Dygest vous propose des résumés selectionnés et vulgarisés par la communauté universitaire.
Voici le résumé de l'un d'entre eux.
de Zoé Oldenbourg
Le catharisme, courant religieux parfois considéré comme une hérésie chrétienne, est en plein essor dans le Midi de la France au XIIe siècle. Cela inquiète l’Église catholique, au point que le pape Innocent III (1198-1216) appelle le roi et la noblesse de France à la croisade contre ceux qu’elle nomme Albigeois ou cathares (mars 1208). Outre les assauts militaires, l’Inquisition traque les hérétiques et les brûle, comme à Montségur en 1244. L’hérésie suffit-elle à expliquer la violence avec laquelle l’Église et le roi de France s’acharnent sur le Midi durant la première moitié du XIIIe siècle ?
La construction de la nation française s’est souvent faite dans le sang, parfois sur fond de dissidences religieuses. Celle-ci donne lieu, aujourd’hui encore, à la polémique, comme le montre l’exposition sur le thème « Les cathares, une idée reçue », préparée par des étudiants et accueillie en novembre 2018 à l’université Paul-Valéry de Montpellier. La thèse des organisateurs, contestée par d’éminents chercheurs, tend en effet à minorer la réalité du catharisme dans le Midi.
Le catharisme est assurément devenu un objet historiographique très étudié et un sujet à la mode dès les années 1960-1970. Alors, les recherches en histoire régionale prenaient de l’ampleur et mobilisaient également l’intérêt d’auteurs n’ayant pas de formation d’historien. C’est le cas de Zoé Oldenbourg, passionnée d’histoire médiévale, auteur du Bûcher de Montségur (1959). Dans cet ouvrage, l’auteur relate l’histoire complexe du catharisme dans le Midi de la France et l’éradication de ce courant religieux, doté d’institutions, par l’Église catholique et par l’intervention de la monarchie capétienne au XIIIe siècle.
Le titre retenu, Le bûcher de Montségur, 16 mars 1244, reflète partiellement le contenu de cette synthèse. L’auteur propose en effet une approche générale du phénomène cathare jusqu’en 1244. En s’appuyant sur les sources et sur plusieurs études, Zoé Oldenbourg analyse les doctrines cathares et leur expansion en Occident.
Elle rappelle en même temps les épisodes de la croisade anti-albigeoise. Cette guerre se caractérise par l’ascension militaire et politique de Simon de Montfort, le rôle des représentants du pape et celui des dignitaires ecclésiastiques, mais aussi celui de l’Inquisition, créée par le pape Grégoire IX, et l’impact du tout nouvel ordre des frères prêcheurs, fondé par saint Dominique. Enfin, l’auteur décrit la chute du dernier réduit de la résistance cathare, à Montségur.
L’orthodoxie chrétienne s’est construite dans la confrontation et le débat, les assemblées d’évêques (conciles) imposant leurs conclusions. Ce qu’on appelle hérésie, du grec hairesis, désigne donc une position intellectuelle réfutée tandis que se constitue la doctrine orthodoxe. S’appuyant sur les pouvoirs civils, l’Église prend dès le IVe siècle l’habitude de combattre les propositions hérétiques et ceux qui les portent, les hérésiarques. Entre le Xe et le XIIIe siècle, l’Europe abrite des groupes anticléricaux aux origines mal éclaircies encore aujourd’hui et qui ont pour point commun de contester la doctrine de l’Église établie. Dans ses Sermons (v. 1165), le moine Eckbert de Schönau les appelle « cathares », d’après un terme grec qui signifie « les purs ».
Ce faisant, Eckbert se conforme à une habitude prise à partir de l’évêque saint Augustin au Ve siècle. On indiquait en effet par ce mot la tendance de certains hérétiques à considérer la chair, donc la sexualité, comme impure, ce qui est le cas des cathares du Midi. Les intéressés ne font toutefois jamais usage de ce terme pour se désigner eux-mêmes. Grâce à quelques écrits hérétiques et aux traités de théologiens catholiques, on connaît un peu leur doctrine, qui ne paraît cependant pas avoir été homogène. Par ailleurs, de nombreuses zones d’ombre subsistent sur ce point.
Selon les cathares, le monde matériel a été créé par un dieu mauvais, celui de l’Ancien Testament, opposé à un dieu bon, mais inaccessible, le dieu du Nouveau Testament. Tel est le principe fondamental de ce groupe. Certains sont des dualistes dits « absolus », qui estiment que les deux principes, le bon et le mauvais, coexistent dès l’origine. La réincarnation est admise. Les cathares du Midi semblent avoir adhéré à cette doctrine.
