dygest_logo

Téléchargez l'application pour avoir accès à des centaines de résumés de livres.

google_play_download_badgeapple_store_download_badge

Bienvenue sur Dygest

Dygest vous propose des résumés selectionnés et vulgarisés par la communauté universitaire.
Voici le résumé de l'un d'entre eux.

Le Malaise dans la culture

de Sigmund Freud

récension rédigée parValentine ProuvezÉducatrice spécialisée, doctorante en Études Psychanalytiques (Montpellier, Université Paul Valery).

Synopsis

Psychologie

Publié en 1930, dans le contexte de la crise économique, du krach de 1929 et de la montée du parti nazi, Le Malaise dans la culture figure parmi les essais les plus sombres publiés par Freud sur la communauté et le lien social. Loin d’assimiler le développement culturel à un progrès, le psychanalyste repère ici certaines problématiques psychologiques liées à la socialisation humaine. Le renoncement au plaisir, contrainte de la civilisation, ne serait-il pas psychologiquement trop coûteux ? La civilisation ne cultiverait-elle pas paradoxalement en l’homme une aversion profonde contre la vie et une tendance à l’autodestruction ?

google_play_download_badge

1. Introduction : un malaise d’origine sociale

La psychanalyse se situe fondamentalement dans une perspective interdisciplinaire. Si elle s’est d’abord constituée comme une méthode d’exploration de l’inconscient permettant le traitement des pathologies mentales, ses découvertes ont d’emblée révélé la relation profonde des rapports entre individu et culture. Aussi serait-elle susceptible d’éclairer de façon nouvelle notre compréhension des phénomènes sociologiques.

Parmi ceux-ci, la problématique relative aux penchants de l’homme à la destruction et à la barbarie, manifestes dans le phénomène de la guerre, occupe une place prépondérante dans la réflexion freudienne : si la socialisation impose la reconnaissance de l’autre comme semblable, et si la civilisation progresse par la mutualisation des forces individuelles pour atteindre un bien supérieur commun, alors comment comprendre le fait que ces forces semblent épisodiquement appelées à devenir destructrices ?

Des questions inhérentes à la psychologie sociale, le traitement de celle-ci constitue selon Freud une priorité absolue : nous sommes en effet parvenus à un tel niveau de développement technique que nous disposons aujourd’hui des moyens de satisfaire totalement – et irrémédiablement – nos pulsions de destruction.

Dans cet essai, Freud entend ainsi analyser ces phénomènes caractéristiques d’un malaise auxquels il attribue une origine sociale.

2. Les symptômes d’un malaise grandissant

Dans cet essai, Sigmund Freud s’interroge sur les possibilités d’épanouissement de la vie humaine offertes par le développement de la civilisation.

Les événements critiques qui semblent se succéder de plus en plus rapidement dans l’histoire témoignent en effet de l’activité intense de pulsions de destructions au cœur de la civilisation : citons le conflit mondial de 1914-1918 durant lequel ont été anéantis tant de vies et de biens culturels, le krach économique de 1929 et la montée du parti nazi annonciatrice de nouvelles violences. Ce déferlement de haine et de violence traduirait à l’évidence la persistance – voire l’intensification – des pulsions agressives et égoïstes que nous pensions avoir domptées par le travail de l’éducation. Pour Freud, ces comportements révèlent ainsi la conservation de cette nature primitive dans le fond inconscient de notre mémoire, vers laquelle ces situations critiques nous feraient régresser.

Cette régression collective vers l’archaïque, en deçà du développement de notre moralité, est selon lui symptomatique d’un malaise dans la civilisation. Les plus hauts représentants de la culture (parmi lesquels les hommes d’État et les scientifiques) paraissent non seulement incapables d’endiguer ces tendances agressives, mais, plus inquiétant encore, déterminés à les servir en développant des moyens toujours plus perfectionnés pour réaliser notre perte : nous disposons aujourd’hui de forces suffisantes pour effacer jusqu’à la dernière trace de notre civilisation. Le développement inconsidéré de cette puissance de destruction nous fait donc désormais redouter que l’éclatement d’une guerre puisse constituer pour l’existence humaine un point terminal. Le progrès serait-il devenu synonyme d’une détermination à réaliser notre malheur ?

