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Voici le résumé de l'un d'entre eux.
de Claude Gauvard
L’ouvrage de Claude Gauvard analyse l’acte de condamnation à mort dans le contexte de la France médiévale. L’enjeu de cette étude n’est pas de décrire les supplices ou les horreurs commises durant le Moyen Âge, mais de dire comment, dans une société aux valeurs différentes de la nôtre, la peine de mort a été vécue, comment certains ont pu ruser avec elle, et pourquoi elle n’a été, sans doute, qu’un recours extrême et finalement rare de la justice. Il s’agit également de montrer comment elle est devenue, dans le royaume de France, une sanction voulue et pratiquée par l’État au nom du roi.
L’ouvrage de Claude Gauvard entend répondre à deux objectifs principaux : comprendre la façon dont la peine de mort est devenue une sanction reconnue, approuvée et revendiquée par la justice royale entre le XIIIe et la fin du XVe siècle, et en même temps saisir que cette peine était plus rare que ce que la mémoire collective a bien voulu retenir du Moyen Âge, trop souvent considéré comme barbare et sanguinaire. Pourquoi la peine de mort, qui n’était, aux derniers siècles du Moyen Âge, qu’une sanction extrême et rare, s’est-elle installée comme une nécessité publique, devenant à la fois une affaire royale et une affaire d’opinion publique ?
Les représentations des supplices et des mises à mort peuplaient l’art et la littérature médiévale : omniprésente dans les enluminures ou les murs des églises, la peine de mort était fantasmée par les hommes du temps et ce fantasme est parvenu jusqu’à nous. Mais ces condamnations n’avaient rien d’arbitraire : il s’agissait au contraire d’une peine soigneusement encadrée et qui devait être justifiée, puis approuvée par le peuple qui manifestait son accord par sa présence aux exécutions. Surtout, elle permit de placer la justice du roi au-dessus de toutes les autres présentes dans le royaume (justice ecclésiale ou justice seigneuriale), lui seul pouvant exercer son pouvoir de grâce sur un condamné.
D’un point de vue méthodologique, l’historienne choisit de se concentrer sur le domaine royal, autrement dit la région autour de Paris, même si elle fait fréquemment allusion aux instances provinciales pour appuyer ou nuancer ses propos. La justice était alors le fait de cours seigneuriales et, en appel, au Parlement de Paris.
Malgré la multiplication des archives judiciaires royales au cours des XIVe et XVe siècles, il demeure difficile de compter avec certitude le nombre de condamnés à mort ; cela tient en partie au fait que ces sources ont été en général mal conservées. À partir du cas du Parlement de Paris qui faisait office de dernier recours juridique, dont la majorité des documents nous sont parvenus, il semble que la peine de mort ait été assez rare : à la fin du XVe siècle, sur deux cents cas traités en 20 ans, la peine de mort ne fut appliquée que quatre fois. Deux des criminels jugés étaient impliqués dans des guerres seigneuriales au nord du royaume : l’un, Baudrain du Hamel, fut pendu ; l’autre, Robert de Vertaing, demanda comme privilège d’être noyé, ce qui lui fut accordé.
À Paris, les sentences de mort étaient globalement peu nombreuses et ces arrêts étaient surtout des exemples pour la jurisprudence. Pourtant, à la même époque, 75 % des criminels nobles qui étaient poursuivis pour avoir participé à des guerres seigneuriales étaient relâchés ou absous : en général, on préférait recourir au bannissement plutôt qu’à la peine de mort.
Paris jouait alors le rôle d’une ville où la justice se manifestait de manière éclatante : le gibet de Montfaucon, dont la première mention date de 1233, sous le règne de Louis IX, drainait des condamnés à mort venus de tout le royaume. Certains condamnés étaient jugés, puis décapités, en général place de Grève ou aux Halles, et leur corps pendu au gibet. En outre, leurs membres pouvaient être dépecés pour être suspendus aux portes de la ville ou renvoyés au lieu de leur forfait. Parmi les peines dont les cours de justice nous ont laissé des traces, Claude Gauvard précise que les meurtriers étaient pendus, les faux-monnayeurs bouillis, ou les sorcières brûlées.
