Dygest vous propose des résumés selectionnés et vulgarisés par la communauté universitaire.
Voici le résumé de l'un d'entre eux.
de Pierre Gaxotte
L’ouvrage – son premier – paraît en 1928. Il est qualifié de « livre-bombe » car il dresse un paysage très critique de la période révolutionnaire, en montrant la violence, l’anarchie, parfois la bassesse de certaines figures révolutionnaires. Tout au long de ses seize chapitres, il dévoile au lecteur des détails surprenants, des raisonnements économiques dans une profusion de données historiques, de noms et de dates qui provoquent le vertige mais transportent sans conteste dans l’ambiance du siècle. Le paysage de la Révolution, tel qu’on se l’imaginait, est renversé.
L’auteur soutient la thèse d’une Révolution ayant plongé la France dans la guerre, la famine et une crise économique sans précédent. Ce faisant, il déconstruit également les figures tutélaires de la Révolution : Danton, Marat, Robespierre sont présentés sous de sombres couleurs.
En maniant avec adresse les chroniques et les thèses des auteurs qui se sont intéressés à cette période (Taine, Cochin, Mathiez) Gaxotte dépeint d’abord le portrait d’une France pré-révolutionnaire où l’on vivait bien. Progressivement, une agitation s’empare du pays, l’économie étant elle aussi touchée par des récoltes plus faibles. La Révolution se prépare, puis elle triomphe, cruelle, face à ses ennemis internes et externes. Si le Roi tient bon un temps dans la prison du palais des Tuileries, le trône finit par s’écrouler. Louis XVI est exécuté et le pays est plongé dans le chaos de la Terreur.
Exsangue, le peuple ne veut plus d’instabilité : la vague successive de révoltes laissera la place au consulat de Bonaparte.
L’importance et le pouvoir de la royauté sont considérables à la sortie du Moyen-Âge. Le Roi veille sur les intérêts d’une France pré-révolutionnaire que Pierre Gaxotte décrit comme prospère.
Quand la souveraineté s’émiette après les guerres du Moyen Âge, c’est le Roi, « ouvrier de l’unité nationale » qui agrandit et met en valeur le pays, du Nord au Sud. Il fait l’objet d’un culte, il est dans le cœur des gens. Comparé au « gouvernement bureaucratique », contemporain à l’auteur, le royaume est « un par la personne du souverain, multiple par ses institutions ». La diversité du pays fait qu’il résiste aux entreprises gouvernementales : il lui faut donc un gouvernement « respecté et craint ». Le Roi assure cette lourde tâche, appuyé sur son Conseil, ses bureaux et ses six ministres. L’administration y est « sage », « travailleuse », « dévouée au bien public ». Les grands corps de l’État (créés sous les Bourbons) y forment la « noblesse d’État ».
La Révolution éclatera donc dans un « pays fleurissant et en plein essor » et qui détient la moitié du numéraire existant en Europe : on y trouve une Bourse, des banques, de bonnes routes et un système de communications. Les paysans, en grande partie propriétaires, sont décrits, eux comme réticents à payer leurs impôts. Ils mènent une vie paisible et possèdent, à la veille de la Révolution la moitié de leur sol, mais comme l’impôt est payé d’après les signes extérieurs de richesse, ils préféreraient, feindre la pauvreté.
Dans ce paysage où l’on découvre avec étonnement que, « si ce n’est pas encore le bien être, c’est quelque chose qui y ressemble beaucoup », l’État, lui, est pauvre car la vie de cour est assez dispendieuse. On pratique l’emprunt, on augmente les taxes. Mais, surtout, une crise « intellectuelle et morale » survient, se matérialisant en une doctrine révolutionnaire.
La politique révolutionnaire s’impose dans un royaume où la monarchie s’affaiblit sous un Louis XVI naïf et conciliant. Des libellistes protestants de Hollande et d’Allemagne « inondent la France ». Montesquieu et Voltaire voyagent à Londres, la littérature germanique pénètre en France, les esprits sont « troublés » par des « thèmes idylliques, sentimentaux et moralisateurs ». La conscience d’un « esprit éclairé » émerge.