À cette époque, plus que jamais, le destin de la civilisation apparaît à Freud comme dépendant de notre capacité à comprendre et maîtriser les forces inconscientes qui nous animent.

3. L’incapacité d’accéder au plaisir est à l’origine du malaise humain

C’est dans l’incapacité des hommes à accéder au bonheur dans la civilisation, cette réalité contre nature qu’ils ont créée, que Freud situe l’origine de ce malaise. Leur hostilité contre la culture et leur penchant à l’agressivité grandissent en effet selon leur sentiment d’injustice et de privation. L’agressivité se manifeste ainsi de façon instinctive pour protéger la vie contre les dangers qui la menacent. Or parmi ces forces hostiles à la vie, l’organisme considère sur un même plan celles qui menacent de lui porter directement atteinte et celles qui troublent son équilibre en s’opposant à la satisfaction de ses besoins élémentaires.

La manifestation d’un besoin dans l’organisme exerce en effet en lui une tension constante et extrêmement déplaisante qui ne cessera qu’à la condition d’être satisfait. Cet élan vital qui fait tendre l’organisme vers un but est appelé pulsion. Elle permet de décharger l’excitation interne en apportant au corps ce qui lui manque et se traduit dans l’activité de l’esprit sous la forme d’un impératif. Ainsi, la satisfaction de nos instincts ou pulsions n’est pas simplement pour nous une source de plaisir mais constitue plus fondamentalement une exigence vitale.

La clinique psychanalytique a ainsi révélé que l’incapacité de l’organisme à répondre de façon adéquate à ces exigences pulsionnelles était à l’origine de troubles psychopathologiques altérant de façon plus ou moins sévère les relations de l’homme avec son environnement (les psychoses, névroses et perversions). Ce déséquilibre interne s’accompagne d’une plainte (sentiment de souffrance ou d’absurdité de la vie) et de conduites destructrices ou autodestructrices, suivant que l’agressivité née de la privation est tournée contre autrui ou contre soi. L’incapacité durable d’accéder au plaisir aurait donc pour effet de nous rendre malades.

4. Le développement de la civilisation n’a pas rendu l’homme plus heureux

Cette recherche du bonheur, que Freud appelle le « programme du principe de plaisir » assure dans l’organisme une fonction de régulation : elle a pour vocation de permettre la décharge de l’excitation pulsionnelle accumulée. Il nous est donc impossible d’y renoncer. Celle-ci nous détermine de deux façons : d’une part nous cherchons essentiellement éviter la douleur et le déplaisir ; de l’autre, nous voulons éprouver d’intenses sentiments de plaisir.

Or, analyse Freud, le développement de notre conscience du danger oppose ces deux aspects de façon contradictoire : si nous éprouvons le sentiment d’être plus protégés du danger en suivant une certaine routine, cette existence tranquille n’offrirait rapidement plus suffisamment de possibilités de jouissance et nourrirait ainsi en nous un sentiment de frustration. La jouissance exige ainsi cette ouverture à la rencontre, à la diversité de la vie, qui ne va pas sans risques.

Nos capacités de vivre et donc de jouir intensément sont limitées par notre constitution : la conscience que nous avons de notre vulnérabilité est à l’origine du phénomène de l’angoisse, qui nous empêche d’agir. Cette angoisse devant la vie est d’ailleurs selon Freud à l’origine de notre civilisation : ce projet d’organisation collective serait né de l’impuissance éprouvée par les premiers hommes devant les forces hostiles de la nature. Mais si la domination de ces forces par le développement de la culture a permis aux hommes d’apaiser une part essentielle de leurs angoisses, cette « dénaturation » les a-t-elle rendus pour autant plus heureux ?