Parmi les condamnés à mort, les femmes étaient infiniment moins nombreuses que les hommes : elles ne constituaient que 1 % des cas criminels au Parlement de Paris. Et même dans les régions où la peine de mort était plus fréquente, comme la Normandie, sur 179 condamnés à mort, 24 seulement étaient des femmes (16 brûlées et 8 enfouies), soit 13 % des prisonniers exécutés. Les femmes n’étaient pas concernées par les crimes relatifs à la guerre. Elles étaient généralement condamnées pour des vols, des infanticides, des adultères, des empoisonnements, le recours à la sorcellerie ou pour des cas d’avortement, considéré comme un crime susceptible d’être puni de mort.
Claude Gauvard signale enfin que les animaux pouvaient également être jugés et condamnés à mort au Moyen Âge, comme ce fut le cas d’un porc de Fontenay-aux-Roses, brûlé vif en 1268 pour avoir tué et mangé un enfant.
Tous les sujets du royaume n’étaient pas menacés par la peine capitale de la même manière. Même si les péripéties de la guerre de Cent Ans contraignaient des traîtres de hauts lignages à poser leur tête sur le billot, la plupart des exécutés étaient des criminels qui ne disposaient pas de suffisamment d’appuis et de connaissances pour garantir leur renommée. Les marginaux, alors appelés « inutiles au monde », constituaient l’essentiel des exécutés. Ainsi, la peine de mort visait, plutôt qu’à l’exemplarité ou à l’épouvante des sujets, à purger le royaume des hors-la-loi.
Le supplice de la peine de mort interdisait en principe la sépulture en terre chrétienne et entraînait la confiscation des biens du condamné ; il s’agissait là de deux décisions particulièrement graves et redoutées. Pour les chrétiens, les rites liés à la sépulture étaient là pour écarter les démons, honorer les disparus, faire en sorte qu’ils deviennent de « bons morts » et les aider à accéder à l’éternité par la prière. Cette « bonne mort » s’opposait à la « male mort », celle que connaissaient, entre autres, les condamnés à mort.
Pour réponde à la demande de miséricorde de l’Église tout en punissant le condamné, la France médiévale procédait également à des parodies de pendaison. Ainsi, cet acte suffisait parfois à satisfaire la justice et la partie lésée : le condamné était exhibé jusqu’au gibet, aux yeux de tous, mais n’était pas exécuté, la honte constituant la sanction de justice.
Aucun geste particulier ne venait accompagner les condamnés à mort avant la fin du XIVe siècle. Il fallut attendre 1397 pour que les suppliciés aient droit à la confession avant d’être exécutés et pouvoir éventuellement être enterrés en terre chrétienne. Mais cette décision, dictée par une ordonnance royale, ne fut que partiellement appliquée. À la fin du XVe siècle, bien des condamnés à mort l’étaient encore sans confession et par conséquent sans autorisation d’être inhumés en terre chrétienne. Leur cas est évoqué dans les archives lorsque leur parenté, trouvant la sentence injuste, faisait appel devant le Parlement de Paris.
L’avocat de la partie lésée pouvait demander la dépendaison du cadavre et son inhumation au cimetière ; parfois, le juge était contraint d’embrasser le supplicié sur la bouche pour lui insuffler la vie, le temps nécessaire à l’octroi du pardon.
La peine de mort était encadrée par une procédure que les théoriciens médiévaux appelaient « extraordinaire », qui est en réalité la procédure inquisitoire, où le juge peut chercher des éléments de preuve et se fonder sa propre opinion, par opposition à la procédure accusatoire (dite « ordinaire ») où le juge est réduit à un rôle d’arbitre impartial. La différence entre l’ordinaire et l’extraordinaire, telle qu’elle apparaît à la fin du Moyen Âge, réside dans les sanctions possibles : les peines corporelles ne pouvant intervenir que dans le cadre de la procédure extraordinaire. Pour condamner à mort, un juge décidait au cas par cas, et suivait toutes les étapes qui lui permettaient de parvenir à la vérité, depuis l’information et l’enquête, jusqu’à la confrontation des témoins avec l’accusé. Les juges pouvaient recourir à la torture qui servait de prélude à l’aveu, indispensable pour une condamnation. Mais la torture ne fut pas toujours appliquée et tous ceux qui risquaient la peine de mort n’y furent pas soumis. C’est ainsi que Jean Le Brun fut exécuté à Paris en 1390 : considéré comme traître, voleur et meurtrier, il fut décapité aux halles, puis son corps pendu au gibet de Montfaucon.
