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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

Le Métier de citoyen dans la Rome républicaine

de Claude Nicolet

récension rédigée parMilan MeloccoAgrégé d’histoire. Doctorant à Sorbonne-Université.

Synopsis

Histoire

C’est à la demande d’un éditeur que Nicolet entreprend la rédaction du Métier de citoyen dans la Rome républicaine : il s’agit alors de publier un ouvrage sur la vie quotidienne du citoyen romain. Mais le manuscrit, trop loin des attentes initiales, est refusé. Novateur, il trouve alors sa place dans une autre collection et fait rapidement l’objet d’une large reconnaissance. Cet ouvrage apparaît aujourd’hui comme l’une des étapes décisives de l’étude de la République romaine et, plus largement, comme un classique de la littérature historique.

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1. Introduction

Alors qu’il présente son travail, Nicolet précise d’emblée : il n’est pas question, surtout, d’étudier une « classe politique », c’est-à-dire les sénateurs, les membres des ordres supérieurs de la société (comme l’ordre équestre), les magistrats et les fonctionnaires. En fait, il exclut précisément de son étude la minorité constituée par ceux qui, surtout en raison de leur richesse et de leur naissance, monopolisaient l’exercice des fonctions publiques et politiques, membres de l’« oligarchie romaine » qui avaient été jusque-là l’objet privilégié des études consacrées à l’histoire politique de la Rome républicaine. Par ses ouvrages précédents, Nicolet lui-même avait participé à cet effort concentré sur le milieu et l’action de quelques grands personnages.

À rebours de cette perspective, il entend s’intéresser à la « masse civique », c’est-à-dire à la majorité des citoyens (cives). Car comme il le rappelle : « Rome s’est toujours présentée sous la forme du trinôme indissociable : ‘‘les magistrats, le Sénat et le Peuple romain’’ » (p. 8). Et c’est en principe aux bénéfices de ce dernier que les magistrats tenaient leur fonction, que les généraux commandaient les armées citoyennes et que les impôts étaient levés.

Ainsi, Nicolet affiche nettement son ambition de s’intéresser aux « réalités quotidiennes collectives » (p. 9). Il s’agit pour ainsi dire d’écrire une « histoire existentielle », plus proche des hommes, et d’un plus grand nombre d’hommes, avec une double ambition : dégager, d’une part, les principes structurants qui ordonnaient le vaste groupe des citoyens, qui le distinguaient du reste des habitants des territoires contrôlés par Rome et qui y distribuaient droits et devoirs, contribuant de ce fait à établir une hiérarchie au sein même de ce groupe ; et éclairer d’autre part les mécanismes qui, malgré les dissensions internes et les luttes politiques, assurèrent la cohésion du groupe civique pendant plusieurs siècles. Comprendre, en somme, « l’adhésion de cette base civique qui fournissait à l’oligarchie dirigeante non seulement son alibi, mais ses soldats, ses contribuables, et la foule des émigrants, négociants ou colons, qui devaient romaniser le monde » (Id.).

D’où une méthode qui s’attache à mobiliser l’ensemble des sources disponibles afin de rendre compte, à l’arrière-plan des faits, des principes qui les informent, de façon à articuler le contexte idéologique (les normes telles qu’elles nous apparaissent) et les pratiques effectivement observées.

2. Nature et prestige du statut de citoyen

Avant d’en définir les contours juridiques et institutionnels, Nicolet invite à saisir la citoyenneté romaine telle que la percevaient les Romains eux-mêmes ainsi que leurs voisins, à savoir comme un statut à bien des égards privilégié, source d’orgueil pour ceux qui le possédaient, d’envie pour les autres. Et pour cause : « Le droit de cité ne garantissait pas seulement le statut juridique de l’individu, ce qui était son caractère fondamental ; il lui donnait aussi, dans le domaine politique, la possibilité de participer physiquement et moralement à un ensemble cohérent de droits et de devoirs : les munera du citoyen » (pp. 36-37).

Pour comprendre la nature de ces munera, l’expression de « droits et devoirs » est en partie impropre. En effet, si certaines ont bien un caractère contraignant, les obligations civiques « ne sont pas imposées à l’homme de l’extérieur », au citoyen par une réalité qui lui soit transcendante ; « elles procèdent au contraire de la simple logique du contrat implicite qui lie entre eux des individus libres ». Et pour faire comprendre entièrement cette logique, l’auteur précise : « Toutes les exigences de la cité (le devoir militaire, le devoir fiscal, le devoir civique) ne sont donc, en fin de compte, que des exigences envers soi-même » (p. 508). Car la cité n’est rien d’autre que la somme de ses composants, les citoyens, et de leurs relations réciproques.

