Dygest vous propose des résumés selectionnés et vulgarisés par la communauté universitaire.
Voici le résumé de l'un d'entre eux.
de P. Jourdan, V. Jourdan, J.-C. Pacitto
Entre les crises qui éclatent ici ou là dans le monde et les avancées technologiques qui bousculent les habitudes, les entreprises ont de plus en plus de mal à maîtriser la relation client. Comment répondre à leurs nouvelles attentes et s’adapter à leurs multiples fonctionnements ? Il est donc impératif de définir de nouveaux repères. C’est ce que proposent les auteurs du Marketing de la grenouille : une nouvelle classification des profils de consommateurs afin de fournir aux entrepreneurs une information actualisée pour les aider à s’adapter à des comportements de plus en plus changeants et multiples.
La mondialisation et l’apparition de l’économie digitale ont profondément changé la manière de consommer. Quels produits proposer et de quelle manière les commercialiser dans un marché où cohabitent des hyper consommateurs et des militants contre le gaspillage ? Comment répondre aux désirs des uns en respectant les besoins des autres ? Comment connaître les acheteurs d’aujourd’hui ? On note, par exemple, un engouement des Français pour la formule « drive » (plus de 3000), alors que cela reste confidentiel en Grande-Bretagne, en Italie ou aux États-Unis. La succession des crises au cours des cinquante dernières années a été à l’origine d’une surenchère du discount de la part des distributeurs.
Mais celle-ci semble atteindre ses limites. La loi Hamon du 17 mars 2014 a voulu poser un cadre pour redonner du pouvoir au consommateur et équilibrer les relations entre les producteurs et les distributeurs. Au cœur de tous ces mouvements des marchés, le consommateur est devenu imprévisible. Il passe d’un canal de distribution à un autre, compare les prix, négocie ou décide de reporter ses achats… Bien que certaines pratiques se retrouvent de manière constante chez tous les consommateurs, les auteurs ont dégagé cinq profils à partir de critères sociaux et comportementaux. Une classification destinée à proposer un support de réflexion aux distributeurs pour élaborer leur marketing.
Rompu aux arcanes de la distribution, le touche-à-tout est peut-être l’héritier direct de la société de consommation telle que nous la connaissons depuis les années 60. Autrement dit, acheter ne répondait plus à un besoin, mais à un désir qui se transformait en un acte de plaisir d’acquérir, avant un nouvel achat, puis un autre, etc. Spirale infinie de la consommation.
Un français sur cinq (22%) est un consommateur touche-à-tout. Plutôt issu des classes moyennes, âgé de 45 à 54 ans, il représente la plus large catégorie de consommateurs avec quelques 12 millions de Français, également répartis entre hommes et femmes.
Le touche-à-tout connaît tous les rouages de la consommation. Il est celui qui a recours aux stratégies les plus variées pour effectuer ses achats au meilleur rapport qualité/prix. Il sait négocier, comparer les prix, utiliser Internet pour se renseigner et préparer ses achats. Il utilise tous les canaux de distribution en sélectionnant celui qui lui rapportera le plus.
Convaincu de sa capacité à négocier, il est peu fidèle aux marques et préfère se débrouiller en solo. Individualiste, il achète pour lui-même, se méfie des autres et n’adhère pas aux regroupements collaboratifs, au troc ou à toute autre forme d’échange. Centré sur son intérêt personnel avant tout, il semble attiré par l’ubérisation, non par opinion, mais plutôt par l’idée qu’il s’en fait d’être un autre moyen de gagner sur les prix.Éclectique, le touche-à-tout tient, avant tout, à réaliser de bonnes affaires. Quand il peut obtenir de la haute qualité à bas prix il est encore plus satisfait. Il tient à garder le contrôle, il est capable d’attendre le meilleur moment pour réaliser un achat si cela lui fait gagner une bonne remise. Il connaît les offres, les opérations à prix coutant, les déstockages… Ce n’est pas un acheteur impulsif, c’est un calculateur.Comment convaincre un touche-à-tout ?
