Dygest vous propose des résumés selectionnés et vulgarisés par la communauté universitaire.
Voici le résumé de l'un d'entre eux.
de Nicolas Le Roux
Le 1er août 1589, Henri III est assassiné par un moine, Jacques Clément. Celui qui fut l’un des maîtres d’œuvre de la Saint-Barthélemy, dix-sept ans plus tôt, est devenu la cible haïe des catholiques zélés, désormais prêts à porter la main sur leur roi. C’est cet étrange basculement, reflet des radicalisations portées par les guerres de Religion, qu’éclaire Nicolas Le Roux en restituant les enjeux, les hésitations et les rêves d’un règne largement oublié. Un règne qui constitue pourtant un tournant décisif dans l’histoire moderne de la monarchie française.
Le 23 décembre 1588, Henri III fait assassiner le Duc de Guise, le chef de la Ligue qui rassemble les catholiques zélés dans une hostilité radicale aux protestants et à leur leader, Henri de Bourbon, roi de Navarre, devenu en 1584 héritier présumé du royaume de France.
Devant l’ampleur de la rébellion qui, dans de nombreuses villes du royaume, et en particulier à Paris, voit alors le jour, Henri III est forcé de s’allier au roi de Navarre pour vaincre l’armée des ligueurs, avant de mettre le siège devant Paris. C’est là, le 1er août 1589, alors que la capitale est prête à tomber, qu’un moine prétextant de livrer des informations importantes au roi parvient à se faire admettre en sa présence, pour le poignarder au ventre. Henri III succombe à ses blessures le lendemain, léguant au futur Henri IV sa couronne ainsi que ses ennemis.
Expliquer le geste de Jacques Clément suppose de se placer au carrefour des différentes causalités, avec leurs temporalités propres, qui ont rendu possible le régicide.
L’assassinat d’Henri III vient-il sanctionner l’échec d’une dynastie, celle des Valois, incapables de faire face aux conflits religieux, ou les innovations malheureuses de son dernier représentant ? Quelles furent les idées et les événements sur lesquels trébucha le prestige royal, au point de devenir, lui aussi, victime de la violence religieuse ?
L’ouvrage de Nicolas Le Roux livre l’analyse précise des causes, sinon des responsabilités, qui font du règne tronqué du dernier Valois un échec pour le pouvoir royal, mais aussi une opportunité d’essor pour une nouvelle dynastie.
Pour retrouver le contexte qui donne son sens au régicide, l’auteur montre l’importance d’interroger les troubles profonds que doit affronter la monarchie française depuis le début des guerres de Religion. Lorsque Henri III est appelé au trône de France, en 1574, à la mort de son frère Charles IX, celles-ci durent déjà depuis plus de douze ans, et amorcent le déclin de l’autorité royale.
C’est cette évolution défavorable que le nouveau roi de France entend enrayer, en mettant un terme aux affrontements entre ses sujets catholiques et protestants. Suivant les idées de sa mère, Catherine de Médicis, il souhaite placer le pouvoir royal au-dessus des affrontements confessionnels pour en faire une instance rationnelle qui rassemble les sujets du royaume dans l’obéissance.
Cette conception se décline dans deux principes de gouvernement qui caractérisent l’action politique d’Henri III : la clémence et le souci de réformation, la première rendant possible le second. Quand bien même la plupart des efforts de réforme portés par Henri III restèrent inaboutis, ils permettent d’apprécier la cohérence du projet du roi, au-delà des fluctuations de sa politique. Leur horizon, qu’il s’agisse de l’institution de l’ordre du Saint-Esprit, en 1578, ou d’une réforme monétaire, comme en 1583, est toujours moral : l’enjeu est de réconcilier l’être et l’apparence, de faire reculer la tromperie et le vice, pour permettre en définitive le retour de la concorde.
La réaffirmation du pouvoir royal, de ce point de vue, apparaît à la fois comme le but et comme le moyen de cette entreprise de pacification. C’est pourquoi les principales nouveautés introduites par Henri III, qui concernent la pratique du pouvoir lui-même, ne peuvent être interprétées sur le seul schéma machiavélien : la concentration du pouvoir entre les mains du roi, protégé par le secret de ses quelques collaborateurs, sert à prémunir le monarque des querelles d’influence et des rivalités, et à lui donner les moyens de sa politique d’apaisement et de réformation.
