Dygest vous propose des résumés selectionnés et vulgarisés par la communauté universitaire.
Voici le résumé de l'un d'entre eux.
de Sigmund Freud
Avec cet ouvrage, Freud illustre de manière didactique sa pratique. Il synthétise sa pensée et l’illustre de vignettes cliniques signifiantes (actes manqués, lapsus), retraçant ainsi les origines de la psychanalyse et proposant les grandes lignes de sa méthode. Il revient sur des concepts fondamentaux tels que l’hystérie, le refoulement, le transfert ou l’interprétation des rêves, s’interrogeant sur la sexualité infantile et son impact sur la libido adulte.
Le premier cas clinique que propose Freud, est celui d’une jeune fille de 21 ans, présentant un trouble sévère du langage et de la compréhension, ainsi que des troubles somatoformes (toux nerveuse, paralysie, troubles visuels) apparus subitement alors qu’elle soignait son père en fin de vie.
En écartant la plupart des causes organiques et en mettant en lumière des chocs affectifs violents, Freud pose le diagnostic d’une hystérie, confirmée par le succès du traitement hypno-thérapeutique du Dr. Breuer dans la disparition spectaculaire de certains symptômes. À partir de ce cas, Breuer and Freud font l’hypothèse que les symptômes sont des résidus mnésiques de traumatismes psychiques bien souvent multiples, que le processus thérapeutique se doit de dévoiler, en remontant chronologiquement du plus récent, au plus profond.
Pour Freud, « les hystériques souffrent de réminiscences » (p.11), cette fixation mentale à des symboles, est pour lui l’une des caractéristiques principales de la névrose, et trouve son origine dans des affects non-exprimés. Ces affects coincés ont une double destinée, vers des formes hystériques simples où ils persistent dans leur forme primaire et pèsent sur toute la vie psychique, ou vers des formes plus complexes d’hystérie de conversion, se transformant en symptômes psychosomatiques handicapants.
Bien souvent, la simple expression de ces affects retenus est en elle-même thérapeutique ; encore faut-il y avoir accès, et c’est d’abord par l’hypnose que les Dr. Breuer et Freud ont pu travailler avec ce double état de conscience ; c’est de là qu’a émergé la théorie de l’inconscient.
Bien vite, Freud se refuse à utiliser l’hypnose qu’il trouve incertaine et difficilement contrôlable. En se basant sur les travaux de Bernheim, dont les sujets sont capables de retrouver le souvenir de leur vécu hypnotique d’abord oublié, il presse ses patients de se souvenir des affects coincés par des successions de questions et pressions psychologiques. Ce procédé fonctionne, mais il est laborieux et coûteux en énergie pour le thérapeute comme pour le patient. La suppression de cette résistance devient sa priorité puisqu’elle lui semble indispensable au rétablissement du malade. C’est en s’appuyant sur l’existence de cette résistance qu’il postule le processus du refoulement.
Pour lui, ce mécanisme émerge d’un conflit inconciliable entre un désir intense et une forme d’exigence morale ; le refoulement permet de protéger le bien-être psychique en renvoyant le désir dans l’inconscient. C’est d’ailleurs à partir de ce constat que Freud élabore sa première théorie de l’inconscient. Les symptômes du patient sont alors le substitut de l’idée refoulée, provoquant bien souvent une souffrance permanente bien plus handicapante que ne l’aurait été le conflit initial.
C’est le cas de Mme X. qui entretenant une relation forte avec son beau-frère, se surpris à penser au chevet de sa sœur décédée, « Maintenant il est libre, je peux l’épouser ». Une telle idée bien évidemment la révolta et elle la refoula immédiatement, mais bien vite les premiers symptômes hystériques apparurent. Dans de tels cas, le désir initial est le plus souvent facilement résolu avec l’aide du psychanalyste et une fois dévoilé, il peut être accepté totalement ou partiellement, sublimé en le redirigeant vers un but plus élevé, ou simplement condamné moralement, mais ce, en toute transparence.