Les marques ont tout intérêt à bien lui expliquer d’où vient le produit, comment il est fabriqué et où, car le touche-à-tout va à la pêche aux informations. Il est pourtant difficile à localiser, car, individualiste, il ne communique pas sur les réseaux sociaux.Elles ont aussi intérêt à bien justifier les différences de prix qu’elles proposent et à lui donner les moyens de comparer. De toute manière il cherchera à le faire par lui-même si la marque ne le lui propose pas.Pour toucher cette catégorie de consommateurs, il est préférable d’être présent partout (Internet, magasins…), car le touche-à-tout n’est attaché à aucun mode d’achat particulier.
Il est prêt à perdre sur la qualité du service si cela lui rapporte au niveau du prix. Adepte de la banque en ligne et de l’autonomie dans ses démarches, il est possible de l’intégrer dans une démarche de co-élaboration de marque, par exemple. Pour peu que l’enseigne sache le courtiser en lui proposant une rémunération ou une remise exceptionnelle, il peut, via sa participation, réussir à lui rester fidèle.
Bien que qualifié de « digital native » par les auteurs de l’étude, le vigile n’a pas forcément connu Internet toute sa vie. Même si la proportion de 18-24 ans y est plus importante que dans l’ensemble de la population française (18,5% versus 12%) ce sont quand même les plus de 55 ans (c’est-à-dire la tranche d’âge la plus répandue en France) qui représentent la plus grosse partie des vigiles.
À l’instar du touche-à-tout, le vigile est motivé par le meilleur prix. Mais il passe encore plus de temps à faire des comparaisons sur Internet, 91% de ses achats sont consécutifs à une étude comparée sur le net. Il sait attendre le meilleur moment, les soldes, les offres diverses, les ventes privées. Il fait partie de ceux qui réservent longtemps à l’avance afin de payer moins cher.
Il a aussi pour particularité de tenir compte de ses dépenses personnelles (factures, charges…) qui peuvent l’inciter à limiter ou reporter ses achats. Le profil du vigile est directement lié à l’apparition des comparateurs sur Internet, des ventes privées ou des sites de réservation en ligne.Il ne s’agit pourtant pas toujours de répondre à un besoin de respect de budget. Les forts pouvoirs d’achat sont très représentés dans cette catégorie ainsi que les étudiants. Leur comportement répond plutôt à un besoin de ne pas se tromper : il faut acheter au meilleur rapport qualité/prix et ne pas se faire avoir. Cela n’empêche pas le plaisir de consommer bien que le vigile veille toujours à ce que son achat soit justifié et que l’objet acheté soit utile.
Comment convaincre un vigile ?
En lui proposant beaucoup de possibilités pour faire ses achats.Pour lutter contre la procrastination, il est important de rassurer ce type d’acheteur. Par exemple avec un site Internet bien fait, très clair ; Il faut qu’il puisse vérifier les garanties, les possibilités de retour ou d’annulation de commande, en d’autres termes il doit avoir confiance et se sentir libre à tout moment. À noter que la présence d’un avatar peut être perçue comme un détail rassurant, qu’il s’agisse de celui qui « essaie » le vêtement pour le consommateur ou celui qui interagit avec lui en répondant à ses questions. Le vigile est le profil qui a le plus de chances d’être intéressé par des systèmes d’achat comme les « drive » ou le « click and collect ».Le yield management, c'est-à-dire le fait d’optimiser la mise en place des prix en fonction d’un calendrier et de la saisonnalité, est particulièrement bien adapté à ce profil.
Le récessionniste tient compte de ses factures et fait en sorte de limiter ses dépenses soit parce qu’il est contraint économiquement soit parce qu’il craint de le devenir, soit, plus rarement, par principe parce qu’il rejette la société de consommation.