Il n’en reste pas moins que le nouvel isolement du pouvoir, avec le choix de collaborateurs obscurs rencontrés au cours de réunions secrètes, la centralisation des informations et du courrier, et surtout la restriction de l’accès des courtisans au roi, allant jusqu’à la mise en place de barrières autour de sa personne, choquèrent profondément la noblesse, loin de renforcer son obéissance.
Le peu d’adhésion remporté, a posteriori, par le projet d’Henri III a pu faire méconnaître la cohérence de la conception qu’il proposa à ses sujets comme voie pour sortir des guerres de Religion, et que Nicolas Le Roux parvient à restituer. Au centre de ce dispositif idéologique, se trouvait la figure renouvelée du monarque. Si Henri III mécontente de nombreux grands officiers de la Cour en ne tolérant pas d’intermédiaire entre lui et la noblesse du royaume, c’est pour que chacun sache que toute grâce lui vient directement du roi, et pour que la fidélité au monarque soit le ciment d’une cohésion du royaume retrouvée.
Henri III commence ainsi par réglementer précisément les usages de la Cour pour en faire un microcosme pacifié, au comportement exemplaire. Autrement dit, un modèle pour exporter dans le reste du royaume la paix civile et religieuse. De la même façon, les favoris, dits mignons du roi, que sont les ducs de Joyeuse et d’Épernon, distingués par des faveurs insignes, peuvent être interprétés comme des modèles de dévouement au roi et de respect de son projet pacificateur proposés à l’aristocratie.
Le roi lui-même se présente comme un exemple de piété et de dévotion ; plus encore, il cherche à promouvoir une nouvelle image de sacralité douloureuse et pénitente de sa propre personne. La fondation de nombreuses confréries de pénitents, dont la compagnie des confrères de la Mort à laquelle il appartient lui-même, s’inscrit dans cette politique pénitentielle. En remplaçant la pompe publique par la pénitence privée, Henri III rompt avec la représentation traditionnelle du corps royal en majesté. L’image qu’il présente à ses sujets contribue dès lors bien plus à sa désacralisation qu’elle ne la contrecarre. De même que sa libéralité envers ses favoris ou la distance qu’il impose aux courtisans, les démonstrations de piété du roi échouent à enrayer la perte de prestige de l’autorité royale, et, par là-même, l’accentuent.
Si les efforts du roi et de son entourage pour promouvoir son image et son action s’avèrent si peu persuasifs, c’est aussi parce que la perte d’influence du roi est déjà trop avancée. Les conflits religieux endémiques ont abouti à radicaliser de nombreux milieux, auxquels la modération affichée par le roi semble elle-même bien vite suspecte.
D’autres autorités, au sein de chaque parti, lui font désormais une concurrence significative, qui s’incarne dans des rivalités personnelles : celle avec le Duc de Guise, auquel le Paris ligueur fait une confiance aveugle, en est le meilleur exemple. Du côté catholique, les sujets s’en remettent volontiers au pape, qui, pour le moins partisan, met en échec l’idéal religieux de concorde d’Henri III, en allant, après l’assassinat des Guise, jusqu’à mobiliser contre lui l’excommunication, son arme la plus redoutable. Pour ne pas perdre la main face à ces influences concurrentes, le dernier Valois cherche plusieurs fois à prendre les devants.
À l’été 1588 par exemple, sentant l’influence croissante des ligueurs, il prend lui-même l’initiative d’une campagne militaire contre les protestants. Ces manœuvres, quand elles réussissent à lui conserver une part de commandement, lui font cependant encourir l’accusation d’hypocrisie, voire d’athéisme.
