Dygest vous propose des résumés selectionnés et vulgarisés par la communauté universitaire.
Voici le résumé de l'un d'entre eux.
de Yanis Varoufakis
Ce livre raconte une aventure, celle d’un homme, universitaire et économiste de stature internationale, Yanis Varoufakis, qui décida de quitter la tranquillité d’une carrière universitaire bien assurée pour entrer dans l’arène politique, à l’extrême gauche de l’échiquier politique. Et ceci au moment le moins opportun, pour lui : son pays, la Grèce, était confronté à la plus grave crise économique, sociale et budgétaire qu’ait connue l’Europe depuis 1945. Spécialiste de la théorie des jeux, l’homme inventa un stratagème des plus ingénieux pour tirer, dans l’honneur et sans blesser l’orgueil des créanciers, la Grèce des griffes de ceux-ci. Mais le stratagème reposait sur la force de caractère, qualité qui s’avéra manquer à ses partenaires politiques de l’Alliance de la gauche radicale, Syriza, qui l’avaient appelé au gouvernement. S’il n’est pas parvenu à tirer son pays de la prison pour dettes, il nous offre du moins un témoignage de première main sur le dérèglement gravissime des institutions européennes.
Ce livre raconte une aventure, celle d’un homme, universitaire et économiste de stature internationale, Yanis Varoufakis, qui décida de quitter la tranquillité d’une carrière universitaire bien assurée pour entrer dans l’arène politique, à l’extrême gauche de l’échiquier politique. Et ceci au moment le moins opportun, pour lui : son pays, la Grèce, était confronté à la plus grave crise économique, sociale et budgétaire qu’ait connue l’Europe depuis 1945.
Spécialiste de la théorie des jeux, l’homme inventa un stratagème des plus ingénieux pour tirer, dans l’honneur et sans blesser l’orgueil des créanciers, la Grèce des griffes de ceux-ci. Mais le stratagème reposait sur la force de caractère, qualité qui s’avéra manquer à ses partenaires politiques de l’Alliance de la gauche radicale, Syriza, qui l’avaient appelé au gouvernement. S’il n’est pas parvenu à tirer son pays de la prison pour dettes, il nous offre du moins un témoignage de première main sur le dérèglement gravissime des institutions européennes.
Pendant des années, les dirigeants traditionnels grecs de droite et de gauche rusèrent. L’euro, pour les banques auxquelles ils étaient liés, semblait une bonne chose. L’économie semblait florissante, pour les riches, surtout, dont les avoirs étaient désormais libellés dans une monnaie forte. Mais il y avait un problème. Selon Varoufakis, l’Union européenne a une structure coloniale. Elle sert au noyau « carolingien », France, Allemagne et Benelux, à s’ouvrir de nouveaux marchés à sa périphérie. Ce noyau exporte sa production dans ses colonies européennes, en Italie au début, puis dans toute l’Europe du Sud, enfin dans les pays de l’Est.
La balance commerciale est structurellement déséquilibrée. L’Allemagne est excédentaire, la Grèce déficitaire. Et, pour rétablir l’équilibre, il fallait sans cesse que le mark soit réévalué et que les autres monnaies soient dévaluées. Mais la chose est devenue impossible pour la Grèce avec son entrée dans l’euro. La dévaluation a fait place aux prêts et au déficit, jusqu’à ce que l’effondrement américain ne rende la situation intenable pour les prêteurs, savoir les banques françaises et allemandes. Ces dernières exigèrent leur dû, sans quoi c’était pour elles la faillite. Et elles furent soutenues par des autorités politiques françaises et allemandes, effrayées par la perspective d’une faillite bancaire généralisée.
Liés aux banques et à tout un système de corruption endémique, les dirigeants grecs laissèrent, en échange de prêts monstrueux qui ne faisaient que resserrer le nœud gordien, le Fond monétaire international, la Banque centrale européenne et la Commission européenne – la fameuse troïka – leur imposer des réformes sociales radicales et des hausses d’impôt inédites. En même temps que l’on sabrait les hôpitaux, les écoles et les crèches, et que l’on vendait à l’encan les propriétés de l’État, on étranglait le commerce. Sur le fumier de la décomposition économique fleurirent les épouvantes de la misère. Le peuple grec aux abois en appela à l’Alliance de la gauche radicale, Syriza.