C’est le profil le plus répandu (24,8%) ce qui représente environ 15 millions de Français avec 64% de femmes et le plus grand nombre de jeunes. C’est aussi le profil dans lequel se retrouve le plus grand nombre de chômeurs.
Comme les deux profils précédents, lui aussi compare les prix avant d’acheter ; cependant, il est celui qui limite le plus ses dépenses. Il est aussi celui qui vérifie ses tickets de caisse.
Dans le cas du récessionniste, la comparaison des prix est beaucoup plus anxiogène : il ne s’agit pas de faire la chasse aux bonnes affaires, il s’agit plutôt de trouver la possibilité d’acheter, malgré les difficultés financières.Comment convaincre un récessionniste ?
Toutes les politiques de baisses de prix sont les bienvenues. Il faut noter que parmi les récessionnistes qui revendiquent le rejet des dérives de la société de consommation, certains trouvent dans cette attitude un alibi pour évacuer ou dissimuler la frustration de se voir empêché de consommer à sa guise.
Ces consommateurs sont méfiants. Il est donc recommandé d’accompagner les baisses de prix d’arguments explicatifs ou de mettre en avant une démarche éthique forte.L’une des solutions déjà exploitée dans les hypers est de réduire les conditionnements afin de faire baisser mécaniquement les prix.
11 millions de Français sont des négociateurs, soit 18 % de la population, majoritairement des hommes (60%), âgés de plus de 55 ans appartenant aux classes moyennes. Les jeunes ainsi que les classes les plus modestes – deux catégories de population qui auraient le plus besoin de négocier les prix – sont sous-représentés parmi les négociateurs.
Il semblerait que la pratique de la négociation s’accompagne d’une notion de compétences que beaucoup considèrent ne pas détenir. Ceux qui ne négocient pas n’osent pas le faire. À peine 30% des Français déclarent négocier leur salaire lors d’un entretien d’embauche.
Le comportement du négociateur se manifeste de trois manières :
- La négociation du prix directement avec le vendeur sur le lieu de vente. Pratique répandue chez les concessionnaires automobiles, par exemple.- La négociation d’un cadeau, ou d’un avantage particulier (remise, paiement différé…) ; Pratique très répandue dans le monde de la cosmétique qui a carrément créé un « marché » pour les cadeaux (échantillons, pochettes, accessoires…)- Le chantage affectif : « Si je n’ai pas ma remise, je rends ma carte de fidélité ».
Comment convaincre un négociateur ?Le marché fourmille d’outils multiples incitant à la négociation tels les comparateurs de prix. Ce qui a pour résultat de rendre les consommateurs de plus en plus exigeants. Les commerçants sont alors contraints de céder pour réussir à vendre. Pour autant il est impossible et injustifié de tout brader. Il faut donc former les vendeurs à la négociation, leur enseigner comment défendre les notions de conseil et de service pour justifier un prix que l’on ne souhaite pas baisser.
Utiliser les comparateurs de prix pour « empêcher » le négociateur de faire ses recherches lui-même en se montrant pro-actif. Comme le fait, par exemple, Leclerc avec son application « quiestlemoinscher.com ». L’idée est de passer avant le négociateur.Utiliser la communication pour préparer le consommateur à accepter le prix, comme le fait, par exemple, Axa avec « quialemeilleurservice.com » mettant l’accent sur la prestation suggérant que le prix n’est pas tout.Oser appliquer la négociation directe sans intermédiaire. C’est un peu ce qu’essaient de faire les hôteliers qui tentent de reprendre la main pour se libérer des plateformes de négociation en ligne.
Ce profil de consommateurs est celui qui se rapproche le plus de la répartition de la population française par tranches d’âge. Son profil semble être plus déterminé par un choix que par une situation sociale.
