Dygest vous propose des résumés selectionnés et vulgarisés par la communauté universitaire.
Voici le résumé de l'un d'entre eux.
de Yves Agid, Pierre Magistretti
Pour expliquer le fonctionnement du cerveau, la communauté scientifique étudie depuis longtemps, et presque exclusivement, une seule catégorie de cellules : les neurones. Pourtant, il en existe d’autres, baptisées cellules gliales. Et leur nombre dépasse celui des neurones. On peut donc se demander pourquoi elles ont été ignorées. C’est à cette question que Yves Agid et Pierre Magistretti tentent de répondre à travers L’Homme glial.
En 1983, le neurobiologiste Jean-Pierre Changeux publie son célèbre Homme neuronal dans lequel il affirme la pensée serait produite dans le cerveau grâce aux neurones.
Trente-cinq ans plus tard, en référence manifeste à cet ouvrage, Yves Agid et Pierre Magistretti sortent L’Homme glial. Leur objectif est de mettre en lumière un type de cellules trop longtemps passées inaperçues : les cellules gliales, en particulier les astrocytes qui sont plus nombreux que les neurones dans notre cerveau. Après avoir expliqué pourquoi ces cellules ont été négligées par la recherche au profit des neurones, les deux auteurs s’intéressent à l’une des trois cellules gliales de notre organisme : l’astrocyte.
Tous les astrocytes fonctionnent comme une frontière entre les neurones et les vaisseaux sanguins, une frontière à travers laquelle ils fournissent l’énergie nécessaire au bon fonctionnement neuronal. Ils démontrent également que les astrocytes communiquent entre eux grâce à des vagues calciques, mais aussi avec les neurones, sur lesquels ils ont des effets amplificateurs ou inhibiteurs.
Ils révèlent également que les astrocytes sont largement impliqués dans les maladies neurologiques, prouvant ainsi leur importance capitale dans la machinerie cérébrale. Pour toutes ces raisons, Yves Agid et Pierre Magistretti estiment que l’homme est autant neuronal que glial. Et qu’ainsi la pensée émerge sûrement de la coopération entre ces deux types de cellules.
« […] notre cerveau contient plus de cellules gliales que de neurones. » (p. 7) C’est le premier constat établi par Yves Agid et Pierre Magistretti. Et la différence quantitative en faveur des cellules gliales augmente à mesure que le cerveau se complexifie au cours d’évolution des organismes.
Autrement dit, le rapport cellules gliales/neurones est plus important dans un cerveau humain que dans celui d’une souris. Par ailleurs, certaines cellules gliales, les astrocytes, sont plus grandes chez l’homme que chez n’importe quel autre animal. Bref, « le nombre et la complexité des astrocytes croissent comme s’ils devaient jouer un rôle dans la complexification du cerveau ». (p. 44)
Il semble donc étonnant que ces cellules aient été ignorées, et le soient encore largement, par ceux et celles qui ambitionnent de comprendre la mécanique du cerveau. Ce n’est pourtant pas faute de les avoir découvertes récemment. En effet, vers le milieu du XIXe siècle, le médecin allemand Rudolph Virchow observe une substance entre les neurones, une sorte de glue, qu’il interprète comme un tissu de soutien pour ces derniers. Et si les scientifiques à sa suite ont considéré que les cellules gliales ne remplissaient que cette fonction, c’est qu’elles étaient inertes, contrairement aux neurones dont l’activité électrique est facilement mesurable.
Mais les cellules gliales ne sont pas inertes. Il faut juste les bons instruments pour identifier leur activité, et ils n’ont été inventés que récemment.
Il existe trois types de cellules gliales : les astrocytes, la microglie et les oligodendrocytes. L’ouvrage d’Yves Agid et de Pierre Magistretti ne s’intéresse en fait qu’aux premières. La microglie s’apparente à des globules blancs du sang qui interviennent dans les réponses immunitaires de l’organisme. Quant aux oligodendrocytes, elles constituent la myéline, une membrane qui protège les axones des neurones.
Les astrocytes sont donc les constituants de la substance identifiée par Virchow. Chez l’homme, elles sont estimées à quelque 100 milliards (pour 85 milliards de neurones). Pour rappel, les neurones sont composés de trois parties : les dendrites (les récepteurs), le corps cellulaire et l’axone (le transmetteur) qui se termine par des terminaisons nerveuses en contact avec les dendrites des neurones avoisinants. La zone de contact entre une terminaison nerveuse et une dendrite se nomme la synapse. Le message véhiculé par les neurones est un signal électrique.
Quand celui-ci arrive dans une terminaison nerveuse, il déclenche l’émission dans la synapse d’un neurotransmetteur, qui se fixe sur le récepteur de la dendrite. La nature de l’influx nerveux est donc électrochimique. Dans ce circuit complexe, les astrocytes possèdent de nombreuses ramifications en étoile (d’où leur nom) de telle sorte que chaque astrocyte entoure plusieurs synapses.
