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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

Le Moi-peau

de Didier Anzieu

récension rédigée parAnna Bayard-RichezDocteure en Psychologie Clinique Interculturelle (Université d'Amiens).

Synopsis

Psychologie

Dans cet ouvrage, Didier Anzieu montre l'importance de la peau dans la construction identitaire. La peau est l'enveloppe du corps, tout comme le moi tend à envelopper l'appareil psychique. Les structures et les fonctions de la peau peuvent donc fournir aux psychanalystes et aux psychologues des analogies fécondes pour les guider dans leur réflexion et leur technique.

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1. Introduction

À la suite des travaux d’Esther Bick, Anzieu postule le rôle fondamental de la peau dans la construction du sentiment d’existence et d’identité du bébé.

Il considère la peau comme élément essentiel de la construction du Moi en tant que personne psychique unifiée distincte de l’Autre, le Moi-peau comprend donc l’ensemble des sensations physique du nourrisson, sur lesquels il va construire son psychisme. La notoriété du Moi-peau s’explique par son caractère innovant dans l’univers psychanalytique avec une focalisation nouvelle sur le corps.

2. Le moi psychique, une construction sur le moi-peau

La peau souvent négligée est en réalité le seul organe des sens qui soit vital, elle correspond à 18% du poids du corps et couvre plus de 18 000 cm². Elle apparaît extrêmement tôt dans le développement de l’embryon, vers la fin du deuxième mois, ce qui atteste de son caractère fondamental.

Elle est en effet par sa structure et par ses fonctions bien plus qu’un organe de sens, puisqu’elle protège, respire, transpire, élimine, sécrète, métabolise, transmet des informations et participe au tonus, à la circulation, à la digestion, ou encore à la reproduction.

La peau reste poreuse, car si elle protège des perturbations externes, elle en garde bien souvent la trace (cicatrice, coloration), à l’inverse elle révèle nos états internes (mine, réaction allergique etc.). Elle est à la fois superficielle et profonde, vulnérable et solide, voire régénérescente.

À un niveau symbolique, un corps nu témoigne tout autant de l’excitation sexuelle et du désir que du dénuement. Elle est avant tout un entre-deux, un lieu de transition entre Soi et l’Autre, entre l’interne et l’externe, entre Soi et soi-même puisque c’est sur la réflexivité tactile (le fait de se toucher soi-même) que se construisent les autres réflexivités sensorielles (s’entendre, sentir sa propre odeur, se regarder dans le miroir) et enfin la pensée réflexive (se penser soi-même).

Le lien entre soi et l’autre se cristallise dès les premiers contacts infantiles. Chez les petits primates, le contact peau contre peau avec la mère s’avère ainsi plus important pour leur développement affectif, cognitif et social que l’allaitement, la chaleur ou les bercements. L’absence de ce contact corporel génère ainsi à l’âge adulte des difficultés dans l’accouplement et plus globalement au niveau des stimuli sociaux entrainant bien souvent des brutalités et comportements agressifs.

Toutefois le contact corporel au sein d’une même classe d’âge peut jouer un rôle de substitut maternel. Le contact du corps maternel reste pour le bébé singe un lieu de réassurance et permet à la fois l’attachement et la séparation, c’est au travers de ce contact que le bébé explore son environnement et ce jusqu’à ce que l’environnement lui devienne familier.

3. Le moi psychique, une construction sur le moi-peau

Par sa complexité anatomique, physiologique et symbolique, la peau fait écho à la complexité du Moi sur le plan psychique. Elle exerce tout comme la mémoire une fonction de stockage, des graisses notamment. Elle a une fonction de production des poils par exemple ou des ongles qui fait écho aux mécanismes de défenses psychique, une fonction d’émission de sueur de phéromones, qui rappelle un mécanisme de défense plus archaïque, la projection. Les couches composant l’épiderme résonnent également avec les différentes enveloppes psychiques (sensorielles, musculaires, rythmiques).

Pour Anzieu, le Moi psychique se construit à travers le soin accordé au moi-peau et ce dès les premiers instants du maternage. Les soins répétés, stables et ajustés de l’entourage maternant à l’égard du nourrisson, sont les premiers signaux de l’interaction et le prélude de modèles cognitifs ultérieurs. Cette sollicitation double permet au bébé l’imitation, et la distinction entre le vivant et l’objet.

Si le feed-back n’est pas réciproque ou inconstant, le nourrisson se retire de l’interaction jusqu’à une absence pathologique, mais les parents ont également grandement besoin de ces sollicitations pour se sentir rassurés dans l’exercice de leurs fonctions parentales et prévoir les réactions du bébé.

