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Voici le résumé de l'un d'entre eux.
de Yves Agid
Un corps qui s’use, une élocution incertaine et des gestes moins habiles ? Voilà peut-être les prémisses de la vieillesse qui viennent frapper à notre porte. Le vieillissement est une expérience de vie qui nous concerne tous. Yves Agid nous en explique les mécanismes profonds. Le principal responsable ? Notre cerveau, dont le fonctionnement devient moins alerte avec l’âge.
Vieillir constitue une étape de vie redoutée, à laquelle on est tous exposés à un moment ou un autre. Malgré les progrès de la science, la vieillesse reste associée à la maladie et la mort. Le déclin physique et mental qu’elle engendre est propre à chacun. Il existe néanmoins un dénominateur commun : le cerveau, qui est soumis au même processus de vieillissement que les autres organes du corps. À ceci près qu’il supervise nos comportements et notre intellect, ce qui fait qu’il a un impact déterminant sur la façon dont un individu vieillit. Quels sont les mécanismes cérébraux participant au processus naturel du vieillissement ?
En quoi cette période de la vie bouleverse-t-elle le quotidien des personnes âgées ? Comment distinguer le vieillissement normal du vieillissement pathologique ? Autant de questions que le neurologue, Yves Agid, aborde à la lumière des recherches scientifiques les plus récentes.
Grâce aux progrès médicaux, l’espérance de vie s’est nettement accrue. Actuellement, l’âge moyen de décès se situe autour de 79 ans pour les hommes et de 85 ans pour les femmes. On est bien loin de l’espérance de vie des hommes du paléolithique qui vivaient environ 25 ans, mais aussi des prouesses de certaines espèces animales : l’hydre peut atteindre 1400 ans !
Si les progrès sont indéniables en matière de longévité humaine, le revers de la médaille est que l’on assiste à l’émergence d’une société vieillissante. L’équation sociale et économique qui résulte de ce décalage apparaît quasiment insoluble. Le budget dédié aux seniors est colossal : 63,2 milliards d’euros consacrés à la perte d’autonomie, sans compter les dépenses de santé classiques. Quant au financement des retraites, il devra bientôt reposer sur les épaules d’un nombre de plus en plus restreint d’actifs.
L’allongement de l’espérance de vie pose aussi un problème éthique. Si les connaissances médicales sont de plus en plus pointues, elles n’apportent pas de remède miracle à la question du vieillissement. Dans le meilleur des cas, elles permettent une prise en charge plus efficace des maladies liées à la vieillesse. Mais lorsque l’âge est très avancé, les personnes cumulent souvent plusieurs invalidités ou pathologies qui rendent le quotidien difficile à vivre et les rendent dépendantes.
L’isolement, la diminution physique et mentale, l’absence d’autonomie interrogent sur le bien-fondé d’une longévité toujours plus longue. Or, les centenaires ne sont plus une exception : les estimations en prévoient 165 000 pour 2050 en France.
Malgré cette augmentation sensible des personnes âgées, la société véhicule une image négative de la vieillesse. Les diktats sociaux creusent l’écart entre les générations. L’idéalisation du corps jeune par les médias et les dénominations telles que 3e âge stigmatisent les personnes âgées et ne contribuent pas à leur intégration.
Par ailleurs, le Comité d’éthique n’hésite pas à parler de « ghettoïsation » des plus âgés par le placement en maison de retraite ou en institution médicalisée. Au fond, la société marginalise une population qu’elle considère comme inutile et le sujet du vieillissement n’intéresse véritablement que le domaine de la gérontologie.
Les seniors entretiennent un rapport au temps radicalement différent du reste de la population. Alors que les jeunes vivent dans le présent, la personne âgée adopte une attitude conservatrice et nostalgique, où le passé et les souvenirs tiennent une place prépondérante. C’est une façon pour elle de revivre sa jeunesse.
Par ailleurs, elle se projette moins dans l’avenir puisqu’il lui offre des perspectives plus réduites qu’auparavant. Enfin, la personne âgée est en décalage par rapport au temps présent qui ne lui correspond pas. Elle est souvent dépassée et critique à l’égard d’une société qui évolue rapidement et dans laquelle elle ne parvient plus à trouver ses marques.
Si notre corps est le premier révélateur de la prise d’âge, l’évolution de notre place dans la société en est également le reflet. La personne âgée devient spectatrice du fonctionnement social au lieu d’en être actrice. L’identité qu’elle s’était forgée durant toute sa vie s’effrite.