Pour s’en assurer, il suffit comme le fait Nicolet d’observer l’attitude des peuples dominés par Rome. Pour une grande partie de l’Italie, la domination romaine prit la forme originale de la fondation de colonies dites latines. Créées en grand nombre à partir de 338 avant notre ère, elles assuraient à leurs citoyens un statut privilégié : en tant qu’« alliés » de Rome, il leur était possible de commercer librement avec les citoyens romains et de contracter avec eux un mariage légitime.

En retour, ils participaient à la grandeur de Rome d’un double effort, à la fois militaire et fiscal. Mais au début du Ier siècle avant notre ère, le système se dérégla à l’issue d’un processus qui avait vu l’effort militaire et fiscal de la conquête romaine se reporter de plus en plus lourdement sur les « alliés » italien, sans que leur statut à l’égard de Rome ne s’en trouve amélioré. C’est donc pour obtenir la citoyenneté romaine qu’une grande partie de l’Italie se soulèva en 90-89 avant notre ère. Pour Rome, la guerre fut difficile et la pleine citoyenneté romaine fut finalement accordée aux communautés italiennes : Nicolet y voit une « sorte de conquête à l’envers. Après avoir conquis l’Italie, Rome sera conquise par elle » (p. 507).

3. Égalité et hiérarchie, fondements de la citoyenneté romaine

Nous avons déjà mentionné la nature des obligations qu’entretenait le citoyen à l’égard de sa cité : « le devoir militaire, le devoir fiscal, le devoir civique » (p. 508). Il faut encore ajouter, et c’est la nouveauté de l’interprétation de Nicolet, que chacun d’eux ne revêt pas la même importance. C’est en effet au devoir fiscal que l’historien reconnaît le premier rôle, puisque c’est relativement à la fortune du citoyen (mais aussi en fonction de sa réputation et de son honorabilité) qu’est fixée l’étendue de ses obligations militaires et de ses droits en matière de vote.

C’est là la fonction fondamentale du census, c’est-à-dire du recensement, « opération d’enregistrement des noms, des fortunes et de toutes les particularités qui permettraient par la suite un classement des citoyens selon un certain ordre logique (ratio), afin de fixer leurs différents degrés de participation à la vie collective » (p. 72). L’aspect paradoxal de l’institution réside dans le fait qu’elle vise à la fois à dessiner les contours du corps civique, au sein duquel chacun jouit de l’égalité des droits, et à établir un classement hiérarchique des citoyens.

C’est que, Nicolet le rappelle, « une inégalité fondée sur la nature ou la fortune ne choquait en rien les Romains » (Id.). Les Anciens y voyaient même le moyen d’atteindre une forme d’égalité plus sophistiquée, et surtout préférable, que la philosophie antique qualifiait d’égalité « géométrique », qui prenait en compte les inégalités de fait (notamment de fortune) entre les citoyens : « Cela signifiait que, pour chaque individu, les devoirs et les droits devaient être calculés de telle sorte que, pour ainsi dire, leurs produits fussent égaux » (p. 83).

Ainsi, les plus riches se voyaient reconnaître de fait le monopole de l’accès aux fonctions publiques et des décisions communes ; mais en retour on attendait d’eux une contribution permanente et importante, en matière financière et militaire, aux entreprises de la cité. D’où l’aspect contraignant du census : tous les citoyens y sont convoqués et nul ne peut s’y soustraire. Les deux censeurs, en charge du recensement, sont assistés par tout un appareil administratif (scribes, hérauts, etc.). Les opérations du census ont lieu en différents lieux : au Champ de Mars, au Forum, mais aussi dans un des édifices où le Sénat se réunissait. En principe, on procédait au census tous les 5 ans.

4. Contribuable, soldat et électeur : le métier de citoyen

C’étaient les résultats du census qui fixaient ensuite les obligations de chacun face à l’impôt et face au service militaire. En effet, le recensement opérait une répartition des citoyens au sein d’un triple système de subdivision du corps : les tribus, les classes et les centuries. Les tribus, divisions d’origine géographique (avec de nombreuses restrictions et exceptions), étaient au nombre de 35 et pouvaient compter des nombres très inégaux de citoyens.

