Dygest vous propose des résumés selectionnés et vulgarisés par la communauté universitaire.
Voici le résumé de l'un d'entre eux.
de Walter Isaacson
Qui ne connaît pas Steve Jobs (1955-2011) ? Walter Isaacson a révélé dans cette biographie les dessous du génie d’Apple. Après avoir passé des années à échanger avec Steve Jobs, sa famille, ses amis, ses collaborateurs et, même, ses ennemis, l’auteur est parvenu à proposer une biographie riche des éléments fondateurs de la personnalité haute en couleur de l’homme qui a changé notre rapport au monde.
Steve Jobs a été adopté peu de temps après sa naissance. Il a fallu vingt ans pour que le cocréateur d’Apple retrouve sa mère biologique. Depuis toujours, Steve Jobs sut qu’il avait été adopté, mais il retint surtout avoir été « abandonné » puis « choisi ». Ces deux notions formèrent sa personnalité, au point de savoir qu’il était « différent des autres ». Il se considérait comme un « être élu et éclairé » (p. 149) et percevait le monde de façon binaire : il y avait les « éclairés » et les « demeurés » (p. 150). Il savait mieux que quiconque sonder les failles, les défauts et les peurs d’autrui et s’en servait pour manipuler la réalité et les individus autour de lui. Consciencieux et perfectionniste, chaque intervenant de la chaîne de production devait prendre ses responsabilités. Steve Jobs n’admettait aucune médiocrité.
En 1974, Steve Jobs partit en Inde en voyage spirituel. En revenant en Amérique, il fut frappé par l’esprit contre-intuitif des Occidentaux. Ayant gagné en confiance et en calme intérieur, « Jobs se mit à croire qu’il pouvait insuffler aux autres cette nouvelle confiance en soi et les pousser à réaliser des prouesses, à réussir l’impossible. » (p. 76). Plus tard, le jeune homme parviendrait à hypnotiser ses employés et à leur faire réaliser l’impossible, il était capable de déformer la réalité, de rendre les contraintes techniques et les problèmes budgétaires invisibles. Les employés d’Apple parlaient alors du « champ de distorsion de la réalité (CDR) » de Steve Jobs. C’était là une façon polie de dire que Jobs mentait…
Usant de son CDR, Steve Jobs parvenait à obtenir le meilleur de ceux capables de passer outre ses commentaires acerbes, mais aussi à mettre plus bas que terre ceux qui n’avaient pas le courage de le contredire. Se mentant à lui-même, il était également capable de faire fi des éléments qui le dérangeaient – comme lorsqu’il ne reconnut pas la paternité de sa fille Lisa ou, plus tard, quand on lui apprit son cancer et qu’il refusa, les premières années, des traitements chimiques, persuadé de pouvoir le soigner à base de jus de fruits frais.
Paul Jobs avait appris à son fils l’importance du travail bien fait, à l’intérieur, comme à l’extérieur du produit. Plus tard, au salon d’Aspen en 1983, Steve Jobs s’intéressa particulièrement au design italien et au design « simple sans être froid » défendu par le Bauhaus. Selon Steve Jobs, simplicité d’emploi rimait avec simplicité du design. Ainsi, ses produits devaient inspirer la simplicité et la sophistication suprême. En 1984, dans un contexte social où l’ordinateur effrayait les masses, Steve Jobs voulait en faire un instrument de liberté, de créativité et d’émancipation. Pour cela, il dut convaincre bon nombre de ses collaborateurs qu’un ordinateur devait être « sympathique » et pouvait être destiné aux masses populaires.
En fait, Steve Jobs était un artiste élitiste et têtu qui ne pouvait accepter que son chef-d’œuvre soit modifié par des hackers, « comme si quelqu’un venait ajouter quelques coups de pinceau à un tableau de Picasso. » (p. 169). Il estimait que même un enfant n’ayant jamais touché un ordinateur devait être capable d’utiliser ses produits. C’est pour cette raison qu’il ne faisait pas de compromis au sein de son entreprise : si un appareil nécessitait de dépasser le budget pour atteindre les objectifs techniques et esthétiques souhaités, alors il dépassait le budget, et ce, quitte à se mettre à dos ses responsables financiers. Il pouvait passer des jours à choisir une teinte de beige ou à réfléchir quelle forme carré pourrait convenir.