La troïka prêta donc de l’argent en quantités colossales à l’État grec. Ces sommes gigantesques, les Grecs n’en virent pas l’ombre. Elles passèrent sans délai des comptes de la BCE ou du FMI à ceux des banques françaises. Mais, tandis que les créanciers irresponsables respiraient, on prenait prétexte de ces prêts, présentés comme des faveurs, pour exiger des Grecs qu’ils s’étranglent un peu plus eux-mêmes.
Élu pour mettre fin à cette cure d’austérité inouïe, le dirigeant de Syriza, Tsipras, avait néanmoins promis à ses électeurs de maintenir la Grèce dans la zone euro. C’est alors que Varoufakis entre en scène. Brillant économiste de gauche, il enseigne à Austin, Texas. On nomme ce sans-parti, devenu très populaire, ministre des Finances. Il a un plan : pour négocier dans les meilleures conditions et rester dans la zone euro, la Grèce doit proposer un plan de réformes axé sur la lutte contre la corruption et la restructuration de la dette, qui est insoutenable. Surtout, il faut que les créanciers – la « troïka » – soient tenus en respect par une menace aussi crédible que terrible : la Grèce pourrait à tout moment et unilatéralement décider de faire défaut, de ne pas rembourser, et de survivre à la fermeture des banques qui en résulterait avec un système de paiement parallèle.
La BCE et le FMI verraient alors leurs finances vaciller. Spécialiste de la théorie des jeux, Yanis Varoufakis sait mieux que personne que les négociations ne fonctionnent que si l’adversaire sait que vous êtes capable d’aller au bout. Malheureusement, sa tentative se heurtera à la couardise et à l’arrivisme de ses camarades de la gauche radicale et à la froide Realpolitik des grandes institutions européennes.
Le pari est osé. C’est Davis contre Goliath. Mais Yanis Varoufakis a des ressources.
Premièrement, il a un moral d’acier. Fils d’un homme qui a connu les geôles fascistes, lui-même engagé politiquement à gauche depuis ses jeunes années, il n’entend pas céder. Pénétré de la vive conscience des espoirs que les humbles placent en lui, il a décidé, intérieurement, qu’il ne cédera pas.
Deuxièmement, il dispose d’un réseau qui, s’il n’est pas même comparable à ceux de ses adversaires, est de très bonne qualité. Économiste universitaire depuis de nombreuses années, il a tissé, en effet, des liens un peu partout, et ses titres lui permettent d’avoir ses entrées dans de nombreux cénacles. Enfermé dans aucun dogme, il dialogue avec tout le monde.
S’il est résolument de gauche, il n’hésite pas à prendre langue avec Soros, à accepter l’aide (c’est-à-dire l’équipe de conseillers) que lui offre la banque Lazard, à puiser dans le vivier de ses anciens étudiants et de ses amis. Son discours séduit une bonne partie de l’establishment américain. Le président Obama lui-même le soutient, malgré les réticences des financiers de la Réserve fédérale. Cerise sur le gâteau, s’il s’aliène rapidement bon nombre de cadres de Syriza, qui ne voient de solution que dans une sortie de la zone euro (sortie qui pour Varoufakis conduirait à la destruction de l’Europe), il obtient rapidement l’appui des libertariens américains.
Ces libéraux radicaux savent en effet, comme lui, ce qui signifie la dette. Ils n’acceptent pas le renflouement des banques en faillite par les deniers du contribuable, via la Grèce, et ne considèrent pas – pas plus que Varoufakis – qu’une solution quelconque puisse être trouvée dans le cercle vicieux qu’est le plan de la troïka : prêter de l’argent pour rembourser la dette en échange de hausses d’impôt qui ruinent l’économie réelle. Troisièmement, Varoufakis a le soutien, apparemment sans faille, du jeune Premier ministre Tsipras.
Les créanciers, argue Varoufakis lors des réunions de l’Eurogroupe avec les représentants de la troïka, devraient accepter d’échanger des créances irrecouvrables, contre des créances recouvrables. Ils le peuvent. Il suffirait par exemple, invente-t-il, d’échanger les prêts à échéance contre des prêts sans échéance et à faible taux, selon le système de la dette perpétuelle, en vigueur au Royaume-Uni. Ce stratagème, qui permettrait de faire respirer l’économie grecque, donnerait au fisc plus de chances de recouvrer les sommes dues.
