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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

Psychologie des foules

de Gustave Le Bon

récension rédigée parArmand GraboisDEA d’Histoire (Paris-Diderot). Professeur d’histoire-géographie

Synopsis

Psychologie

En 1895 paraissait le futur livre de chevet de Hitler : la Psychologie des foules de Gustave Le Bon. Thèse : les foules gouvernent le monde moderne. Rien ne s’oppose à leur puissance, ni les institutions, ni la religion. Irrationnelles, elles sont guidées par les images, les mots d’ordre et le pouvoir hypnotique des meneurs. Dans la dissolution de tout caractéristique de l’ère démocratique, et devant la menace du socialisme, il y a urgence, pour Le Bon, d’étudier et de comprendre l’âme des foules, afin de pouvoir maîtriser leur puissance illimitée et destructrice.

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1. Introduction

L’ambition de Le Bon, dans cet ouvrage, est de découvrir les lois du comportement des foules et de fournir une explication globale de l’histoire humaine.

La foule primitive est barbare, féminine et infantile. Puis, elle se donne des traditions, des lois, un caractère et une âme, autrement dit elle devient ce qu’il appelle une « race », nous dirions une culture . Puis, elle fixe ses croyances en un ensemble cohérent et sacré : ce sera sa religion. Ainsi, dotée d’une irrésistible unité de sentiment et de pensée, la foule, devenue civilisation, peut bâtir des empires et bouleverser le monde. C’est l’apogée, après quoi vient le déclin.

Pour Le Bon, l’Europe industrielle et conquérante de la fin du XIXe siècle serait, paradoxalement, dans un de ces cas de décadence. Plus de sentiment commun, plus de religion, la raison ayant tout dissolu. Restent les foules, dont il dégage la classification et étudie les lois. Conservateur, Le Bon est effrayé par l’idée qui enthousiasme ces multitudes : le socialisme. Persuadé que ce mouvement ne peut se transformer en puissance civilisatrice, comme le christianisme avant lui, certain qu’il ne pourra que précipiter la décadence, Le Bon ne propose cependant aucune solution autoritaire.

Libéral et anglomane, ennemi de la réaction, il pense qu’il faut accepter le suffrage universel mais le diriger savamment en prenant appui sur les lois sociologique qu’il se fait fort de découvrir.

2. Une philosophie de l’histoire

Né en plein dix-neuvième siècle, éduqué par des gens qui avaient bien connu les gloires et les affres de la Révolution et de l’Empire, Gustave Le Bon a grandi alors que l’industrie moderne faisait ses premiers pas, que la misère des ouvriers gagnait en extension comme en intensité et que les doctrines socialistes conquéraient – à son effarement – le cœur des classes populaires. C’était aussi l’époque des théories historiques globales. Louis de Bonald, Hegel, Marx et Michelet, pour ne citer que quelques noms très remarquables, tentèrent, chacun à sa manière, d’élaborer quelques grands principes à partir desquels on pourrait expliquer la totalité de l’histoire humaine.

Chez Marx, c’est le Capital, chez Hegel l’Esprit, chez Michelet le Peuple et chez Bonald la Souveraineté. Marqué par les événements sanglants de la Commune et, surtout, par la publication, entre 1875 et 1893, par Hippolyte Taine, des Origines de la France contemporaine, où la foule des sans-culottes apparaît sous les traits du crime, Gustave Le Bon, lui, devait trouver dans la foule le principe essentiel de toute l’histoire humaine.

Mais qu’est-ce que la foule ? Pour Le Bon, tout rassemblement d’hommes n’est pas une foule, et toute foule n’est pas pléthorique. Une assemblée de vingt personnes peut, dans certaines circonstances, constituer une foule. Inversement, un énorme rassemblement peut n’être qu’une somme d’individus, et non une foule. Ce qui constitue la foule, c’est qu’elle est dotée d’une sorte d’âme collective. Elle est l’ensemble de plusieurs individus unifiés par des sentiments communs et une volonté commune. C’est-à-dire qu’il faut, pour constituer la foule, que des événements, des situations ou des discours aient suffisamment agit sur les âmes de ses membres pour que, s’étant momentanément dépouillés de leur individualité et de leur rationalité, ils ne fassent plus qu’un seul être social à l’identité en quelque sorte inconsciente.