De toute évidence, forcer la parole pour avoir accès au refoulé entraîne des comportements de défense, une résistance qui modifie et déforme l’objet recherché laissant toutefois celui-ci interprétable au moyen d’associations d’idées spontanées. Dans la vie psychique consciente, on peut faire le parallèle avec le mot d’esprit, qui ne semble pas faire sens au premier abord, mais dont on ne tarde pas à distinguer la signification profonde dont il est le substitut. Freud propose afin de parvenir au refoulé, de laisser venir ces allusions grâce à la technique de l’association libre. Il demande au patient de partir de ses souvenirs conscients et d’y associer autant d’idées que possible, persuadé que celles-ci feront d’une manière ou d’une autre allusion au complexe d'éléments représentatifs et chargés d'affects bloqués dans l’inconscient.
Pour cela il est toutefois essentiel que le patient supprime toute censure, quand bien même son association lui paraîtrait stupide, inexacte, voire désagréable, absolument tout ce qui lui vient à l’esprit doit être énoncé dans le cadre de la cure si l’on veut s’assurer de son efficacité. Bien au contraire, ces idées que le patient repousse car incongrues ou insignifiantes sont bien souvent le plus précieux terrain d’investigation pour le psychanalyste.
Deux autres procédés permettent l’accès à l’inconscient et le soin du patient : l’interprétation des rêves d’une part et celle des lapsus et des actes manqués d’autre part. Pour Freud, l’interprétation des rêves, est la voie royale vers l’inconscient, l’analyse de ses propres rêves est d’ailleurs pour lui le meilleur moyen de devenir psychanalyste. Les productions oniriques font écho à la maladie mentale alors même qu’elles ne préfigurent en rien d’une mauvaise santé psychique, par contre elles nous donnent des clefs d’analyse de l’inconscient que trop souvent nous méprisons, par trop confuses, étranges, voire dérangeantes.
En effet, contrairement aux rêves enfantins souvent limpides, les rêves à l’âge adulte subissent une défiguration qui vient masquer l’expression princeps du désir, ce qu’on appelle les idées oniriques latentes ; ne reste au réveil que le contenu manifeste du rêve, ce dont on se souvient.
Comme dans la naissance des symptômes hystériques, c’est le Moi qui est à l’œuvre dans cette résistance. L’analyse des rêves est la même que la technique psychanalytique et l’objectif est similaire, atteindre le contenu des idées latentes par l’association d’idées. Ainsi, les divers détails du rêve font bien souvent écho à des impressions récentes, à des désirs refoulés et à des complexes prégnants. Le travail onirique qui se fait entre la conscience et l’inconscient, s’appuie sur deux processus : la condensation et le déplacement, mais aussi sur les symboles que l’on retrouve dans l’imagination populaire. L’analyse des actes manqués est tout aussi féconde, les lapsus, gestes machinaux, bris d’objets, oublis de noms propres, erreurs de lecture ont bien souvent une importance psychique que l’on choisit d’ignorer, alors qu’ils sont souvent facilement interprétables. Freud les considère comme des symptômes non handicapants, qui révèlent la vie psychique interne de tous les sujets même les mieux portants.
Pour Freud la majorité des maladies psychiques sont liées à des troubles de la vie amoureuse et sexuelle qui commence dès l’enfance, et ce notamment car la société nous pousse à enrober notre vie sexuelle d’un manteau mensonger. Il défend l’idée d’une sexualité infantile précoce, réprimée sous la pression de l'éducation, et dont tout un chacun oublie les manifestations érotiques à moins d’entamer un travail psychanalytique permettant l’accès au refoulé.