Or, il ne fut pas torturé, sans doute parce qu’il espéra être sauvé en avouant rapidement et en dénonçant d’autres membres de sa bande, en vain. D’une manière générale, les sources font peu état de la douleur des accusés durant la torture : tout était fait pour ne pas montrer que le juge s’était acharné sur l’accusé, et les aveux étaient davantage présentés comme une libération de l’individu. Pour autant, dans l’ensemble du royaume, la peine de mort était loin d’être appliquée partout avec raison et les excès furent nombreux, comme en témoignent les appels devant le Parlement de Paris. Car la torture ne devait pas être abusive et le juge ne devait pas avoir agi avec haine, ou avoir été soudoyé par la partie adverse. De même, les procès et surtout les aveux devaient absolument être consignés par écrit : c’est ainsi qu’en 1451 le Parlement désavoua trois juges de Montreuil-sur-Mer qui avaient condamné à mort Robin de la Caurrie sans rien noter.
Le rôle du Parlement de Paris était alors celui d’un régulateur : il pouvait appliquer la peine de mort contre l’accusé, mais également demander aux juges locaux de poursuivre leurs investigations, et éventuellement intervenir quand il considérait que la justice avait été mal rendue.
Parmi les instances judiciaires que la monarchie s’efforçait d’investir pour accroître son autorité, il y avait celles que constituaient les tribunaux d’Église (évêchés ou abbayes). L’Église ne faisait pas couler le sang, mais les juges ecclésiastiques pouvaient livrer ceux qu’ils condamnaient à la justice du roi, y compris pour des crimes relatifs à la foi, tels que le blasphème, ou l’hérésie.
Elle n’a donc pas réellement freiné la mainmise de la justice laïque, car elle avait besoin que la mort vienne clore certains procès, comme ceux en sorcellerie ; l’alliance était donc nécessaire entre les deux institutions, comme ce fut le cas lors de l’instruction du procès de Jeanne d’Arc. L’Église s’acharnait toutefois, non sans mal, à défendre le privilège qu’avaient les clercs d’être jugés par elle seule, ce qui avait pour conséquence d’inciter les malfaiteurs à se faire passer pour des clercs tonsurés.
Forte de sa mansuétude inspirée des Évangiles, l’Église médiévale était source de miséricorde. Cet idéal, qui s’insérait dans les voies de justice par le biais du droit canon et l’influence de certains théologiens comme Jean Gerson, finit tout de même par pénétrer les conceptions et les pratiques de la justice royale.
À l’instar des papes, le roi de France, qui depuis Philippe le Bel, se voulait « empereur en son royaume », entendait aussi remettre les peines et, mieux encore, effacer la faute en accordant son pardon. Claude Gauvard révèle ici un point que l’historiographie avait jusque-là négligé : longtemps les historiens et les politologues ont considéré la décision de gracier comme une démarche laxiste, une faiblesse royale. Au contraire, elle s’inscrivait dans les progrès que la justice du roi faisait, s’appliquant à l’ensemble du royaume comme un droit de justice sur tous les sujets, quelle que fût la juridiction à laquelle il appartenait, quelle que fût sa condition sociale ou la gravité de l’acte commis.
En même temps et paradoxalement, par la grâce qu’il accordait, le roi justifiait l’existence de la peine de mort, une sentence à son profit, car, sans l’appliquer et en se référant à son antithèse, le pardon source de vie, il la rendait possible tout en s’en attribuant l’autorité exclusive.
L’exécution capitale était codée : elle suivait un rituel précis et était publique. Généralement, une rue, toujours la même, était réservée au passage des condamnés à mort, telle la rue Barbâtre à Reims.
La scène devait avoir lieu le jour : midi était la meilleure heure et les jours de marché parfaits. Le cortège était précédé d’un sonneur de trompette, escorté des édiles de la ville, le plus souvent à cheval ; il s’arrêtait à certains endroits afin que la foule rameutée assiste à la fustigation du condamné. Elle ne se privait alors pas de le huer, voire de lui jeter des pierres. Sur le chemin, la peine était criée pour que tout le monde l’entende et voie si la façon de conduire le coupable à son châtiment correspondait au type de crime pour lequel il était condamné : l’usage d’une claie distinguait, par exemple, le meurtrier du simple voleur.
Claude Gauvard voit dans ce cérémonial un premier élément de contrôle par le peuple, qui n’était ainsi pas cantonné à un rôle secondaire : il participait par sa présence et son accord tacite à l’action. Il pouvait et devait même empêcher l’exécution si les coutumes n’étaient pas respectées, car il était leur garant.
