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Voici le résumé de l'un d'entre eux.
de François Furet et Denis Richet
Cet ouvrage a marqué lors de sa sortie un tournant majeur dans l’histoire de la Révolution française. La question qu’il soulevait était celle de la pluralité des formes politiques successivement manifestées depuis 1789 jusqu’au coup d’État du général Bonaparte en 1799. Il y eut, à l’intérieur de ce que l’on appelle communément la Révolution française, plusieurs révolutions : celle des élites, celle des paysans, celle du petit peuple urbain, et, succédant à l’Ancien Régime, plusieurs types de pouvoirs nés de la nouvelle société. Ce livre inaugurait ainsi une interprétation de la Révolution française qui était tout autant culturelle et politique que sociale et économique.
La Révolution française fut une période de bouleversements économiques, politiques et sociaux qui affectèrent la France et l’Europe durant dix ans, de 1789 à 1799. En ces temps troublés, la monarchie absolue fut balayée, remplacée par une République qui eut de nombreuses difficultés à s’adapter aux changements et aux aspirations de son peuple.
Avec cet ouvrage, François Furet et Denis Richet ont marqué un tournant majeur dans la recherche historique sur la Révolution. Après plusieurs décennies de travaux durant lesquelles les premières années de la période mobilisaient l’essentiel des recherches universitaires, cette étude se plaçait résolument dans une perspective plus large, allant au-delà de la chute de Robespierre. Pour la première fois, le Directoire (1795-1799) était intégré à la Révolution, ce qui n’était pas anodin ; il fallait désormais la pousser l’analyse jusqu’au coup d’État de Bonaparte. Les deux historiens prenaient à contrepied les théories des historiens marxistes qui ne voulaient voir dans cette période que l’expression de la révolte des masses populaires.
François Furet et Denis Richet défendaient au contraire l’idée d’une révolution des élites qui aurait dérapé en 1793, avec l’exécution de Louis XVI. De même, selon eux, la confiscation violente du pouvoir par les masses durant la Terreur (1793-1794) aurait perturbé le cours plutôt pacifique d’une révolution sociale menée par le haut à partir de 1787 . En ce sens, ils ont considérablement modifié notre vision de la période.
L’ouvrage débute, invariablement, par un tableau de l’Ancien Régime et par une étude des mécanismes d’enclenchement de la Révolution française. Les historiens décrivent notamment une France basée sur la terre, soumise à des archaïsmes techniques et aux hasards du climat, mais également dominée par la seigneurie.
De même, l’ordre social où prédominaient la noblesse et le clergé n’était pas seulement de fait, il était de droit divin. Ces deux ordres vivaient non seulement de l’exploitation de leurs propres domaines agricoles, mais également de prélèvements sur l’ensemble du travail rural. Le roi, qui ne détenait son pouvoir que de Dieu, était le père de tous les sujets et se trouvait au sommet de cette hiérarchie.
Depuis le règne de Louis XIV, il était devenu le chef d’une bureaucratie centralisée dont le cœur était le château de Versailles, et dont la machine fiscale constituait le rouage le plus important. En 1788-1789, une crise politique s’ouvrit car le pouvoir était redevenu, comme avant le XVIIe siècle, l’enjeu de luttes d’influence aristocratiques ; l’absolutisme n’existait plus qu’en principe. La cour n’acceptait pas les transformations de l’assiette fiscale proposées par le contrôleur général des finances Calonne en 1787 et, plus généralement, les atteintes aux privilèges.
Or, depuis la guerre d’indépendance américaine, le déficit était tel qu’il ne pouvait être réglé par des emprunts. Faute de pouvoir prendre l’argent où il était, c’est-à-dire à la noblesse, Louis XVI se réfugia dans la convocation des États généraux le 5 mai 1789 . Les hasards de la conjoncture superposèrent à cette situation une grande crise qui touchait la paysannerie : mauvaises récoltes et augmentation des prix des céréales. Tout ceci porta à leur paroxysmes les tensions sociales du temps et le peuple fit son apparition dans le grand débat entre le roi, les privilégiés et les bourgeoisies urbaines.
