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Les Monarchies

de Yves-Marie Bercé

récension rédigée parBruno Morgant TolaïniEnseignant à l'université de Nîmes et docteur de l’EHESS en histoire moderne.

Synopsis

Histoire

De la Renaissance jusqu’à la rupture de la Révolution française, la monarchie a été la forme politique dominante en Occident. Dans les pays européens, le roi incarnait la cohésion de l’État et représentait l’union efficace d’une dynastie et d’un peuple. La brève synthèse proposée par Yves-Marie Bercé se penche sur la réalité du métier de roi. Elle s’intéresse aux images, aux mentalités, aux opinions, bien plus qu’aux institutions. Elle présente le pouvoir monarchique sous tous ses aspects, ainsi que les crises de succession et les périodes de rejet des couronnes.

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1. Introduction

Dans le cours de l’histoire, les siècles modernes (XVIe-XVIIIe siècle) furent le moment où le système de gouvernement royal s’imposa en Europe de façon évidente et incontestable ; le roi et la nation semblaient y confondre leurs origines et leurs rôles. La France, qui avait alors la plus longue tradition monarchique, était aussi la structure étatique la plus puissante, lentement construite depuis le début du Moyen Âge.

Les divers États de l’Europe avaient chacun hérité de principes originaux et de mécanismes institutionnels particuliers ; chacun avait son propre style d’exercice quotidien du pouvoir, chacun avait ses propres crises. Mais dans tous les royaumes, le souverain était le père commun de ses sujets ; il leur devait la justice et la paix, comme un père devait assurer à ses enfants la sérénité familiale et la sécurité du foyer. Le côté obscur du pouvoir, celui de l’État répressif et oppressif, punisseur et percepteur, était certes exercé au nom du roi, mais il n’en portait jamais l’opprobre.

Il était une entité unificatrice. Innocent par essence, il pouvait être guidé par de mauvais ministres, notamment en matière fiscale ou religieuse. C’est cette image du roi, au sommet de la société qu’il incarnait, qu’Yves-Marie Bercé entend présenter.

2. La figure du roi

Le roi moderne était tout d’abord pour son peuple une figure paternelle dont on attendait de l’affection et à qui l’on devait obéissance. La dimension paternaliste de la royauté était revendiquée par tous les souverains français depuis Louis XII (début du XVIe siècle) et incarnée notamment à travers la figure du peuple orphelin lors des oraisons funèbres royales. Dans cette logique, le plus énorme des crimes d’État, le meurtre du roi, était assimilé au meurtre du père : le coupable avant sa mise à mort devait subir la peine symbolique des parricides, soit l’amputation de la main droite.

Yves-Marie Bercé fait également remarquer que le lien métaphorique qui unissait le roi et ses sujets s’étendait à son épouse et à leurs enfants : leur vie privée ne leur appartenait pas, elle devait se dérouler sous le regard du peuple. Le mariage d’un enfant royal était toujours une affaire d’État et le sort des filles était le plus souvent de quitter très jeunes leur famille ; il leur fallait laisser leurs parents pour toujours et partir pour une cour étrangère. Ainsi Élisabeth de France, sœur de Louis XIII, pleura-t-elle pendant des jours en abandonnant en 1615, à l’âge de 12 ans, son pays et sa famille.

La figure du roi était aussi celle d’un justicier. En France, au cours du Moyen Âge, la justice royale s’était progressivement substituée à la justice seigneuriale. Dès lors, elle n’était plus seulement le moyen de trancher les conflits, elle permettait au souverain de découvrir la réalité de la vie de ses sujets. En outre, l’image du bon prince était associée à l’exercice de la justice partout en Europe. Yves-Marie Bercé cite ainsi le cas du roi de Hongrie Mathias Corvin qui avait considérablement œuvré à la simplification des lois de son royaume afin de rendre sa justice accessible au commun de ses sujets.

Dans les pays germaniques, il existait aussi une espérance ultime de recours à la justice de l’empereur lui-même, supposée exacte et toute-puissante. Partout, la vocation justicière, attribut originel et vertu chrétienne, était la condition de la dignité royale : un prince sans justice se transformerait en tyran et perdrait sa raison d’être.

