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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

Le Traumatisme

de Sándor Ferenczi

récension rédigée parValentine ProuvezÉducatrice spécialisée, doctorante en Études Psychanalytiques (Montpellier, Université Paul Valery).

Synopsis

Psychologie

Cet ouvrage rassemble des notes de travail rédigées par Sándor Ferenczi dans les dernières années de sa vie. Celles-ci ont en commun d’aborder la question du traumatisme, d’un point de vue psychanalytique. Ce sont essentiellement des ébauches d’articles et fragments du journal clinique tenu par Ferenczi entre janvier et octobre 1932. Ces textes sont tous restés à l’état inachevé. Le traumatisme fait ainsi apparaître par touches « impressionnistes » le génie clinique et théorique de ce psychanalyste, et la force de son engagement auprès de ses patients.

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1. Introduction : un clinicien « expert » dans le traitement des traumatismes

Ferenczi était réputé pour recevoir en consultation des individus dits « inanalysables », parmi lesquels des personnes gravement traumatisées. Il était en effet si convaincu des possibilités thérapeutiques offertes par l’approche psychanalytique que l’idée de renoncer à soigner ces patients difficiles était pour lui inconcevable.

Résolu à apprendre par ses patients eux-mêmes comment les accompagner, il s’est aventuré par l’analyse sur des terrains jusqu’alors inexplorés. Les résultats thérapeutiques obtenus lui ont permis de se distinguer rapidement en tant que spécialiste des problématiques afférentes au traumatisme.

Les réflexions présentées ici sont l’œuvre de toute une vie. Ce n’est curieusement qu’en 1930, soit 3 ans avant sa mort, que Ferenczi s’est engagé dans la rédaction de ces notes de travail qui ne seront publiées que de façon posthume.

Les textes réunis dans Le Traumatisme sont des ébauches d’articles et des fragments issus du journal cliniques tenu par le psychanalyste entre janvier et octobre 1932. Ils font apparaître l’extraordinaire richesse de ses observations cliniques, la finesse et l’ingéniosité de ses analyses théoriques.

2. Les conflits entre Freud et Ferenczi autour de la théorie du trauma.

L’œuvre de Ferenczi doit être située dans le contexte de sa relation avec Freud, qui demeura jusqu’à sa mort le destinataire symbolique de ses écrits. Depuis leur rencontre en 1908, Freud constitua pour Ferenczi une figure de référence : il fut son analyste, son maître et son ami. Leur correspondance presque quotidienne, les voyages effectués ensemble attestent de la réciprocité de ce lien affectif, cependant teinté d’ambivalence.

On sait que Freud fut embarrassé par les nombreuses demandes affectives, troublantes par leur caractère infantile, que lui adressaient Ferenczi. On sait également que la cure psychanalytique entreprise par Ferenczi avec Freud le troubla si profondément qu’il dut « reprendre » et « rectifier » ce travail avec un autre analyste. Mais c’est probablement au niveau de leurs conceptions cliniques et théoriques, en particulier autour de la question du traumatisme, qu’éclatèrent entre eux les plus violents conflits.

Est-ce la raison pour laquelle Ferenczi, qui avait pourtant acquis une renommée internationale pour ses qualités de théoricien et de clinicien « expert » dans les problématiques afférentes au traumatisme, ne se décida à rédiger et communiquer ces conceptions qu’à la toute fin de sa vie ?

La réaction de Freud, à la lecture du texte présentant les conceptions de Ferenczi sur les causes et les facteurs – l’étiologie – du traumatisme (« Les émotions des adultes et leur influence sur le développement de la vie sexuelle et du caractère des enfants »), que celui-ci devait prononcer au congrès de Wiesbaden en 1932, est à ce titre édifiante : « choqué » par ces idées, Freud tenta par tous les moyens de le dissuader de participer à ce congrès et fit même pression sur les organisateurs pour annuler son intervention.

Ferenczi prononça pourtant ce texte, mais Freud réussit alors à le convaincre de différer d’un an sa publication. Ferenczi mourut sans que l’article ait pu paraître, et les disciples de Freud se chargèrent de maintenir non seulement cette communication, mais avec elle toute son œuvre dans l’oubli.