Refusant de choisir son camp, le roi doit essuyer les critiques des protestants aussi bien que des catholiques : c’est ce qui explique qu’elles finissent par s’influencer réciproquement. L’auteur s’emploie ainsi à faire la généalogie des théories s’en prenant à la majesté royale, en soulignant l’héritage huguenot qui habite nombreuses élaborations ligueuses. Des auteurs de pamphlets catholiques, comme le curé parisien Jean Boucher, empruntent dans les années 1580 des démonstrations entières aux monarchomaques, ces théoriciens huguenots comme François Hotman ou Philippe Duplessis-Mornay qui, après la Saint-Barthélemy, avaient attribué au peuple le principe divin du pouvoir pour faire de l’autorité royale le seul résultat d’un contrat. Si le roi ne remplit pas ses obligations au sein de ce contrat, et en particulier, pour les ligueurs, l’exigence d’extermination des hérétiques, il perd sa légitimité.
Les partisans du Duc de Guise n’hésitent ainsi pas à nier la royauté d’Henri III après que celui-ci a fait assassiner leur chef. Bien que le régicide ne soit pas ouvertement prôné, la sacralité de la personne royale a pourtant succombé à l’atmosphère de violences et d’inquiétude religieuses.
Alors que la dignité inaltérable du roi est mise en question, son action cesse d’apparaître comme une intervention elle-même indiscutable. Au lieu de rétablir l’équilibre du royaume et son fonctionnement naturel, elle participe à son tour à l’engrenage des violences et des vengeances qui catalyse les affrontements religieux.
Or, le dernier Valois s’est rendu responsable de nombreux usages de la violence par lesquels, conformément à la conception renaissante du pouvoir explicitée notamment par Machiavel, il convient de forcer la fortune au moyen de certains coups de force opportuns.
Le massacre de la Saint-Barthélemy, dans lequel le futur roi a joué un rôle non-négligeable, marque une étape importante dans cette escalade de la violence qui s’attache désormais à la personne d’Henri III. L’assassinat du Duc de Guise, et de son frère le cardinal de Guise, représente une autre opportunité de se défaire de la tutelle embarrassante d’un parti, cette fois dirigée contre les catholiques zélés. Mais le roi a sans doute été surpris par l’étendue de la rébellion consécutive à ce coup de force : elle montre déjà que sa conception de ses propres droits et prérogatives est largement contestée.
Commence alors l’affrontement entre le camp royal et la Ligue menée par les autorités municipales de Paris et les princes et princesses de la maison de Lorraine, parents des Guise. L’auteur s’attache à restituer avec la plus grande précision l’enchaînement des événements qui donnent son visage à cette nouvelle phase de la guerre civile. La violence des actions militaires se double d’une accentuation du discours de haine, proféré par les auteurs de pamphlets parisiens – 237 libelles de propagande sont ainsi publiés à Paris entre janvier et juillet 1589 – et surtout les prédicateurs de la capitale.
On procède ainsi, dans Paris et dans d’autres villes ligueuses, à des destructions des symboles de la dynastie, qui apparaissent comme autant de régicides symboliques. Cela montre aussi la profondeur des enjeux politiques de cette opposition au roi, à sa politique fiscale et à sa conception jalouse du pouvoir, de la part de la bourgeoisie de plusieurs villes du royaume.
Cette violence culmine avec le siège de la capitale par les forces royales, alors que, sous la pression des parisiens lassés, les prédicateurs redoublent de véhémence : c’est dans ce contexte que Jacques Clément, dont on ne sait à quel degré il fut manipulé par les chefs de la Ligue, conçoit son projet d’assassinat du roi.
Après la mort d’Henri III, l’interprétation du régicide devient le champ de bataille idéologique où s’affrontent ligueurs et partisans d’Henri IV. Les premiers, à Paris surtout, se lancent dans une vaste offensive de justification du geste de Jacques Clément, dont on fait à la fois un martyr et l’instrument de Dieu pour châtier le roi impie et délivrer la capitale ligueuse sur le point de tomber.
De fait, l’armée royale faisant face à de nombreuses défections après la mort d’Henri III, son successeur lève le siège de Paris. Les nombreux libelles qui y paraissent pour diaboliser plus encore le roi assassiné, et qui forgent alors sa légende noire, peuvent être interprétés comme un aveu cathartique de la transgression que représente le régicide. L’auteur y voit aussi une façon de conjurer la peur de la vengeance des proches du dernier Valois, à commencer par Henri IV, que les ligueurs refusent de reconnaître comme roi.
