Dygest vous propose des résumés selectionnés et vulgarisés par la communauté universitaire.
Voici le résumé de l'un d'entre eux.
de Laurent Alexandre
L’intelligence est la principale source d’inégalités dans le monde. Or, l’intelligence s’hérite plus qu’elle ne s’acquiert et l’école échoue à remettre les enfants sur un pied d’égalité. Plus préoccupant encore : les progrès de l’intelligence artificielle devraient priver d’activité les personnes n’ayant pas une intelligence supérieure. Comment repenser l’éducation dans ce contexte ? Ne devrait-on pas prendre au sérieux l’augmentation artificielle de l’intelligence humaine ?
L’intelligence est la capacité à acquérir, à retenir et à utiliser les savoirs. Plus que les différences de genres, d’ethnie ou d’origine sociale, les différences d’intelligence sont la source de profondes inégalités entre les hommes.
En effet, un quotient intellectuel (QI) élevé est non seulement corrélé à la richesse des individus mais, de plus, à leur santé et à leur longévité. Dans son ouvrage, Laurent Alexandre démontre que les inégalités basées sur les différences d’intelligence sont amenées à se creuser. À l’heure où l’intelligence artificielle automatise, à moindre coût, des tâches intellectuelles de plus en plus sophistiquées, un haut QI devient une condition nécessaire pour accéder au marché du travail. Plus inquiétant encore : à mesure que les technologies pour doper artificiellement l’intelligence humaine se développent, nous pouvons craindre que s’opère une scission entre l’élite qui en bénéficiera et le reste de l’humanité.
La Guerre des intelligences, c’est donc le combat que nous devons mener pour que la majorité des hommes puisse s’épanouir et prospérer dans le monde qui se dessine. L’alternative est claire : démocratiser l’accès à l’intelligence ou voir l’humanité se fragmenter. Prendre ce combat au sérieux, comme nous y invite l’auteur, suppose de faire de faire le deuil de croyances profondément établies. Il s’agit, d’une part, de regarder en face l’incapacité de l’école à développer l’intelligence, et d’autre part, de faire sauter les verrous moraux à l’augmentation artificielle de l’intelligence humaine afin que tout le monde puisse en bénéficier.
L’avenir aura-t-il besoin de nous ? C’est une question que l’on peut légitimement se poser face à la révolution numérique.
Dans la nouvelle économie qui se dessine sous nos yeux, une poignée de petits génies en informatique peut ringardiser un secteur entier de l’économie (pensons à l’impact d'AirBNB, Amazon, Netflix ou Uber sur leurs secteurs respectifs). Dans ce contexte, seuls ceux qui sont les plus capables d’adaptabilité et de flexibilité mentale tirent leur épingle du jeu. Le problème est que ces compétences sont inégalement réparties dans la population. En particulier, la reconversion des travailleurs peu qualifiés qui subissent de plein fouet la diminution des emplois industriels est compromise… Et lorsque les politiciens se rendent à leur chevet, ils ne peuvent généralement qu’avouer leur impuissance ou formuler des promesses qu’ils ne sauront tenir.
Face à la perspective d’un chômage de masse durable, l’idée d’un revenu universel (RU), une allocation que l’on verserait sans condition à tous les membres d’une société, fait son chemin. En France, elle fut notamment portée par Benoît Hamon à la présidentielle de 2017. Cette idée est également populaire parmi les innovateurs de la Silicon Valley. Ces derniers anticipent en effet des destructions massives d’emplois qualifiés dans le sillage des progrès de l’intelligence artificielle et de la robotique.
Pour l’auteur, une telle mesure signerait la fin de la guerre de l’intelligence par capitulation : « Le revenu universel serait une façon commode de confiner la masse dans le calme et l’apathie, laissant les meneurs du monde dans la quiétude douillette de leur entre-soi » (p. 145). Il souligne que l’absence d’effort intellectuel dégrade rapidement la neuroplasticité (la capacité du cerveau à se reconfigurer pour intégrer des connaissances nouvelles), qui est pourtant la clé pour être adapté à un monde du travail en rapide évolution.
