.

De l’hyperbole, qui vise à amplifier une idée, à la métaphore permettant d’imager la réalité pour la rendre plus expressive, ces outils rhétoriques ont pour vertu de capter l’attention des auditeurs ou des lecteurs. Tout comme les effets de rimes, le rythme de la syntaxe procure aussi plus de force et de vitalité au message. Des chercheurs en psychologie sociale ont révélé que les séquences ternaires fédéraient davantage et, qu’au-delà de trois assertions, le discours tendait à susciter la défiance. Les lignes directrices des grands courants littéraires doivent également nous inspirer : l’innovation lexicale caractéristique du baroque, la concision stylistique prônée par le classicisme, le goût pour l’introspection hérité du romantisme et l’observation méthodique propre au réalisme.

Au-delà du style proprement dit, la structure du discours joue un rôle considérable. Une bonne argumentation combine une conclusion, c’est-à-dire l’idée à laquelle le public doit adhérer, et des prémisses, à savoir des affirmations venant soutenir notre point de vue. Pour s’assurer de la pertinence de son discours, il suffit d’en vérifier la validité en détectant les sophismes et en les éliminant. L’argumentation doit également être soumise au test de vérité, qui vise à garantir la présence d’exemples concrets qui revêtent des formes variées : données qualitatives (nos expériences ou celles d’autres personnes), expérimentales (des recherches savantes confirmant le propos) et quantitatives (des sources chiffrées, comme les statistiques).

Pour être pleinement efficace, l’argumentation peut par ailleurs s’inspirer de la théorie de la vaccination, élaborée par le psychologue américain, William J. McGuire. Elle a pour but d’apprendre au public à riposter aux attaques des opposants, en le confrontant à des arguments contraires à son point de vue. Cette méthode permet de s’exercer à réfuter les affirmations des adversaires

6. Actionner les leviers de la persuasion

Outre l’ethos (l’image de crédibilité cultivée par l’orateur) et le logos (l’argumentation), la rhétorique présente une troisième dimension à exploiter : le pathos ou levier émotionnel. Pour être efficace, un bon discours doit proposer un savant mélange entre l’art de convaincre en s’adressant à la raison et l’art de persuader en suscitant des émotions. Le cerveau humain est ainsi conçu qu’il fonctionne tantôt sur un mode automatique et instinctif, tantôt sur un mode rationnel propre à enclencher la réflexion. Il va de soi que le mode automatique doit être priorisé si l’on veut amener le public à l’action.

Comme le souligne Aristote, cela induit une bonne connaissance de la psychologie humaine, ainsi que du public auquel on s’adresse. C’est là qu’entrent en jeu les qualités d’empathie de l’orateur, qui l’aident à comprendre les attentes de ses auditeurs ou lecteurs. L’apparition du nudge dans nos sociétés illustre cette tendance à la persuasion : au lieu de tenter de raisonner autrui, on exploite les mécanismes qui vont déclencher les réactions désirées de façon automatique. Il s’agit d’inciter les gens de façon douce à adopter un certain type de comportement. Par exemple, on équipe les cantines d’assiettes plus petites pour lutter contre le surpoids ou bien on joue sur notre penchant à entrer dans la norme, en informant les foyers les plus énergivores que leur consommation d’électricité excède celle de leurs voisins.

Comme l’a démontré le neurologue, Antonio Damasio, toutes nos décisions résultent d’une émotion et plus spécifiquement de marqueurs somatiques, un répertoire d’expériences personnelles associées à un état émotionnel précis. Ces marqueurs somatiques influencent nos choix et nos réactions dans une situation donnée. Les principaux leviers à actionner sont ceux du désir, lié à la recherche d’un idéal, et de la crainte, provoquée par les risques encourus si l’on reste passif. Plusieurs études ont prouvé que plus l’émotion est intense, plus on éprouve le besoin de la partager. La dimension émotionnelle s’avère efficace pour rendre une argumentation plus puissante, à condition que l’on soit habité par des sentiments semblables à ceux qu’on désire provoquer.

