Dygest vous propose des résumés selectionnés et vulgarisés par la communauté universitaire.
Voici le résumé de l'un d'entre eux.
de Kerry Patterson, Joseph Grenny, David Maxfield, Ron McMillan et Al Switzler
Face à une attente déçue, nous sommes souvent déchirés entre confrontation et silence. Il est pourtant possible de concilier franchise et cordialité au sein d’une discussion constructive, même sur des sujets difficiles. Les auteurs de cet ouvrage ont observé durant plus de 10 000 heures des personnes douées pour engager et responsabiliser leur entourage. La méthode pratique qui en a découlé est destinée à mettre en place une communication claire et solide grâce à laquelle on osera partager ses attentes avec précision, mais aussi responsabiliser ceux qui n’y répondent pas.
Le terme « accountability » n’a pas d’équivalent en français ; c’est pourtant la notion sur laquelle repose la méthode présentée dans cet ouvrage. Il s’agit de considérer une personne comme responsable, de lui demander des comptes si elle ne tient pas sa parole ; mais aussi « de comprendre les raisons qui motivent [son] comportement […], de l’influencer pour qu’elle change sa position et de l’engager par le dialogue à répondre à nos attentes » (p.7).
Il s’agit d’un réel savoir-faire qui demande une analyse poussée de la situation, une certaine compréhension du fonctionnement de l’être humain, mais aussi la capacité de maîtriser ses émotions et de s’adapter à la situation pour répondre à ses objectifs tout en restant dans l’échange et la bienveillance.
Les auteurs proposent de suivre plusieurs étapes pour préparer, mener et réussir ce type de conversation cruciale : choisir de parler ou de se taire, maîtriser les histoires que l’on se raconte, aborder correctement le problème, rendre motivant ou facile selon que le blocage relève d’un problème de motivation ou de capacité, établir un plan d’action et le suivre.
Au quotidien, lorsqu’une situation nous dérange, qu’un comportement nous heurte ou que nos attentes restent insatisfaites, nous choisissons le plus souvent de ne rien dire, nous persuadant que cela n’en vaut pas la peine. C’est aussi le cas lorsque les enjeux sont élevés. La raison en est que, ayant expérimenté des situations où l’on devait soit se taire et supporter un problème, soit subir les conséquences d’avoir parlé (et envenimer la situation), nous ressentons un fort sentiment d’impuissance.
Nous manquons souvent d’outils de communication pour aborder de manière constructive ces interactions humaines très complexes, d’autant qu’elles nécessitent d’entrer dans une conversation cruciale qui cumule trois caractéristiques : opinions divergentes, émotions fortes (colère, frustration…) et enjeux élevés.
Et pour cause : dans une telle situation, notre cerveau a été programmé pour se considérer en danger immédiat. Le cerveau reptilien, responsable des réflexes, inonde le corps d’adrénaline et envoie le sang dans les muscles pour pouvoir mieux combattre ou fuir. Nos capacités de réflexion et de lucidité en sont logiquement diminuées et il est normal de perdre ses moyens. Si une conversation échoue, on a tendance à croire que la faute en revient à l’autre ; or c’est tout le contraire car, quelle que soit la situation, on contribue soi-même au problème en n’agissant pas de manière adaptée. Lorsqu’un problème survient et que se pose la question d’en parler ou de se taire, notre perception est complètement faussée.
Sans le vouloir, nous imaginons les pires scénarios possibles, jusqu’à perdre le sens des réalités. C’est pourquoi nous choisissons souvent le silence, et tentons par la suite de nous justifier en cherchant des raisons à ce choix. Car l’être humain, habitué à se taire et à subir, a tendance à minimiser le prix du silence (en estimant mal l’impact individuel et global du problème) et à sous-estimer les conséquences de la franchise (en surévaluant les risques encourus en prenant la parole).
Par ailleurs, nous n’avons pas toujours conscience qu’aller à l’encontre de nos émotions et nier nos valeurs est contreproductif. Les contrariétés gardées pour soi refont surface tôt ou tard (langage corporel, sarcasmes…) même si on n’en a pas conscience, minant d’office la possibilité d’un dialogue constructif et positif.
Avant d’aborder tout échange, il faut se poser deux questions : de quoi devrait-on parler, et doit-on parler ou se taire ? Prendre le temps de la réflexion permet souvent de faire le choix de parler ou de se taire de façon raisonnée, en étant certain de ne pas laisser la peur prendre le dessus sur la raison.
