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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

Le prix de la démocratie

de Julia Cagé

récension rédigée parAlexandre ChiratDoctorant en sciences économiques à l'Université Lumière Lyon-2.

Synopsis

Économie et entrepreneuriat

Les démocraties occidentales sont traversées par diverses crises : baisse de la confiance des citoyens envers les institutions politiques, baisse de la participation électorale, émergence desdits partis populistes et recul des partis traditionnels, capture par des intérêts privés. Partant du constat selon lequel le fonctionnement de la démocratie a nécessairement un coût, Julia Cagé s’interroge sur le rôle des divers systèmes de financements des démocraties dans ces crises. Pour ce faire, elle discute et compare les caractéristiques des systèmes de financements existant en Occident pour ensuite proposer des pistes afin de les réformer.

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1. Introduction

Depuis la fin du XIXe siècle, des réglementations encadrent les dépenses des candidats aux élections, de telle sorte que la dépense par électeurs inscrits a drastiquement chuté depuis un siècle. Pour autant, le fonctionnement de la vie politique génère toujours des coûts de fonctionnement. Les données empiriques attestent notamment qu’il existe une corrélation forte entre les dépenses d’un candidat par rapport à ses concurrents et le pourcentage de voix obtenus lors d’une élection.

Ce « coût de la démocratie » est supporté par des dépenses publiques et des dépenses privées. Les dépenses privées, outre les dépenses personnelles des candidats aux élections, prennent la forme de dons aux partis et aux campagnes électorales. Les dépenses publiques sont soit des financements publics directs des partis soit des financements indirects, tels que les subventions des dons privés sous la forme de déductions fiscales et le remboursement des dépenses de campagne.

À partir d’une base de données sur le financement des campagnes et des partis, l’ouvrage, dans une perspective comparative, dresse un état des lieux des systèmes de financements des grands pays occidentaux. En 2016, le financement public de la démocratie par électeur était par exemple de 2,39 euros en Allemagne, 4,20 euros en Espagne, 2,32 euros en France et il était proche de zéro en Italie. L’auteure considère que dans l’ensemble des pays, et ce malgré la diversité des systèmes existants, le recul progressif du financement public conjugué à des réglementations lâches des financements privés conduisent à éloigner ces démocraties de leurs idéaux égalitaires.

Ces systèmes favorisent l’expression des préférences politiques des citoyens les plus riches. C’est pourquoi le but ultime du livre est de proposer des pistes de réformes.

2. Le financement privé de la démocratie

Les dons privés aux partis et aux campagnes électorales peuvent être effectués par des personnes physiques, mais également par des personnes morales (entreprises, syndicats, fondations). Ils font, selon les pays, l’objet de diverses réglementations qui déterminent non seulement qui a le droit de financer la vie démocratique, mais aussi dans quelle mesure. En France, jusqu’en 1988, les dons privés aux partis étaient impossibles.

Ces derniers se finançaient massivement via les cotisations des adhérents, le reversement d’indemnités des élus et, bien souvent, des sources occultes de revenus. Une loi de 1988 légalise le don aux partis et aux candidats. Mais les dons de la part des entreprises sont finalement interdits en 1995. Le montant total des dons qu’une personne physique peut effectuer est également plafonné. En Allemagne, à l’inverse du cas français, les entreprises ont le droit de financer massivement les partis.

Entre 2013 et 2016, en France, 300 000 dons aux partis ont été effectués chaque année pour un total de 100 millions d’euros. Concernant les dons à une campagne électorale, ils sont en France plafonnés à 4 600 euros par personne. Ainsi, au maximum, une même personne peut donner au cours d’une année électorale 4 600 euros à un candidat à l’élection présidentielle, le même montant pour les législatives, ainsi que les sénatoriales, et 7 500 euros à un parti, soit 21 300 euros.

À titre de comparaison les dons sont limités à 2 000 euros par an et par personne en Belgique tandis qu’ils sont illimités au Royaume-Uni.