D’autres, en Italie du Nord, développent une approche légèrement différente. Selon eux, le démiurge, créateur du monde, n’aurait été qu’un ange déchu. Cependant, tous nient que Jésus ait été un être matériel. D’ailleurs, la mère de ce dernier, Marie, aurait été elle-même un ange du dieu bon, donc un être purement spirituel. Il n’y a donc pas de Trinité ni d’Incarnation ni de salut par la Cruxifixion et la Résurrection. Cette position est soutenue dans un texte cathare : l’Interrogatio Iohannis. De telles particularités inspirent ces mots à Zoé Oldenbourg : « Ces hérétiques n’étaient plus des catholiques dissidents, ils puisaient leur force dans la conscience d’appartenir à une religion qui n’a jamais rien eu à voir avec le catholicisme, à une religion plus ancienne que l’Église » (p. 48).
Pourtant, les cathares calquent leur organisation sur le modèle de l’Église catholique, avec des évêques et des diacres, ce qui renforce les similitudes entre les deux hiérarchies.
À l’évêque cathare est associé un « fils majeur », lui-même accompagné d’un « fils mineur » censé prendre la place du précédent lorsque ce dernier succède à l’évêque. La hiérarchie cathare semble donc s’inspirer plus ou moins de la structure très simple de l’Église primitive du Ier siècle, organisée autour d’évêques et de diacres, leurs assistants. Zoé Oldenbourg y voit la preuve que l’Église cathare est, dans ses origines, une Église plus ancienne que l’Église catholique médiévale, aux institutions plus complexes. Le seul sacrement de cette Église est le consolamentum, un baptême spirituel conféré par imposition des mains, également une véritable consécration religieuse qui demande à la personne concernée de fortes contraintes : chasteté, jeûnes fréquents, prédication.
Ces cathares s’appellent eux-mêmes « Bons Hommes » ou « Bonnes Femmes ». Des femmes reçoivent en effet le consolamentum et se distinguent ainsi des autres croyantes. Les inquisiteurs nomment « parfaits hérétiques », d’où le terme « Parfaits » que l’historiographie a conservé, ceux qui ont reçu le consolamentum et qui s’affirment comme l’élite du groupe. La prière de prédilection des cathares est le Notre Père, inlassablement répété, d’où le nom de « Patarins » que l’on trouve aussi dans des textes catholiques à leur sujet.
Les cathares sont parfois appelés « Tisserands ». Ils pratiquent en effet les métiers de l’artisanat et du commerce et bénéficient d’une bonne insertion socio-professionnelle, base de leur sociabilité. Or ces activités connaissent un grand essor, aux XIIe-XIIIe siècles, dans un Midi plutôt urbanisé. Contrairement à de nombreux bourgeois catholiques souvent critiqués pour leur rapport à l’argent, les cathares ont une vie apparemment simple et charitable, si bien que le catharisme séduit volontiers les catégories intermédiaires de la société civile, voire la petite noblesse. Pourtant, sans doute de manière partiale, Raynier Sacchoni, évêque cathare repenti, leur reproche leur amour de l’argent. Les « Bons Hommes » exercent également la médecine et fondent des hôpitaux.
En cela ils se rendent très utiles. Leur exemplarité contraste également avec la richesse, souvent dénoncée, des institutions chrétiennes classiques. Les évêques et de puissants monastères comme Grandselve et Fontfroide sont ainsi perçus comme de grands propriétaires avides. Ils entretiennent en outre de nombreux litiges avec les seigneurs du Midi, par conséquent tentés de se tourner vers les cathares.
En ces siècles où le pouvoir temporel des rois et l’autorité spirituelle des évêques sont imbriqués, le catharisme apparaît comme une contestation de l’ordre établi, peu respectable, selon les cathares, puisque relevant du monde matériel.
C’est aussi un concurrent sérieux pour l’Église catholique, car selon Zoé Oldenbourg, de très nombreux habitants du Midi sont acquis aux idées cathares ou leur accordent leur sympathie. Dès le XIe siècle, clercs et moines tentent de réfuter les thèses hérétiques dans leurs sermons et dans des ouvrages polémiques. Des dialogues contradictoires ont même lieu. On peut citer le colloque de Pamiers (1207), durant lequel l’évêque cathare Guilhabert de Castres affronte Dominique de Guzman (saint Dominique) en débat public, et qui se conclut par la repentance du cathare Durand de Huesca. Toutefois, cette voie semble sans issue. Chacun, globalement, reste sur ses positions.
Le pape Innocent III (1198-1216) finit donc par lancer un appel à la croisade après le meurtre de son légat (représentant) Pierre de Castelnau par un homme du comte de Toulouse Raymond VI (1208). Lui-même menacé par l’hérésie sur ses propres terres d’Italie, le pontife estime que la seule réponse au catharisme réside dans une coopération étroite de l’Église avec les pouvoirs civils. Les légats, parmi lesquels Arnaud Amaury, abbé de Cîteaux, encadrent l’opération, à laquelle s’associent de grand féodaux du nord de la France, mais aussi du Quercy et d’Auvergne.