C’est ainsi que le monarque dut céder, en 1788 : il rappela le très populaire Jacques Necker le 26 août et finit par accepter sous la pression de ce dernier le doublement de la représentation du tiers état lors des États généraux.
Préparant la réunion de mai 1789, les sujets du royaume participèrent à la rédaction des cahiers de doléances, que François Furet et Denis Richet analysent dans leurs travaux. Il ressort principalement de ces écrits que les Français aspiraient à une monarchie contrôlée. La nation, représentée par les États généraux, devait donner au royaume une constitution décentralisatrice et libérale, assurant à jamais les droits naturels des individus tels que les a conçus la philosophie des Lumières : liberté, propriété, tolérance religieuse, égalité. Le tiers état ne revendiquait pas seulement l’égalité fiscale, il voulait aussi la pleine égalité des droits et ainsi la fin d’une société d’ordres.
L’année 1789 constitua un moment marquant de la Révolution et un temps durant lequel les choses allèrent très vite : après la création d’une Assemblée nationale constituante par les députés du tiers état qui se sentaient méprisés par le pouvoir, Necker fut renvoyé. Cela entraîna le soulèvement des Parisiens ; la Bastille fut ainsi prise le 14 juillet, les privilèges abolis le 4 août, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen adoptée le 26 août. De même, le 6 octobre, la famille royale fut ramenée à Paris par le peuple, au palais des Tuileries. L’absolutisme et Ancien Régime avaient définitivement perdu. Tous ces événements témoignèrent à la fois de l’impatience et de la violence populaires.
En juillet 1790, la situation laissait entrevoir un retour à la normale et l’Assemblée pouvait œuvrer à l’établissement d’une nouvelle société. Mais en juin 1791 le roi rompit avec son peuple en tentant de fuir et fut arrêté à Varennes. Le 17 juillet, alors que l’Assemblée semblait couvrir la famille royale, la garde nationale tira sur le peuple qui s’était réuni au Champ-de-Mars. Il manifesta son mécontentement et entendit décider lui-même du sort de Louis XVI. Contre un roi qui était soupçonné de trahison, le maître mot devint « patriotisme ».
C’est ainsi que dans la nuit du 9 au 10 août 1792, le tocsin de l’hôtel de ville de Paris sonna, rassemblant les sans-culottes armés de leurs piques qui poussèrent l’Assemblée à suspendre le roi. Il devait être remplacé par un Conseil exécutif provisoire en attendant la tenue d’élections au suffrage universel d’une Convention Nationale. Dès lors, la France n’était plus une monarchie.
Après le 10 août, la menace étrangère faisait rage et les armées austro-prussiennes franchirent les frontières du royaume. Les premiers succès de la France firent rapidement place à des défaites et des trahisons.
Au printemps 1793, une insurrection de sans-culottes se préparait et le 2 juin, le groupe des Girondins (bourgeoisie révolutionnaire incarnée par Brissot et Roland) qui dirigeait la Convention fut renvoyé au profit des Montagnards (révolutionnaires républicains incarnés par Danton ou Robespierre).
François Furet et Denis Richet expliquent que la Terreur qui s’abattit n’a pas été un choix conscient des Montagnards ; ils s’appuient pour affirmer cela sur l’attitude de ce groupe durant l’été 1793. La contre-révolution était alors menaçante, aux frontières comme en Vendée, mais l’indulgence fut de mise : 20 députés girondins purent s’enfuir de chez eux sur les 31 arrêtés. Mais très rapidement, la République fut assiégée : Lyon tomba aux mains des royalistes, Toulon fut livrée aux Anglais, et les Vendéens remportèrent de nombreuses victoires. Les circonstances commandèrent alors le recours aux pratiques de l’Antiquité romaine : la dictature de salut public, contrôlée par la Convention.
Les historiens insistent sur la dimension parlementariste de la période 1793-1794, invitant à ne pas se laisser aveugler par les épurations successives. Robespierre, habile tacticien, défendit pendant près d’un an la politique de son gouvernement.
