Dygest vous propose des résumés selectionnés et vulgarisés par la communauté universitaire.
Voici le résumé de l'un d'entre eux.
de Serge Hefez
Publié en 2009, cet ouvrage est une étude sur l’identité masculine. L’auteur y dévoile toutes les facettes des hommes d’hier et d’aujourd’hui et toute la difficulté que hommes et femmes ont à trouver leur place dans une société qui change.
Le concept féminin-masculin est difficile à saisir. Pendant des siècles, être un homme signifiait prendre le pouvoir, être une femme menait à s’y plier, mais depuis plusieurs décennies, le féminisme a remis en question la place et le rôle de leur sexe dans la société. Mais qu’en est-il des hommes ? Qu’est-ce qu’être un homme dans une société où la domination d’un sexe par l’autre tend à disparaître tout doucement ? Qu’est-ce qu’être un père ? Chacun a son rôle à jouer, sa place à trouver.
De la définition biologique à l’identité des hommes d’aujourd’hui, être un homme est loin d’être si simple !
« Voilà, pour moi, ce qu’est un garçon : un individu doté de quelques caractéristiques physiques spécifiques mais surtout construit comme tel, depuis sa naissance au point que cela détermine tout au long de sa vie une façon d’être au monde » (p. 34).
Dans un premier temps, ce qui différencie les hommes des femmes, ce sont les organes génitaux. De plus, les deux sexes ont 23 chromosomes ; 22 sont identiques, seule la 23e est différente : xx chez les femmes, xy chez les hommes. Il arrive très rarement que des anomalies se produisent : un x supplémentaire chez un homme, quelques xyy, un seul x chez une femme. Les premières semaines, tous les embryons sont les mêmes ; arrivent ensuite les x et y : « une paire de xx déclenche la sécrétion d’hormones femelles, les œstrogènes et les progestatifs, alors qu’une paire de xy détermine la sécrétion d’une hormone mâle, la testostérone » (pp. 29-30). Le corps se forme et se développe selon ces hormones.
D’autres anomalies peuvent bien entendu arriver : si un embryon mâle ne fabrique pas de testostérone, il va se développer en conservant l’aspect féminin d’origine. À la puberté, on s’apercevra que l'adolescente n’a pas d’ovaires, ni d’utérus, car elle est un garçon au niveau des chromosomes. Il peut arriver la même chose dans l’autre sens. Ces cas sont extrêmement rares !
Être un homme ou une femme n’est pas seulement une question de chromosomes et d’hormones. Les transsexuels n’ont pas d’anomalies de ce point de vue, c’est pour cela qu’il est important de se tourner vers le psychisme. L’auteur rappelle qu’« après les chromosomes, les hormones et l’anatomie, la quatrième composante qui sexue un individu est sans doute la plus passionnante, la plus complexe et la plus difficile à circonscrire : il s’agit de son environnement » (pp. 34-35). Les recherches sur le cerveau, grâce notamment à l’IRM, ont montré qu’il était doté d’une plasticité et par conséquent programmé pour apprendre. Le jour de sa naissance, seulement 10 % du cerveau est « câblé », tout le reste va dépendre de l’apprentissage et de l’environnement. « Cela veut dire surtout que, dès les premières heures de la vie, on apprend à être un garçon ou une fille… » (p. 37).
Même si les hormones jouent un rôle essentiel dans la perception du monde et des émotions, l’environnement influence cette perception. De nombreuses études ont prouvé que les pères et les mères ne parlent pas de la même façon à leur bébé fille et à leur bébé garçon, qu’ils n’attendent pas les mêmes choses des deux, et que de plus, ils projettent sur eux leurs propres émotions.
On peut donc en conclure que c’est l’environnement qui sexue l’univers émotionnel dans lequel un enfant grandit. Dans nos sociétés occidentales, les choses changent, le féminin et le masculin s’interpénètrent. Pourtant, « hommes et femmes continuent à se débattre avec des représentations contradictoires des rôles sexués » (p. 54). Pour l’auteur, il n’est pas question d’éduquer les deux sexes de la même manière, mais plutôt de ne pas critiquer et dénigrer l’autre sexe, et d’apprendre à accepter l’autre part de chacun (la féminité chez un garçon, la masculinité chez une fille).
Le monde qu’on présente aux bébés est souvent binaire : jour, nuit ; bleu, rose ; voix aigüe, voix grave… Lors des trois premières années, on parle de bisexualité psychique, c’est-à-dire qu’un « enfant s’identifie à la fois à des personnages masculins et féminins, au père et à la mère, aux hommes et aux femmes, à la partie féminine et à la partie masculine du père, à la partie masculine et à la partie féminine de la mère » (p. 76).