En nous soulageant de l’incitation à nous réinventer, le RU pourrait ainsi rapidement atrophier nos cerveaux. Mais si les professionnels de la politique ne sont pas capables de proposer une alternative crédible au RU face au chômage de masse c’est, selon l’auteur, qu’ils n’ont pas le courage de rompre un tabou...
La lutte contre les discriminations est le cheval de bataille de nombreuses associations et l’objet d’un pan entier de l’action publique en France. Pour cause : lutter contre les discriminations basées sur le genre, les préférences sexuelles, la religion ou l’origine, c’est favoriser la réussite professionnelle et sociale des publics les plus fragiles. L’auteur s’étonne alors que l’on n’ait jamais envisagé d’étendre cette idée généreuse aux discriminations basées sur les inégalités en matière d’intelligence.
Une raison généralement avancée, pour esquiver la discussion, est que le concept d’intelligence serait mal défini et que le QI ne permettrait qu’imparfaitement de la mesurer. C’est en partie vrai. Mais il n’existe pas, à ce jour, de meilleur indicateur de l’intelligence que le QI. Plus fondamentalement, l’intelligence, telle qu’elle est mesurée par le QI est le meilleur prédicteur de la réussite scolaire et professionnelle d’un individu (en comparaison par exemple de la motivation, l’estime de soi ou encore de l’autodiscipline). Qu’on le veuille ou non : les personnes à faible QI partent avec un lourd handicap . Dans le même temps, on comprend la difficulté à aborder les inégalités intellectuelles dans le débat public…
Personne n’est en effet prêt à entendre que son absence de réussite est principalement due à un manque d’intelligence. Comme le note l’auteur : « Il n’est pas concevable d’expliquer aux gens que leur situation est bien due à une discrimination, mais que cette discrimination est essentiellement celle de l’intelligence, sur laquelle on a peu de prise » (p. 119).
Dès lors, d’un côté du spectre politique, on expliquera les écarts de richesses par le fait que certains sont plus chanceux, voire plus malhonnêtes que les autres. De l’autre côté, on n’acceptera pas non plus l’explication du déterminisme génétique : on soupçonnera plutôt les pauvres de ne pas se donner les moyens de réussir. Pour cause : si les politiques finissaient pas briser le tabou de l’intelligence, ils seraient confrontés à un problème de taille…
Le constat est ancien : l’école est une machine à perpétuer les inégalités de départ. C’était déjà la thèse défendue Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron dans Les Héritiers (1964). En croisant les enquêtes socio-culturelles aux statistiques sur la réussite aux examens des étudiants, les deux sociologues observaient que les bons élèves étaient très majoritairement issus des milieux aisés et cultivés.
Partant d’un tel constat, on cherchera traditionnellement à compenser les inégalités de départ en attribuant plus de moyens et d’attention aux publics les plus défavorisés. Mais c’est, selon l’auteur, faire preuve d’un trop grand optimisme dans le pouvoir de l’école.
Laurent Alexandre soutient en effet qu’on naît intelligent plus qu’on le devient. La méthode privilégiée, pour mesurer la part de l’inné et de l’acquis dans la réussite scolaire et professionnelle des individus, consiste à comparer les performances de jumeaux ayant grandi séparément. En effet, dans la mesure où les jumeaux partagent quasiment 100% de leur patrimoine génétique, les différences que l’on observera pourront être imputées aux variations d’environnements. Les études menées dans cette perspective tendent à montrer que le patrimoine génétique pèse plus que l’environnement scolaire dans la réussite des individus ayant participé aux études. La conclusion qu’en tire l’auteur est sans concession : alors que les différences d’habilités intellectuelles ont un impact décisif sur la vie des gens, l’institution que nous avons conçue pour rétablir l’égalité ne peut le faire efficacement.