Cette perte identitaire est d’autant plus importante que le senior ne se perçoit souvent pas comme vieux. Ce nouveau statut de spectateur est dangereux dans la mesure où il risque de faire sombrer l’individu dans la passivité et la démotivation. La rupture sociale liée à l’âge a aussi un effet délétère pouvant conduire à l’isolement. L’interruption de l’activité professionnelle, le départ des enfants, le veuvage sont autant de facteurs susceptibles d’engendrer une dépression. Le taux de suicide chez les individus de plus de 85 ans est d’ailleurs considérable.
En fait, il n’existe pas de profil type de la personne âgée, tant les disparités de vieillissement peuvent être nombreuses d’un individu à un autre. Yves Agid parle de « vieillissement différentiel ». Le type d’organes touchés, le degré et la vitesse d’altération, le niveau de sénescence sont propres à chacun. Les capacités cognitives sont soumises à cette même variabilité : elles peuvent se dégrader fortement ou ne pas être entamées.
D’un point de vue psychologique, les seniors appréhendent également leur vieillissement de façon différente selon leur caractère. On peut distinguer trois catégories : le « vieux heureux », qui profite de la vie avec lucidité et enthousiasme ; le « vieux morose » qui se replie sur lui-même ; le « vieux » qui cherche à se rajeunir.
Bien qu’il s’avère robuste avec ses 85 milliards de neurones, le cerveau est soumis au vieillissement comme tous les organes du corps. Les facultés cognitives diminuent de 25 % entre 40 et 75 ans, tandis que le volume cérébral se réduit de 2 % par décennie à partir de 40 ans. Les différentes parties qui composent le cerveau déclinent à leur rythme et indépendamment des autres.
Elles bénéficient d’espérances de vie distinctes : les neurones pourraient vivre 145 ans, alors que les fonctions de la mémoire n’excéderaient pas 125 ans. La vitalité du cerveau est étroitement liée à l’activité du cœur, qui lui apporte l’oxygène et les nutriments indispensables. À lui seul, il utilise 20 % de l’énergie nécessaire à tout l’organisme. Si le cœur s’arrête et ne l’alimente plus, les dommages cérébraux sont irréversibles au bout de dix minutes seulement.
Selon Yves Agid, c’est moins notre apparence physique qui nous rend vieux que l’affaiblissement de notre comportement. On perçoit comme âgé un individu qui se déplace avec moins d’assurance, qui a une voix chevrotante ou qui exécute des mouvements lents et mal coordonnés.
Or, tous ces comportements sont gouvernés par notre cerveau. Il suffit que son fonctionnement s’érode pour qu’il nous fasse paraître plus âgé et détériore nos comportements moteurs, émotionnels et intellectuels. Le déclin cérébral a donc des conséquences plus invalidantes que les signes corporels de l’âge, tels que les rides. Il met directement en jeu notre confort de vie et notre autonomie. Pour éviter ces dysfonctionnements, il faut que les quatre fonctions mentales essentielles, appelées éclaireurs, ne soient pas défaillantes, à savoir l’attention, la motivation, l’humeur et l’éveil.
Contrairement à ce que l’on croit, la prise d’âge n’induit pas de perte de neurones. En revanche, on assiste à un ralentissement de l’activité neuronale. On constate aussi la mobilisation d’un plus grand nombre de neurones pour accomplir des activités intellectuelles qu’on réalisait autrefois avec plus de facilité. Lorsqu’il devient moins performant, le neurone met en œuvre des processus de compensation pour réduire l’impact sur le fonctionnement cérébral. Un neurone vieillissant va ainsi collaborer avec des neurones plus vigoureux. Les synapses, c’est-à-dire les terminaisons neuronales, vont élargir leur surface de contact pour assurer les connexions nerveuses des neurones détruits.
Détecter les signes précurseurs du vieillissement normal est une tâche d’autant plus difficile qu’au début, les symptômes du vieillissement pathologique peuvent être semblables. L’état psychologique du patient peut aussi induire le médecin en erreur : la fatigue ou la déprime peuvent le vieillir bien au-delà de son âge réel. Les évaluations diagnostiques se font aujourd’hui de façon si précoce, dès l’apparition d’un symptôme potentiel, que cela complique le travail du spécialiste.
S’il existait un gène du vieillissement, il serait possible d’identifier clairement ce qui tient d’un déclin naturel normal ou non. L’observation et l’écoute demeurent à ce jour les outils principaux du professionnel, de même que le recours à des tests évaluant les capacités de mémoire et de rapidité intellectuelle.