Comme il le disait si bien lui-même, son approche intégrée – maîtriser le processus d’utilisation de A à Z – était plus une question de droiture qu’un besoin de contrôle : « Nous ne faisons pas cela parce que nous sommes des obsédés du pouvoir. Nous le faisons parce que nous voulons créer de grands produits, que nous nous soucions de l’utilisateur, et que nous assumons la responsabilité de l’ensemble de l’expérience. » (p. 632 et p. 633)
Steve Jobs et Stephen Wozniak se sont rencontrés à Homstead High School. Se trouvant de nombreux points communs – les blagues, les ordinateurs, la musique –, les deux jeunes hommes s’impressionnent alors mutuellement. À l’époque, peu de personnes comprenaient les projets de Wozniak, et Jobs trouve en son camarade une personne qui en sait plus que lui. Peu de temps après leur rencontre, les acolytes créent la Blue Box, une petite boîte permettant de court-circuiter les systèmes téléphoniques et de passer des appels à l’international gratuitement.
Le coût de production des boitiers était de 40 dollars. Rapidement, Steve Jobs eut l’idée d’en fabriquer des centaines et de les vendre 150 dollars l’unité. Cette expérience posa les bases de leur partenariat : Wozniak serait le magicien des inventions quand Steve Jobs imaginerait comment les présenter, les rendre conviviales et comment en retirer de l’argent.
Le 3 janvier 1977, la société Apple Computer Co est officiellement créée. Grâce à Mike Markkula, figure paternelle de Steve Jobs, Apple eut son premier investisseur – à hauteur de 250 000 dollars – et son premier plan de développement. Markkula est celui qui a écrit les principes fondateurs de la société :
• empathie avec les clients,• convergence – supprimer toute activité secondaire –,• et incarnation – l’ensemble de la chaîne de production doit incarner les valeurs de l’entreprise. C’est la raison pour laquelle Steve Jobs se soucia de l’image de ses produits, jusqu’au carton d’emballage.
En juin 1977, l’Apple II se vendit à six millions d’exemplaires et fut commercialisé pendant 16 ans. À ce moment-là, Wozniak entra dans l’histoire comme le créateur d’un système d’exploitation et d’une électronique révolutionnaires. Jobs commençait à peine à être reconnu pour ses compétences tant commerciales qu’esthétiques et comprit qu’il lui fallait faire une nouvelle percée technologique.
La société Xerox avait développé un centre de recherche à Palo Alto (Palo Alto Research Center) en 1970 pour explorer des idées dans le domaine numérique.
À l’époque Apple et Xerox échangeaient déjà en termes commerciaux. Ayant entendu parler des recherches du centre, Steve Jobs proposa à la société d’investir un million de dollars s’il les laissait lui montrer ce qu’ils faisaient au PARC. En décembre 1979, Jobs visita les locaux et comprit que l’équipe du PARC lui cachait de nombreuses informations. Après de multiples appels, Jobs obtint gain de cause. Alors, l’équipe d’Apple découvrit les avancées du PARC en matière d’interface graphique et d’images matricielles – capacité à créer des graphismes, des polices de caractères et des pages d’accueil. Scotché par cette découverte, Steve Jobs sut que l’informatique de demain ressemblerait à ça !
Nombreux sont ceux considérant encore cette visite d’Apple dans les locaux du PARC comme le plus grand vol industriel de l’histoire. Cependant, à l’époque, Xerox n’avait pas les compétences pour exploiter cet immense savoir. Ainsi, Appel développa en interne plusieurs éléments-clés des ordinateurs tel qu’on les connaît aujourd’hui :
• Une interface graphique avec des visuels, des pixels et des polices de caractères.• La souris de bureau devait être fluide, alors Steve Jobs eut l’idée d’une boule pour la déplacer.• Le fond d’écran du bureau devint blanc, et non noir.L’ingénieur Bill Atkinson est celui qui eut l’idée de génie de reproduire à l’écran la superposition des fenêtres à l’écran – dans le but de reproduire l’image d’un bureau avec des feuilles papier. Ignorant que personne ne l’avait fait, il était alors persuadé que c’était faisable, et il le fit, poussé par l’énergie de Steve Jobs.
