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Violences et répression dans la France moderne

de Yves-Marie Bercé

récension rédigée parBruno Morgant TolaïniEnseignant à l'université de Nîmes et docteur de l’EHESS en histoire moderne.

Synopsis

Histoire

Guerres de religion, révolte des Croquants, complots, répressions : aux XVIe et XVIIe siècles, des images de violence accompagnent les débuts de la France moderne. Parce qu’ils touchent l’ensemble de la société, ces débordements éclairent les évolutions de l’ordre public, de l’appareil d’État, du champ pénal de la justice. À travers différents exemples, Yves-Marie Bercé décrypte les mutations de la société et de l’État monarchique entre le temps du roi guerrier du XVIe siècle et celui du souverain autoritaire centralisateur le siècle suivant. Assassinat du duc de Guise en 1589, soumission de villes protestantes dans les années 1620, coups de majesté des rois de France, autant d’épisodes qui permettent d’examiner les réponses du pouvoir et l’organisation de sa répression. Ainsi se dessinent les transformations des institutions dépositaires de la violence d’État au cours de l’époque moderne.

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1. Introduction

Les grandes monarchies occidentales ressemblaient, depuis le XIVe siècle, à des États de droit, mais il arrivait que des situations inquiétantes entraînent des dérogations brutales. Ces épisodes de violence insolite furent, au cours du XVIe siècle, théorisés par les politologues qui instituèrent la raison d’État.

Des gens d’épée, des hommes de loi, des titulaires d’offices spécifiques recevaient alors la caution d’ordonnance pour recourir à la redoutable force publique. Ces tâches disparates, personnelles, n’ont guère été mentionnées dans les archives judiciaires du temps, de sorte que, faute de sources groupées, elles n’ont pu être étudiées pour elles-mêmes.

L’ouvrage proposé par Yves-Marie Bercé ne constitue pas une seule étude, mais se compose de nombreux articles publiés par l’historien tout au long de sa carrière. Ainsi réunit-il une dizaine de travaux à propos de violence politique de l’âge moderne et tente d’y observer les changements de l’ordre public. Sous cet angle de vue très particulier, celui des institutions de force, se devinent les longues évolutions de l’État royal, de Henri II à Louis XIV, mais aussi une histoire des maréchaussées et polices de l’époque moderne.

Notre propos ne sera pas ici de rendre compte de chacun de ces cas particuliers, mais bien de mettre en lumière ce qu’ensemble, ils peuvent apporter à l’histoire de ces deux siècles.

2. L’autorégulation de l’ordre public

Sous l’Ancien Régime, le prestige d’un roi était d'abord guerrier : il résultait de l’appui indiscuté de ses gens d’armes et aussi de ses sujets, nobles ou citadins. Le consentement collectif reconnaissait sa vocation de commandement et son droit unique de guerroyer dans le royaume. En fait, il ne disposait souvent, même au XVIIe siècle, que de quelques milliers de soldats permanents, à pied ou à cheval, et de quelques dizaines de canons.

Ainsi, Louis XIII, dans les années 1620, réunissait moins de trente mille hommes contre les rébellions protestantes. Et en 1643 le prince de Condé, à la victoire de Rocroi qui opposait le royaume de France à la monarchie espagnole, n’avait que douze canons en bataille. Mais ces troupes royales employées à la guerre n’avaient pas pour fonction d’assurer l’ordre public et de faire respecter les lois. L’obéissance aux décisions royales à Paris comme dans les plus lointaines provinces ne dépendait pas du nombre de soldats, mais de la fidélité des sujets, ou, autrement dit, de la confiance du corps social. Si la contrainte paraissait nécessaire, le dernier mot revenait aux nobles, ou aux milices bourgeoises dans les villes.

De même, les décisions de justice reposaient uniquement sur le prestige éventuel d’un tribunal et sur l’adhésion des justiciables. Pour mener à bien l’information d’un crime, c’est-à-dire l’enquête ou l’instruction, pour faire exécuter une sentence, les juges, royaux ou seigneuriaux, n’avaient à leur service qu’un ou deux huissiers ou sergents et l’appui de leurs domestiques personnels. Pour porter un décret d’assignation ou, plus grièvement, de prise de corps, l’huissier dépositaire de l’acte devait embaucher des renforts à gages, simples serviteurs ou comparses appelés « recors », afin de prêter main-forte.

