Dygest vous propose des résumés selectionnés et vulgarisés par la communauté universitaire.
Voici le résumé de l'un d'entre eux.
de Jean-Marie Dru
La publicité autrement se présente comme un retour sur trente années d’exercice des métiers de la publicité. Jean-Marie Dru évoque les multiples disciplines que recouvre la profession ainsi que les nombreuses compétences auxquelles son exercice fait appel. Il y aborde aussi la question des bonnes pratiques et de l’évolution du métier. En traitant des notions de culture d’entreprise, de valeurs et de principes, il livre une analyse applicable à l’entreprise en général.
La publicité est aussi ancienne que le commerce auquel elle est intimement liée. Elle a commencé à se développer quand sont apparues les premières annonces dans certains journaux au cours de la première moitié du XIXe siècle. Rapidement identifiée comme une source importante de la rentabilité de la presse, elle s’est généralisée dès la fin du XIXe siècle.
Ensuite sont apparues les affiches, tandis que naissaient les premiers logos. Dès les années vingt, la publicité s’est fait entendre à la radio avec l’utilisation des premiers slogans (« Dubo, Dubon, Dubonnet » par exemple). C’est dans les années 70, avec la télévision, qu’elle a connu une expansion sans pareille au point de devenir un genre à part entière ; des prix ont même été créés pour récompenser les films publicitaires.
Jean-Marie Dru a commencé à travailler dans la publicité en 1971 alors qu’elle prenait son plein essor. Il connaît tous les aspects de ce métier, comment on y réussit et pourquoi on échoue. Ce qui est arrivé à sa première agence, BDDP, « morte trois fois » (p. 113). Une première fois « massacrée par les financiers », puis « méprisée par les investisseurs, ce fut sa deuxième mort. Achevée par son repreneur, ce fut l’épilogue. » (p. 113). Par l’analyse cet échec, et à travers le récit éclairé de la suite de sa carrière au sein de TBWA, le groupe qui a racheté BDDP, Jean-Marie Dru nous dévoile les arcanes de la publicité.
La publicité a pris son essor dans les années cinquante avec l’apparition des fameux « soap operas », littéralement « opéras pour le savon », nommés ainsi parce qu’ils étaient sponsorisés par les grandes marques de lessive. En France, elle a démarré en octobre 1968 à la télévision. Dans les années quatre-vingt, les films publicitaires ont connu leur âge d’or. Cela correspond à l’époque de l’explosion de la société de consommation. Avec les débuts de la grande distribution, tout le monde regardait la télévision et ses messages de « trente secondes télévision ».
La publicité était créative, nouvelle, elle bousculait les mœurs et les habitudes. Elle ne se contentait plus de faire des démonstrations vantant la qualité des produits, mais elle créait « l’idée de vente ». En d’autres termes, elle illustrait l’identité des produits. Les films de l’époque sont restés dans les mémoires : tout le monde se souvient de « la petite bouteille qu’il faut secouer pour mélanger la pulpe d’orange » d’Orangina ou des bonbons au chocolat [Treets] qui « fondaient dans la bouche, mais pas dans la main ».
Aujourd’hui la publicité a évolué vers des messages plus fins adressés à un public averti, rompu aux ficelles de la communication. Plus éclectique, elle s’exprime au travers de l’humour, parfois très décalé, de l’audace ou, à l’inverse, utilise les ressorts émotionnels. … Jusqu’à devenir le vecteur de communication destiné à porter le message identitaire d’une marque. Nombreux sont les groupes qui construisent aujourd’hui, l’intégralité de leur projet d’entreprise grâce à l’accompagnement de grandes agences qui ne se contentent plus de faire de la publicité, mais de créer et porter l’image et les projets des marques.
Les premiers à regarder la publicité d’une enseigne sont ses salariés. La publicité contribue à insuffler une véritable culture d’entreprise, un langage commun à tout le personnel. Le message qui l’accompagne reflète la philosophie, l’identité de leur entreprise. C’est le message public que la direction leur fait partager, c’est celui qui va faire réagir leur entourage.
Ce qui est nouveau aujourd’hui, c’est que le public détient la capacité de choisir de regarder les annonces ou pas. La créativité est devenue indispensable. Si l’annonceur veut avoir une chance de se faire connaître, seule l’efficacité réelle d’un message peut faire adhérer le consommateur.
Le métier de publicitaire ne peut plus, de nos jours, reposer sur la seule agence publicitaire classique. Il rassemble tous les secteurs de la communication. C’est d’autant plus vrai qu’une marque dispose aujourd’hui de multiples points de contacts avec ses clients : les médias classiques (radio, télévision, affiches) les magasins traditionnels, mais aussi des boutiques virtuelles, Internet. Il faut créer une unité, en tout cas, une identité qui ressorte de tous ces univers. Qu’il s’agisse du concept d’un point de vente, de l’élaboration d’un packaging, d’une campagne radio ou télé ou d’une vitrine Internet, toute la communication doit être pensée de façon cohérente.