En 1983, à l’aube de la sortie de l’ordinateur Lisa – du nom de la première fille de Steve Jobs dont il ne reconnut pas la paternité les premières années –, Steve Jobs était en conflit permanent avec son équipe. Entre autres points de dissonance, il voulut se battre en faveur d’un ordinateur pour monsieur Tout-le-monde, et non pour les entreprises. Mike Markkula fit en sorte qu’il soit retiré du projet Lisa et de ses fonctions de vice-président. Plus tard, Steve Jobs subira la même démarche de la part de son équipe administrative pour l’écarter de la gouvernance d’Apple en mai 1985, peu après la sortie du Macintosh en 1984.
Depuis l’adolescence, Steve Jobs suit assidûment des jeûnes, des purges et des régimes végétaliens censés arrêter toute production de mucus. C’est la raison pour laquelle il a cru pendant très longtemps qu’il n’avait plus besoin de se laver. Cela rendit ses rapports avec les autres très difficiles, nombreux sont ceux l’ayant traité comme un moins que rien étant donné son apparence et son odeur corporelle crasseuses. Après avoir rencontré Mike Markkula, Steve Jobs apprend à s’habiller proprement, prend goût aux vêtements de belle facture. Pour autant, cela ne suffit pas puisque son caractère, toujours aussi ombrageux, fait de lui une personne franche, sans empathie pour autrui.
Selon Bill Atkinson – informaticien qui a développé l’interface graphique pour le Macintosh –, la célèbre phrase de Steve Jobs adressée à ses équipes de travail : « C’est de la merde ! » signifiait en réalité « Explique-moi en quoi c’est le meilleur moyen de faire ça ? » (p. 152) Pour l’informaticien, il était parfois utile de lui tenir tête, mais le plus souvent Steve Jobs avait raison et faisait en sorte d’obtenir ce qu’il y avait de mieux pour son entreprise. Pour autant, la majorité des personnes interviewées par l’auteur reconnaissait que la dureté de Steve Jobs leur avait permis de se dépasser, et qu’avoir travaillé avec lui avait été leur plus grande expérience.
Concernant son rapport avec Microsoft, il faut d’abord comprendre qu’en 1984, Steve Jobs était un roi et Bill Gates un courtisan. Jobs souhaitait que Microsoft développe pour Macintosh des traitements de textes, des tableurs et des logiciels de graphisme. À la suite de leur collaboration, Bill Gates comprit que les interfaces graphiques étaient l’avenir, alors il ne se gêna pas pour développer des logiciels avec interface graphique, malgré leur accord. Juridiquement, Microsoft était dans son droit, mais Steve Jobs resta longtemps en désaccord avec son homologue ayant des systèmes ouverts, tant pour des raisons idéologiques qu’esthétiques.
En juin 1985, en raison de son caractère trop changeant et instable, Steve Jobs venait d’être éjecté par le conseil d’administration d’Apple en faveur de John Sculley – figure paternelle de Steve Jobs de 1983 à 1985 et ancien directeur marketing chez Pepsi. Jusqu’à sa mort, Steve Jobs reprochera à John Sculley de s’être principalement intéressé au profit et non aux produits d’Apple. Après avoir été limogé et trahi par son ancien ami, Steve Jobs ne lui adressa plus jamais la parole.
À l’automne 1985, Georges Lucas, après avoir terminé la Guerre des étoiles, recherchait un nouvel investisseur pour son département informatique de Lucasfilm, qui n’était autre que Pixar. Après négociation, Jobs devint président en achetant la majorité des parts, mais laissa Catmull et Smith diriger la société. En parallèle, Steve Jobs gérait sa nouvelle société informatique, NeXT. Quand Steve Jobs est arrivé chez Pixar, l’équipe avait fabriqué le Pixar Image Computer qu’elle vendait aux spécialistes de l’animation et aux designers graphiques, mais également aux médecins et à la NSA. Avec l’arrivée de Jobs, Pixar se transforma en une société créant de A à Z des dessins animés et devint associée à Disney, obligeant ses derniers à produire des dessins animés grâce aux compétences de l’équipe Pixar. Le talent de John Lasseter, grand ami de Steve Jobs, est à relever puisqu’il fut le créateur de génie des Toy Story (1995) !