3. Les problèmes du financement privé de la démocratie

Pour l’auteur, le principal problème du financement privé de la démocratie est qu’il favorise l’expression et la représentation des préférences politiques des citoyens les plus aisés.

Car le don aux partis politiques apparaît comme « un phénomène de classe ». Premièrement, les personnes les plus riches sont plus nombreuses à donner, mais elles donnent également des montants en moyenne largement supérieurs. « Le don moyen des 10% des plus gros donateurs est plus de 84 fois plus élevé que le don moyen des 10% des plus petits donateurs », de telle sorte que le 1% des le plus riche de la population représente près d’un quart du montant total des dons aux partis.

Lors du lancement du parti En Marche en vue de la campagne présidentielle de 2017, le parti a reçu de l’argent de la part de 30 000 donateurs pour un don médian de 50 euros. Mais 2% des donateurs, soit 600 personnes, ont effectué des dons supérieurs à 5 000 euros. Ils ont rapporté à eux seuls entre 40 et 60% du total des dons reçus. Deuxièmement, le système français est tel qu’il subventionne les préférences politiques des plus riches. Les deux tiers d’un don à un parti ou à une campagne donne droit à des déductions d’impôts. Pour en bénéficier, il est cependant nécessaire de payer des impôts.

Ainsi, un donateur aisé effectuant un don de 6 000 euros à un parti voit sa contribution subventionnée à hauteur de 3 960 euros par de l’argent public (déduction fiscale) tandis qu’un citoyen ne payant pas l’impôt sur le revenu et décidant d’exprimer ses préférences politiques par un don de 600 euros en paie l’intégralité (aucune déduction fiscale possible). Il en va de même pour les cotisations syndicales.

La conclusion est donc sans appel : « en France, plus on est pauvre, plus on paie pour participer au financement de la démocratie sociale et politique » (p.73). Le troisième problème identifié par l’auteure réside dans le caractère « non neutre politiquement » de ce système de financement. Dans tous les pays étudiés, ce sont les partis de la droite et du centre droit, puis dans une moindre mesure les partis de centre gauche, qui reçoivent le plus de dons. Ainsi, dans tous les pays où les dons donnent lieu à des réductions fiscales, ces partis sont plus largement subventionnés que les autres par de l’argent public.

4. Les fondations politiques

Les dons aux partis et aux campagnes ne sont pas l’unique forme de financement privé de la vie démocratique. Les « fondations politiques » ou « think tanks », en tant qu’ils produisent de l’information et déterminent l’agenda politique, font pleinement partie de cette dernière.

Or les fondations politiques françaises sont reconnues comme des « fondations d’utilité publique ». Elles reçoivent des dons privés, de la part des personnes physiques comme morale, ainsi que des fonds publics (« réserve du Premier ministre »). Les fondations politiques françaises sont cependant relativement pauvres contrairement à leurs homologues occidentales. En Allemagne, leurs règles de financement sont très précises et comme elles sont toujours rattachées à des partis politiques, le partage des fonds publics entre les fondations dépend directement des résultats électoraux. Aux États-Unis, les fondations politiques sont non imposables.

Contrairement aux dons aux partis politiques américains, les dons aux fondations donnent lieu à des déductions fiscales et n’impliquent pas nécessairement de transparence sur l’identité des donneurs. Leurs montants ne sont pas réglementés. Ces fondations politiques sont légitimées au nom de la « liberté d’expression ».

D’aucuns ajoutent qu’elles permettent de faire exister le pluralisme et protègent de la tyrannie de la majorité. Julia Cagé y voit au contraire un « risque de corruption » endémique, notamment au regard de l’importance de ces fondations dans un espace médiatique où l’absence d’indépendance des rédactions et l’autocensure semblent se renforcer, à la suite des vagues de rachats successives des grands médias par des hommes d’affaires. L’auteure en conclut qu’il existe une véritable contradiction entre « philanthropie » et « démocratie », où pouvoir économique, médiatique et politique se renforcent réciproquement.