Cet ordre tacite de l’ancien monde rural, fondé sur la solidarité de la communauté d’habitat, sur les coutumes et sur le respect des hiérarchies habituelles, se désagrégea avec l’avènement des grandes villes. Dans ce système d’autorégulation, Yves-Marie Bercé voit les modes de vie et de pensée villageoises qui prédominaient dans la vieille Europe préindustrielle.

3. Les troupes d’ordre public

Le premier emploi de troupes particulières servant à l’ordre public apparaît comme un corollaire de l’institution militaire. Elles n’étaient liées ni à la sûreté des villes ni à des desseins politiques du souverain. Elles n’étaient qu’une dépendance des situations de guerre. Dès les années 1350, les maréchaux (deux en ce temps-là), qui commandaient les armées du roi avaient auprès d’eux des prévôts (fonctionnaires chargés de la justice et de l’ordre public) chargés de punir, selon les règles des ordonnances, les désordres des soldats.

De nombreux offices furent ainsi créés auprès des armées ; ils étaient assimilés au corps de la gendarmerie et leurs gages pris sur les caisses de guerre, constituant ainsi la maréchaussée.

Les montées d’effectifs des armées et la longue durée des guerres d’Italie (1494-1559), aggravèrent les ravages provoqués par les soldats, qui pillaient et brigandaient. Plusieurs grandes ordonnances des rois répondaient à l’urgence de ces besoins ; des édits de François Ier en 1535 et de Henri II en 1554 précisaient les services confiés aux prévôts des maréchaux. Par la suite, au long des XVIe et XVIIe siècles, se succédèrent des mesures législatives renouvelant ou répétant les pouvoirs de ces agents. Le principal danger énoncé par le législateur était la circulation des troupes ; il revenait donc aux prévôts d’être sans cesse à cheval à la suite des armées, sur leurs itinéraires, en logement d’étapes, sur les théâtres des combats ou sur les chemins de retour des soldats renvoyés après une saison de guerre.

Les soldats ne furent rapidement plus les seuls justiciables de la maréchaussée. La croissance démographique du XVIe siècle jeta dans la misère et sur les routes des foules de vagabonds : face à cette dangerosité nouvelle considérée comme un obstacle au commerce et à la paix publique, l’édit de 1554 créa des « vices-sénéchaux », autrement dit des juges des grands chemins. Ils n’étaient pas juristes et n’opéraient qu’en flagrant délit et en exécution immédiate selon l’adage « pris, pendu ». Rencontrés sur le vif, les coupables étaient, sans autre forme de procès, lynchés à l’arbre le plus proche. Les vices-sénéchaux purent également servir d’escorte à de grands personnages, ou au transport de fonds. Rapidement, ils furent indispensables au maintien de l’ordre public.

4. Les gardes des rois

De tout temps les rois ont recruté des gardes pour les protéger des dangers encourus sur-le-champ de bataille, dans les crises dynastiques et dans les guerres civiles. Ces gardes du prince, remarquables par leur rang social et leurs qualités guerrières, pouvaient se voir confier des missions politiques. La dignité de leur charge les rattachait aux plus anciens rites de la royauté, et leurs capacités tactiques annonçaient les engagements de la raison d’État.

La fonction d’apparat des troupes de la Maison du roi était primordiale : somptueuse selon la dignité du roi de France, magnifique pour preuve de sa puissance sociale, mais également menaçante aux yeux des étrangers et d’éventuels rebelles. Ainsi le dimanche 20 juillet 1608, jour d’accueil de l’ambassadeur d’Espagne au château de Fontainebleau, toutes les unités des gardes avaient été requises. L’introducteur du diplomate devait d’abord lui faire traverser les rangs des archers du Grand prévôt, puis passer devant une compagnie en ordre de bataille dans la cour carrée ; l’escalier montant au logis du roi était contrôlé par cent gardes suisses ; à l’entrée du cabinet du roi se tenaient les huissiers du Conseil porteurs de chaînes d’or et armés de masses.