Parallèlement, cinq classes de citoyens sont distinguées sur la base de la fortune ; celles-ci sont ensuite subdivisées en centuries en fonction de l’âge. Ce sont au total 193 centuries qui sont ainsi formées et qui constituent le cadre du recrutement de l’armée et du tributum (impôt direct) jusqu’au IIe siècle avant notre ère, mais également de l’organisation électorale jusqu’à la fin de la République au Ier siècle avant notre ère.Le recensement fournissait donc la liste de « ceux qui peuvent porter les armes », dont la fortune permettait de payer l’impôt et qui, aptes physiquement, étaient mobilisables.

Notons que les classes censitaires étaient des classes militaires, dont l’armement et la participation aux engagements dépendaient de leur census. On distinguait ensuite des classes d’âge (juniores et seniores) le service dans l’infanterie de celui dans la cavalerie (réservés aux riches membres des classes supérieures). C’est également sur la base des centuries et des tribus que reposaient les procédures des deux principales assemblées, les comices centuriates et les comices tributes, pourvues de compétences électorales, législatives et judiciaires.

Et comme l’écrit Nicolet, la préparation, la réunion et le déroulement de ces assemblées exigeaient du citoyen une présence régulière et considérable : « Le citoyen romain qui entend participer réellement et complètement à la vie politique de la cité est convoqué au moins une vingtaine de fois dans l’année, pour des opérations qui peuvent durer quarante ou soixante jours » (p. 322). Il faut encore ajouter que la participation civique excédait le cadre des institutions et que le citoyen disposait de tout un ensemble d’occasions de participer à la vie publique de la cité : jeux et spectacles, triomphes des généraux, funérailles, arrivées ou départ de certains magistrats.

Ainsi, comme Nicolet le rappelle, « la présence physique du citoyen était donc requise ou du moins fortement sollicitée avec une fréquence que nos démocraties modernes sont très loin de connaître » (p. 515). Et l’historien de conclure : « On exagère à peine en disant que le métier de citoyen est une profession à plein temps » (p. 322).

5. Conclusion

Avec Le Métier de citoyen, Nicolet proposait plus qu’une synthèse commode des institutions de la République romaine : une étude d’ensemble des pratiques collectives qui constituaient le gros de l’activité du corps civique. Pour aboutir à une conclusion de première importance, en montrant à partir de l’institution fondamentale du census que la cohésion liée à la participation civique parvint à assurer, durant plusieurs siècles, la stabilité et la croissance de l’État romain.

Se dégage ainsi un système politique original, qui repose sur la combinaison et la prise en compte de l’égalité juridique et de l’inégalité de fait entre citoyens dans la distribution des droits et des devoirs publics. C’est donc un schéma global d’explication que Nicolet propose, profondément historique mais ouvert aux apports contemporains des autres sciences sociales.

6. Zone critique

Malgré l’influence des ouvrages de Nicolet en France, Le Métier de citoyen ne fit pas l’objet d’une vaste reconnaissance internationale, excepté peut-être en Italie.

La nouveauté de l’ouvrage fut dans l’ensemble assez mal perçue : on y vit la description d’institutions dont le fonctionnement était déjà bien connu, sans percevoir que Nicolet cherchait en fait à mettre en évidence dans ce fonctionnement ce qui faisait la force, mais aussi l’originalité, du système civique romain.

Par ailleurs, outre quelques erreurs de détail, on reprocha à ce tableau d’ensemble de présenter une vision idéalisante, sa description du fonctionnement des institutions faisant peu de cas des dysfonctionnements, des conflits, et surtout du dérèglement général qu’il connut à partir du IIe siècle. Reste que l’érudition de l’auteur offrait à l’ouvrage une grande solidité, et que la volonté qu’il manifestait d’éclairer structurellement la société romaine constitua une étape importante dans l’étude de l’Antiquité romaine.

7. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé–Le Métier de citoyen dans la Rome républicaine, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des histoires », 1976.

Du même auteur– L’Ordre équestre à l’époque républicaine (312-43 av. J.-C.), 2 vol., Paris, De Boccard, coll. « BEFAR », 1966 et 1974.– Rome et la conquête du monde méditerranéen (264-27 av. J.-C.), 2 vol., I : Les structures de l’Italie romaine ; II : Genèse d’un empire, Paris, PUF, coll. « Nouvelle Clio », 1977-1978.– L’Inventaire du monde. Géographie et politique aux origines de l’Empire romain, Paris, Fayard, 1988.

Autres pistes– François Hinard, La République romaine, Paris, Puf, coll. « Que sais-je ? », 1992.– François Hinard (dir.), Histoire romaine. I : Des origines à Auguste, Paris, Fayard, 2000.– Marcel Le Glay, Rome. Grandeur et déclin de la République, Paris, Perrin, 1990.

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