La chose est cruciale pour Le Bon : les membre de la foule ne peuvent mettre ou avoir mis en commun leur conscience ou leur rationalité. Ils ne peuvent mettre en commun que la partie inconsciente de leur âme, car c’est là seulement qu’ils ont des choses susceptibles d’être partagées. Constitué par l’hérédité (une hérédité non biologique mais historique), l’inconscient est le commun d’une race. Le conscient, lui, est le propre de l’individu. Conséquence : dominées par des processus inconscients, les foules sont par nature irrationnelle, infantiles, féminines et manipulables. Et, du point de vue moral, elles sont capables des pires crimes comme des plus admirables sacrifices. Elles peuvent se livrer, dans la joie et avec la certitude d’accomplir une œuvre salutaire, à toutes sortes de massacres, aussi bien que donner leur vie à la patrie.

3. Comment orienter les foules

Gustave Le Bon distingue deux façons d’endiguer et de contrôler la puissance destructrice de la foule. La première consiste à agir sur le substrat de la foule : la race.

La deuxième consiste à orienter convenablement la volonté des foules, en prenant en compte leur type social. Car les foules, loin d’être toutes identiques, peuvent au contraire varier considérablement suivant leur composition sociale. C’est en établissant les critères de ces variations que Le Bon établit, en bon scientifique du dix-neuvième siècle, sa minutieuse classification des foules. Classification qui permettra de savoir, à chaque fois, quel moyen employer pour orienter la volonté de la foule dans un sens déterminé. Par exemple, plus une foule sera hétérogène, moins elle sera soumise à l’hérédité de la race. Plus une foule sera anonyme, moins elle sera responsable. Ainsi,

Le Bon analyse dans le détail les foules parlementaires, qui inclinent aux grands principes abstraits et se soumettent facilement aux meneurs. Il se penche aussi sur les foules électorales, facilement impressionnées par le prestige et dont il note « la faible aptitude au raisonnement, l’absence d’esprit critique, l’irritabilité, la crédulité, et le simplisme » (p. 107). Curieusement, les jurys ont sa faveur, car ils tempèrent l’arbitraire et la sévérité des juges professionnels. Quant aux foules religieuses, c’est par leur crédulité qu’il explique les miracles.

On l’a vu, la race, qui est ici une notion non pas biologique, mais historique, très proche de ce que nous appellerions « culture », joue chez Le Bon un rôle central. Une foule latine n’est pas une foule anglo-saxonne : l’une est encline à la centralisation, à l’égalité et à l’étatisme ; l’autre au libéralisme. Ces traits tiennent à l’histoire des peuples. On ne peut les modifier brutalement. Il faut les connaître pour ne pas heurter les peuples et provoquer des réactions violentes en sens contraire, comme lors de la Révolution française, dont le fédéralisme et le démocratisme finirent par déboucher sur la centralisation jacobine et l’autocratie napoléonienne. Cependant, il est un moyen d’améliorer les caractères profonds d’une population sur le long terme : c’est l’éducation.

Ici, Le Bon est très critique envers le système français. Trop théorique, il produit des générations d’intellectuels fades, sans emploi car trop nombreux, élevés dans les universités comme en serre, n’espérant de carrière que de l’État et ne voyant de solution à leur déclassement que dans la Révolution. Il faudrait, pense-t-il, une éducation éminemment pratique, visant à élever l’intelligence sans la bourrer ni de notions abstraites, vagues et inutiles, ni d’espérance creuses et de constitutions idéales pour peuples de papier.

Mais, si évoluée qu’on la suppose, une foule reste pour Le Bon une unité sociale dangereuse constituée d’individus qui, ayant perdu leur rationalité, sont sujets à toutes sortes d’émotions, de suggestions et d’hallucinations. Parce qu’elles sentent leur incapacité, elles se cherchent un chef. Celui-ci sera d’autant plus efficace qu’il sera la proie d’idées fixes, parlant par association d’idées plus que par raisonnement et utilisant les images plutôt que les mots. Le Bon n’était pas mauvais prophète : il aura prévu le succès d’individus qui, tels Adolf Hitler, sauront magnétiser les foules et utiliser les moyens modernes de propagande – télévision, radio… – pour agir directement, par l’image et le mot d’ordre, sur l’inconscient des foules.

4. Conclusion

La Psychologie des foules est le maître ouvrage de Le Bon. Celui qui, le mieux, a traversé les ans. Pourquoi ? Parce que l’auteur y donne une forme scientifique – et donc légitime – à la vision du monde de la bourgeoisie versaillaise au lendemain de la Commune : la propriété privée est sacrée, le socialisme est l’ennemi, les foules sont dangereuses, il convient, puisqu’on ne peut ni ne veut (car on est civilisé) les faire taire brutalement, de les diriger convenablement. « La connaissance de la psychologie des foules, dit-il, est aujourd’hui la dernière ressource de l’homme d’État qui veut, non pas les gouverner – la chose est devenue bien difficile, – mais tout au moins ne pas être trop gouverné par elles » (p. 5).