Tout ceci vu, l’ambassadeur fut enfin admis devant le roi qui était assis sous un dais, entouré d’une vingtaine de grands dignitaires en armes. Ces cérémonies n’étaient pas seulement pompeuses, elles devaient aussi inspirer le respect voire l’effroi. Les différentes unités de la Maison du roi faisaient toutes l’objet de recrutement et d’entraînement sélectif ; ces qualités individuelles et un excellent armement leur permettaient de constituer un noyau d’élite, en réserve dans la bataille ou, de manière plus spectaculaire, à l’assaut dans les premières brèches en cas de siège.

Le terme de « gardes du corps » était réservé aux compagnies de gentilshommes qui se tenaient dans l’intérieur du palais, accompagnaient partout le roi, surveillaient les portes du Louvre, puis de Versailles, et les appartements royaux. En 1622, fut jointe une compagnie dite de mousquetaires, forte de quelque deux cents cavaliers d’élite, renforcée par une seconde compagnie en 1660. Le roi en était le capitaine en titre, déléguant son autorité à un capitaine lieutenant.

5. Une illustration : la révolte des Croquants de 1637

Les révoltes des Croquants eurent lieu dans le sud-ouest du royaume aux XVIIe et XVIIIe siècles, principalement pour des raisons fiscales, et notamment l’introduction d’une taxe sur le vin. Le soulèvement de 1637, point d’orgue de la colère paysanne, consistait en l’attaque des collecteurs d’impôts. La rébellion s’étendant, l’armée royale vint mater le soulèvement dans le sang, condamnant les chefs à la peine de mort, mais accordant une large amnistie à la masse des paysans et villageois. Yves-Marie Bercé évalue l’événement de deux manières.

Dans une perspective lointaine, il voit dans ce sursaut des Croquants les craintes d’une collectivité qui redoutait de perdre ses privilèges. La forme de la contestation, une véritable prise d’armes dans les paroisses, traduisait la force de ce que l’historien appelle la « solidarité d’habitat », la puissance du sentiment de patrie locale dans un monde agraire relativement sédentaire et autarcique. Des centaines d’autres émeutes villageoises avaient déjà présenté, ou bien reproduisirent ensuite, à une échelle réduite, les caractères originaux du soulèvement périgourdin. Ainsi, la révolte des Croquants prit-elle la forme dans l’histoire d’un archétype de la révolte paysanne.

Si l’on choisit un regard plus politique sur ces événements, le mouvement du Périgord apparaît en fait comme exceptionnel. Il fut en effet le seul à avoir mis sur pied et fait marcher une véritable armée populaire, une troupe coordonnée, pleinement consciente de ses objectifs. De même, l’année 1637 se situait dans un vaste mouvement de transformation institutionnel, qui dura de Henri II à Louis XIV où les modes de gouvernement changèrent, où les États généraux furent plus souvent réunis, où les coutumes furent réformées.

Durant ces décennies, l’État oscillait entre la centralisation et ce qui était alors appelé une « monarchie mixte », où les assemblées locales auraient eu leur influence sur le cours politique. Ce modèle de gestion par une représentation de notables était d’ailleurs pratiqué en Espagne, en Angleterre ou en Suède. La révolte de 1637 illustre ainsi à la fois la violence du peuple qui cherche à peser sur les décisions, mais également la dure répression d’un roi, qui entendait être seul décisionnaire.