C’est précisément pour renforcer la légitimité du nouveau roi que les partisans d’Henri IV s’attachent à défendre l’honneur de son prédécesseur, puisque l’illégitimité d’Henri III rejaillirait nécessairement sur sa succession. Les polémistes proches du roi s’en prennent donc à la théorie du tyrannicide justifiant l’assassinat par le fait qu’Henri III, devenu tyran, aurait perdu sa dignité royale et mérité de mourir. Les qualités du défunt roi, sa clémence en particulier, sont alors rappelées, tandis que les arguments ressortissant à la diabolisation sont retournés contre les ligueurs : à l’anagramme d’Henri de Valois « Vilain Hérodes » répond celui de Jacques Clément : « C’est l’enfer qui m’a créé ». Par ailleurs, pour s’assurer l’adhésion des anciens partisans d’Henri III, le premier roi Bourbon doit assumer la mission de venger son prédécesseur, en cherchant à unir dans cette cause la noblesse catholique et protestante.
Cependant, justement parce que c’est la pacification qui doit l’emporter, la réhabilitation du dernier Valois sous le règne d’Henri IV reste limitée. Lorsque la victoire du nouveau roi est assurée, des amnisties sont édictées qui protègent en particulier les membres de la maison de Lorraine et mettent un terme à la politique de vengeance. De la même façon, Henri IV, converti au catholicisme sollicite sa propre absolution auprès du pape, et prend garde d’y ajouter celle de son prédécesseur. En définitive, l’assassinat d’Henri III représente un événement providentiel aussi bien pour les ligueurs que pour leurs adversaires, en permettant l’avènement d’une nouvelle dynastie.
En même temps qu’Henri III, meurt la conception du pouvoir royal propre à la Renaissance, et exacerbée en quelque sorte par son dernier représentant. L’analyse profonde de Nicolas Le Roux fait du geste de Jacques Clément l’aboutissement d’une longue histoire de la violence religieuse qui finit par se cristalliser sur la personne du roi. Le régicide sanctionne ainsi l’inadaptation du dispositif idéologique mis en œuvre par Henri III, jusque dans la mémoire que les générations postérieures en gardent.
Par là-même, cet assassinat rend possible une révolution dans la conception du pouvoir royal à mettre au crédit du premier roi Bourbon. Nobles protestants et catholiques acceptent alors de suivre un même monarque par égard pour la loi salique, ou loi de succession, réaffirmée comme loi fondamentale du royaume. La fin des guerres de Religion se laisse déjà entrevoir, même si l’assassinat d’Henri IV, en 1610, montre que la restauration du prestige royale est loin d’être achevée au début du XVIIe siècle.
La recherche de Nicolas Le Roux sur les origines idéologiques du régicide de 1589 s’inscrit dans un courant qui étudie la gestation culturelle de la violence religieuse au XVIe siècle à l’aune des rapports entre culture des élites et culture populaire.
Ce mouvement prit son essor après la publication, en 1990, des Guerriers de Dieu de Denis Crouzet. Un régicide au nom de Dieu ne se limite cependant pas à une analyse en amont, mais apporte une contribution importante, et saluée par la critique, au problème de l’émergence de la monarchie absolue et de droit divin sous le règne d’Henri IV, en dialogue, entre autres, avec Joëlle Cornette.
Ouvrage recensé– Un régicide au nom de Dieu : l’assassinat d’Henri III, 1er août 1589. Paris, Gallimard, 2006
Du même auteur– Le Roi, la cour, l’État : de la Renaissance à l’absolutisme, Seyssel, Champ Vallon, 2013.
Autres pistes– Joël Cornette, Le roi de guerre : essai sur la souveraineté dans la France du Grand Siècle. Paris, Payot, 1993.– Denis Crouzet, Les guerriers de Dieu : la violence au temps des troubles de religion, Seyssel, Champ Vallon, 1990.– Jean-François Solnon, Henri III : un désir de majesté, Paris, Perrin, 2001.