Rousseau établit les bases d’un Contrat social qui subordonne les contractants à la volonté générale, exprimée par les plus éclairés. Comme la lecture se répand, les associations de beaux esprits « pullulent », la « République des initiés » s’organise. Le « Jacobin socialiste » est en voie de naître en France.
La conversation s’enrichit de philosophie, Rousseau ou Voltaire sont reçus et adulés par les plus fortunés, dans les salons, des femmes sont « transformées en législateurs ». La jeune noblesse française se persuade que le meilleur gouvernement est la démocratie. De Malesherbes, directeur de la librairie et philosophe, favorise les parutions des ouvrages de Diderot, Rousseau, Voltaire, d’Alembert, Duclos.
Le « parti philosophique » se structure tandis que les Parlements s’opposent au roi, défendant les privilèges de leurs castes. À la cour, il règne une « mode de liberté » : les souverains s’affranchissent des entraves, en proie à des coteries. Les pamphlets remplissent la ville de Paris. Les « ressorts de l’autorité se détendaient un à un ». Les chambres de lecture sont dépeintes par Gaxotte comme des « clubs insurrectionnels » et le gouvernement, en dépit de ses moyens, ne gouverne plus.
Dans un contexte de mécontentement économique éclate la révolte qui mène à la prise de la Bastille. L’économie du pays se porte mal en raison de mauvaises conditions climatiques de 1777 à 1788. L’industrie chancelle aussi et des ouvriers se retrouvent au chômage. Les personnes instruites du royaume sont sollicitées pour l’élection et l’organisation de la future assemblée. Ce sont les États généraux. Les Parlementaires et les Libéraux s’opposent.
Le Tiers État obtient un nombre égal de députés. Le conflit ne réside pas entre le peuple et la monarchie mais entre le tiers état et les deux premiers ordres – le clergé et la noblesse. Gaxotte décrit une confusion générale : on réorganise les circonscriptions électorales, les électeurs sont désorientés.
Le Club des Trente – réunissant entre autres Mirabeau et La Fayette – élabore des brochures contre l’ancien régime (ex. de Sieyès, Qu’est-ce que le tiers-état ?). Les cahiers de doléances sont façonnés par ceux qui les rédigent (hommes de loi), les demandes paysannes sont laissées dans l’ombre. Le 10 juin 1789 le tiers-état se proclame Assemblée nationale dans un paysage orné d’indécision et de désordre : c’est l’« anarchie » ! Des foules se concentrent sur Paris : les malfaiteurs se mêlent aux émeutiers, la violence se répand.
Le gouvernement est surpris par la violence, la police comptant peu d’hommes dans la capitale. Les rentiers défendent leur argent, les banquiers soutiennent les révolutionnaires, l’édifice financier s’écroule. Est dépeinte une « décomposition totale de la société » : on envahit et on ouvre les prisons.
Le 14 juillet, le gouverneur de la Bastille cherche sans succès à discuter avec les représentants des assiégeants. Il est pris et décapité. Selon Gaxotte, c’est à ce moment-là que la gauche, pour justifier ces violences, « invente la légende de la Bastille » ! Cette prise de la Bastille révèle, selon l’auteur, la faiblesse du régime qui aurait pu s’organiser et faire face aux révoltes. Le Roi, humilié devant les « insurrectionnistes », accepte toutes leurs demandes. On vote la suppression des droits féodaux. Louis XVI et la reine finiront par être délogés de Versailles et contraints de s’installer aux Tuileries.
Après ces événements, une période de calme apparent s’installe mais Louis XVI reste prisonnier dans son palais. Les « fausses rumeurs » et alertes produisent une « excitation méthodique de l’opinion », défavorable au Roi. À gauche se constitue le Club des Jacobins (de son vrai nom Société des Amis de la Constitution). Siégeant au couvent des Jacobins, rue Saint-Honoré, il compte environ 1000 membres. En face, le Club monarchique fait encore opposition.