En même temps, il achevait de se fixer les traits de la société : la loi du 3 juin mettait sur le marché des biens des émigrés, celle 17 juillet 1793 abolissait les derniers droits seigneuriaux. Mais la Première République était engagée dans une guerre contre une coalition européenne et une guerre civile contre les royalistes ; il fallait agir par la répression, avec violence. La victoire des armées républicaines précipita toutefois les choses, car la Terreur ne pouvait pas survivre aux succès militaires.
Le complot contre Robespierre se précisait, et les députés s’unirent contre lui et ses alliés à la Convention ; ils furent exécutés le 28 juillet 1794 sans jugement. C’est cette date du 10 thermidor an II (selon le calendrier républicain), qui fut longtemps considérée dans les recherches historiques comme la fin de la période ; elle n’est, dans cet ouvrage, que la fin de la première partie.
La Convention survécut quinze mois à Robespierre. En apparence, rien n’avait changé : c’était la même Assemblée, la même lutte contre l’Europe des rois et des aristocrates. Pourtant, tout était modifié, et Paris respirait de nouveau et laissait exploser sa joie. La dictature était terminée. Les mœurs évoluaient vers un relâchement : le bonnet rouge tendait à disparaître, la cocarde était de plus en plus discrète, le tutoiement mal vu.
La Convention suivit ce mouvement général de l’opinion au point de retirer le corps de Marat du Panthéon et de rappeler tous les Girondins hors la loi. Le royalisme regagnait progressivement du terrain.
En octobre 1795, la Convention laissa place au Directoire, un régime inspiré par la bourgeoisie parisienne et dont le texte fondamental était la Constitution de l’an III qui proclamait entre autres choses l’inaliénabilité du territoire. Cette période fut celle d’agitations militaires, car la guerre contre les puissances européennes n’était pas terminée. Ce fut également le temps des campagnes menées par le général Bonaparte qui consolidait sa célébrité naissante. La première fut celle d’Italie de 1796-1797, où la France fut victorieuse de l’Autriche et de la Sardaigne, pillant la péninsule. Napoléon s’y est considérablement enrichi et y prépara ce qu’il envisageait comme un régime « aristo-démocratique » pour reprendre ses termes, dans lesquels les notables seraient soumis au pouvoir exécutif, c’est-à-dire lui-même. La seconde fut celle d’Égypte, afin de bloquer la route des Indes à la Grande-Bretagne, ennemi héréditaire de la France.
Le 9 novembre 1799, Napoléon, de retour à Paris, organisa un coup d’État qui instaurait le Consulat. La constitution du nouveau régime fut adoptée le 13 décembre 1799, instituant Bonaparte Premier consul et un pouvoir qui allait glisser vers l’autocratie. Le législatif était alors confié à trois chambres : le Tribunat, chargé de discuter les lois sans les voter ; le Corps législatif qui adoptait ou rejetait les lois ; le Sénat, qui vérifiait la conformité des lois avec la constitution. Tout s’orientait lentement vers l’Empire, et la Révolution française était bel et bien terminée.
La société française du Directoire contenait déjà en elle les germes de la modernité : la natalité et la mortalité avaient considérablement diminué avec la fin de l’Ancien Régime. La généralisation des procédés contraceptifs dans les couples date en effet des années révolutionnaires, témoignant d’une rupture mentale profonde avec les contraintes religieuses, et d’une attitude nouvelle à l’égard de la vie et du bonheur individuel.
Mais ce comportement nouveau n’était pas seulement le fruit d’une France laïcisée ; il renvoie également à un souci de la promotion sociale d’enfants moins nombreux et un désir d’assurer à chacun les meilleures chances de réussite. C’était une France de propriétaires, désormais uniformément régie par l’égalité successorale, et qui se développa pendant la Révolution grâce à la vente des biens nationaux, et d’abord dans les campagnes : beaucoup de promotions sociales commencèrent par l’acquisition ou l’agrandissement d’un lopin de terre.