3. Une monarchie sacrée

La royauté avait un caractère sacré. Le pouvoir des rois venait de Dieu, dont ils n’étaient que les lieutenants sur terre, en charge des peuples. La grâce particulière des monarques était clairement manifestée dans les rites des sacres qui, dans toutes les monarchies chrétiennes, marquaient la place privilégiée du souverain. Il était admis que le modèle français était le plus ancien puisqu’il remontait au Ve siècle, à Clovis.

L’aspect proprement sacramentel de la cérémonie était l’onction du roi par une huile sainte ; ce rite français de l’onction imitait le sacre des anciens rois d’Israël. Après l’onction, le roi recevait un à un les attributs de sa dignité : l’anneau, signe de sa foi, puis le sceptre et la main de justice, symboles de son pouvoir, et enfin la couronne qui lui était apportée par les pairs de France, au nombre de douze comme les apôtres. La référence biblique mettait ainsi le roi de France dans la lignée de David.La cérémonie française du sacre, la plus grandiose et la plus complexe qu’ait imaginé l’Occident chrétien, se retrouvait à quelques changements près dans tous les royaumes européens.

En France et en Angleterre, les rois acquéraient par l’onction du sacre la puissance de guérir les écrouelles (maladie d’origine tuberculeuse provoquant des fistules purulentes au niveau du cou). Le roi touchait les malades et disait : « Le roi te touche, Dieu te guérit. » Il procédait à ce rituel après le sacre, puis régulièrement à chaque grande fête ; les malades affluaient ces jours-là par centaines. Les guérisons, dûment vérifiées par des médecins et des prêtres, n’étaient pas rares : le clergé de Corbény, près de Reims, avait constaté 247 guérisons liées au toucher de Louis XIV de 1654 à 1714. La réputation du miracle du toucher royal était immense, au point de devenir en période de crise un enjeu politique.

On pouvait de ce fait penser que l’indignité éventuelle d’un mauvais prince serait dénoncée par son impuissance à guérir les scrofuleux et qu’à l’inverse l’authenticité des droits d’un prétendant serait vérifiée par sa capacité merveilleuse. Voilà pourquoi, dans l’Angleterre de 1685, le duc de Monmouth, bâtard de Charles II, voulant disputer le trône à son oncle Jacques II, commença son soulèvement par l’accueil de scrofuleux.

4. Succession et vacance

Selon Yves-Marie Bercé, la monarchie est, parmi tous les systèmes de gouvernement, celui qui a l’avantage d’assurer le mieux possible la continuité de l’État. Dans chaque tradition nationale, des lois successorales, assez souvent coutumières et non écrites, apportaient la certitude dans l’ordre d’accès au trône. Elles devaient permettre de faire l’économie de troubles qui résulteraient de quelque doute au moment du choix de l’héritier de la couronne.

Le cas français était le plus achevé de la longue élaboration médiévale d’un droit qui permettait de résoudre d’éventuelles querelles de succession. Le caractère immédiat de la succession héréditaire, indépendant de toute sanction institutionnelle, marquait la continuité de l’État et garantissait sa permanence : « Le roi est mort. Vive le roi ! » Ce cri prononcé à la fin XVe siècle par le grand maître de la Maison du roi devant la dépouille du roi Charles VIII, en 1498, résumait parfaitement ce principe. De même, le président du Parlement de Paris Christophe de Thou proclamait, au lendemain de la mort de Charles IX, alors qu’on attendait le retour de Henri III de Pologne : « Nous ne sommes jamais sans roi. »

L’automatisme de la succession était parfaitement intégré dans les pratiques, comme en témoignèrent les nombreux ralliements catholiques à Henri IV, dès l’instant de la mort de son prédécesseur, son cousin Henri III. La loi salique présidait aux successions : elle excluait les femmes de la transmission des droits, empêchant le passage de la couronne à un prince étranger époux ou descendant d’une princesse française.

Le cas de l’absence totale d’héritier dans une monarchie était rare, mais particulièrement perturbant pour le peuple. Ainsi, en 1579, les Portugais supplièrent le vieux roi Henri, successeur de son frère décédé au combat, de se désigner rapidement un héritier ; il était cardinal et, par conséquent, n’avait pas d’enfant. Vaines tentatives, le roi décéda en 1580 et l’événement provoqua une crise de succession qui vit monter sur le trône du Portugal Philippe II d’Espagne.