La troïka n’en voulut pas, non que ce n’ait pas été son intérêt, mais parce qu’il n’était pas dans les intentions des créanciers de récupérer leurs fonds, mais de faire un exemple, à l’heure où l’Espagne de Podemos, la Grèce de Syriza et, en général, la montée de l’extrême-gauche et des politiques de relance keynésienne menaçaient le modèle monétariste allemand. On ne négocie que si l’on détient quelque chose que l’adversaire veut. Ici, ce que voulait la troïka, c’était la peau du gouvernement de gauche radicale et la destruction du droit social. Même les tentatives de Varoufakis pour lutter contre la corruption ou les dépenses somptuaires de la haute administration grecque ne servirent à rien. Elles furent même entravées par l’Union européenne. L’austérité n’est pas la vertu. Elle a besoin de la corruption des élites locales pour pouvoir s’appliquer.
Après des mois de négociations, en butte à l’hostilité d’une presse aux ordres et aux critiques de l’aile gauche de Syriza, Varoufakis se rendit compte qu’il n’était plus soutenu. Petit à petit, Tsipras le lâchait, abandonnant la seule politique à pouvoir rendre à la Grèce sa liberté financière, et donc la condition sine qua non d’une politique sociale viable. « J’étais de plus en plus isolé, écrit Varoufakis. Alexis, Pappas, Dragasakis et même mon ami Euclide penchaient vers un accord ne comprenant que de vagues promesses sur la dette, du moment que les vaches sacrées de Syriza étaient maintenues en vie : la réintroduction des négociations collectives, par exemple, ou la protection des retraites. Ils dérivaient vers l’état d’esprit appelé Brussels Fudge, le “caramel mou de Bruxelles”. » (p. 319)
Pour comble, Tsipras a décidé, pour finir, d’utiliser Varoufakis comme fusible. Conformément aux vœux de ce dernier, un référendum est organisé. Au peuple grec de décider s’il veut ou non le plan de la troïka qui a pour finalité la suppression de la souveraineté grecque. Ici, Tsipras joue double-jeu. Le gouvernement ne fait pas campagne pour le non qu’il soutient officiellement, car il prépare sa soumission. Seul Varoufakis fait campagne et, malgré la victoire écrasante du non (61,3%), le plan de la troïka sera mis œuvre, par ceux-là même qui s’en étaient proclamés les adversaires les plus résolus.
Écœuré, Varoufakis finit par partir. Il était resté 162 jours, sans doute les plus éprouvants de sa vie. Le plan fut appliqué et le pays mis à sac par les mercenaires en col blanc venus de Bruxelles et de Francfort. Aujourd’hui, l’homme est accusé de haute trahison parce qu’il aurait comploté avec Schäuble pour faire sortir la Grèce de l’euro, alors que son vœu le plus cher était, précisément, de l’y maintenir.Varoufakis l’affirme à plusieurs reprises : l’histoire qu’il nous conte relève du tragique, comme chez Shakespeare ou Sophocle, où des chefs d’État extraordinairement puissants se retrouvent pieds et poings liés, incapables de prendre la moindre décision librement.
C’est Schäuble, pathétique, répétant sans cesse, le regard vague et haussant les épaules : « Je n’ai pas de solution, je n’ai pas de solution. » C’est Merkel, qui n’a même pas le temps de s’occuper de la Grèce, tout accaparée qu’elle est par la question ukrainienne. C’est Michel Sapin et Pierre Moscovici, comiques à forces de lâcheté devant leurs maîtres allemands.
C’est lui-même, ministre écouté par ses propres services, se connectant en wifi dans le ministère sans prendre même la peine de vérifier la sécurité des installations, porteur d’un plan parfait, mais impraticable car il ignore le fond du problème, savoir qu’il s’agit de politique et de lutte des classes, de la constitution d’une Europe-puissance ayant mis au pas les mouvements révolutionnaires et pouvant parler d’égal à égal avec les États-Unis et la Chine. C’est, enfin, une Commission européenne (sans parler du Conseil européen), institution politique tout entière ligotée par une bureaucratie bancaire sans existence légale, l’Eurogroupe.