Cela semble assez logique puisque ce profil incarne le vécu de la société, qu’il s’agisse de la baisse de revenus ressentie par les classes moyennes ou de la crainte des retraités de voir leur pouvoir d’achat continuer à baisser dans les prochaines années. Les Français calculent de plus en plus leur budget et prennent des mesures de restriction de dépenses. Cela se constate dans pratiquement toutes les couches de la société.Réaliste, voire pessimiste, le minimaliste n’est pas un stratège de la consommation. Sage et réfléchi, il peut se montrer conservateur en restant fidèle à ses enseignes, peu convaincu de l’intérêt de courir les fausses bonnes affaires. C’est un modéré qui sait contrôler ses dépenses. Il fait lui-même ses arbitrages, suit son budget et contrôle ses factures.
Plutôt convaincu que les crises économiques à répétition vont continuer, voire s’aggraver, il est plutôt dans une attitude d’adaptation et de résilience.
Comment convaincre un minimaliste ?Par nature peu enclin à céder aux sirènes d’un marketing flatteur, le minimaliste reste assez étanche à un système de consommation qu’il considère ne plus correspondre à sa vision du monde.
Il faudrait proposer un marketing plus dépouillé ne pratiquant pas la surenchère permanente, mais donnant des informations simples, qualitatives et éthiques sur les produits.
Mettre en avant, face au marketing de masse, une communication personnalisée décrivant un service concret plus simple, neutre, avec un prix pour un service clair associé à une offre sans fioritures, favorisant un coût rationnel et des prix raisonnables.Le minimaliste déteste les prospectus ; certaines marques pourraient peut-être remplacer ce budget de communication par une offre simple sans ambiguïté en le reportant sur les prix sans que cela donne l’air de s’adresser à une population appauvrie.
Les distributeurs ont intérêt à se positionner sur tous les canaux pour répondre à ces différents profils, à multiplier les stratégies commerciales. Plus que jamais il faut s’adapter et faire preuve d’agilité. Revendiquer son image de marque et rester sur son positionnement ne suffit plus. Connaître et fidéliser sa clientèle ne sont plus à l’ordre du jour : elle change sans arrêt.
Pour autant les cartes sont si souvent redistribuées que même une attitude disruptive ne garantit pas la réussite. Le client a pris la main sur le marché, il fait ce qu’il veut, quelquefois il fait même tout et son contraire, affichant une méfiance, voire une défiance vis-à-vis des marques tout en négociant ou comparant parce qu’il a, malgré tout, envie de continuer à consommer. C’est là où les marques ont encore leur carte à jouer.
Il n’y a pas si longtemps, les commerçants anticipaient les comportements de leurs acheteurs, préparaient leurs actions commerciales longtemps à l’avance et cela restait fiable. La vente se faisait en fonction d’un système « SONCAS », six motivations (S comme Sécurité, Orgueil, Nouveauté, Confiance, Argent et Sympathie) qui caractérisaient les types d’acheteurs.
Ce système a fait long feu et c’est tant mieux. D’autant que les acheteurs n’ont sans doute pas toujours le même profil selon ce qu’ils achètent. La distribution récolte la défiance face à une forme de manipulation qu’elle a elle-même semée. La solution est sans doute de revenir aux fondamentaux : l’accueil, le conseil et le service, le tout avec des prix rationnels. C’est peut-être ce qui pourrait réconcilier les consommateurs avec leur commerce : revenir au bon sens commerçant en étant moins « commercial ».
Ouvrage recensé– Le marketing de la grenouille, Éditions Kawa, 2016.
Des mêmes auteurs– Jourdan Philippe, François Laurent, Pacitto Jean-Claude, À nouveau consommateur, nouveau marketing-Zoom sur le conso-battant, Dunod, coll. « Fonctions de l‘Entreprise », 2011.
Autres pistes– Tom Kelley, David Kelley, La Confiance Créative- tous innovateurs avec le Design Thinking, InterEditions, coll. « Épanouissement », 2016.– Michel Montrosset, Thibaut Ferrali, Marketypes, les archétypes de Jung au service des marques, Bourin François Eds, coll. « Economie », 2015.– Franck Rosenthal, Booster le commerce, place à la création et à la créativité, Editions Kawa, 2016.