On est loin du temps où le publicitaire créatif pouvait se permettre de concevoir un film dans son style préféré (comédie, humour, émotion…). Aujourd’hui il faut trouver l’idée qui définira l’enseigne dans tout ce qu’elle englobe. Mais il faut aussi prévoir lacommunication et les canaux qui diffuseront cette idée. Il faut pouvoir inventer et transmettre l’essence de la marque et non plus, comme avant, la patte du publicitaire. L’agence de publicité d’aujourd’hui doit tenir le rôle de conseil en stratégie.
Il ne s’agit pas de présenter des rapports chiffrés de la réalité économique de l’entreprise comme le font les consultants qui, parfois livrent un constat sans proposer de solutions. Une agence de publicité va directement se mettre en recherche de solutions stratégiques créatives et faire des propositions concrètes. Les publicitaires sont habitués à s’adapter avec souplesse à un marché. Ils sont capables de trouver les mots justes pour exprimer à une marque ce qu’elle peut mettre en place pour communiquer efficacement. Ils savent trouver les idées rapidement et possèdent l’agilité qui permet de les transformer en communication efficace.
Une agence de publicité fonctionne avec des commerciaux, des créatifs, des spécialistes de l’événementiel et des médias, mais aussi avec une logistique, un service financier et un service de production. Toutes ces disciplines fonctionnent de manière transversale, aucun domaine ne prenant l’ascendant sur un autre. C’est la multiplication des compétences et des disciplines qui rend possible la création d’un film publicitaire d’envergure ou qui permet d’accompagner une marque dans toute sa stratégie de communication. Peu de secteurs détiennent autant d’expertises différentes dans une même société.
Pour mener à bien un projet, il est nécessaire, la plupart du temps, de faire, en plus, appel à des compétences extérieures. La variété des clients amène une multiplicité des sujets à traiter. Qu’il s’agisse de travailler pour Apple, pour Danone, pour Pedigree ou pour la SNCF, les seules expertises des divers métiers exercés au sein de l’agence ne suffisent pas, il ne faut pas hésiter à faire appel aux spécialistes de chaque domaine. Une campagne de publicité réussie doit avoir un impact
• Sur le résultat de la marque et sur la réputation de l’agence de publicitéLe succès est total quand le président d’une société reprend dans ses discours le slogan utilisé pour la publicité. L’auteur cite le cas de Steve Jobs, pour qui son réseau d’agences a inventé le fameux « think different » à la fin des années quatre-vingt-dix. Constater que Steve Jobs parlait du « think different » dans ses interventions ou avec ses interlocuteurs représente pour la marque la preuve que la publicité a su cerner l’identité d’Apple et la servir avec force.
Aucun métier, pas même la publicité, n’échappe à la nécessité de respecter des règles et des valeurs. Jean-Marie Dru intervient souvent auprès des étudiants. Il leur parle de savoir-faire, d’audace et d’ouverture d’esprit. Mais il évoque aussi les fondamentaux de l’entreprise en donnant des conseils qui dépassent largement le cadre du métier de publicitaire.
Il recommande aux étudiants de ne pas hésiter à changer de métier pendant les premières années de leur vie active. Changer de travail permet de déterminer ses propres préférences. Inutile de perdre du temps pendant des années dans un job qui ne sera peut-être pas passionnant, car passé un certain âge, personne n’ose plus ou ne peut plus repartir dans une autre filière. Pour autant, il leur conseille de se fixer des principes, des valeurs fondamentales, dès le départ. Ces principes seront ceux, immuables, sur lesquels il sera possible de s’appuyer quand il faudra prendre des décisions difficiles, trouver des réponses à des questions importantes :
- Investir sur ses forces : il vaut mieux abandonner ce qui ne marche pas pour se donner à fond sur ce qui fonctionne.
- Ne pas chercher à avoir raison à tout prix : être pragmatique, agile.
- Ne pas chercher à prévoir le futur : garder sa vigilance et s’adapter est plus important que de se projeter dans un futur d’où peuvent survenir toutes sortes de changements radicaux. Il prend l’exemple de la Logan, véhicule construit par Renault pour les marchés émergents. Les consommateurs lui ont donné un tout autre avenir en en faisant un véritable succès dans les pays non ciblés par le projet.
- Le rôle du dirigeant n’est pas de savoir tout faire : c’est de donner du sens, de la clarté. Un dirigeant doit expliquer ses objectifs et sa vision de l’orientation de l’entreprise. Bien des décisions peuvent être prises en dehors de lui. Il doit, en revanche être là pour faire face aux difficultés. C’est à ce moment-là que sa décision est importante.
- Ne pas rester bloqué sur la stratégie, ne pas s’enfermer dans la spéculation intellectuelle. Parfois, il est préférable de laisser la stratégie de côté au profit de l’action, de l’avancement des projets. Il sera bien temps d’y revenir plus tard. La réussite provient de l’obstination, plus que de l’ambition.- Jean-Marie Dru accepte le fameux « droit à l’erreur » qui fait avancer l’entreprise, il y met cependant un bémol : d’accord pour l’erreur, mais se tromper le plus tôt sera le mieux.