Troisième élément de la machinerie cérébrale : les vaisseaux sanguins qui nourrissent tout ce système en sucre et oxygène. Loin de se contenter de former un simple tissu de soutien aux neurones, les astrocytes sont à l’interface neurones/vaisseaux et sont ainsi en mesure d’adapter les apports énergétiques en fonction des besoins de l’activité neuronale.
Les astrocytes forment donc une frontière entre les vaisseaux sanguins et les neurones. Avant de découvrir les différents rôles qu’ils y occupent, il est nécessaire de préciser leur fonctionnement. Il a été dit plus haut que les astrocytes ont été plus ou moins ignorés du fait de leur apparente inactivité. De nouveaux instruments ont cependant permis de mettre en évidence des vagues calciques qui se propagent d’astrocyte en astrocyte.
Ces vagues calciques sont dues à des neurotransmetteurs qui permettent au calcium d’entrer dans les cellules au niveau des jonctions communicantes, ou gap junctions, en anglais. Chaque astrocyte est connecté à plusieurs autres via ces gap junctions. Mais chaque astrocyte est également connecté aux neurones au niveau des synapses grâce à ces gap junctions.
Ainsi, lorsqu’un signal électrique arrive par l’axone d’un neurone dans une terminaison nerveuse, il déclenche la libération de neurotransmetteurs dans la synapse. Une partie de ces neurotransmetteurs se fixe sur les récepteurs de la dendrite du neurone suivant, et l’autre partie sur les récepteurs de l’astrocyte.
D’un côté, l’influx nerveux continue son chemin sur le réseau neuronal, de l’autre, il a engendré une vague calcique dans le réseau astrocytaire. Il y a une sorte de double communication, qu’Yves Agid et Pierre Magistretti comparent au téléphone (communication neuronale d’un point A à un point B) et à la radio (vagues calciques dans les astrocytes qui, d’un point A, sont diffusées dans tout le réseau astrocytaire). « La fonction de ces vagues calciques astrocytaires reste encore aujourd’hui débattue » (p. 57), mais les auteurs de L’Homme glial proposent néanmoins quelques pistes intéressantes.
L’une des fonctions des astrocytes est nourricière. Quand des neurones s’activent, ils ont besoin d’énergie. Celle-ci est fournie par le glucose présent dans le sang. Problème : les neurones ne peuvent pas consommer du glucose, mais du lactate formé à partir du glucose. Qui se charge de cette transformation ? Les astrocytes bien sûr, idéalement situés entre les vaisseaux sanguins et les neurones.
Mais ces cellules ne se contentent pas seulement de mettre le couvert, elles débarrassent et font la vaisselle aussi. En effet, lorsque dans les synapses des neurotransmetteurs sont libérés, les astrocytes les récupèrent après qu’ils se sont fixés sur les récepteurs des dendrites.
Cela évite la saturation des récepteurs, et donc améliore le signal émis entre deux neurones. Et ce « nettoyage » peut s’avérer vital. Un neurotransmetteur comme le glutamate peut entraîner la mort de neurones s’il est en excès dans une synapse. On peut déduire de ce qui précède que les astrocytes sont au service de l’activité neuronale. De récentes études ont établi que les astrocytes peuvent amplifier la transmission synaptique, ou au contraire l’inhiber. Les relations qu’entretiennent les deux types de cellules cérébrales sont donc plus complexes qu’il n’y paraît. Il n’est évidemment plus question de considérer le réseau astrocytaire comme un simple support au réseau neuronal.
Mais les neurones ne commandent pas aux astrocytes, pas plus que les astrocytes ne contrôlent les neurones. Les deux réseaux coopèrent.
Pour achever de se convaincre de l’importance des astrocytes, il suffit de se pencher sur les pathologies neurologiques et psychiatriques, puis d’essayer de déterminer si ces cellules portent une part de responsabilité. Maladies d’Alzheimer et de Parkinson, sclérose latérale amyotrophique, ataxie cérébelleuse, encéphalopathie, accident vasculaire cérébral, épilepsie… Dans tous ces cas, et bien d’autres, le rôle des astrocytes est établi. Et il n’est pas nécessairement bénéfique.
En effet, dans le cas de la maladie d’Alzheimer, qui correspond à une perte à la fois sélective et plus rapide que la normale des neurones, les astrocytes agissent de manière ambiguë. D’un côté, ils captent et dégradent une protéine pathogène liée à la perte neuronale ; d’un autre cette action de dégradation les empêche de « nourrir » les neurones, qui dégénèrent. Par ailleurs, les astrocytes sont les seules cellules de l’organisme à produire un lipide qui, sous une certaine forme, augmente significativement le risque de développer la maladie d’Alzheimer.