Beaucoup de seigneurs du Midi suivent l’exemple des comtes de Toulouse, qui affirment leur union avec Rome sur le plan religieux, mais font parfois volte-face et combattent les armées royales. Comment, dans ces conditions, savoir qui est véritablement hérétique ? Le pape Boniface IX se résout donc en 1233 à créer l’Inquisition – terme signifiant « enquête ».
Il s’agit d’une institution indépendante des évêques et dont la mission consiste à traquer les hérétiques y compris par voie de dénonciation, de détention arbitraire et, à partir de 1252, par le recours à la torture. Les inquisiteurs tentent d’arracher aux accusés des aveux, qu’ils notent ensuite sur des registres, en particulier les noms des personnes dénoncées comme cathares. Des dominicains, à l’avant-poste de la lutte antihérétique et forts de leurs nombreux couvents, dont celui de Prouilhe, près de Fanjeaux, sont nommés inquisiteurs. Si cette institution très répressive se montre efficace, ses agents prennent aussi des risques.
Il faut citer le massacre, à coups de haches, de poignards et de massues, des inquisiteurs d’Avignonet, perpétré par des cathares venus de Montségur, qui s’emparent de leur précieux registre (mai 1242). De toute évidence, même l’Inquisition ne pouvait réussir à éliminer le catharisme sans le concours d’une monarchie capétienne désireuse de s’implanter durablement dans le Midi.
Deux sources, principalement, documentent cette croisade : l’Histoire albigeoise de Pierre des Vaux-de-Cernay (1218), favorable aux Français, et la Chanson de la croisade albigeoise, du parti adverse et dont l’un des deux auteurs est Guillaume de Tudèle (1219). Les coups de boutoir de la chevalerie française contre le comte de Toulouse et ses vassaux se traduisent par une série de massacres, surtout celui dont les habitants de Béziers sont les victimes en 1209. En rapport avec cet événement, un mot célèbre : « Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens », a été attribué au légat Arnaud Amaury par Césaire de Heisterbach (1180-1240) dans son Livre des miracles.
Il n’a sans doute pas été prononcé tel quel, mais traduit bien la brutalité de l’opération. Celle-ci doit d’ailleurs beaucoup au remarquable talent militaire d’un chevalier, Simon de Montfort, qui se montre très violent. Les exécutions sommaires de « Parfaits » s’enchaînent. Le tissu économique régional, en particulier le vignoble, est détruit, et la noblesse locale est souvent remplacée par une noblesse venue du nord de la France. Cela facilite la conquête du Midi par les armées des rois Louis VIII et Louis IX après la mort de Simon en 1218.
Cependant la résistance s’organise. Succès et échecs ponctuent l’intervention des armées royales pendant plusieurs décennies, jusqu’à l’assaut dont le château de Montségur est la cible, de mai 1243 à mars 1244. Ce réduit cathare, perché à 1207 mètres au sommet d’un éperon difficilement accessible, est atteint le 1er mars 1244, peut-être grâce à une trahison. Deux semaines plus tard, ses occupants se rendent. Selon une tradition, plus de deux cents cathares sont brûlés au « Champ des Cramatchs » (« des brûlés »), en contrebas du château. L’événement, bien que déterminant, n’était pas nouveau. Les bûchers étaient allumés depuis le XIe siècle : ceux d’Orléans (1022) et de Vézelay (1167) avaient précédé les bûchers du Midi.
Par ailleurs, la papauté ne peut pas trop favoriser les ambitions essentiellement politiques des rois de France. Elle rappelle que la croisade a d’abord pour but de rétablir la catholicité dans ses droits et fait en sorte de ne pas anéantir a priori le pouvoir comtal, contrairement aux vœux d’abord exprimés par le pape Innocent III. Cependant, sans la détermination du roi et surtout celle de Blanche de Castille qui, lors du traité de Paris (1229), impose le principe d’un mariage entre Alphonse de Poitiers, frère de Louis IX, et Jeanne, fille du comte de Toulouse Raymond VII, la conquête aurait été plus difficile.
Encore fallait-il que Raymond VII n’eût pas d’autre enfant. Or c’est ce qui arrive. Il meurt en 1249 sans avoir pu engendrer un autre héritier. Alphonse de Poitiers, qui se désintéresse du Midi, et son épouse décèdent eux-mêmes sans héritier en 1271. Comme espéré, le Midi vient ainsi agrandir le domaine royal.