6. Les coups de majesté

Dans certains cas, le souverain était contraint de recourir aux artifices du complot pour se tirer d’une impasse politique et pour sauver son autorité. À la tête de son royaume, dans sa propre cour, à l’insu de ses conseillers, le prince était réduit aux voies de la clandestinité, il devait échapper au regard du public, quitter les voies normales du gouvernement, et mépriser les fonctions ordinaires de ses officiers et magistrats. Il concevait alors la trame d’un coup d’État qui devait éclater à un certain jour dit, provoquant la stupeur des témoins et la déroute de ceux qui avaient entravé son autorité légitime. Dans ces cas, où le roi étonnait par la force et la hardiesse d’une décision inattendue, on parlait d’un « coup de majesté » puisque l’éclat de la décision paraissait véritablement royal, le prince y faisant un plein et légitime usage des prérogatives souveraines qui n’appartenaient qu’à lui. Au moins trois fois dans l’histoire de France, les souverains furent réduits à de tels procédés : lorsque Henri III crut, en décembre 1588, mettre fin à la Ligue en faisant assassiner son chef, le duc de Guise ; lorsque le jeune Louis XIII revendiqua la plénitude de son pouvoir en faisant mettre à mort son principal ministre Concini, maréchal d’Ancre (avril 1617) ; enfin, lorsque le jeune Louis XIV s’assura de la maîtrise de ses finances en faisant arrêter son surintendant Nicolas Fouquet (septembre 1661). De ces événements, Yves-Marie Bercé retient d’abord que le complot nourrit le complot, à toutes les échelles : Henri III méditant la mort du duc de Guise se persuada sans peine que Guise complotait sa mort ; aussitôt après la mort de Concini, se répandit dans les rues de Paris le bruit de la mort de Louis XIII ; Fouquet, quant à lui, fut considéré par le peuple comme l’empoisonneur de Mazarin. L’historien précise également que le complot royal résultait toujours d’un conflit structurel qui surgissait à l’intérieur de l’appareil d’État, autrement dit entre le roi et l’un de ses principaux conseillers.

En effet, l’institutionnalisation progressive du ministériat durant l’époque moderne débouchait naturellement sur des temps de désaccords, et le souverain en profitait pour récupérer les prérogatives dont il se sentait dépouillé au profit d’un autre. Enfin, il est précisé que le complot royal ressemblait toujours à une réaction de faiblesse : son recours traduisait l’impuissance ordinaire du roi, contraint de s’engager dans des procédures complexes et hors du commun.

7. Conclusion

Le titre de cet ouvrage peut paraître trompeur. Il ne s’agit pas d’une étude globale des violences et de la répression des XVIe et XVIIe siècles, mais bien d’un agrégat de cas particuliers desquels il est possible de tirer des leçons sur l’organisation des institutions depuis Henri II jusqu’à Louis XIV, alors qu’elles se transformaient profondément.

On lit, à travers les mots d’Yves-Marie Bercé, la lente construction de l’absolutisme politique ainsi que celle de la centralisation grandissante du pouvoir, depuis Paris puis depuis Versailles. On y perçoit la violence d’État, à travers des événements choisis, mais également la répression que provoquaient les actes de rébellion aux XVIe et XVIIe siècles.

8. Zone critique

La force de cet ouvrage réside dans la somme des informations qu’il contient. Les travaux menés par Yves-Marie Bercé y sont condensés à la faveur des nombreuses publications scientifiques de l’historien. En outre, les textes originaux n’ont pas été scrupuleusement respectés par l’auteur qui offre à la lecture des conclusions renouvelées et une réflexion qui n’a cessé d’évoluer depuis leur rédaction.

Certes, la réunion d’une dizaine d’études ne peut assurément pas permettre d’observer deux siècles de changements d’ordre public, mais ces récits d’épisodes de troubles et de révoltes examinent les réponses répressives du pouvoir.

9. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Violences et répression dans la France moderne, Paris, CNRS Éditions, 2018.

Du même auteur– Révoltes et révolutions dans l'Europe moderne (XVIe-XVIIIe siècle), Paris, Cnrs, coll. « Biblis », 2013.– Fête et révolte : Des mentalités populaires du XVIe au XVIIIe siècle, Paris, Fayard, coll. « Pluriel », 2006. – La Naissance dramatique de l'absolutisme (1598-1661), Paris, Seuil, coll. « Points »,1992.– Histoire des Croquants, Paris, Seuil, 1966.

Autres pistes– Pascal Bastien, Histoire de la peine de mort, Paris, Seuil, 2011.– Robert Muchembled, Une histoire de la violence, de la fin du Moyen Âge à nos jours, Paris, Seuil, 2008.– Michel Nassiet, La violence, une histoire sociale (France, XVIe-XVIIIe siècles), Seyssel, Champ Vallon, 2011.– Julian Gomez Pardo, La maréchaussée et le crime en Île de France, Paris, Les Indes savantes, 2012.

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