Les exécutions aux gibets seigneuriaux étaient les plus nombreuses. Elles étaient aussi les plus banales dans la mesure où elles sanctionnaient surtout les crimes de droit commun. Dans ce cas, le peuple occupait une place juridiquement reconnue. Il était considéré comme un témoin nécessaire à l’action du juge et celui-ci agissait en sa présence.
À Paris, en revanche, où les exécutions politiques étaient plus nombreuses, le peuple avait tendance à laisser le gibet de Montfaucon aux professionnels de la justice. Certes, il pouvait était présent sur la route qui menait le condamné à son supplice, mais au moment de l’exécution sa présence n’était pas indispensable : il n’était plus convoqué comme témoin, mais comme observateur.
C’est ainsi que l’exécution capitale se mua en spectacle, du moins en ce qui concernait la décapitation et le bûcher : l’échafaud dressé pour exécuter les traîtres était dans les murs de la ville et se tenait le plus souvent aux halles ou place de Grève, là où Marguerite Porette, auteure du Miroir des âmes simples, fut immolée par le feu en 1310 pour hérésie. La foule rameutée pour assister à l’exécution se voyait offrir le spectacle de la souveraineté royale restaurant son honneur blessé. Mais le public était passif : il était spectateur et non plus témoin.
Au cours des XIIIe-XVe siècles, les juges ont appris comment il fallait condamner à mort, essentiellement sous l’égide du parlement. L’Église, de son côté, a apprivoisé la peine de mort. La société l’a aussi acceptée parce qu’elle était en priorité réservée à ceux qu’elle souhaitait expulser. Peu de voix se sont élevées pour défendre les condamnés : le gibet ne faisait pas peur quand y étaient pendus ceux que tous considéraient comme « inutiles au monde ».
Quant au peuple, témoin nécessaire des exécutions, il vit sa place progressivement régulée et contrôlée.
Avec cet ouvrage, Claude Gauvard redore l’image de la justice médiévale, trop souvent considérée comme avide de cadavres pendus aux gibets pour impressionner tous ceux qui seraient tentés de braver l’autorité du seigneur. À partir de sources judiciaires et notamment de la transcription des procès, obligatoire depuis 1250, l’historienne décrit une justice organisée, codifiée, et soucieuse de défendre les intérêts de la société.
Dans la lignée des travaux menés par Régine Pernoud, Claude Gauvard déconstruit des clichés trop souvent colportés par les historiens du XIXe siècle et offre une vision plus nette de ce qu’était la justice médiévale. Elle revient notamment sur la procédure « extraordinaire » ou inquisitoire, trop souvent associée, à tort, à une torture aveugle. Elle démontre également le rôle joué par la justice dans l’affirmation de l’autorité royale. Un ouvrage clair et agréable à lire, fourmillant d’exemples concrets puisés dans les archives, et qui contribue à réhabiliter encore une période souvent déconsidérée.
Ouvrage recensé– Condamner à mort au Moyen-Âge, Paris, PUF, 2018.
De la même auteure– Violence et ordre public au Moyen Âge, Paris, Picard, 2005.– Avec Joël Laiter, Notre-Dame de Paris, Paris, Éditions du Chêne, 2006.– Le Moyen Âge, Paris, la Martinière, 2010– Le temps des Valois, Paris, PUF, coll. « Une histoire personnelle de », 2013.– Le temps des Capétiens, Paris, PUF, coll. « Une histoire personnelle de », 2013.– La France au Moyen Âge du ve au xve siècle, Paris, PUF, 2014.
Autres pistes– Dominique Barthélemy, Chevaliers et miracles. La violence et le sacré dans la société féodale, Paris, Armand Colin, 2004.– Jean-Marie Carbasse (dir.), Histoire du parquet, Paris, PUF, 2000.– Jean Delumeau, La peur en occident, Paris, Fayard, 1978.– Isabelle Mathieu, Les justices seigneuriales en Anjou et dans le Maine à la fin du Moyen Âge, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2011.– Jacques Rossiaud, Amours vénales. La prostitution en occident, XIIe-XVIe siècles, Paris, Aubier, 2010.– Maud Ternon, Juger les fous au Moyen Âge dans les tribunaux royaux en France, Paris, PUF, 2018.