On le voit donc à travers l’étude de certaines maladies, les astrocytes ne forment pas un tissu inerte, mais participent activement au fonctionnement du cerveau. À ce titre, développer la recherche autour de ces cellules trop longtemps délaissées pourrait ouvrir des perspectives intéressantes sur le traitement de bon nombre de maladies neurodégénératives.
Après avoir démontré le rôle primordial des astrocytes dans le cerveau, Yves Agid et Pierre Magistretti s’engagent non sans audace sur un dernier terrain : ces cellules gliales ne pourraient-elles pas être le support de la pensée, Même si le mystère le plus total règne encore sur les mécanismes mis en jeu dans la production de pensée, une grande partie de la communauté scientifique considère que les neurones constituent les meilleurs candidats pour la générer. Là encore c’est lié au fait que, pendant longtemps, c’étaient les seules cellules du cerveau dont on pouvait mesurer l’activité. Il est clair que « ce sont bien les neurones qui assurent le transfert des messages au sein du cerveau » (p. 23).
Mais, entre transmettre des signaux électrochimiques et produire de la pensée, il y a plus qu’un simple pas à franchir : un gouffre. L’association neurones/astrocytes pourrait-elle le combler ? Comme évoqué précédemment, le rapport astrocytes/neurones augmente avec la complexité des organismes vivants. Les auteurs rappellent d’ailleurs que « la densité des cellules gliales par rapport aux neurones dans le cerveau d’Albert Einstein » (p. 43) est plus élevée que la moyenne.
De même, les astrocytes humains sont plus gros, et donc en mesure d’établir davantage de connexions. Ces arguments plaident pour l’implication de ces cellules dans le processus de la pensée. Cependant, « pas plus que pour les neurones dont nous n’avons aucune raison de penser qu’ils pensent, nous n’avons d’arguments pour penser que les astrocytes pensent » (p. 154). La recherche a encore de beaux jours devant elle.
Les cellules gliales, et en particulier les astrocytes, ont longtemps été ignorées de la recherche scientifique du fait de leur apparente inactivté. Les neurones ont grandement bénéficié de cette mise à l’écart, car, eux, présentaient une activité neurochimique facilement mesurable. Ainsi s’est établi le schéma suivant : un tissu d’astrocytes inertes qui supporte un réseau neuronal, siège probable de la pensée. Cette méconnaissance des cellules gliales perdure encore aujourd’hui, même si les scientifiques disposent maintenant d’instruments capables d’identifier leur activité.
Néanmoins, les récentes recherches ont mis en évidence le rôle essentiel des astrocytes dans le cerveau. Celui-ci doit probablement son fonctionnement à une étroite coopération entre le réseau neuronal et le réseau glial. Est-ce que cette association est à l’origine de la production de pensée chez l’être humain ? On peut le conjecturer. Après tout, « pourquoi une matière non pensante ne formerait pas une non-matière pensante » (p. 156) ?
Tout l’intérêt du livre d’Yves Agid et de Pierre Magistretti est mettre en lumière les cellules gliales, trop longtemps restées dans l’ombre des neurones. Et le pari est parfaitement réussi ! Ils parviennent à rendre accessibles aux profanes des notions de neurologie (et de gliologie) grâce à un texte clair, des exemples bien choisis et des métaphores évocatrices. Et ils le font dans un ouvrage court, qui va à l’essentiel.
Seul petit bémol peut-être : des illustrations et des schémas qui frisent l’amateurisme dans leur réalisation, encore que ce parti pris ait un certain charme. Un livre tout à fait recommandable.
Ouvrage recensé– Yves Agid, Pierre Magistretti, L’Homme glial. Une révolution dans les sciences du cerveau, Paris, Odile Jacob, 2018.
Autres pistes– Jean-Pierre Changeux, L’Homme neuronal, Paris, coll. « Pluriel »,Fayard, 2012.– Hervé Chneiweiss, Notre cerveau. Un voyage scientifique et artistique des cellules aux émotions, Paris, L’Iconoclaste, 2019.– Thérèse Collins, Daniel Andler, Catherine Tallon-Baudry, La Cognition. Du neurone à la société, Paris, coll. « Folio essais », Folio, 2018.– Stanislas Dehaene, Yann Le Cun, Jacques Girardon, La Plus Belle Histoire de l’intelligence. Des origines aux neurones artificiels : vers une nouvelle étape de l'évolution, Paris, coll. « La Plus Belle Histoire », Robert Laffont, 2018.– Michel Morange, Francis Wolff, Frédéric Worms, L’Homme neuronal, trente après. Dialogue avec Jean-Pierre Changeux, Paris, Éditions Rue d’Ulm, 2016.