Certains allèrent jusqu’à répandre la (fausse) rumeur selon laquelle Ferenczi aurait été atteint d’une pathologie mentale… C’est dire si les conceptions théoriques et thérapeutiques ferencziennes de la notion de traumatisme ont été jugées menaçantes par la communauté freudienne.

3. Le trauma, entre réalité et fiction

La notion de traumatisme appartient aux fondamentaux de la psychanalyse et sa théorisation a constitué l’objet d’enjeux déterminants. On sait que l’abandon de la méthode cathartique (hypnose) par laquelle Freud entendait alors guérir les patientes hystériques, en faisant remonter à la conscience les souvenirs de scènes traumatiques refoulées (censurées puis durablement exclues de la pensée), constitue l’acte inaugural de la psychanalyse.

Freud abandonne la notion de traumatisme pour faire prévaloir la notion de « réalité psychique » (c’est-à-dire l’imaginaire, la construction fantasmatique) dans la cure psychanalytique. Celle-ci s’oriente dès lors comme la recherche des désirs refoulés (et non plus des scènes traumatiques, des évènements réels) qui sont à l’origine de la formation des symptômes.

Les hystériques ne souffriraient donc pas selon Freud des conséquences d’un événement traumatique, mais de l’insistance de leurs désirs refoulés pour se réaliser de façon fantasmagorique. Sans pour autant abandonner complètement ni définitivement la notion de traumatisme, Freud place ainsi l’accent sur le rapport désir-interdit plutôt que sur la réalité factuelle pour expliquer ces phénomènes.

C’est ici que s’opposent les conceptions de Freud et de Ferenczi. Ferenczi appréhende en effet le traumatisme comme un événement réellement vécu, que l’esprit encore trop immature ou débordé par la violence du choc, aurait alors été incapable de traiter et d’intégrer. Le souvenir de cet évènement traumatique est présent dans la mémoire mais décroché des autres expériences vécues, c’est-à-dire hors-sens. Les émotions qui devraient lui être associées sont par ailleurs absentes ou discordantes. C’est ce défaut d’intégration qui explique selon Ferenczi la grande confusion qui se manifeste lorsque l’individu tente d’évoquer, ou simplement de se remémorer le « réel » de la scène traumatique.

L’activité fantasmatique (l’imagination, les rêves, voire les associations délirantes) particulièrement intense qui se développe autour de cet évènement traduit un effort continuel de l’esprit pour « abréagir » (c’est-à-dire pour rectifier après-coup) ce qui avait alors été vécu dans un état de sidération : la personne traumatisée tente de « rejouer » (symboliquement) la scène traumatique afin de lui apporter une résolution.

Toute l’énergie psychique est ainsi mise au service de ce besoin de réparation.

4. L’auto-clivage narcissique et l’identification à l’agresseur

Ferenczi décrit l’événement traumatique comme « un choc inattendu, non préparé et écrasant » ayant sur l’organisme l’effet d’un anesthésiant : cela se traduit par « l’arrêt de toute espèce d’activité psychique, joint à l’instauration d’un état de passivité dépourvue de toute résistance ».

Ce phénomène de paralysie physique et psychologique se produit lorsque la souffrance dépasse un seuil au-delà duquel l’esprit ne parvient plus à la supporter. La personne qui mobilisait jusqu’alors toutes ses forces pour maintenir « l’unité de sa personnalité » en se raccrochant à l’espoir que la torture psychologique ou physique finirait tôt ou tard par s’arrêter se « rend » sous l’effet de la violence : lorsqu’il semble que « cela ne vaut plus la peine de rassembler ces choses douloureuses en unité, on se fragmente en morceaux. Je ne souffre plus, je cesse même d’exister tout au moins comme moi global. ».

Le psychisme va élaborer une stratégie de défense consistant à suspendre temporairement l’activité de pensée et les investissements de la réalité (dont les sensations et les émotions) afin que celle-ci ne puisse plus l’impacter. La personnalité se fragmente, de façon à isoler durablement ce qui se rapporte au vécu traumatique : c’est cette opération que Ferenczi désigne par le concept « d’auto-clivage narcissique ». Une part de la personnalité continue de se développer comme si l'évènement n’était pas arrivé, ou n’avait eu aucun impact sur le plan psychologique. Une autre subsiste à l’état inerte, mortifiée par l’excès de souffrance.