5. Le financement public de la démocratie

Le financement public des démocraties occidentales prend des formes diverses. En France, en 2016, 67 millions d’euros ont été destinés au financement direct des partis, 52 millions d’euros au remboursement des campagnes et 56 millions au subventionnement des dons des personnes privées. Concernant le remboursement des frais de campagnes, ils sont plafonnés et soumis à la condition d’avoir obtenu au moins 5% des voix lors d’une élection.

Quant aux financements des partis, ils dépendent des suffrages exprimés lors des élections d’une part et du nombre de parlementaires rattachés à un groupe politique d’autre part. Comme la composition des groupes parlementaires ne change quasiment pas au cours des cinq années d’un mandat législatif, Cagé souligne que ce mode de financement « fige complètement le jeu démocratique ».

Il ne favorise aucunement l’émergence de nouvelles formes politiques. En Allemagne, le financement public direct des partis est très généreux, mais se substitue aux remboursements des campagnes, tout en étant soumis à une règle étonnante. Les subventions publiques ne peuvent pas représenter plus de 50% des recettes totales d’un parti politique, quel que soit son score aux élections, de telle sorte que le montant des dons privés, lesquels sont non plafonnés, conditionne indirectement et partiellement le montant des financements publics reçus.

D’autres pays attestent d’un recul massif du financement public de la vie politique. Alors que l’Italie avait mis en place un système de financement public de la démocratie en 1974, sous la forme classique d’un financement des partis et des dépenses électorales, la succession de scandales de corruption a conduit les électeurs à réclamer la réforme du financement public. En 2014, un nouveau système, le due per mill, est mis en place. Chaque citoyen italien peut consacrer 0,2% de son impôt sur le revenu au financement du parti politique de son choix. Il lui suffit pour cela de l’indiquer dans sa déclaration. L’État subventionne alors pour un montant correspondant le parti indiqué par le citoyen.

Pour Cagé, ce système ne peut s’apparenter à un système de financement public, et comporte de nombreux défauts. Premièrement, 25% des citoyens italiens, ceux ne payant pas d’impôts, sont de facto exclus de la possibilité de financer la vie politique. Deuxièmement, le système est jugé inégalitaire puisque la contribution est exprimée en pourcentage du revenu. Troisièmement le système est mal conçu d’un point de vue administratif. D’ailleurs, 2,5% à peine des citoyens italiens contribuent – alors même que cela ne leur coûte rien à titre individuel.

6. Le cas des États-Unis

Les États-Unis sont le second pays où l’on constate un net recul du financement public. Un plafond de dépenses lors des élections est en vigueur et doit être respecté si un candidat souhaite bénéficier d’un remboursement public des frais de campagne. Les remboursements sont financés par un fonds présidentiel unique que le contribuable américain, en cochant une case de sa déclaration fiscale, accepte ou non d’alimenter.

Alors que 35% des Américains contribuaient en 1974, ils ne sont plus que 5% aujourd’hui. C’est un signe de la défiance croissante envers les institutions politiques. Mais un candidat à l’élection présidentielle américaine peut aussi décider de ne pas respecter le plafond de dépenses et, ce faisant, de renoncer à la possibilité de financement public (opt out). Barack Obama, en 2008, fut le premier à franchir le pas.

Depuis, tous les candidats à la présidence américaine ont financé leurs campagnes sans respect du plafond. Cagé estime que ce choix peut s’expliquer par la faiblesse du financement public aux États-Unis. Mais elle déplore en même temps qu’il contribue à l’explosion des dépenses de campagne et à renforcer le poids de l’argent privé.

Depuis 2008, on constate d’ailleurs que cet argent est d’autant plus efficace qu’il est utilisé par les candidats afin d’effectuer des dépenses sur Internet. En 2008, 12,8% des dépenses de la campagne Obama étaient effectuées sur Internet contre 1% pour son adversaire John McCain. En 2016, c’est 24,5% des dépenses de la campagne Trump contre 5,7% pour la campagne Clinton. Or dans les deux cas, ces dépenses ont été fondamentales dans la victoire, notamment afin d’effectuer un microciblage des électeurs indécis à l’aide d’entreprises telles que Cambridge analytica.