En 1996, après avoir fêté ses quarante ans, Steve Jobs a été rappelé par Apple, alors en chute libre. À l’époque, c’est Gil Amelio qui en était le P.-D.G. et qui avait racheté NeXT. Le 20 décembre 1996, Steve Jobs, en proie à d’immenses doutes, proposa alors d’être un simple consultant d’Apple, n’abandonnant pas son équipe chez Pixar. Après de multiples échecs, Amelio fut mis à la porte par le conseil d’administration, le 4 juillet 1997. Steve Jobs resta consultant pendant trois ans avant de redevenir le P.-D.G. officiel en janvier 2000, en l’annonçant lors de la Macworld Expo de San Francisco. S’ensuivirent onze années de création, mettant au jour l’Apple Store, iTunes et l’iTunes Store, l’iPhone, l’iPad, et d’autres produits ayant révolutionné notre rapport aux outils numériques, à la musique, et aux applications.
Steve Jobs était un génie avec une imagination instinctive et spontanée. Ayant créé neuf produits révolutionnaires en une trentaine d’années (l’Apple II, le Macintosh, Toy Story, les Apple Store, l’iTunes Store, l’iPhone, l’App Store, l’iPad et l’iCloud), Steve Jobs a révolutionné des secteurs industriels entiers.
Caractériel et passionné par l’art et la technologie, il proposait des idées futuristes au carrefour de la vision globale et de la maîtrise du détail. Créant l’entreprise la plus créative au monde, Steve Jobs a démontré qu’une entreprise pouvait prospérer en favorisant un environnement fermé, en mettant la priorité sur le produit et non sur le profit.
Le travail de Walter Isaacson n’a pas commencé à une date précise. En effet, Steve Jobs et l’auteur s’étaient rencontrés en 1984 au siège de Time-Life à Manhattan, puis l’un et l’autre avaient suivi le travail de chacun, de loin, avec attention. Walter Isaacson a accepté d’écrire sa biographie parce que Steve Jobs était selon lui la représentation du génie inventif humain en faveur de la créativité – comme Einstein et Benjamin avaient pu l’être à leur époque. Steve Jobs ne souhaitait pas contrôler le texte de l’auteur, n’a pas souhaité et n’a pas pu relire les épreuves.
De même, il n’a pas demandé à supprimer de passages. Sa femme dira même : « N’édulcorez rien. Steve est un grand manipulateur, mais il a un parcours hors du commun. Je veux que tout soit décrit de façon impartiale, le bon comme le mauvais » (p. 18). Walter Isaacson, contrairement à d’autres auteurs ayant écrit sur Steve Jobs, propose ici une biographie riche de détails et de précisions tant technologiques que psychologiques, et ce, sans compromis, à l’image du créateur d’Apple.
Ouvrage recensé
– Steve Jobs, Paris, Éditions Jean-Claude Lattès, 2011.
Du même auteur
– Léonard de Vinci - La biographie, Lausanne, Quanto, 2019.– Les Innovateurs: Comment un groupe de génies, hackers et geeks a fait la révolution numérique, Paris, Le Livre de Poche, 2017.– Benjamin Franklin : une vie américaine, Paris, Alisio, 2017.
Autres pistes
– Robert X. Cringely, Bâtisseurs d’empires par accident : origines et dessous de la Silicon Valley, Addison-Wesley France, 1993.– Steven Levy, La Saga Macinctosh : enquête sur l’ordinateur qui a changé le monde, Arléa, 1994.– Michael Moritz, Le Jeu de la pomme : la grande aventure d’Apple computer, Denoël, 1987.– Steve Wozniak, avec Gina Smith, iWoz, École des loisirs, 2011.– Jeffrey Young, Steve Jobs, cofondateur d’Apple Inc : un destin fulgurant – les dessous de la révolution informatique, Micro application, 1989.