Parmi les symptômes les plus courants, les troubles de l’équilibre et de la marche peuvent avoir des incidences graves, telles qu’un handicap ou la mort liée à une chute. Si cette gêne motrice peut être simplement due à un problème orthopédique, elle peut aussi être générée par une altération du système nerveux. C’est le cas de l’astasie-abasie, dont on ne sait s’il s’agit d’une maladie cérébrale ou d’un déclin commun à toutes les personnes âgées.
D’un point de vue mental, les individus vieillissants peuvent présenter une certaine lenteur de pensée et des capacités de réflexion moins spontanées. Les troubles de la mémoire sont aussi récurrents. Le stockage des informations et la fonction de rappel, c’est-à-dire l’aptitude à mobiliser ses souvenirs, s’avèrent moins efficaces. La mémoire automatique est celle qui résiste le mieux : elle correspond à tout ce qui a été appris et enregistré par les habitudes et l’expérience, comme le fait de s’habiller ou d’écrire.
En cas de doute, l’examen à intervalles espacés du patient permet d’identifier une aggravation anormale et une pathologie neurodégénérative. Celle-ci peut être à l’origine de troubles moteurs, psychiques et intellectuels très invalidants. Ainsi en va-t-il de la maladie d’Alzheimer, de Huntington ou de Parkinson. Rarement héréditaires, ces types de pathologies se détectent à partir de deux éléments : une perte de neurones plus rapide que la normale dans certaines zones du cerveau ; la présence d’anomalies caractéristiques à chaque maladie. L’interaction de plusieurs facteurs favorise l’apparition de ces maladies neurodégénératives. Si l’âge et l’hérédité peuvent créer une vulnérabilité, l’environnement peut aussi jouer un rôle.
Ainsi, la maladie de Parkinson peut être causée par des pesticides utilisés en agriculture. L’hypothèse d’un processus infectieux, appelé protéinopathie, est aussi avancée : il s’agit d’une protéine toxique insoluble qui vient contaminer d’autres cellules, comme on le voit dans la maladie de Creutzfeldt-Jakob.
Les progrès de la gérontologie sont indéniables. Les maladies courantes de la vieillesse, comme le diabète ou l’hypertension, sont régulées grâce à des traitements efficaces. On est également en mesure de réparer ou remplacer certains organes au moyen de greffes ou de prothèses.
Néanmoins, la médecine a ses limites. Il n’existe aucun remède pour les maladies neurodégénératives. Jusqu’à ce jour, les tentatives pour traiter la maladie de Parkinson ou d’Alzheimer sont restées vaines. Dans le cas de la sclérose latérale amyotrophique qui conduit à une paralysie généralisée, on ne peut que proposer des soins palliatifs aux patients. Quant au cerveau, il est utopique de croire qu’il puisse être remplacé en cas de dégénérescence. C’est un organe beaucoup trop complexe, avec ses 200 milliards de cellules et ses 600 kilomètres de capillaires, pour pouvoir faire l’objet d’une greffe.
Outre les traitements scientifiquement approuvés, un florilège de médecines parallèles ont fait leur apparition pour traiter les petits maux de la vieillesse. Entre charlatanisme et effet placebo, les offres sont nombreuses. Il faut dire qu’avec leur nombre croissant, les seniors sont une manne financière très attractive. L’acupuncture, les compléments alimentaires, l’homéopathie, le yoga ou la sophrologie ne bénéficient d’aucune validation scientifique. Ils n’offrent généralement qu’un soulagement ou un meilleur bien-être, ce qui n’est toutefois pas à négliger.
Certains concepts sont en revanche plus inquiétants, comme les diètes drastiques ou les dérives de la chirurgie esthétique en vue de contrer le vieillissement. Les progrès médicaux encouragent également l’idée que l’on pourrait un jour améliorer l’espèce humaine grâce à l’intelligence artificielle. La question est de savoir quel type d’individus nous créerions à travers ces manipulations et si l’avènement de l’homme machine ne signerait pas la mort de l’être humain.
Si cette période amoindrit l’excellence de certaines facultés, il n’en demeure pas moins que la vieillesse n’est pas uniquement synonyme de morosité et de déclin. C’est un stade de la vie où l’individu a acquis suffisamment d’expérience pour appréhender la réalité avec recul et sérénité. Il accède à une sagesse qui fait défaut aux plus jeunes. Comme il n’a plus de comptes à rendre à la société, il peut se libérer des codes sociaux avec plus de facilité et laisser sa personnalité s’exprimer pleinement.