- Cultiver l’incompétence : le plus intéressant, ce n’est pas de tout savoir à l’avance, c’est de se confronter à des problèmes et de chercher à les résoudre. Ne pas avoir peur de désapprendre, de changer de façon de raisonner.
- Cherchez les talents avant de concevoir vos projets. Embauchez des gens doués et, ensuite, c’est à l’entreprise d’aller dans le sens de leur talent en inventant la mission qui leur correspond. Les succès viendront d’eux-mêmes : « Le qui doit précéder le quoi » (p. 189). Ne restez pas bloqués par les fiches de poste, inutile d’enfermer des talents dans des cases, laissez-les exister !
Selon Jean-Marie Dru, la disruption est née en France de la formidable capacité de l’esprit français à mettre en doute ce qu’on lui dit, à contester et à revendiquer sa liberté de penser. Les notions de contestation et de débat d’idées sont assez proches de l’idée que l’auteur se fait de la disruption. Celle-ci s’appuie sur un doute réfléchi, mais aussi sur des débats et des tensions autour des idées remises en cause. Savoir oser les changements tout en conservant les quelques éléments fondamentaux qui constituent le socle de l’entreprise, la disruption est une méthode qui permet d’effectuer les changements et de redonner un nouveau souffle à une entreprise.
Elle peut se faire à plusieurs niveaux : en transformant le modèle économique, en retravaillant la façon dont l’entreprise réalise ses résultats. Elle peut intervenir au niveau des produits ou des services. Il peut aussi être décidé de faire la rupture au niveau du marketing ou de la communication.
Dans le domaine de la disruption comme dans tous les domaines de l’entreprise, l’auteur conseille le pragmatisme : la disruption permet d’apporter les changements faute desquels l’entreprise se met en danger. Si l’entreprise n’évolue pas, elle meurt.Dans le même temps, attention à ne pas tout changer et surtout pas tout en même temps. Il y a des fondamentaux, des valeurs sacrées qui constituent le fondement d’une entreprise, il faut réfléchir à ce qui peut changer et à ce qu’il ne faut pas toucher. Attention à ne pas vouloir changer pour changer.
La disruption est au cœur du fonctionnement de TBWA comme une méthode de fonctionnement stratégique et créative, proposant à ses clients de travailler avec eux en organisant des « disruption days ». Ces journées proposent aux entreprises un certain nombre d’exercices pertinents visant à les aider à pratiquer ce « saut créatif » qu’est la disruption selon ses propres termes : Il s’agit, par exemple, de dépister les activités de l’entreprise qui correspondent aux critères en vigueur de son domaine. Cela permet de définir, ensuite, une vision nouvelle en se projetant sur 5 ans. Enfin il est proposé aux participants de déterminer comment réaliser ces projets en imaginant, par exemple, l’article que la presse consacrerait à leur entreprise un an après ; Une manière de mettre en avant quels actes marquants pourraient créer la rupture.
Face à un marché en mouvement constant, la disruption est une méthode de transition permanente, elle génère un mode de pensée agile et pragmatique. Elle est l’outil de l’adaptabilité de la souplesse et d’une dynamique d’évolution pour l’entreprise dans un monde où l’immobilisme peut entraîner la mort.
Le chemin de la réussite est une ligne de crête étroite et très fine entre une méthode et son contraire. À chaque alternative, il faut chercher la solution dans la conciliation plutôt que dans le choix tranché. Il vaut mieux adopter un équilibre instable entre plusieurs solutions, doser, harmoniser, s’adapter, travailler la transversalité, ne pas chercher à avoir raison.
Telles sont les leçons que Jean-Marie Dru retire de son expérience. Les métiers de la publicité demandent perpétuellement de faire cohabiter des notions contraires, faire travailler ensemble des esprits scientifiques, financiers et des esprits artistiques. S’adresser aux masses tout en faisant connaître des marchés de niche… La publicité ne cesse de travailler dans toutes les directions en s’adaptant à chaque nouveau défi.
Bien qu’écrit en 2006, le livre de Jean-Marie Dru reste d’actualité. Il apporte un éclairage intéressant sur l’univers de la publicité et de la communication. Élargissant sa réflexion au-delà de ces domaines, il porte un regard qui peut paraître contradictoire sur la marche d’une entreprise. Prônant la disruption, l’ouverture d’esprit et l’audace, il revendique néanmoins un attachement aux valeurs d’éthique et de mesure en toute chose.
En réalité, dans des sociétés de marchés en mutation constante, il a sans doute raison de proposer cette voie étroite et sinueuse entre sagesse et témérité.
Ouvrage recensé– New : 15 approches disruptives de l’innovation, Montreuil, Pearson Education, coll. « Village mondial », 2016.
Du même auteur– Disruption, briser les conventions et redessiner le marché, Montreuil, Pearson Education, coll. « Village mondial », 1997
Autres pistes– Pierre Berville, J’enlève le haut : les dessous de la pub à l’âge d’or, Endependently published, 2018.– Philippe Michel, C’est quoi l’idée ?, Paris, Éditions Michalon, coll. « Essais », 2011.