À cette tragédie qui se déroule au Château s’en ajoute une autre, bien moins comique : celle de ces millions de Grecs, retraités, anciens résistants, femmes de ménage, professeurs, infirmières, que les plans de la troïka ont jetés à la rue, sans autre perspective que le désespoir fasciste incarné par l’Aube dorée.
Le constat de Varoufakis est glaçant : l’Europe est devenue un monstre qui se mange lui-même, comme le Ragnarök des Vikings, un monstre qu’il est absurde, selon lui, de qualifier de libéral, tant il s’avère en tout l’antithèse de l’authentique libéralisme.
Mais le combat n’est pas fini. Varoufakis a fondé DiEM25, un mouvement de gauche pan-européen, dont le but est de mettre fin à la dictature de la troïka, afin de sauver le projet européen.
Livre politique de très haute tenue, l’ouvrage de Yanis Varoufakis restera sans doute comme un des témoignages les plus éloquents d’une certaine impéritie européenne. Mais il est aussi un essai d’autojustification pour un échec. Varoufakis n’est pas parvenu à mettre en œuvre sa stratégie. Il accuse les autres et le monde. Tout d’abord, une sorte de fatalité, qu’il drape de tragique. Ensuite, la volonté allemande (et généralement des banques) de se servir de la Grèce comme d’un exemple ; les élites grecques, accusées de corruption et d’entente avec l’oligarchie européenne ; la social-démocratie européenne et surtout française, et leur inadmissible lâcheté ; les gauchistes de Syriza, partisans de quitter l’Union monétaire et coupables de tourner le dos au projet européen.
S’il pratique l’autocritique, c’est essentiellement pour s’accuser de ne pas avoir décelé assez tôt la traîtrise ou la couardise des autres, notamment de Tsipras. Lui n’est ni lâche ni infidèle. Il aime le peuple, authentiquement. Il s’autocongratule, magnifie sa popularité, son courage et sa supériorité. À aucun moment il ne remet en cause sa stratégie, si parfaite qu’elle doit forcément être celle du gouvernement, ni sa connaissance de la société grecque, qu’il a quittée pour le monde anglo-saxon dès ses 20 ans, ni ses choix idéologiques, ce marxisme libertaire qui le rend plus proche, au fond, des libertariens anglo-saxons que de ses « petits camarades », communistes étatistes à la vieille sauce. Ni ses accointances parfois bien étranges avec Obama, les économistes américains du FMI ou la banque Lazard. Pourquoi ces puissants se rangeraient-ils aux côtés de la gauche radicale grecque ? Aurait-il été dans leur intention de couler le projet Schäuble d’Europe resserrée, et pour cela d’utiliser Varoufakis ?
Quoi qu’il en soit des qualités intrinsèques de l’ouvrage, on ne peut donc se départir de l’impression que l’auteur est loin de nous dire tout, et notamment quand il nous fait part de ces propos de l’ambassadeur de Chine à qui il essaie de vendre le port du Pirée pour prouver à la troïka et aux marchés que la Grèce peut attirer des investisseurs : « Monsieur le Ministre, il faut que vous compreniez que, pour Pékin, Cosco, ce sont les dents du dragon. Il faut que les dents mordent suffisamment pour que le dragon pénètre. Une fois entré, n’ayez aucune crainte, le corps suivra . »
Ouvrage recensé– Conversations entre adultes. Dans les coulisses secrètes de l’Europe, Paris, Les liens qui libèrent, 2017.
Du même auteurYanis Varoufakis, Le Minotaure planétaire. L’ogre américain, la désunion européenne et le chaos mondial, Le Cercle, coll. « Enquêtes et perspectives », 2014.
Autres pistes– Jason Manolopoulos, La Dette odieuse. Les leçons de la crise grecque, Londres, Pearson, 2012.– Costa-Gavras, Adults in the Room, film franco-grec, 2019.– Ernst Lohoff et Norbert Trenkle, La Grande Dévalorisation. Pourquoi la spéculation et la dette de l’État ne sont pas les causes de la crise, Post-éditions, 2014.