Admiré par Mussolini, Hitler, De Gaulle ou Roosevelt, étudié par tous les publicitaires et les « influenceurs » du monde, Le Bon a donné à la psychologie sociale ses fondements. Comme il l’avait prévu, les chefs d’État modernes ne cherchent à dominer que par le charisme, et non par les formes légales, les publicitaires ne pensent plus à convaincre que par l’image, et non par les raisons. Quant aux pédagogues, ils n’ont eu de cesse que de mette au rencard les vieilles théories pour donner à l’enseignement la forme pratique et terre-à-terre qu’il appelait de ses vœux.

Plus que jamais, l’œuvre de Le Bon est donc d’actualité. Mais sa notoriété, elle, n’est pas au rendez-vous. Son anti-socialisme radical et son dilettantisme insoucieux des frontières disciplinaires ne pouvaient que jouer en sa défaveur, et c’est pourquoi il a été éclipsé par des penseurs dont l’œuvre est plus conforme aux canons démocratiques et scientifiques de notre époque, comme Émile Durkheim ou Max Weber.

5. Zone critique: Le Bon anti-marxiste

Historiquement parlant, l’ouvrage de Le Bon est une réponse aux doctrines socialistes de son temps. Il ne s’en cache pas. Mais, prenant le contre-pied de ses adversaires, il n’a bien souvent fait que nier ce qu’ils avaient affirmé. De ce fait, il ne les a pas dépassés.

Pour les marxistes, le prolétariat est une puissance positive menant l’humanité à sa libération définitive. Chez Le Bon, il est devenu une puissance négative entraînant l’humanité à la barbarie. Il change de nom et devient foule : terme qui renvoie à la multitude satanique du « mon nom est légion » de l’évangile (Marc 5 : 9).

Certes, Le Bon admet qu’il y ait des foules de toutes sortes, des foules parlementaires, des foules aristocratiques, même, puisque l’Assemblée de la noblesse qui, la nuit du 4 août, vota l’abandon de ses privilèges, est pour lui une foule . Mais cela ne change rien. « Les décisions d’intérêt général prises par une assemblée d’hommes distingués, mais de spécialités différentes, ne sont pas sensiblement supérieures aux décisions que prendrait une réunion d’imbéciles » (p. 12).

Ce qui caractérise la foule, pour Le Bon, c’est d’être un ensemble d’individualités doté d’une âme collective qui n’est que de l’inconscient, de l’irrationnel partagé. La foule parfaite, celle dont les agissements lui fournissent tant d’exemples, celle qui l’effraie, celle au pouvoir de laquelle se trouvent abandonnées les sociétés démocratiques, c’est la foule populaire, la foule révolutionnaire. Celle-là même qui, sous le nom de prolétariat, constitue, pour les socialistes, l’espoir de l’humanité, le moyen unique de son salut.

Ce que Le Bon définit et encense sous le nom de race, savoir les idées et les sentiments que l’histoire a légués en commun à un peuple, c’est ce dont Marx loue la disparition dans le prolétariat, qui est la classe dénuée de tout, même de ces sentiments et de ces idées. Car c’est à l’absence de ces qualités que Marx rapporte le caractère universel du prolétariat. Attaché à rien, il est capable de tout renverser. S’il avait une race, au sens de Le Bon, il ne serait plus le prolétariat, il n’aurait plus de puissance révolutionnaire. Il ne serait pas l’antithèse du Capital, destinée à le renverser.

Au fond, donc, Marx et Le Bon sont parfaitement d’accord, seulement l’un abhorre ce que l’autre souhaite ardemment, la Révolution. Ce qui les différencie, c’est le désir plus que l’analyse. L’âge à venir sera celui du socialisme et, entre deux, le rôle des foules révolutionnaires sera crucial. Qui les dominera sera le maître des destinées humaines. Autrement dit, la propagande sera le moyen privilégié du pouvoir , et c’est à Le Bon que l’on doit d’avoir fourni les bases scientifiques de cette nouvelle discipline de domination par l’inconscient.

6. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé

– Psychologie des foules, PUF, coll. « Quadrige », 1998 [1895].

Autres pistes

– Hippolyte Taine, Les Origines de la France contemporaine, Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquin », 2011.– Louis Chevalier, Classes laborieuses et classes dangereuses, Paris, Le Livre de poche, coll. « Pluriel », 1978.– Korpa, Gustave Le Bon. Hier et aujourd’hui, France Empire, 2011.– Sigmund Freud, Psychologie des foules et analyse du moi, Payot & Rivages, Coll. « Petite bibliothèque Payot », 2011.

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