Dans les monarchies de tradition élective comme au Danemark ou en Savoie, l’élection et la succession restaient généralement au sein d’une même famille, et l’incertitude n’intervenait qu’en cas d’extinction de la dynastie. Dans ces royaumes, le temps séparant la disparition d’un prince et la détermination d’un successeur était reconnu et ritualisé sous le nom d’« interrègne ».

5. Les chutes de trône

Les exemples de chutes de trône, de ruptures totales de légitimités royales étaient peu fréquents. Le plus souvent, ils ne relevaient pas d’une contestation idéologique de la royauté, mais bel et bien d’une volonté de retour à un ordre ancien et souvent fantasmé, où le roi respectait les libertés fondamentales dont il était le garant.

Dans l’Angleterre de Charles Ier, au milieu du XVIIe siècle, la pression fiscale et les questions religieuses (oppositions entre anglicans et catholiques, desquels le roi était très proche) conduisirent à un conflit armé entre le monarque et le Parlement. Vaincu en 1648, Charles se retrouva prisonnier de ses sujets. Une partie de l’opinion réclamait vengeance contre un prétendu tyran sanguinaire et demanda un procès, qui s’ouvrit publiquement le 20 janvier 1649 dans le palais de Westminster. Considérant qu’il ne devait rendre de comptes qu’à Dieu, le roi se contenta de contester les droits de ce tribunal. Il fut condamné à mort et décapité le 30 janvier.

Cette mort prenait un sens profondément chrétien : martyr, le roi se sacrifiait pour le bien de son peuple. Dans l’Europe entière, la nouvelle incroyable de l’exécution du monarque suscita l’horreur, même si elle n’empêcha pas les puissances de traiter avec le nouveau régime, la République (Commonwealth) dirigée par Cromwell. Cependant, l’évidence de l’idée monarchique était si forte en Angleterre qu’il fut sérieusement envisagé en mars 1657 de rétablir la couronne en faveur de Cromwell et de sa descendance. Plus tard, la majeure partie de l’opinion, menacée d’une anarchie militaire, se rallia avec enthousiasme au retour de Charles II, fils du martyr. Dans les premiers mois de la Restauration, les principaux responsables du régicide furent recherchés, jugés et pendus. La monarchie avait retrouvé sa place unique dans le droit public anglais.

L’indépendance américaine correspondit également à la disparition d’une monarchie. George III, accusé d’avoir bafoué les libertés fiscales et commerciales de ses sujets américains, bombarda le petit port de Falmouth en 1775, marquant le début de la répression royale. Dès lors, la fidélité des colons n’avait plus de raison d’être, puisqu’elle était due à un roi, non un tyran. L’opinion générale outre-Atlantique était que le monarque avait, par ses forfaitures, abdiqué de ses trônes américains et qu’il fallait convenir d’un nouveau mode de gouvernement. La marche vers l’indépendance, proclamée en 1776, était lancée.

6. Les limites du pouvoir royal

Les plus puissants des princes connaissaient des limites à leurs pouvoirs. Le rôle même de lieutenant de Dieu attribué aux rois entraînait pour eux des devoirs religieux ; le caractère absolu de leur autorité rencontrait des obstacles suscités par la force des traditions. Yves-Marie Bercé précise que l’on confond souvent à tort les pouvoirs des anciens rois dits « absolus » avec les ambitions totalitaires des régimes politiques contemporains.

D’abord, on distinguait entre les droits du roi et ceux de la couronne. Le roi venait nécessairement un jour à mourir, tandis que la couronne ne meurt jamais. Cette dualité des fonctions était exprimée au XVIe siècle dans certains rites funéraires, où une effigie du roi dans son intégrité physique et ses ornements somptuaires figurait l’éternité de l’État, alors qu’à ses côtés un gisant nu ou enveloppé d’un linceul évoquait la dépouille mortelle du prince disparu.

Ensuite, des lois fondamentales empêchaient les tentations tyranniques. En France, il s’agissait de la loi salique, du principe d’inaliénabilité du royaume ou de celui de catholicité. Il y eut pourtant, dans l’histoire de la monarchie, des contradictions entre les lois fondamentales et la volonté royale. François Ier, emmené prisonnier en Espagne après la défaite de Pavie, avait dû racheter sa liberté en promettant de céder le duché de Bourgogne à Charles Quint – accord sur lequel il revint après son retour en France en 1526. De façon plus caractérisée, les lois fondamentales furent opposées à des décisions de Louis XIV.