Ferenczi a par ailleurs découvert un autre mécanisme de défense jouant un rôle essentiel dans la formation des troubles psychologiques d’origine traumatique, celui de « l’identification à l’agresseur » : « La peur, quand elle atteint son point culminant, les oblige à se soumettre automatiquement à la volonté de l’agresseur, à deviner le moindre de ses désirs, à obéir en s’oubliant complètement et en s’identifiant totalement à l’agresseur. ». Cette théorie devenue essentielle en psychologie a notamment inspiré le concept actuel du « syndrome de Stockholm » (sentiments d’amour que les victimes peuvent développer à l’égard de leur agresseur).

Ferenczi décrit ce phénomène comme un mécanisme de défense secondaire à « l’auto-clivage narcissique », par lequel la personne agressée se retire psychologiquement de la scène traumatique. L’identification totale à l’agresseur est un mécanisme de survie permettant de faire disparaitre celui-ci en tant que réalité externe et de dénier sa violence.

Ce phénomène serait plus fréquent chez les enfants, en particulier lorsque le traumatisme est vécu dans la sphère familiale. Il s’explique par le besoin de « faire tenir » psychologiquement celui dont on est dépendant, et de maintenir avec lui un lien de tendresse.

5. Clinique psychanalytique du traumatisme

Pour Ferenczi, l’attitude qu’adoptent les adultes à l’égard de l’enfant qui a subi un choc psychologique joue un rôle absolument déterminant dans la formation du traumatisme.

Or, comme il l’écrit « ceux-ci font généralement preuve d’incompréhension psychique à un très haut degré […] ou bien réagissent par un silence de mort » : c’est-à-dire qu’ils font fréquemment subir à l’enfant une violence supplémentaire, celle du « désaveu ».

Le trauma sera d’autant plus pathogène que les personnes auxquelles se confie l’enfant le poussent à dénier ce qu’il a vécu et renforcent en lui un sentiment de culpabilité qui impulsera cette opération d’auto-censure que constitue le refoulement. Ces réactions produisent ainsi un renforcement « après-coup » de l’auto-clivage narcissique et contribuent à la formation de la névrose traumatique. La censure parentale est en effet « introjectée » (intégrée) dans le psychisme sous la forme d’une instance psychique particulière : le « surmoi ».

L’injonction au silence et le sentiment de culpabilité liés à la condamnation (jugement dépréciatif voire punition) de la victime par son entourage vont se répéter systématiquement par l’opération du surmoi, chaque fois qu’elle tentera d’ « abréagir » fantasmatiquement le trauma. Si la personne épuise ses forces psychiques à essayer de rejouer fantasmatiquement l’événement traumatique, c’est-à-dire à le remettre en scène dans son vécu actuel (sous une forme symbolique) afin de pouvoir s’en libérer, ce surmoi cruel se charge ainsi de tenir en échec chacune de ces tentatives.

La visée de la cure psychanalytique dans le traitement des personnes traumatisées tient précisément selon Ferenczi à sortir de cette logique de répétition. L’accueil, l’empathie et le « tact » de l’analyste en constituent les éléments déterminants. Dans un premier temps, le thérapeute va chercher à constituer un cadre contenant et rassurant (protecteur) et inviter le patient à se relaxer profondément. Il va encourager le relâchement de la censure morale (l’inhibition du surmoi) et accepter que celui-ci se comporte à ce moment de la cure comme un tout petit enfant. Le patient peut ainsi revenir à un rapport au monde archaïque, antérieur à la maîtrise pulsionnelle et émotionnelle acquise par le travail de l’éducation.

Puis avec « tact », dans une posture évoquant celle d’une mère bienveillante, le thérapeute va progressivement l’accompagner dans la réactualisation de l’événement traumatique. Il va mobiliser ses propres émotions, ses capacités d’empathie afin de permettre à la personne d’éprouver – c’est-à-dire ici fondamentalement de « souffrir » – ce qu’elle n’avait alors pu endurer qu’en s’absentant à elle-même, dans un état de détachement et de sidération absolu.