À trois ans, il découvre qu’il a un sexe, c’est alors que les associations se font : « Dans une intense activité psychique, il réorganise le monde selon cette nouvelle donne. Il construit des équations de plus en plus sophistiquées : féminin-maman-zézette-doux-câlin-porté-passif ; masculin-papa-zizi-dur-encouragé-actif » (p. 78).
Surtout, il découvre qu’il doit abandonner une part de lui-même et de la différence physique qu’il aura avec son parent du sexe opposé : un bébé dans le ventre pour les garçons et un pénis pour les filles. Lorsque les garçons doivent renoncer à leur part féminine, ils sont également conscients que ce féminin peut devenir une menace s’il les rattrape : perdre leur sexe, être castrés et devenir passifs. Pour l’auteur, « c’est sur cette peur originelle et complexe qu’un garçon devient garçon » ! (p. 87).
Et bien entendu, plus l’environnement lui montre le féminin comme quelque chose de dangereux et castrateur, plus le garçon développe une violence, un mépris, voire une haine (des femmes et des homosexuels par exemple). C’est également sur cette peur que la sexualité primaire (femme immobile accueillant l’homme) est basée. Les garçons à qui l’on apprend à accepter leur part de passivité vivent plus harmonieusement. « Ils acceptent finalement de se laisser symboliquement pénétrer, non pas par un pénis, mais par des sensations, des émotions, des paroles d’un(e) autre » (p. 89)
La phase d’appropriation est également importante : le petit garçon va dans un premier temps devoir investir son pénis, comprendre qu’il est à lui. Une fois cela fait, il va avoir peur de le perdre. L’auteur explique qu’il y a deux choses : le pénis et le phallus. Le phallus représente la capacité à s’ériger et à pénétrer. Il est donc une « arme symbolique très puissante, utilisée par pratiquement toutes les sociétés pour organiser la domination des hommes-actifs-pénétrants sur les femmes-passives-pénétrées » (p. 94).
Serge Hefez dénonce ceci : depuis toujours, on explique que pénétrer rend plus puissant qu’être pénétré.
Du coup, il faudra du temps, et au petit garçon et à la société toute entière, pour intégrer l’idée que pénis et puissance phallique ne sont pas si liés que ça, et que par conséquent avoir un pénis ne signifie pas être puissant. Mais le pénis peut également être source d’angoisse : il est celui par quoi le rapport sexuel a lieu, celui qu’on a peur de perdre si on ne se sépare pas de sa mère qui prend d’ailleurs une place plus qu’importante dans le cœur des hommes.
C’est pour cela qu’existe la dichotomie mère/putain, femme pure/femme impure. L’absence d’un père peut amener l’enfant à se développer de façon négative contre la mère et donc contre les femmes. L’identification au père est nécessaire, mais attention de ne pas survaloriser le pénis. Un père présent et cajolant permet à un garçon de développer sa sensibilité et donc de ne pas entrer en conflit avec les femmes ; un père trop dur rejetant toute féminité possible chez le petit garçon ne lui rendra pas service !
À l’adolescence, le garçon doit faire le deuil de son enfance et de ses parents, il doit accepter que son corps change et que commence la sexualité. La testostérone a un certain pouvoir agressif qui lui fait avoir des comportements extrêmes. Devant tous ces changements et toutes ces questions, les garçons vont se regrouper entre eux, c’est une façon de structurer le lien autour de la virilité. Le fait de tomber amoureux va permettre au garçon de renouer avec une part de sa féminité. Mais attention, les choses évoluent et aujourd’hui, les bandes d’adolescents sont de plus en plus mixtes, ce qui permet aux garçons de ne plus se construire contre le féminin.
L’auteur rappelle qu’avoir des fantasmes (aussi inavouables soient-ils) est normal. Ils ne doivent pas être réalisés, ni même partagés, ils sont là pour stimuler le désir et l’imaginaire. Un autre point sur lequel l’auteur insiste : le genre !
« Si le sexe est une catégorie anatomique, le genre est une construction sociale. Cette construction passe d’abord par une assignation (à partir du sexe anatomique, on donne un prénom), puis par une prescription : on attribue et on suggère à l’enfant des caractéristiques comportementales, émotionnelles, vestimentaires » (p. 140). Mais au fil des siècles ou selon les pays et les traditions, les codes genrés ne sont pas les mêmes. Pourtant, le genre est aussi un jeu, un ensemble de codes, saisi par des enjeux commerciaux et publicitaires, tels les hommes métrosexuels et übersexuels. D’ailleurs, l’apparence moderne des hommes vient de la communauté gay.