L’auteure insiste sur le fait que ces nouvelles technologies « n’ont pas facilité l’entrée de nouveaux candidats, pas plus qu’elles n’ont conduit à faire baisser le coût des campagnes » (p. 299).

7. Pistes de réformes

Les pistes de réformes proposées par Julia Cagé ont pour but de se rapprocher de l’idéal démocratique selon lequel « une personne égale une voix ». L’auteure souligne de manière assez classique deux limites au référendum d’initiative populaire, moyen que beaucoup considère comme authentiquement démocratique. Le référendum n’est pas une solution miracle, relativement à l’imperfection de l’information et la technicité éventuelle des problèmes à traiter.

De surcroît, changer le mode de scrutin ne résout pas la question du financement de la démocratie. La principale proposition programmatique du livre est la mise en place de « Bons pour l’égalité démocratique » (BED). Il s’agirait de faire en sorte que chaque français puisse, sur sa déclaration annuelle d’impôt, allouer un montant fixé à l’avance – elle préconise 7 euros – au parti politique de son choix.

Ce dernier le recevrait alors directement de la part de l’État. L’avantage par rapport au due per mill italien est que le montant n’est pas proportionnel au revenu. L’avantage par rapport au fond présidentiel américain est que le mécanisme est politisé : le citoyen choisit chaque année à quel parti politique donner son BED. Cette réforme renforcerait le financement public de la vie démocratique, mais permettrait également de sortir d’un système qui fige sur une base quinquennale les rapports de forces entre les groupes politiques.

Par ce média, les citoyens exprimeraient chaque année leurs préférences politiques et informeraient ainsi le personnel politique de leur satisfaction ou mécontentement. Julia Cagé propose des mesures complémentaires, notamment de limiter le montant des dons autorisés aux partis, de les subventionner sous forme de crédit d’impôt plutôt que de déductions ainsi que de limiter le montant des dépenses électorales.

8. Conclusion

Le but de l’ouvrage était de mettre en exergue l’existence, dans les pays occidentaux, d’un cercle vicieux entre l’inégalité économique et l’inégalité politique et de rendre compte des mécanismes qui l’alimentent.

Ceci réalisé, la proposition de réforme du financement proposé n’en apparaît que plus pertinente. Mais cette proposition de réforme du financement de la démocratie se double d’une proposition afin d’améliorer la représentativité du Parlement.

Pour lutter contre la sous-représentation des classes populaires, l’auteure propose qu’un tiers de l’Assemblée nationale soit désormais élu à partir de liste nationale devant compter au moins 50% d’employés et d’ouvriers. La réforme du financement de la démocratie est une condition certes nécessaire, mais non suffisante afin d’améliorer le fonctionnement de nos institutions politiques.

9. Zone critique

La description des systèmes de financements et la construction de la base de données sur laquelle Julia Cagé se fonde, est un apport majeur de l’ouvrage. Il compense largement le fait que la structure et l’écriture du livre rendent sa lecture parfois difficile. La proposition en faveur de bons pour l’égalité démocratique est des plus convaincantes.

À l’inverse, la discussion sur la représentativité est trop brève pour que la proposition spécifique de l’auteure en faveur d’une Assemblée plus mixte socialement suscite le même degré d’adhésion. Une autre critique que l’on pourrait adresser concerne les commentaires hasardeux, manichéens, voire élitistes, de l’auteure au fil de l’ouvrage.

Lorsqu’elle considère que les individus votent parfois contre leur « propre intérêt » et sont mal informés, on regrette son absence de réflexivité sur le cadre conceptuel présidant à ses réflexions. Son livre serait en effet renforcé par des raisonnements encastrés dans un cadre conceptuel s’efforçant de considérer le caractère nécessairement incomplet de l’information dont disposent les citoyens et/ou le processus de formation de leurs préférences politiques.

10. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Le prix de la démocratie, Paris, Fayard, 2018.

De la même auteure– Sauver les médias : capitalisme, financement participatif et démocratie, Paris, Le Seuil, coll. « La République des idées », 2015.

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