Enfin, le thérapeute devra encourager le patient à poser des mots sur ce qu’il a perçu et ressenti en revivant cette scène dans cet état psychologique régressé (infantile), afin de l’inscrire dans la continuité d’un récit autobiographique. Cette étape marque le commencement de la cure psychanalytique telle qu’elle est pratiquée classiquement.

6. Conclusion

La sensibilité particulière de Ferenczi à l’égard des traumatismes précoces est manifestement liée à son histoire personnelle, que celui-ci évoque à de multiples reprises sans pourtant préciser la nature de ce qu’il aurait lui-même subi. Nous savons que Ferenczi dût affronter précocement l’épreuve de la perte de son père (il avait 15 ans lorsque ce dernier est décédé), et qu’il aurait souffert de ne pas se sentir « accueilli » par sa mère.

« Confondu » dans une fratrie de onze enfants et ayant reçu de sa mère une éducation très stricte, allant pratiquement jusqu’à interdire toute forme de manifestations affectives au sein de la famille, Ferenczi écrit avoir souffert de cette absence de lien empathique.

Comment ne pas penser ici à cet article « L’enfant mal accueilli et sa pulsion de mort », dans lequel le psychanalyste décrit les conséquences désastreuses de ces carences affectives dans la construction psychologique de l’enfant, qui se traduiront par des troubles psychopathologiques (et en particulier par des impulsions autodestructrices) dans la vie de l’homme adulte ?

Par sa sensibilité à l’égard de l’enfant et de l’enfant traumatisé qui se cache dans l’adulte, Sándor Ferenczi a su développer des procédés thérapeutiques extraordinaires afin de permettre à ses patients de « venir » ou de « revenir » au monde en s’y engageant authentiquement (émotionnellement).

Pour Ferenczi, le désir de vivre et le sentiment de confiance (en soi et dans le monde extérieur) ne peut en effet se développer dans l’esprit de l’homme qu’à la condition d’un « don d’amour » inaugural. C’est la raison pour laquelle il a défini les notions d’accueil inconditionnel, de tact et d’empathie comme fondamentales dans la cure psychanalytique.

7. Zone critique

Les conceptions théoriques et cliniques de Sándor Ferenczi ont été injustement discréditées par les psychanalystes freudiens durant plusieurs dizaines d’années, en raison de leur caractère non dogmatique.

C’est essentiellement aux efforts continuels du psychiatre et psychanalyste Michael Balint (1896-1970), qui fut son élève et son patient, que nous devons la (re)connaissance de son œuvre.

Celle-ci connaît en effet aujourd’hui un important regain d’intérêt : Ferenczi est présenté comme un pionnier, à la fois dans la psychanalyse d’enfants et dans la compréhension des troubles afférents aux traumatismes. Les méthodes et procédés thérapeutiques inventés par ce psychanalyste pour soigner les personnes traumatisées sont en effet très proches de la clinique contemporaine, qui lui doit beaucoup.

Si la redécouverte de l’œuvre de Ferenczi offre des perspectives particulièrement intéressantes pour la recherche clinique et théorique, il importe cependant de ne pas adopter cette pensée pour dogme mais bien de la remettre au travail.

8. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé

– Le traumatisme, Paris, Payot, coll. « Petite bibliothèque Payot », 2006.

Du même auteur

– L’enfant dans l’adulte, Paris, éditions Payot, coll. « Petite Bibliothèque Payot », 2006.– Journal clinique. Janvier-octobre 1932, Paris, Payot, coll. « Petite bibliothèque Payot », 1990.– Psychanalyse IV, Œuvres complètes, 1927-1933, Paris, Payot, coll. « Petite bibliothèque Payot », 1990.

Autres pistes

– Prado de Oliveira Luiz Edouardo, Sándor Ferenczi, la psychanalyse autrement, Armand Colin, 2011.– Sabourin Pierre, Sándor Ferenczi, un pionnier de la clinique, Paris, Campagne Première, 2011.

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