Pour Zoé Oldenbourg, la croisade du Midi fut avant tout un combat entre deux civilisations, en particulier deux langues, celle des Francs et celle des Occitans, sur fond de dissidence religieuse. C’est un fait que la religion cathare opposait au catholicisme une alternative, en tout cas une concurrence sérieuse qui menaçait l’édifice social établi depuis des siècles. Il faut pourtant rappeler, avec l’auteur, que les comtes de Toulouse n’ont jamais adhéré officiellement au catharisme, malgré l’ambiguïté de leur politique.
Au XIIe siècle, Raymond V s’était même inquiété des progrès de l’hérésie sur ses terres. Le sens de l’histoire n’était de toute façon plus favorable à la féodalité, tandis que s’affirmait une monarchie capétienne en voie de centralisation et que les alliés potentiels des comtes de Toulouse se trouvaient en difficulté pour de multiples raisons. L’aventure de la croisade ne fut donc rendue possible et ne fut victorieuse que grâce à la dynastie capétienne.
Il n’en reste pas moins que l’opération échoua, du moins dans un premier temps, à éradiquer le catharisme. C’est bien l’Inquisition qui en vint à bout, mais pas avant les années 1320, le mouvement, très affaibli, n’étant alors plus capable de souder l’identité occitane, à supposer qu’il y soit jamais parvenu. Zoé Oldenbourg prend acte de la victoire royale, qu’elle assimile aussi à une faute morale parfaitement assumée de l’Église catholique : « À la veille des événements qui ont amené sur le Languedoc la catastrophe qui allait lui coûter son indépendance, l’Église ne représentait ni la justice, ni l’ordre, ni la paix, ni la charité, ni Dieu ; elle représentait la papauté. La situation véritablement tragique où elle se trouvait placée allait l’amener à la plus effrayante confusion de valeurs et lui faire subordonner toute idée de morale à la défense de ses intérêts temporels » (p. 111).
Il n’était pas question d’accorder ici au siège de Montségur la place qu’il n’occupe pas dans le livre et qui rend le titre de ce dernier trompeur. C’est d’ailleurs l’un des principaux reproches formulés par Étienne Delaruelle dans son compte rendu de l’ouvrage. Autre point gênant : on peut être légitimement scandalisé par la politique pontificale au XIIIe siècle, voire éprouver de l’hostilité à l’égard de la doctrine catholique, à condition que cela ne brouille pas le discours historique. Ce n’est pas le cas ici. L’exploitation plus critique des sources disponibles aurait favorisé une présentation moins subjective des événements.
Par ailleurs, les recherches récentes sur le catharisme ne permettent pas de brosser un tableau unifié du phénomène hérétique dans l’Europe du Moyen Âge central. Loin de là ! Le lien entre les hérétiques d’Europe centrale et orientale et le catharisme du Midi de la France est un point historiographique encore très discuté.
Or Zoé Oldenbourg l’accepte sans l’analyser de manière suffisamment critique. Les contacts entre communautés hérétiques dans l’Europe du XIIIe siècle ont par exemple été réexaminés par Edina Bozoki, que l’on doit lire désormais sur ce sujet.
De plus, les recherches de Jean-Louis Biget sur l’albigéisme tendent à restreindre la part de la population ayant adhéré activement au catharisme dans le Midi, sans pour autant sous-estimer l’importance du phénomène : entre 5 et 7 % seulement. On est bien loin de cette adhésion large, voire majoritaire, de la population du Midi au catharisme qu’évoque Zoé Oldenbourg.Enfin, il est dommage que l’auteur interrompe son récit avec la prise de Montségur, alors que l’hérésie lui survit quatre-vingts ans . Qui plus est, le château est, à tort, assimilé par Zoé Oldenbourg à un temple solaire, une idée empruntée à Fernand Niel.
Cependant, on peut gratifier l’auteur d’avoir proposé un récit chronologique captivant de ces épisodes dramatiques. En outre Zoé Oldenbourg rappelle, à juste titre, que le château actuel est une reconstruction de la fin du XIIIe siècle. Nous ignorons tout, en effet, de son état d’origine (XIIe siècle ?) et en savons bien peu concernant le deuxième état, celui du château du début du XIIIe siècle, qui subit le siège de 1244.
Ouvrage recensé– Zoé Oldenbourg, Le bûcher de Montségur, 16 mars 1244, Paris, Gallimard, 2009 (1ère édition : Gallimard, 1959).
De la même autrice– Argile et cendres, Paris, Gallimard, 1947.– Les Brûlés, Paris, Gallimard, 1960.– Les Croisades, Paris, Gallimard, 1965.– Catherine de Russie, Paris, Gallimard, 1966.– L’Épopée des cathédrales, Paris, Hachette, 1972.