Le député Mirabeau, personnalité hors-normes, « ami de la liberté », est royaliste dans son âme et, doué d’une grande intelligence, tente à plusieurs reprises de conseiller Louis XVI pour sauver la monarchie. Mais ses visions modernes ne parviennent pas à convaincre le Roi.
Les mutineries éclatent parmi les ouvriers et les militaires, la situation économique se dégrade et on tente de la redresser en déclarant les biens du clergé à la disposition de la Nation créant une Caisse de l’Extraordinaire qui émet des « assignats ».
Prisonnier aux Tuileries, Louis XVI n’est pas non plus libre de ses opinions : les « Clubs » et l’Assemblée lui dictent quoi dire et penser. Il songe à quitter Paris et parvient en effet à s’enfuir en cachette avec sa famille dans la nuit du 20 juin 1791 jusqu’à Varennes où il est reconnu. À Paris, La Fayette répand la rumeur que le roi aurait été enlevé par les ennemis de la Révolution. Louis XVI et les siens sont contraints de rentrer à Paris sous les injures et les violences d’une foule déchaînée.
Ramené aux Tuileries, le Roi est rétabli dans ses droits. Car, selon Gaxotte, sans Roi, toute l’œuvre de la constituante s’écroulerait. Le 14 septembre 1790 le Roi accepte la Constitution des Révolutionnaires. La Révolution est alors en voie de triompher.
En raison de pénuries, « la guerre civile sévit en permanence » dans le pays. Sur le plan externe, les puissances européennes – la Russie, l’Autriche, la Prusse et l’Angleterre – ne peuvent pas mieux rêver pour en tirer profit. La Terreur s’installe en France puis elle s’écroule. Des vagues de révolte successives, surgit une figure nouvelle : Bonaparte. Le 20 avril 1792 le Roi déclare la guerre à l’Autriche. L’armée, bien qu’affaiblie et désorganisée, est victorieuse à Valmy, le 20 septembre 1792. En effet, une armée révolutionnaire de 300.000 hommes avait été recrutée « parmi les pauvres » pour grossir les rangs. À Paris, les patriotes de province grossissent, eux, les rangs des émeutiers. Un chant de guerre s’entend : la Marseillaise. L’on envahit le palais royal et l’on tue sauvagement le personnel. Le Roi parvient à se retirer à l’Assemblée, puis, lui et sa famille sont internés dans la Tour du Temple. Le 21 septembre, la royauté est abolie et le 25 la première République est déclarée. Louis XVI, reconnu coupable de « conspiration contre la sûreté générale de l’État », est exécuté le 21 janvier 1793. On promet par décret liberté et rescousse à tous les peuples d’Europe, à condition de se soumettre à la loi révolutionnaire. Mais en province, on s’indigne et on veut abattre la Convention parisienne. Marat se fait ainsi assassiner dans son bain par une jeune fille résolue à libérer le pays. Les massacres au nom de la République se perpétuent partout en France : « toute cité rebelle à la Révolution doit ’’disparaître de la surface du globe’’ ». On viole des femmes, on fait fusiller des prisonniers, on fait noyer des prêtres. La France révolutionnaire est en passe de devenir un cimetière. Carnot prend les rênes de l’armée qui doit affronter la Prusse et l’Autriche alliées et finit par l’emporter avec son armée mélangeant des soldats d’origines différentes. La Révolution est triomphante face aux ennemis intérieurs et extérieurs et la Terreur est incorporée à la défense nationale. Cependant, les conditions sont très dures : une bataille pour le contrôle de l’opinion publique est livrée par la presse. Le maximum, une taxe sur toutes les denrées de première nécessité, est installé. L’État se bureaucratise, le nombre de ministères croit, on contrôle les paysans. On impose un nouveau calendrier pour supprimer le dimanche.