Pour autant, il n’y a pas de règle : chaque situation est unique et il nous appartient de décider si le sujet mérite d’être abordé ou non. « N’oublions pas qu’en développant nos compétences, ne serait-ce qu’un tout petit peu, nous pouvons décider plus souvent de sortir du silence pour arriver à mieux gérer nos conversations difficiles » (p.47).
Or la plupart des problèmes concernent des comportements récurrents. Il est alors crucial de décider du sujet à traiter. Cela demande de cerner précisément la situation car le vrai problème peut être dissimulé sous une multiplicité d’autres problèmes plus factuels. Pour trouver le cœur du sujet, demandons-nous si les solutions envisagées permettent réellement d’atteindre les résultats que l’on souhaite, mais aussi s’il est possible de résumer le problème en une seule phrase. Cette première étape demande de prendre du recul et de maîtriser ses émotions. Quoi qu’il en soit, si l’on a mal analysé la situation, le comportement se répètera, l’agacement ne fera que grimper et il faudra reprendre encore une fois la même discussion.
La première étape de cette analyse consiste à déterminer le niveau du problème selon le prisme « CTR » : Contenu (ce qui s’est produit, surtout pour les problèmes ponctuels), Tendance (ce qui s’est passé au fil du temps, pour les problèmes répétitifs) ou Relation (impact sur la manière dont la relation évolue, sur le mode de fonctionnement commun). Au cours de la seconde étape, on prendra en compte les conséquences et les intentions liées au comportement problématique.
En effet, ce sont souvent les conséquences et les intentions que l’on rattache à l’action, plutôt que l’action en elle-même, qui nous posent problème. Enfin, la troisième étape consiste à se demander ce que l’on souhaite vraiment obtenir pour soi-même, pour son interlocuteur et pour la relation.
Le cerveau humain ne fonctionne pas de manière rationnelle et, « quand un problème survient, trop nombreux sont ceux qui tirent des conclusions rapides, pour chercher des coupables » (p.54).
Lorsqu’un comportement indésirable se produit, la pensée suit un processus en quatre étapes : nous voyons et entendons quelque chose ; nous nous racontons une histoire pour expliquer ce qui se passe (et cette histoire est faite de conclusions hâtives, simplistes, mais surtout totalement subjectives et imaginaires) ; des émotions surgissent à partir de cette histoire (si elle est négative, les émotions le seront aussi) ; et enfin nous agissons sur la base de ces émotions (si elles sont négatives, le corps se préparera à la fuite ou au combat). Ce processus est tellement automatique et instantané qu’il est difficile d’en avoir conscience. Pourtant, il est possible de changer son état d’esprit.
Lorsqu’on observe les autres, on s’arrête aux conséquences de leurs actions sans nous intéresser à leurs motivations – alors qu’on est très conscient de ses propres raisons d’agir. Ce biais cognitif s’appelle l’« erreur fondamentale d’attribution ». Nous pensons que les autres se comportent mal parce que c’est dans leur nature, parce qu’ils y prennent plaisir. Nous leur prêtons d’office de mauvaises intentions.
Pourtant, à ce stade, il ne s’agit que de nos histoires, autrement dit du fruit de notre imagination. « En réalité, c’est rarement le plaisir ou l’envie qui poussent les gens à se conduire d’une manière inappropriée mais plutôt l’absence d’alternatives ou encore la pression sociale » (p.58). Faire la démarche de changer son histoire en se demandant pourquoi une personne censée et honnête agirait ainsi permet d’envisager le point de vue de l’autre, de lui donner le bénéfice du doute sans conclure d’office qu’il est malhonnête ou qu’il veut nous causer du tort.
Plus l’historique de la relation est terni par des épisodes déplaisants, plus nous sommes enclins à voir le mal et à réagir fortement, de manière irrationnelle et souvent irresponsable. Mais l’agressivité n’a pas sa place au travail ou à la maison, et il ne sert à rien de chercher à se justifier pour se donner bonne conscience. Pour maîtriser ses propres histoires, il faut d’abord stabiliser son état émotionnel. Puis il devient possible de reconstituer à rebours ce chemin de pensée, jusqu’à revenir aux faits, qui seront à la base du dialogue.
Les trente premières secondes d’une discussion sont cruciales. Le moment, les mots choisis, l’attitude et l’état d’esprit créent un climat qu’il sera difficile de modifier par la suite.