Sentant venir la mort et craignant pour sa succession, le vieux monarque avait cru, en 1714, pouvoir habiliter ses fils légitimés à accéder au trône. En juillet 1717, un édit publié sous le nom du jeune Louis XV vint proclamer la nullité de ce texte, puisqu’un roi ne pouvait disposer de la couronne qui n’était à lui que viagèrement et pour le bien de l’État. L’édit rappelait l’« heureuse impuissance » du roi en face de ces coutumes pluriséculaires.

Enfin, l’historien rappelle que la conscience et le bon sens du monarque constituaient des limites à son absolutisme : le devoir de justice et le respect de l’Église devaient lui servir de freins l’empêchant de faire dégénérer son pouvoir en tyrannie. Ainsi, lorsqu’on voulait évoquer le bon gouvernement d’un roi, on citait volontiers sa retenue en matière de lois et sa prudence, comme ce fut le cas pour le prince Mathias Corvin en Bohême, ou Henri IV en France.

7. Conclusion

Décrire le métier de roi à l’époque moderne, telle est l’ambition d’Yves-Marie Bercé. De l’image du « roi-père » à celle du « roi-justicier », il témoigne des représentations des monarques européens du XVIe au XVIIIe siècle. Il décrit des sociétés dans lesquelles la monarchie était présentée comme le meilleur système de gouvernement et où le roi s’imposait de manière évidente, à tous, comme un intermédiaire entre Dieu et le peuple. La cérémonie du sacre et le touché des écrouelles, signe de la thaumaturgie du roi, offraient par exemple, en Angleterre et en France, le spectacle d’un pouvoir puissant qui émanait de la Providence.

Mais l’historien montre également les limites de l’autorité, au premier rang desquelles se trouvaient les lois et la conscience du monarque, ainsi que les questions successorales. Il livre ainsi, de manière synthétique, un panorama aussi complet que possible de la souveraineté.

8. Zone critique

L’ouvrage d’Yves-Marie Bercé constitue une excellente introduction à l’histoire de la souveraineté aux Temps modernes. Il aborde toutes les dimensions de l’autorité monarchique et puise ses exemples dans l’histoire de nombreux États européens. Pourtant, si le travail proposé est assurément de grande qualité, il demeure très centré sur les cas français et anglais. De même, l’exercice de synthèse conduit nécessairement à généraliser des conceptions et des habitudes de gouvernement qui, à n’en pas douter, pouvaient varier considérablement en fonction des royaumes, de la répartition des pouvoirs au sein de ceux-ci aux religions qui les composaient.Une excellente introduction donc, qui doit être prise comme telle.

Elle permet d’entrevoir les ressorts du pouvoir du XVIe au XVIIIe siècle et invite à creuser, dans des ouvrages spécialisés, les particularismes des différents royaumes et de leurs histoires respectives. La plume de l’auteur, particulièrement agréable et limpide, participe du plaisir de la lecture.

9. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Yves-Marie Bercé, Les Monarchies dans l’Europe moderne (XVIe-XVIIIe siècle), Paris, CNRS Éditions, 2016.

Du même auteur– Yves-Marie Bercé, Croquants et nu-pieds. Les soulèvements paysans en France du XVIIe au XIXe siècle, Paris, Gallimard, 1974.– Yves-Marie Bercé, La Naissance dramatique de l’absolutisme, Paris, Seuil, 1992.– Yves-Marie Bercé, Violences et répression dans la France moderne, Paris, CNRS Éditions, 2018.

Autres pistes– Bernard Barbiche, Les Institutions de la monarchie française à l’époque moderne, Paris, PUF, 2012.– James Collins, La Monarchie républicaine. État et société dans la France moderne, Paris, Odile Jacob, 2015.– Ernst Kantorowicz, Les Deux Corps du roi, Paris, Gallimard, 1989.– Roland Mousnier, Les Institutions de la France sous la monarchie absolue, Paris, PUF, 2015.– Agnès Walch, La Vie sous l’Ancien Régime, Paris, Perrin, 2020.

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