Au Comité du Salut public, Robespierre joue un rôle-clé dans la Révolution. Comme les révolutionnaires se scindent, il en fait arrêter et guillotiner un grand nombre, dont, Danton. Il songe à remplacer le culte religieux – désormais interdit – par une religion civile incorporée à l’État : il fait ainsi adopter l’existence de « l’Être suprême ». Mais, en proie à la vanité – certains le prenaient pour le Messie – Robespierre et ses complices finiront par être conduits à la guillotine. Le pays se soulève une nouvelle fois. Clercs, ouvriers, paysans, bourgeois sont d’accord : ils ne veulent « plus de communisme ! » et « la Commune de Paris avait été décapitée le 15 thermidor » écrit d’une plume un étonnamment anachronique Gaxotte. Consacré bien après mais né au siècle des Lumières, le terme est employé par l’auteur tel quel.
À peine la situation politique stabilisée à l’intérieur et à l’extérieur du pays que d’autres émeutes surgissent de nouveau. L’on cherche quelqu’un pour donner des gages au régime. C’est Bonaparte qui prendra la commande des troupes de l’intérieur. Le 2 novembre 1795, les Directeurs installés aux Tuileries y trouveront un palais délabré. En mal de trouver leurs ministres, ils inventent un nouveau papier monnaie et pratiquent une politique financière maladroite. La guerre est envisagée comme solution pour que, en cas de victoire, l’on puisse compter sur des contributions forcées de la part des adversaires. C’est ainsi qu’une marche sur Vienne est envisagée et Bonaparte choisi pour la conduire.
« Le petit officier corse » devient la principale puissance de la République et, très vite, l’interlocuteur des plus grands. Les Républiques du Nord de l’Italie devenues des alliées de la France, renflouent les caisses françaises. Le Directoire ne peut que s’en résigner. Le peuple aspire au calme et à la sécurité. Bonaparte, allié des Directeurs est ministre de la guerre. Après un plan d’expédition en Égypte en 1798 échoué, il rentre incognito à Paris où il semble être l’homme de la situation. Par une intervention habile, secondé de son frère Lucien, Bonaparte devient consul, aux côtés de Sieyès et Roger-Ducos. C’est ainsi que Gaxotte met point final à ce récit sombre de la Révolution, dans sa première édition.
La force de cet ouvrage réside dans sa démonstration et le maniement de la description : on se croirait sur place à entendre les cris, à sentir l’odeur du sang qui coule de la guillotine, à vivre le vacarme incessant des rues parisiennes.
On y croise surtout, de près, d’illustres personnages : Necker, Rousseau, Mirabeau, Danton, Marat ou encore Robespierre à qui Gaxotte consacre un chapitre entier. Ramenés à échelle humaine, ils nous sont rendus accessibles par de savoureux détails de leurs biographies. Tel est le paysage de la Révolution française décrit par Pierre Gaxotte : une noire et cruelle époque de Terreur.
Le livre de Gaxotte étonne et bouscule le lecteur habitué à d’autres récits révolutionnaires. Inscrit définitivement dans la lignée de l’histoire contre-révolutionnaire, le livre a toujours cet effet de « bombe », près d’un siècle après sa publication, imposant une vision sombre de la Révolution française.
En effet, depuis les thèses de Gaxotte, les historiens ayant comme objet d’étude cette période tant fantasmée ont créé après dans les années 1970 un espace de controverse historiographique. L’on peut citer ainsi les thèses de François Furet qui, depuis, a magistralement « révisé » la Révolution Française en la réhabilitant.
Ouvrage recensé– La Révolution française, Paris, Fayard, 1928.
Autres pistes– François Furet, Penser la Révolution française, Paris, Gallimard, 1985.– François Furet et Denis Richet, La Révolution française, Paris, Fayard, 2010 [1963].– L’Ère des Révolutions. 1798-1848, Paris, éditions Complexe, 1988. – Roger Chartier, Les origines culturelles de la Révolution française, Paris, Éditions du Seuil, 1999 [1990].– Mona Ozouf, Varennes. La mort de la royauté (21 juin 1791), Paris, Gallimard, 2005.