Réfléchir à l’avance à l’atmosphère que l’on souhaite conférer à cet échange permettra de choisir ses mots avec soin à l’occasion d’une phase préparatoire en solitaire, pour ne pas transformer le dialogue en embuscade.
Pour bien aborder le sujet, décrivons factuellement le comportement observé en expliquant avec calme et discernement le décalage entre les attentes et la réalité. Le but est d’éviter toute dérive émotionnelle, mais aussi de prendre les précautions nécessaires pour que l’autre ne se sente pas agressé, notamment en utilisant le « je » plutôt que le « tu ». Il sera également possible de partager son histoire avec transparence, sans porter de jugement, en reconstituant le cheminement de sa pensée (faits, histoire, émotions, réaction).
La manière d’aborder la discussion permet de conférer de la sécurité au dialogue, ce qui en détermine le succès. En effet, créer une zone de sécurité génère la confiance et incite l’autre à nous écouter et nous rejoindre dans le dialogue, plutôt que de se défendre ou de se taire. Pour ce faire, il est préférable de stopper son propos au moindre signe d’insécurité pour s’exprimer « par contraste », c’est-à-dire en affirmant ou réaffirmant ce que l’on ne souhaite pas (que la personne se sente dénigrée ou blâmée) et ce que l’on souhaite (trouver une solution satisfaisante pour les deux parties). Il est important de monter du respect et de la considération, d’autant qu’une personne qui ne sent pas ses intérêts pris en compte les défendra coûte que coûte.
Une fois le climat de sécurité instauré et maintenu, attachons-nous à poser des questions ouvertes, à laisser l’interlocuteur s’exprimer, à écouter ses réponses et à observer ses réactions pour que la discussion évolue dans le sens le plus constructif. Il est important de rester centré sur l’essentiel, sans laisser l’interlocuteur s’en sortir avec une belle excuse, tout en sachant s’adapter si la situation évolue de manière imprévue (nouveaux problèmes qui surgissent, émotions explosives…). Si tel est le cas, on peut choisir d’interrompre le fil principal pour aborder un autre sujet – mais il faut le dire clairement et revenir par la suite au sujet de base.
Pour trouver la ou les vraie(s) source(s) du problème, il s’agit de modifier son approche : d’abord en maîtrisant ses émotions pour éviter des conclusions trop simplistes et pouvoir changer son histoire, puis en envisageant plusieurs options, car un problème peut avoir différentes causes et il est plus responsable de partir à la recherche d’information que de céder à une pulsion biologique d’attaque. Cette recherche permettra de mettre en lumière toutes les influences susceptibles d’avoir favorisé l’émergence du problème. Pour soutenir cette démarche complexe, les auteurs ont formalisé dans un modèle les six causes et sources d’influence de tout comportement humain.
Chacune des six sources agit à un niveau personnel, social ou humain d’une part, et concerne la motivation ou la capacité d’autre part. La première source est la motivation personnelle : elle concerne le « vouloir faire », le caractère agréable de l’action – qui est à la base de l’erreur fondamentale d’attribution. La deuxième source est la capacité personnelle : c’est le « pouvoir faire », les compétences et les connaissances.
La troisième source est la motivation sociale, qui touche à la pression sociale. La quatrième source est la capacité sociale, ce que les gens (nous compris) font pour aider ou entraver une action. La cinquième source est la motivation structurelle : ce sont les sanctions et les récompenses. La sixième source est la capacité structurelle, qui comprend la proximité physique, la facilité des échanges, les indicateurs de suivi et autres rappels.
Pour régler un problème relevant de la motivation, il faut savoir qu’user d’un quelconque pouvoir, tenter de faire plier l’autre ou essayer de le changer est inutile.
Pour rendre un comportement motivant, il faut influencer la personne en lui présentant des conséquences naturelles de l’action auxquelles elle n’aurait pas pensé (conséquences pour les différentes parties prenantes, valeurs, perte à long terme, image renvoyée…), jusqu’à trouver l’argument auquel elle sera sensible. La sanction ne doit être envisagée qu’une fois cette démarche menée à terme sans résultat. Pour régler un problème relevant de la capacité, il s’agit de rendre les choses plus faciles, de chercher ensemble des solutions pour lever les freins de compétence. Une fois les points de blocage levés au cours de la conversation, il faut vérifier que la personne soit prête à adopter le comportement souhaité.