Allons-nous encore longtemps accepter cette situation comme une fatalité ? Ce n’est évidemment pas la position de l’auteur : « Dans quarante ou cinquante ans, accepter l’inégalité d’intelligence paraîtra aussi anormal, malsain et pathétique que d’accepter une supériorité sociale basée sur l’appartenance à la noblesse. On s’indignera à l’idée qu’on ait pu tolérer sans problème que deux individus supposés égaux soient en pratique séparés par 40 points de QI » (p. 206). Venons-en donc à la solution envisagée par l’auteur pour permettre à l’humanité de remporter cette guerre des intelligences.
C’est sans aucun doute la thèse la plus audacieuse du livre : si l’on veut démocratiser l’accès à l’intelligence, il faut que l’intelligence devienne une branche de la médecine. Pour le dire en des termes moins pudiques : il faut remplacer les méthodes d’éducation traditionnelles par un recours massif et généralisé à l’eugénisme et au transhumanisme. L’école, telle qu’on la connaît, repose en effet sur une technologie archaïque de transmission des connaissances. Cela est frappant si l’on compare, comme nous y invite l’auteur, l’évolution de l’enseignement à l’évolution de la médecine. Il n’y a, en effet, rien de commun entre un bloc opératoire dans un hôpital du début du siècle et un hôpital de 2020. Un fossé sépare les technologies employées, les savoirs déployés n’ont plus rien à voir.
En revanche, une salle de classe du début du XXe siècle nous serait étrangement familière : un professeur essaie tant bien que mal de faire passer des connaissances dans les jeunes cerveaux par la parole, la lecture et l’exercice. Alors que la médecine a opéré une révolution scientifique, l’éducation repose encore sur une méthode intuitive et artisanale. Mais, et c’est ce qui justifie la rupture souhaitée par l’auteur, quand bien même on arriverait à traduire les avancées de la recherche en psychologie de l’apprentissage en pratiques éducatives plus efficaces, les gains en matière d’intelligence seraient marginaux par rapport à l’enjeu.
En effet, l’intelligence artificielle, aujourd’hui, s’éduque plus qu’elle ne se programme. C’est qu’on appelle l’apprentissage automatique (machine learning) : la capacité des ordinateurs, à partir de l’analyse de données, à améliorer leurs performances et à résoudre des tâches sans être explicitement programmés pour chacune. Et l’école de l’IA est incomparablement plus rapide et efficace que celle de nos cerveaux biologiques : « Il faut trente ans pour produire un ingénieur ou un radiologue en chair et en os ; quelques instants pour éduquer une IA, lorsque les bases de données nécessaires sont disponibles » (p. 184).
Pour rester dans la course, l’être humain sera donc amené à augmenter artificiellement ses compétences. Pour ce faire, une première méthode, l’eugénisme, consiste à sélectionner les embryons qui présentent les marqueurs génétiques corrélés à de bonnes capacités intellectuelles. La seconde méthode passe par l’implant de composants électroniques dans le cerveau pour augmenter les facultés cognitives . Si le développement de ces technologies n’en est encore qu’à son balbutiement, les principales entraves à leur généralisation seront plus éthiques que techniques.
En 2016, une enquête internationale montrait que 13% des français jugeaient positivement l’augmentation du quotient intellectuel des enfants en agissant sur les embryons. De leurs côtés, les Indiens y étaient favorables à 38% et les Chinois à 39%. Le bioconservatisme des français et, plus généralement, des européens trouve ses racines dans l’histoire du XXe siècle : nous associons les tentatives de sélection génétique aux horreurs du régime nazi. Partant, nous sommes peut-être tombés dans l’excès inverse : « Le traumatisme de l’horreur nazie et le refus de croire au goulag stalinien ont durablement biaisé le débat en faveur de la vision marxiste niant toute idée d’une part innée dans ce que nous sommes » (p. 106). Nous pourrions donc avoir tendance à surestimer la capacité du système éducatif à rendre les hommes meilleurs. Mais si une partie de la population mondiale empreinte le toboggan de l’eugénisme, notre culture égalitaire accepterait-elle de condamner ses enfants à devenir le prolétariat intellectuel de la planète ?