Tout laisse à penser le contraire : dans cette réalité contrenature que nous avons créée, il semblerait plutôt qu’il y ait « beaucoup moins de difficultés à faire l’expérience du malheur » (p. 263). « La vie telle qu’elle nous est imposée est trop dure pour nous, elle nous apporte trop de douleurs, de déceptions, de tâches insolubles » (p. 261).

5. La culture limite nos possibilités de jouissance

Chaque homme paierait selon Freud au prix fort son inscription dans la culture. La puissance des sociétés humaines se résume à la somme des forces qu’elles ont ôtées aux individus.

Le pacte social impose la mise à disposition de nos forces au service du processus de civilisation : l’énergie produite par notre activité pulsionnelle est en grande partie exploitée comme force de travail pour assurer les moyens de notre subsistance. Or cette exploitation ne nous confère aucun plaisir. Les sociétés humaines doivent donc compenser la frustration qu’elles nourrissent en apportant à leurs membres des substituts à cette satisfaction, au risque de voir se développer des névroses ou des conduites asociales qui entraîneraient à plus ou moins long terme la ruine de nos institutions.

Parmi ces possibilités de satisfaction que nous offre la culture, Freud distingue ainsi l’art, la spiritualité ou encore le plaisir obtenu par la reconnaissance sociale. Or si ces voies de satisfaction peuvent être définies comme idéales, il semble cependant qu’elles ne soient pas également accessibles ni suffisamment satisfaisantes du point de vue de chacun. En témoignent ces nombreuses tentatives que réalisent les hommes pour parvenir au plaisir en se détournant de la réalité et de ses contraintes. Parmi celles-ci, Freud distingue d’abord la forme la plus radicale, la psychose – désertion pure et simple de la réalité –, mais aussi la fuite dans l’imaginaire, l’usage de stupéfiants, le délire collectif que constituerait selon lui la religion, l’autarcie de l’ermite ou à contrario la recherche de cet état d’abandon caractérisant l’amour passionnel.

L’ensemble de ces voies de satisfaction compensatoires n’offrirait quoi qu’il en soit selon Freud que des solutions précaires dont le succès serait insuffisamment assuré.

6. Conscience morale et sentiment de culpabilité

Notre incapacité à réaliser ce que nous impose le principe de plaisir nourrit en nous un sentiment de frustration et de colère. L’expérience répétée du déplaisir entraîne inévitablement le débordement de cette agressivité accumulée dès lors que se présentent des situations propices : par exemple la guerre. Ce surgissement pourtant si fréquent de l’inhumain en l’homme nous frappe chaque fois par son caractère irréel : il révèle une violence telle que nous n’en soupçonnions pas l’existence. Freud explique cette ignorance par notre incapacité à penser ce qui heurte trop profondément notre jugement moral intégré au cours de notre éducation. Ce mécanisme de défense, c’est ce qu’il appelle le refoulement.

Selon Freud, les notions de bien et de mal ne sont en effet pas innées : elles se forment au cours du développement de l’enfant., lorsque celui-ci en vient à intérioriser sous la forme d’une autorité interne (le « surmoi ») les fonctions de contrôle et de répression de ses pulsions archaïques jusqu’alors assurées par une autorité externe, autrement dit les parents. Ce surmoi est à la fois le gardien des principes de la loi et le juge permanent de nos pensées et actions.

De la même façon que le faisaient nos parents, celui-ci nous punit dès lors que se manifestent en nous des tendances immorales. La répression de nos pulsions par le surmoi se manifeste en nous par un sentiment de culpabilité que nous tentons d’expier en cultivant les conditions de notre malheur : le sentiment de la faute appelle le besoin de punition, c’est-à-dire les tendances autodestructrices. C’est grâce à la formation du surmoi que nous devenons des individus sociaux et adoptons des modes de pensée et d’action conformes aux exigences morales de la civilisation.

7. Le malaise dans la civilisation est inhérent à notre moralité

C’est pourtant dans ce travail que réalise le surmoi que Freud va parvenir à identifier la cause du malaise grandissant en l’homme et dans la civilisation.