Dans les villes, toute une petite bourgeoisie de marchands et d’artisans avait émergé ; en même temps, la Révolution avait vu se multiplier le nombre de fonctionnaires, et la suppression des offices vénaux de l’Ancien Régime avait démocratisé les emplois publics. À Paris, l’argent qui était dépensé en dîners et en fêtes était celui d’une nouvelle richesse, la plupart des fortunes de l’ancienne France ayant sombré avec la Terreur et l’inflation.
Ainsi, cet argent n’irriguait pas les circuits productifs de l’épargne et de l’investissement : comme naguère dans l’aristocratie, il était dépensé en divertissements. La rupture sociétale induite par la Révolution n’était pas totale. François Furet et Denis Richet analysent cette ruée vers les plaisirs non seulement comme un moyen de conjurer les années terribles de la Révolution, mais également comme une revanche sociale qui donna à toute une génération un sentiment de promotion.
C’est ainsi que, en épousant Joséphine de Beauharnais, Napoléon Bonaparte effaçait la condition de son enfance. Enfin, les historiens notent que l’acharnement de la société au plaisir et à la fête traduisait aussi une forme d’incertitude de l’avenir. Elle ne jouissait pas uniquement du présent contre hier, mais aussi contre demain ; tout était fait pour idéaliser l’instant présent.
Dix ans, c’est le temps qu’a duré la Révolution française, de 1789 à 1799 ; elle débuta avec l’ouverture des États généraux et ne fut close qu’avec le coup d’État de Napoléon Bonaparte. Les ruptures et les continuités qu’elle a provoquées en font un événement majeur de notre histoire nationale, mais également de l’histoire européenne et de l’histoire mondiale, inspirant nombre d’autres révolutions des XIXe et XXe siècles.
À travers cet ouvrage, François Furet et Denis Richet ont montré l’extrême diversité du phénomène révolutionnaire. Il fut à la fois fondateur de libertés politiques et de l’État moderne, mais aussi à l’origine d’une guerre civile particulièrement violente. Proposant une analyse qui ne se limite pas aux ressorts politiques de la période, les historiens ont également mis en lumière la société du temps, soulignant les liens qui unissent la France d’Ancien Régime de la France post-révolutionnaire.
Cet ouvrage est fondateur, malgré les critiques qu’il a pu essuyer lors de sa parution. Il a proposé une approche différente de la Révolution française, que l’on a longtemps cru terminée à la chute de Robespierre. François Furet et Denis Richet incarnaient alors le courant historiographique libéral, en opposition avec l’école marxiste qui dominait alors les études sur la période.
En privilégiant le temps long, ils ont renvoyé dos à dos les historiens favorables à la monarchie et ceux favorables à Robespierre. Leur étude s’inscrit dans une véritable critique des tabous et des mythes propres à la révolution. C’est un ouvrage incontournable.
Ouvrage recensé
– La Révolution française, Paris, Fayard, 2010 [1963].
Ouvrages de François Furet
– Penser la Révolution française, Paris, Éditions Gallimard, coll. « Bibliothèque des histoires »1978.– Le Passé d'une illusion. Essai sur l'idée communiste au XXe siècle, Paris, Éditions Robert Laffont et Éditions Calmann-Lévy, 1995.
Autres pistes
– Alice Gérard, La Révolution française, mythes et interprétations, 1789-1970, Paris, Flammarion, 1970.– Patrice Gueniffey, La politique de la Terreur. Essai sur la violence révolutionnaire, 1789-1794, Paris, Fayard, 2000.– Ran Halévi, La Constitution de 1791, Paris, Fayard, 1995.– Jean-Clément Martin, La Révolution française, Paris, Le Seuil, 1996.– Mona Ozouf, Varennes. La mort de la royauté (21 juin 1791), Paris, Gallimard, 2005.– Michel Vovelle, Nouvelle histoire de la France contemporaine, t. 1. La Chute de la monarchie, Paris, Le Seuil, 1972.