Pour clore efficacement une conversation cruciale et engager véritablement son interlocuteur dans la mise en œuvre d’une action, la dernière étape est de mettre en place un suivi précis, présenté et validé ensemble avant la fin de l’échange. « La manière de terminer une conversation cruciale est aussi importante que la manière dont nous avons mené l’ensemble de l’échange.
Si nous ne définissons pas un plan d’action, nous risquons encore et toujours d’être déçus par des engagements non tenus. Un bon plan d’action précise qui fait quoi pour quand et comment on en assure le suivi […]. Si vos attentes restent malgré tout insatisfaites, allez au-devant d’une nouvelle conversation cruciale » (p.182). Cela permettra d’éviter l’adoption d’un management trop relâché ou au contraire d’un flicage qui sont tous les deux sources de désengagement.
Les auteurs abordent également de nombreux cas plus difficiles, notamment une situation où l’on doit dire le fond de sa pensée sans blesser lorsque le message à faire passer est susceptible de froisser l’interlocuteur ; par exemple si notre interlocuteur est de bonne volonté mais que la qualité de son travail est insuffisante. La solution serait de valoriser avant tout sa bonne volonté, avant de lui faire part d’un point de développement en partageant précisément ses attentes, sous la forme d’un nouveau degré d’exigence. Puis, il s’agit de laisser à la personne le temps de répondre à ces nouvelles attentes, tout en organisant des échanges réguliers.
Enfin, un leader efficace et bienveillant se devra de savoir récompenser et célébrer le travail de ses équipes lorsque ses attentes sont atteintes voire dépassées. Cela permet de construire des relations de confiance – terrain favorable pour les conversations futures. Par crainte d’en faire trop, on préfère souvent garder les félicitations pour les très grandes occasions ; mais les plus grands leaders ont démontré le pouvoir incroyable des petites valorisations quotidiennes.
Cet ouvrage présente une méthode complète, précise et directement applicable pour engager et responsabiliser au travers de conversations cruciales.
Cette méthode nécessite avant tout de mettre de côté ses émotions et ses réactions biologiques pour prendre le temps d’analyser et de comprendre la réaction et la pensée de son interlocuteur (mais aussi la sienne) dans une situation problématique. Cette démarche permet d’entrer dans un échange constructif permettant de transformer les blocages en opportunités de progrès en termes de comportement, de résultat et de relation.
La conversation se prépare certes en amont, mais il ne faut pas avoir peur de s’adapter aux circonstances, de faire face à des vagues d’émotions, de prendre des décisions fortes ni de changer d’avis.
Cet ouvrage inspirant, convainquant et riche se veut la suite de l’opus Conversations cruciales. Savoir et oser dire les choses, mais il peut se lire indépendamment. Ici, les auteurs se focalisent sur une catégorie particulière de conversations cruciales, les situations où les engagements ne sont pas respectés, les paroles non tenues, les attentes insatisfaites ; des contextes difficiles gouvernés par le préjugé bien naturel que l’autre est de mauvaise foi et n’a pas envie de changer. Le livre offre des outils de communication pour mieux comprendre les rouages de la psyché humaine, mieux analyser les réactions, mieux comprendre les réactions pour mieux influencer.
Toutefois, l’influence est abordée ici de manière positive, dans le sens où ce savoir-faire est utilisé pour atteindre des objectifs communs, améliorer une organisation ou entretenir une relation interpersonnelle, professionnelle ou privée.
Ouvrage recensé– Kerry Patterson, Joseph Grenny, David Maxfield, Ron McMillan et Al Switzler, Crucial Accountability. Savoir et oser engager et responsabiliser, ©VitalSmarts France, 2019.
Des mêmes auteurs– Kerry Patterson, Joseph Grenny, Ron McMillan, Al Switzler et David Maxfield, Influencer. The New Science of Leading Change, ©VitalSmarts France, 2013.– Kerry Patterson, Joseph Grenny, Ron McMillan et Al Switzler, Conversations cruciales. Savoir et oser dire les choses, ©VitalSmarts France, 2016.
Autres pistes– Robert B. Cialdini, Influence et manipulation, Paris, Pocket, coll. « Evol – dev’t personnel », 2014.– Christel PetitColin, Savoir écouter, ça s’apprend ! Techniques simples et concrètes pour bien communiquer, Archamps, Éditions Jouvence, 2012.– Éric Singler, Nudge Management. Comment créer du bien-être, de l’engagement et de la performance au travail avec la révolution des sciences comportementales, Montreuil, Pearson, coll. « Management », 2018.