Le regard du bébé dans celui de sa mère est également fondamental dans la relation mère-enfant, et celle-ci va le guider au travers des discriminations sensorielles (par exemple l’éducation au goût qui ne correspond pas toujours au réflexe originaire du bébé), des capacités motrices, d’une communication signifiante. C’est ainsi un apprentissage par boucles qui se forme et dont la dynamique s’étaye sur la réussite et les acquisitions du bébé. Petit à petit le Moi s’élabore.

Pour Freud, la fonction du Moi psychique dérive des sensations corporelles, il est la projection mentale de la surface du corps. Anzieu ajoute que le Moi acquiert le sentiment de sa continuité temporelle parce que le Moi-peau se constitue comme une enveloppe contenante, souple et réactive aux interactions de l’entourage. Le Moi se constitue en s’appuyant sur un double étayage psychique : sur le corps biologique et sur le corps social (ce que les autres nous renvoient de nous, les mythes et la culture qui nous entourent, nos interactions).

4. Fonctions du moi peau

Pour Anzieu, le Moi-peau remplit 9 fonctions principales.

Tout d’abord la maintenance du psychisme de la même manière dont elle soutient le squelette et les muscles (1). Cette fonction s’ancre dans la manière dont la mère étreint le nourrisson. Une fonction contenante puisque le Moi-peau contient le psychisme telle une enveloppe, cette fonction se développe quand la mère manipule le bébé dans les soins quotidiens qu’elle lui prodigue.

Il joue également un rôle de protection face aux excitations et aux angoisses d’intrusion psychique (2). Il rend possible l’individuation, c’est-à-dire qu’il permet à l’individu de se sentir comme un tout unique, on parle alors du sentiment d’unicité de Soi essentiel dans la construction identitaire (3).

Le Moi-peau permet aussi le lien entre chaque organe de sens (4). Cette intersensorialité permet au sujet de faire face aux angoisses de morcellement du corps. Il est aussi le garant de l’investissement libidinal puisqu’il soutient l’excitation sexuelle grâce aux zones érogènes (5), tout comme il est le garant de la recharge libidinale (6) ; il maintient une tension énergétique interne permettant de faire face aux angoisses d’explosion sous l’effet d’une surcharge d’excitation (7).

Plus encore, il joue un rôle de parchemin, d’inscription des traces biologiques comme sociales (marques d’appartenance à un groupe par exemple) (8).

Enfin il a un rôle possiblement d’autodestruction puisque comme dans les maladies auto-immunes il peut y avoir retournement sur soi de la pulsion, des réactions thérapeutiques négatives, ou plus généralement des attaques contre les liens (9).

5. Une multitude d’enveloppes

Pour Anzieu, le Moi-peau ne s’arrête pas à une enveloppe psychique et corporelle, mais se rapporte à une multitude d’enveloppes constituantes du Soi. L’auteur en présente quatre dans son ouvrage.

Il parle ainsi d’une enveloppe sonore qui se constitue depuis les premiers cris du nouveau-né. Ces cris de faim, de colère, de douleur ou de frustration, sont très vite discernables par l’entourage parental, et entrainent des comportements maternaux visant leur arrêt notamment grâce à la voix ce qui s’avère le moyen le plus efficace dès la seconde semaine de vie. La première émission sonore intentionnelle arrive dès la troisième semaine avec de « faux cris de détresse pour attirer l’attention », ces gémissements s’achevant par des cris sont le premier acte de communication volontaire du bébé.

La voix maternelle est distinguée plus tôt que le visage maternel, ce qui montre bien l’importance primordiale de cette enveloppe sonore. Le babillage, les activités vocales, les imitations créent un volume commun permettant l’échange et resteront primordiales dans l’accordage mère-enfant tout au long du développement de celui-ci, ainsi que dans l’apprentissage du langage. L’articulation de ce langage permettra au Moi d’intégrer un Surmoi qui régule la pensée et les comportements, mais aussi le statut de l’objet en dehors du Soi.