La fonction de reproduction n’est pas active de prime abord, mais les manifestations auto-érotiques de l’enfance (notamment par l’excitation des zones érogènes de l’épiderme par le toucher, de la bouche par la tétée etc.) permettent des sensations agréables que Freud désigne comme le plaisir sexuel. À mesure que le nourrisson prend conscience de l’Autre, il développe instinctivement une autre forme de plaisir sexuel, la libido. Ces instincts primaires qui visent à la jouissance sont ambivalents, le sadisme versus le masochisme, le plaisir de voir versus celui d’être vu… Ils ont pour objet la figure maternante, et à ce stade, la différence des sexes n’est pas décisive. C’est là que se forme le complexe d’Œdipe pour le petit garçon et d’Électre pour la petite fille. Mais ceux-ci tout comme les composantes instinctives primaires du désir, sont rapidement refoulés sous l’influence sociétale et familiale, laissant la place à des puissances psychiques telles que la honte, le dégoût ou la morale qui s’assurent du non-retour du refoulé dans la conscience.
Ce n’est qu’à la puberté que surgissent de manière prégnante les besoins sexuels et que se développe la suprématie de la zone génitale qui se met alors au service de la reproduction. C’est bien souvent à ce moment-là que la symptomatologie névrotique se développe.
La thérapie psychanalytique se nourrit également de la relation transférentielle, c’est-à-dire des sentiments, liens, affects, projections entre le patient et le psychanalyste. Pour Freud, le transfert n’est pas caractéristique de la psychanalyse, mais s’établit spontanément au sein des relations humaines, et se traduit par les sentiments, excitations, projections positives ou hostiles du patient sur son analyste. Ces réactions dépassent l’expérience réelle, et dévoilent des ressentis inconscients qui viennent éclairer la problématique au travail dans la psychanalyse.
Plus le transfert est ignoré, plus il s’exprimera avec force. À l’inverse, il s’avère être un excellent levier thérapeutique pour qui sait s’en saisir et l’analyser. Cette influence thérapeutique dérive selon l’auteur d’anciens désirs devenus inconscients, qui se réactivent dans la relation avec le soignant, et ces reviviscences témoignent de la force des mouvements sexuels refoulées. Le thérapeute joue alors un rôle de « ferment catalytique » sur lequel s’expriment les affects jusqu’alors coincés dans l’inconscient.
La psychanalyse fait, non sans raison, face à de multiples attaques aujourd’hui. Freud en particulier est largement décrié par certains lui reprochant d’être désuet, obsédé par la sexualité (la quatrième leçon est par exemple largement teintée des préjugés de son époque sur la sexualité), mais pourtant dans ses premières leçons, c’est un Freud bien loin de ces clichés que nous percevons.
Bien au contraire, certaines terminologies telles que la « double conscience », les « affects coincés » font largement écho à des psychothérapies émergentes telles que l’EMDR dont l’efficacité n’est plus à prouver, mais dont la science peine encore à comprendre pleinement les mécanismes cognitifs et neuropsychologiques.
Bien sûr, comme n’importe quel culte, celui qui a longtemps été voué à Freud a amené nombre d’impairs mais ne serait-il pas plus juste de combattre les dérives d’un courant plutôt que son père fondateur, sans nul doute révolutionnaire pour son époque, et qui n’a eu de cesse de penser, repenser, critiquer, voire invalider ses propres théories ?
« Cinq leçons de psychanalyse », est très certainement un retour aux sources nécessaire, tout à la fois pour sortir du dogme psychanalytique et pour s’immerger dans un courant de pensée offrant toute la place à l’humain en tant que sujet, ce qui apparaît ô combien indispensable en psychologie.
Ouvrage recensé– Cinq leçons sur la psychanalyse [1910], Paris, Petite Bibliothèque Payot, 1998.
Du même auteur– L’Interprétation des rêves [1900], Paris, PUF, 1967.– Psychopathologie de la vie quotidienne [1901], Paris, Petite bibliothèque Payot, 1979.– Trois essais sur la théorie sexuelle, Paris, PUF, 1905.– Totem et Tabou, Paris, Editions Points, 2010 [1912].– Le Moi et le ça, Paris, Payot, 1923.
Autres pistes– Jean Laplanche et Jean-Bernard Pontalis, Vocabulaire de la psychanalyse, Paris, PUF, 1967.– Monique David-Ménard, Corps et langage en psychanalyse : L'hystérique entre Freud et Lacan, Paris, Campagne première, 2014.