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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

Vous allez commettre une terrible erreur

de Olivier Sibony

récension rédigée parValentine ProuvezÉducatrice spécialisée, doctorante en Études Psychanalytiques (Montpellier, Université Paul Valery).

Synopsis

Psychologie

Cet ouvrage est l’édition revue et augmentée du best-seller, Réapprendre à décider, paru en 2015. Olivier Sibony s’adresse ici aux consultants, experts ou dirigeants (et plus largement aux lecteurs intéressés par la prise de décision stratégique) en analysant les types d’erreurs que nous commettons le plus fréquemment dans nos prises de décisions. Exemples à l’appui, il montre que ces erreurs ne sont la plupart du temps pas liées à l’incompétence des décideurs, mais à la détermination de mécanismes inconscients : les biais cognitifs. Olivier Sibony établit ici une « cartographie » des types d’erreurs les plus fréquents et de leurs biais, et propose une méthode permettant de les dépasser.

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1. Introduction. L’illusion de décider en pleine conscience.

Un bref regard sur les comportements humains montre à quel point nos déterminations peuvent-être irrationnelles. Les modes de vie que nous adoptons, nos choix alimentaires, la consommation de substances nuisibles pour notre santé, la tendance à acheter compulsivement des choses dont nous n’avons pas besoin montrent que ce que nous choisissons pour nous-mêmes est loin d’être toujours dans notre intérêt. Il en va de même sur le plan social, dans nos choix politiques et économiques ; et même là où nous ne l’aurions pas soupçonné : dans le fonctionnement des entreprises.

Celles-ci disposent pourtant de moyens techniques très avancés pour soutenir leurs prises de décision. Mais, l’actualité révèle que les « désastres » entraînés, par exemple, par des prises de risques inconsidérées, des négligences, de mauvaises décisions stratégiques n’y sont pas moins fréquents.

Dans le milieu de l’entreprise comme dans nos expériences quotidiennes, Olivier Sibony repère une même source d’erreur : non pas, comme nous le croyons ordinairement, l’incompétence ou la folie du décideur, mais cette croyance suivant laquelle nos représentations et nos choix seraient exclusivement déterminés par des motifs rationnels.

Notre méconnaissance des processus inconscients qui biaisent continuellement notre pensée est à l’origine de ce phénomène étrange : loin de tirer parti de nos expériences, nous continuons de répéter les mêmes erreurs. Nous nous trompons toujours de la même façon. Reposant sur la psychologie cognitive et les neurosciences, les analyses conduites par ce spécialiste de la prise de décision stratégique lui ont permis d’identifier les « biais cognitifs » qui nous font systématiquement retomber dans les mêmes « pièges ».

Quels sont-ils ? Et surtout : comment pouvons-nous les combattre pour prendre de meilleures décisions ?

2. La puissance de détermination des biais cognitifs

En 1975, deux escrocs se rapprochent des dirigeants d’Elf Aquitaine, géant de l’industrie pétrolière alors contrôlé par l’État. Les deux hommes prétendent avoir conçu un procédé novateur par lequel la présence de pétrole dans les sous-sols pourrait être détectée à partir d’un avion.

La supercherie était grosse, mais les dirigeants d’Elf et les représentants de l’État (y compris le président et le Premier ministre) s’y sont pourtant laissés prendre. En quatre ans, les deux hommes détourneront ainsi un milliard de francs. Comment cela a-t-il pu se produire ? Comment deux simples escrocs ont-ils pu abuser de personnes solidement formées au management ? La réaction générale a été la moquerie et l’indignation : quels incapables !

À l’évidence, cela ne serait jamais arrivé à d’autres. Pourtant en 2004, trente ans plus tard, la même scène se rejoue. Erlend Olson, le fondateur de la start-up Terralliance, se rapproche notamment de la banque d'affaires Goldman Sachs et de Kleiner Perkins (« capital-risqueur » de renom) pour financer l’ultime mise au point de ses recherches : il aurait découvert comment détecter du pétrole depuis un avion ! Une fois de plus, on ne découvrit aucune trace de pétrole, et l’affaire causa aux investisseurs un préjudice d’un demi-milliard de dollars !

Ces exemples dignes d’un scénario hollywoodien montrent bien que même les professionnels les plus expérimentés sont susceptibles de commettre d'incroyables erreurs, dont les conséquences peuvent être absolument désastreuses. L'expérience ne protège donc pas contre l'erreur !

En multipliant les exemples, empruntés cette fois à des situations plus ordinaires, Olivier Sibony démontre que ce scénario est bien plus fréquent qu’on ne le croit. Il s’agit même ici du « piège » le plus répandu dans lequel nous précipitent nos biais cognitifs : celui du « storytelling », qui désigne la tendance de notre esprit à fabriquer des histoires en associant systématiquement les éléments de notre expérience. Cette opération n’est pas en soi pathologique : les biais cognitifs sont en effet des « raccourcis » pris par notre pensée qui nous permettent de réagir rapidement et intuitivement aux situations rencontrées.