L’auteur opère une différence entre le papa et le père. Le premier est incarné depuis à peu près deux générations par des hommes qui s’occupent de leurs enfants (couches, poussette, liens, affection…) Mais, il faut surtout comprendre que « la parentalité n’est pas une affaire de sexe », c’est-à-dire qu’un papa est un parent tout comme une maman l’est. Le père, quant à lui, incarne une figure d’autorité. Il se situe en haut d’un système pyramidal, tandis que les papas représentent la famille horizontale. Cela ne veut pas pour autant dire que la paternité signifie la féminisation des hommes. Mais le fait, malgré nous, d’avoir ancré au plus profond de soi la représentation de la place de l’homme et de la femme amène à des conflits intérieurs : « Nous portons en nous des aspirations modernes qui se frottent à des représentations archaïques » (p. 243).
Dans ces nouveaux schémas, où les papas sont bien heureusement investis, il n’y a souvent plus personne pour incarner l’autorité et la séparation. C’est cela qui peut mettre les enfants en souffrance. Mais attention, cette autorité n’est pas l’apanage des hommes, elle peut très bien être exercée par la mère. Le principal est qu’elle le soit, car cette fonction de séparation permet à l’enfant de devenir adulte. Traditionnellement, c’est l’homme qui avait cette fonction de séparer l’enfant de la mère et de la famille et donc de le porter vers l’âge adulte.
Finalement, tout le monde cherche encore un peu sa place. Ces questions se posent toujours, au prix de clichés patriarcaux : Qui porte la culotte ? Qui fait l’homme ? Qui fait la femme ? Si pendant des siècles, les hommes ont structuré une société basée sur leur toute-puissance, d’autres, dont l’auteur fait partie, prônent l’auto-organisation, c’est-à-dire que chacun occupe la fonction qui est nécessaire à tous, mais surtout la fonction pour laquelle il a les compétences. Ce sont ces deux fonctionnements qui cohabitent toujours dans nos sociétés. Comme la loi de 1970 impose l’autorité parentale conjointe, chaque couple peut s’organiser comme il l’entend. Pourtant, dans le partage des tâches quotidiennes, les schémas apparaissent ancrés plus profondément qu’on ne le pense, entraînant la reproduction de certains clichés dans le partage des tâches.
Pour être clair, depuis des décennies, les femmes se sont masculinisées en touchant des domaines réservés auparavant aux hommes, mais la féminisation des hommes ne va pas de soi, car elle effraie : les parents ont peur que leur garçon soit faible et/ou homosexuel. Pourtant Serge Hefez est catégorique : avoir un cœur et ressentir des émotions n’enlève rien à la virilité ! Être papa n’empêche pas d’être viril ! Et avoir un pénis ne signifie pas détenir le pouvoir !
Tout en relatant des anecdotes très intéressantes tirées de ses consultations, Serge Hefez construit avec rigueur une étude sur la masculinité dans une société où cette question hante nombre de personnes. De la génétique à l’environnement, il explique pas à pas comment se construit un homme et comment les contradictions et les schémas opposés cohabitent. Il dénonce ceux qui pensent que les hommes perdent leur statut et que la société se féminise.
Pour lui, certes, la société est en pleine transition, mais il faut simplement que chacun trouve sa place.
Cette question de la place des sexes n’est pas simple, car elle est source de débats, de conflits et de grandes confusions.
Si l’ouvrage sociologique de Pierre Bourdieu, La Domination masculine, propose une vision éclairante sur le rapport des sexes et constitue bien entendu une référence en la matière, Serge Hefez garantit une étude agréable à lire tout en simplifiant le propos pour une compréhension plus aisée, même si le sujet ne l’est pas !
Ouvrage recensé– Dans le cœur des hommes, Paris, Hachette, 2009.
Du même auteur– La Danse du couple, avec Danièle Laufer, Paris, Hachette, 2002.– Le nouvel ordre sexuel, Pourquoi devient-on fille ou garçon ?, Paris, Kero, 2012.– Avec Valérie Péronnet, La Fabrique de la famille, Paris, Kero, 2016.– Avec Dounia Bouzar,Je rêvais d'un autre monde, Paris, Stock, 2017.