Le tour de force de l’ouvrage est donc de présenter l’eugénisme pour une idée généreuse : le seul moyen réaliste de préparer les générations futures à un monde où le dépassement des limites naturelles de notre intelligence sera la condition d’une vie réussie.
Car si seule une minorité de privilégiés optait pour l’augmentation artificielle de son intelligence, l’inégalité qui en résultera sera inacceptable : « En quelques années, deux humanités apparaîtraient : l’une au QI hyper élevé, l’autre devenue, par la force de la relativité, déficiente mentale. Ces populations ne seront plus guère employables que pour des tâches extrêmement simples, celles-là même malheureusement qui auront été entièrement automatisées » (p. 224). Le raisonnement peut convaincre, mais repose-t-il sur des bases suffisamment solides ?
La thèse de l’auteur, comme on pouvait s’y attendre, a déclenché de vives réactions dans les milieux universitaires. Il lui a été, en particulier, reproché de manier avec trop de légèreté l’idée d’un héritage biologique de l’intelligence.
En effet, si on ne peut pas nier la prédisposition génétique, les études divergent sur le poids de l’environnement (familiale, éducatif) dans le développement réel de l’intelligence. Ainsi, aux résultats retenus par l’auteur sur les jumeaux répondent d’autres études démontrant que le poids de la génétique dans l’accomplissement scolaire et professionnel d’un individu dépendent de la société dans laquelle il évolue. S’il y a un consensus, c’est plutôt sur le fait que les gênes ne codent pas un destin, mais une potentialité. Il serait, dès lors, douteux de renoncer aux efforts pour améliorer l’école et les pratiques éducatives. Et ce d’autant plus que tout ce que l’on peut dire à ce jour sur les moyens d’augmenter artificiellement l’intelligence est spéculatif.
À cette critique, le statut d’entrepreneur de l’auteur, ayant notamment investi dans une entreprise de services en analyses génétiques, peut poser question : est-il porté par une volonté d’alerter le public sur les enjeux de la démocratisation de l’intelligence ? Cherche-t-il à contribuer au développement d’un marché de l’augmentation des capacités intellectuelles ?
Ceci dit, et pour peu qu’on l’aborde avec un regard critique, l’ouvrage présente un intérêt certain : celui de politiser des questions qui sortent rarement des cercles de discussions entre experts.
Ouvrage recensé
– La guerre des intelligences, Intelligence artificielle versus intelligence humaine, Paris, JC Lattès, 2017.
Du même auteur
– La Mort de la mort : comment la technomédecine va bouleverser l'humanité, Paris, JC Lattès, 2011.– La Défaite du cancer, Paris, JC Lattès, 2014.– Avec Jean-François Copé, L'IA va-t-elle aussi tuer la politique ?, Paris, JC Lattès, 2019.
Autres pistes
– Pierre Bourdieu & Jean-Claude Passeron, Les Héritiers: Les étudiants et la culture, Paris, les éditions de minuit, 2016 (1964).– Stanislas Dehaene, Apprendre ! Les talents du cerveau, le défi des machines, Paris, Odile Jacob, 2018.– Catherine Malabou, Métamorphoses de l’intelligence. Que faire de leur cerveau bleu ? Paris, Presses universitaires de France, 2017.– Stéphane Mallard, Disruption. Intelligence artificielle, fin du salariat, humanité augmentée, Malakof, Dunod, 2018.– Cathy O’Neil, Algorithmes, la bombe à retardement, Paris, Les Arènes, 2018.