La description constitue une excellente stratégie pour faire naître des émotions. Elle permet au public de visualiser la situation et d’emporter son adhésion, alors que l’argumentation a tendance à éveiller l’esprit de réfutation qui existe en chacun de nous. De même, le recours au récit est un tremplin efficace pour captiver l’auditoire ou les lecteurs. La fiction s’adresse à leur imagination plus qu’à leur esprit critique, favorisant ainsi leur implication. La rhétorique peut aussi faire appel aux rouages des discours de vente. Le marketing épique fait partie des stratégies qui permettent de donner du relief à ses propos et de les rendre plus attractifs. Grâce à une structure partant des solutions à un problème et se clôturant sur les résultats concrets espérés, le discours remplit les fonctions d’accroche et d’appel à l’action susceptibles de mobiliser l’attention et d’engager le public.

7. Conclusion

Le grand orateur est un passeur qui, grâce à son éloquence, transmet ses idéaux à son public en lui procurant des solutions pour qu’il puisse, à son tour, agir en fonction de ses aspirations.

En ce sens, la rhétorique est une discipline qui, pratiquée de façon éthique, revêt une dimension altruiste. Elle est également profondément constructive pour celui qui s’y adonne : elle lui permet d’affirmer son identité et ses valeurs avec force et conviction, dans un monde où les discours foisonnent et se contredisent en permanence sur Internet et dans les médias.

8. Zone critique

Victor Ferry inscrit sa pensée dans la lignée des théories aristotéliciennes. S’il évoque les dérives possibles de la rhétorique maniée par des personnes mal intentionnées, il l’envisage surtout comme un outil de persuasion qui doit être mis au service d’un monde meilleur et de l’utilité commune. En ce sens, la rhétorique est fondamentale pour toute démocratie car elle permet de résoudre les conflits sociaux par la parole et le débat, ainsi que le rappellent Olivier Reboul ou Kenneth Burke. Selon le linguiste, Julien Barret, celui qui connaît les rouages de cette discipline est capable de décrypter les stratégies oratoires mises en place dans les discours. Il regrette qu’elle ne soit plus enseignée comme autrefois car elle est un gage de liberté sociale et morale.

Pour le professeur Marc Angenot, définir la rhétorique comme un art de persuader efficace est une erreur si l’on en juge par les nombreuses querelles intellectuelles qui ont jalonné l’histoire et n’ont jamais abouti. Emmanuelle Danblon fait également remarquer qu’elle inspire souvent la méfiance dans nos sociétés. Si elle procure au locuteur une liberté d’expression et une force de persuasion, elle présuppose de fait une capacité à influencer autrui. Elle constitue d’ailleurs un excellent moyen pour les complotistes de répandre les théories les plus irrationnelles, telles que le platisme qui affirme que la Terre n’est pas ronde ou bien le fait que le voyage sur la Lune des Américains ne serait qu’une fiction créée de toutes pièces par la NASA. C’est pourquoi certains considèrent la rhétorique comme un art du mensonge, voire de la manipulation, tels que Platon dès l’Antiquité. Pour Kant, elle est une discipline méprisable qui a pour vocation d’exploiter les faiblesses humaines.

9. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Victor Ferry, 12 leçons de rhétorique pour prendre le pouvoir, Paris, Eyrolles, 2020.

Du même auteur– Traité de rhétorique à usage des historiens, Éditions Classiques Garnie, 2015.

Autres pistes– Marc Angenot, Dialogues de sourds – Traité de rhétorique antilogique, Paris, Mille et une Nuits, 2008.– Aristote, Rhétorique, Paris, Flammarion, 2007.– Pierre Chiron, Les Progymnasmata en pratique, de l’Antiquité à nos jours, Paris, Rue d’Ulm, 2020.– Emmanuelle Danblon et Loïc Nicolas, Les Rhétoriques de la conspiration, Paris, CNRS, 2010.– Sebastian Dieguez, Total bullshit !, Paris, PUF, 2018.– Olivier Reboul, Introduction à la rhétorique, théorie et pratique, Paris, PUF, 2013.– Guillaume Soulez, « Rhétorique, public et manipulation », Hermès, La Revue, n° 38, 2004, p. 89-95.

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