Ces processus inconscients sont à l’origine des intuitions, convictions et pressentiments qui déterminent quotidiennement nos prises de décision. Ces connexions se fondent à la fois sur les valeurs de notre désir et sur nos expériences passées. Elles ont pour fonction de soutenir notre jugement, d’orienter nos prises de décision, et donc de libérer notre esprit pour réaliser des opérations complexes.

Pour cette raison, les biais cognitifs doivent donc être considérés comme des « facilitateurs » dans notre vie quotidienne : ils nous permettent d’effectuer des choix simples et de nous adapter spontanément à toutes sortes de situations. Mais pour ce qui concerne nos prises de décision stratégiques, les choix engageant lourdement notre avenir et celui de nos associés, ces processus inconscients constituent manifestement de dangereux conseillers. La priorité absolue de tout décideur devrait donc être de contrôler ses biais.

3. 5 grandes « familles » de biais influent la prise de décision stratégique

Ce contrôle exige bien évidemment au départ une prise de conscience et une certaine connaissance de ce que sont ces biais. Or, cette opération constitue une tâche bien difficile pour au moins trois raisons. La première tient au caractère inconscient de ces processus : il est absolument impossible de prendre conscience de ses propres biais par des procédés introspectifs.

D’autre part il est à relever que « la classification des biais n’a rien d’une science exacte » (p.184), de sorte qu’il est aujourd’hui encore bien difficile de s’y repérer. Croisant les travaux les plus récents, le site « Wikipédia » établit ainsi une liste de plus de 200 biais ! Comment pourrions-nous focaliser notre attention sur autant d’éléments ? Enfin, les biais cognitifs n’agissent jamais isolément, mais toujours en association : il est ainsi très compliqué d’identifier l’ensemble des biais qui entrent en jeu dans la détermination d’une erreur. Pour faciliter leur repérage et leur mémorisation, Olivier Sibony a donc choisi de centrer son propos sur l’analyse des biais qui interviennent de manière récurrente et significative dans la prise de décision stratégique. Il propose de les regrouper schématiquement en 5 grandes familles.

La plus importante d’entre elles est celle des « biais de modèle mental », qui sont « à la source des hypothèses par lesquelles tous nos raisonnements commencent » (p. 185). C’est ici le point de départ de toutes nos erreurs de jugement, auquel s’associeront chacun des autres biais. La seconde famille est celle des « biais d’action » qui nous poussent à prendre des risques considérables en raison d’un excès de confiance, d’une surestimation de nos capacités et de nos moyens, mais aussi d’une dépréciation de ceux de nos adversaires.

À cette famille s’oppose celle des « biais d’inertie » qui nous poussent au contraire à renoncer à agir par peur de la perte, de l’échec. Il nous propose également distinguer les « biais de groupe », qui nous déterminent à adopter les points de vue et attitudes du groupe (c’est-à-dire à agir par conformisme) et enfin les « biais d’intérêts », « l’appât du gain », qui conduit les décideurs à opter inconsciemment pour ce qui leur apporterait un profit personnel. Les deux tiers de l’ouvrage sont ainsi consacrés à l’identification des « pièges », des erreurs-types dans lequel peut à tout moment tomber le « décideur ». Nous trouvons là une base de données précieuse pour combattre l’influence des biais cognitifs.

4. Renoncer à la figure du décideur « héroïque » pour combattre les biais

À la lecture de cet exposé détaillé, nous pourrions penser que nous sommes désormais « armés » et suffisamment avertis pour ne plus tomber dans les « pièges » que nous tendent nos déterminations inconscientes. Nous pourrions aussi imaginer consulter systématiquement la liste des erreurs-types répertoriées dans ce livre et les vérifier une à une, avant chaque prise de décision importante. Pourquoi pas également, comme le font aujourd’hui de nombreuses personnes, décider de nous faire aider par ces thérapeutes « experts » qui proposent aujourd’hui de nous débarrasser de nos biais « comme s’il s’agissait de kilos superflus » (p. 198) ?

L’auteur nous avertit cependant : « un biais est une erreur dont nous ne prenons jamais conscience, dont nous ne faisons jamais l’expérience » (Id.) ; nous ne pourrons donc jamais acquérir la maîtrise de nos biais ni encore moins en « guérir » ! C’est ce que l’on appelle le « bias blind spot » ou « point aveugle des biais ». Nous savons par ailleurs que plusieurs biais se conjuguent dans la détermination d’une même erreur, de sorte qu’en agissant sur l’un nous créons la plupart du temps sur les autres un dangereux effet de renforcement. Comment pouvons-nous donc lutter contre ces processus inconscients ? Comment les dirigeants peuvent-ils parvenir à les contrôler, si ce n’est à les écarter lorsqu’ils ont à prendre des décisions à haut risque ? Olivier Sibony répond à ces questions essentielles en citant la parabole biblique : « On voit la paille dans l’œil du voisin, mais pas la poutre dans le sien ».