À cela s’ajoute le fait que ses connaissances et ses savoir-faire sont plus conséquents que celles d’une personne plus jeune. Il dispose donc d’un potentiel intellectuel plus riche. Caractéristique de son âge, la lenteur de son activité neuronale peut même lui devenir un atout précieux. Mettant moins de célérité à réagir ou à répondre, le senior révèle souvent des performances intellectuelles supérieures car il s’octroie un temps de réflexion plus long et se montre plus posé.
À condition de s’y être préparé et de prendre les choses du bon côté, chacun peut faire de la vieillesse un moment exaltant et passionnant. Les seniors considèrent souvent la retraite comme une libération, dont ils veulent profiter pleinement. Ce n’est pas un hasard si la silver economy représente un gain de 130 milliards d’euros par an et que 36 % des plus de 50 ans rêvent de devenir centenaires. Pour profiter au mieux de cette phase de l’existence, Yves Agid recommande d’être actif et de ne pas se relâcher. L’activité intellectuelle et physique permet de rester acteur de sa vie. La résolution de problèmes ou l’entraînement de la mémoire aident à maintenir un niveau de fonctionnement cérébral satisfaisant.
Pratiqué à la mesure de ses capacités, le sport contribue à conserver la forme et l’entrain. Il serait même un gage de longévité. Il semblerait que les seniors l’aient bien compris puisqu’ils sont 81 % à faire régulièrement du sport. Cette stimulation des fonctions motrices, émotionnelles et intellectuelles par le biais d’une vie sociale diversifiée aide à vieillir mieux. Elle contribue aussi à mettre en place une dynamique quotidienne, structurée par des routines et des occupations qui détournent de la dépression.
La vieillesse est une étape de la vie que chacun appréhende à sa façon. Il n’existe pas de modèle universel du vieillissement et l’on n’est donc pas tous égaux face au déclin qu’il implique. Le dysfonctionnement cérébral qui en est à l’origine évolue différemment selon les individus. Lorsqu’on est dénué de pathologies graves, on ne se rend pas compte que l’on vieillit.
C’est la société qui se charge de mettre en exergue notre vieillissement. La mise au ban de la population active, le regard d’autrui qui change, le discours ambiant, tout se mêle pour nous renvoyer une image dégradée de nous-mêmes, qui n’est souvent pas justifiée.
Les progrès scientifiques en matière de longévité humaine ont conduit à l’émergence du transhumanisme. Apparu dans les années 1980 aux États-Unis, ce courant intellectuel et scientifique regroupe des partisans souhaitant améliorer l’être humain ou créer une nouvelle espèce humaine, comme le chercheur américain, Ray Kurzweil. L’objectif du tranhumanisme est d’optimiser le potentiel de l’homme et d’accéder à une jeunesse éternelle par l’éradication des maladies et de la mort, ainsi que le prône le philosophe anglais, Max More. Pour y parvenir, il convient d’avoir une approche pluridisciplinaire, basée sur les neurosciences, la robotique, le génie génétique et les nouvelles technologies.
Pour Yves Agid, Jürgen Habermas ou Francis Fukuyama, le transhumanisme soulève des problèmes éthiques considérables quant au risque d’eugénisme ou de manipulation mentale. Il est aussi inconciliable avec la réalité du corps humain et de son espérance de vie organique ou cellulaire. Comme le souligne Yves Agid, le transhumanisme repose sur des aberrations scientifiques, comme la reconstitution virtuelle du cerveau ou l’utilisation de la cryogénie alors que les cellules du corps ne résistent pas à un froid intense.
Ouvrage recensé– Yves Agid, Je m’amuse à vieillir. Le cerveau, maître du temps, Paris, Odile Jacob, 2020.
Du même auteur– L'Homme subconscient — le cerveau et ses erreurs, éditions Robert Laffont, 2013, (ISBN 2-221-11533-3)20.– Avec Pierre Magistretti, L'Homme glial. Une révolution dans les sciences du cerveau, éditions Odile Jacob, 2018
Autres pistes– Simone de Beauvoir, La Vieillesse, Paris, Gallimard, coll. « Folio essais », 2020.– Luc Ferry, La Révolution transhumaniste, Paris, Plon, 2016.– Eric Kandel, À la recherche de la mémoire, Paris, Odile Jacob, 2007.– Ladislas Robert, Le Vieillissement du cerveau : Parkinson, Alzheimer et autres démences, Paris, Flammarion, coll. « Champs sciences », 2003.– Bernard Sablonnière, L’Espoir d’une vie longue et bonne, Paris, Odile Jacob, 2018.