Toujours d’après Anzieu, des perturbations dans les échanges communicationnels (phonématiques : les sons et sémantiques : le sens) pourraient amener à des désordres psychiques, allant de personnalités narcissiques jusqu’à la schizophrénie. Si le phonématique est privilégié sur le sémantique le sujet pourrait avoir des prédispositions pour la psycho-somatisation, à l’inverse si le sémantique est abandonné au profit du phonématique nous rencontrerons des troubles de l’adaptation scolaire et sociale. Ces perturbations peuvent être de l’ordre de la discordance (contretemps par rapport aux ressentis du bébé), de la brusquerie (insuffisance / excessivité dans les échanges) ou de l’impersonnalité (froideur, non partage émotionnel fréquent dans les cas de dépression maternelle). L’enveloppe thermique est également une composante essentielle dans la constitution du Soi psychique. La chaleur témoigne symboliquement d’une sécurité narcissique, et d’un attachement à l’autre dans la relation d’échange avec l’autre.

L’enveloppe olfactive est quant à elle poreuse, discontinue et non maitrisable par le sujet, c’est ce qu’Anzieu nomme le Moi-peau passoire qui laisse transparaître son agressivité par des transpirations odorantes par exemple.

Enfin l’auteur reprend les travaux d’Annie Anzieu sur l’enveloppe psychique d’excitation physique qui se fonde sur les échanges de stimulations entre la mère et l’enfant, et engage la possibilité d’une compréhension réciproque de l’autre. En cas de défaillance, ils évoquent le risque hystérique.

6. Conclusion

Cette théorisation que propose Anzieu, vise à nourrir sa pratique psychanalytique. Pour lui, « Il appartient au psychanalyste non pas de combler les failles narcissiques, ni de fournir un objet réel d’amour, mais de développer chez le patient une conscience suffisante de soi et des autres pour qu’il sache chercher, trouver et retenir, en dehors de l’analyse, les protagonistes susceptibles de satisfaire ses besoins corporels et ses désirs psychiques. La santé mentale, disait Bowlby, c’est choisir de vivre avec des gens qui ne nous rendent pas malades… » (p. 313).

Pour ce faire il donne une place prépondérante à la parole de l’autre qui selon lui permet la reconstitution d’une enveloppe psychique contenante. Certains mots s’ils sont posés dans la bonne temporalité, authenticité, permettent selon lui de reconstruire le défaut de contenance vécu dans la prime enfance. Ces mots qu’ils soient posés dans le cadre d’une analyse, d’une psychothérapie, d’une relation amicale ou par l’écrit retissent ainsi une peau symbolique qui vient nourrir le Moi psychique.

7. Zone critique

Tout au long de son ouvrage, Anzieu propose d’expliquer les différentes pathologies psychiques au regard de sa théorie du Moi-peau et de la psychanalyse.

Pour lui les états limites fréquents dans les cliniques contemporaines souffrent de troubles de la continuité du Soi (difficultés à trouver un sens à sa propre vie), là où les psychotiques et névrosés propres à la clinique de Freud présentaient pour les uns des troubles dans le sentiment d’unité du Soi (se sentir morcelé) et pour les autres une menace de leur identité sexuelle. Cette nouvelle forme de souffrance psychique témoigne du manque de limites entre le Moi psychique, le Moi corporel, le Moi fantasmé, le Moi social, entre Soi et l’Autre, et s’inscrit au niveau symptomatique par la dépression, la vulnérabilité à la blessure narcissique, le sentiment d’être spectateur de sa propre existence. C’est la relation contenant/contenu élaborée dans la prime enfance, qui fait défaut

Ce constat nous amène à interroger la pratique de la psychanalyse et à questionner la relation jusqu’ici sclérosée entre le cadre et le processus analytique (divan, interdiction du toucher etc.) et d’envisager de nouveaux aménagements notamment par la prise en considération du corps du patient.

En effet, les formes contemporaines de la maladie psychique ne sont plus les mêmes que celles de l’époque viennoise qui a permis l’émergence de la psychanalyse. Nous devons prendre acte de ces changements d’époque et de la multiplication des références culturelles et adapter les thérapies psychanalytiques. La psychanalyse aujourd’hui a besoin de créateurs, d’innovateurs, de penseurs par images plus que d’archivistes ou de copistes.

8. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé

– Le Moi-peau, Paris, Dunod, 1985.

Du même auteur

– Le Groupe et l’inconscient. L’imaginaire groupal, Paris, Dunod, 1981.– Le penser. Du Moi-peau au Moi-pensant, Paris, Dunod, 1994.

Autres pistes

– Michael Balint, Le Défaut fondamental, Paris, PUF, 1968.– Catherine Chabert et al., Didier Anzieu : le Moi-peau et la psychanalyse des limites, Paris, Erès, 2009.– René Kaes, L’Appareil psychique groupal, Paris, Dunod, 1976– Donald-Woods Winnicott, Jeu et réalité, Paris, Gallimard, 1971.

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