Tout décideur, si compétent qu’il soit, est exposé à l’influence des biais cognitifs. La méthode que préconise Olivier Sibony est donc d’abandonner la vision idéale que nous en avons, le modèle du héros intuitif et infaillible « à la John Wayne » au profit d’une autre figure légendaire : celle d’Ulysse. Conscient qu’il ne pourra pas plus que les autres résister au chant des sirènes, ce héros de la mythologie demanda en effet à ses matelots de le lier au mât et de lui boucher les oreilles jusqu’à ce que le danger soit écarté. Il s’interdit d’imposer à son équipage de brusques changements de cap, de donner aucun ordre jusqu’à s’être assuré de pouvoir prendre de nouveau les bonnes décisions.

Tout comme Ulysse, « l’art » d’un bon dirigeant réside donc dans sa capacité d’élaborer une méthode et de s’appuyer sur la force de ses collaborateurs pour résister à ses propres biais. Le décideur doit ainsi s’abstenir de prendre des décisions par la force de ses intuitions. Il doit au contraire les distancier, les combattre en incitant les membres de son équipe à exprimer des points de vue divergents.

Le débat et le dialogue sont, selon Olivier Sibony, les seules armes véritablement efficaces pour lutter contre l’influence des biais. Il s’agit donc de lutter contre le « groupthink », contre cette tendance des hommes à se soumettre à l’autorité de leur leader et à adopter systématiquement des points de vue conformistes, pour que se produise par la réflexion collective un effet de décentrage.

5. Conclusion

Les organisations accueillent pourtant difficilement en leur sein des personnalités « rebelles », capables de formuler des opinions divergentes, voire contestataires. Elles acceptent encore moins de les impliquer dans leurs prises de décisions stratégiques. Cela assure certes aux membres d’une équipe un sentiment de cohésion et même un certain confort, et au dirigeant de se sentir reconnu dans sa position d’autorité…

Mais cela constitue surtout un terrain particulièrement fécond pour l’expression incontrôlée de nos biais cognitifs. C’est ainsi que le fantasme, le « storytelling » peuvent se substituer au jugement rationnel dans la prise de décision stratégique, au risque d’entraîner pour le collectif des conséquences absolument catastrophiques.

L’objectif de ce livre est d’aider le décideur à prendre conscience des erreurs-types dans lesquelles il est susceptible de tomber, et d’autre part de lui fournir un certain nombre de clés, d’outils qui lui permettront de construire sa propre « architecture de la décision ». C’est ce que l’on appelle le « nudge » : un « coup de pouce » aidant la décision. Ce sont des techniques permettant d’éviter de tomber dans les pièges tendus par les biais cognitifs.

6. Zone critique

Le concept de « nudge », ailleurs appelé « théorie du paternalisme libéral », est transversal aux sciences comportementales, politiques et économiques. Il renvoie à un ensemble de théories et de techniques permettant d’influencer la prise de décision par des suggestions indirectes.

Ces méthodes qui ont été popularisées par les travaux du prix Nobel d’économie (2017) Richard Thaler et du juriste Cass Sunstein, Nudge : la méthode douce pour inspirer la bonne décision (2018) connaissent aujourd’hui un succès important dans le milieu de l’entreprise. Elles font cependant l’objet de critiques sévères, notamment de l’économiste Jean-Michel Servet, fondées sur des considérations éthiques : l’économie comportementale ne devrait-elle pas être considérée comme une incitation à la manipulation ?

7. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé

– Olivier Sibony, Vous allez commettre une terrible erreur ; combattre les biais cognitifs pour prendre de meilleures décisions, Paris, Flammarion, 2019.

Du même auteur

– Réapprendre à Décider, éditions, Paris, éditions Débats Publics, 2015.

Autres pistes

– Bernard Garrette, Phelps Corey, Sibony Olivier, Cracked it! - How to solve big problems and sell solutions like top strategy consultants, Palgrave MacMillan, 2018.– Sébastien Dathané, Décider dans un monde complexe : voyage au cœur de nos décisions, Paris, Éditions Maxima, 2015.– Daniel Kahneman, Système1 / Système2 : Les deux vitesses de la pensée, Paris, Flammarion, coll. « Essais », 2012.– Jean-Michel Servet, L’économie comportementale en questions, Editions Charles Leopold Mayer, 2018.– Nassim Nicholas Taleb, Le Cygne Noir. La puissance de l'imprévisible, Paris, Les Belles Lettres, 2008.

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