Il expose d’une part le fait que le processus du refoulement n’a aucun effet sur l’insistance des pulsions interdites pour accéder à la satisfaction. Celles-ci continuent de se développer dans notre inconscient et profiteront des moindres occasions pour interférer dans nos actions : ces troubles liés aux pulsions inconscientes constituent pour le « moi » (le système conscient) une source intense de déplaisir. D’autre part, Freud a constaté dans l’analyse des névroses que le surmoi punit de la même façon les pulsions jugées immorales que nous avons refoulées et les actes que nous avons effectivement commis.

Ainsi paradoxalement, plus nous tentons d’être vertueux en intégrant à notre conscience morale les contraintes et exigences prescrites par la civilisation, plus nous alimentons en nous ces tendances autodestructrices. Par le besoin d’autopunition qu’il ne cesse d’activer en nous, le surmoi s’acharne en effet à mettre systématiquement en échec nos tentatives pour accéder au plaisir, ce qui ne fit qu’exacerber la frustration.

Or la civilisation ne cesse par ailleurs de condamner les voies qui s’offrent naturellement au plaisir en édifiant de nouvelles contraintes. Ces restrictions portent en particulier sur les pulsions amoureuses, que la culture vise à détourner de leur but (le plaisir égoïste éprouvé dans la sexualité) pour les faire converger en un projet commun : l’amour de la culture, de la « patrie », du travail, etc.

Les conséquences de cet accroissement de la pression sociale inhérent au processus de la civilisation seraient, selon les analyses de Freud, totalement désastreuses : la répression des pulsions sexuelles accentuerait d’autant les exigences du surmoi et donc notre besoin d’autopunition. Le niveau d’agressivité ainsi accumulé serait tel qu’il ne pourrait plus être contenu : cette agressivité devrait nécessairement être déchargée dans la violence, tournée soit contre l’individu lui-même (conduites suicidaires) soit de façon substitutive contre le monde extérieur.

8. Conclusion

En inhibant les pulsions de vie par la prescription continuelle de nouvelles normes et de nouveaux interdits, nos politiques sociales sont ainsi pour Freud en grande partie responsables du développement des névroses et des tendances asociales qui menacent nos institutions.

Au contraire, les sociétés humaines se développent à partir du refoulement de ces tendances et ont su se doter des moyens de leur répression. Cependant, le refoulement de nos pulsions amorales ne consiste qu’en une opération de censure qui n’ôte rien – bien au contraire – de la puissance de détermination inconsciente de ces instincts. Plus la satisfaction de ces derniers sera empêchée, plus ils se développeront dans l’inconscient.

La guerre procède du détournement de cette puissance agressive au profit des États. Freud perçoit donc non seulement dans le phénomène de la guerre une fonction de purge de l’agressivité accumulée nécessaire à l’équilibre des sociétés, mais également la transposition sur le plan politique de nos tendances destructrices. La civilisation serait donc corrompue depuis l’intérieur, se détruisant par ses tentatives mêmes pour s’affirmer.

9. Zone critique

En écrivant Le Malaise dans la culture, Sigmund Freud tente d’appliquer à la compréhension des phénomènes sociologiques les principes de sa métapsychologie. Il entreprend une analyse absolument originale des tendances destructrices qui rongent les sociétés humaines depuis l’intérieur, à l’origine de conflits de plus en plus récurrents, durables et dévastateurs.

Ce livre qui n’a reçu au départ qu’un accueil mitigé, voire indifférent, de la part des philosophes et des psychanalystes a depuis lors alimenté de nombreux débats et demeure aujourd’hui encore d’une grande actualité.

10. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé

– Le Malaise dans la culture [1930], dans Œuvres complètes, t. XVIII, Psychanalyse, Paris, PUF, 1994.

Ouvrages de Sigmund Freud

– L’interprétation des rêves [1900], Paris, PUF, 1967.– Totem et Tabou, Paris, Editions Points, 2010.– Psychopathologie de la vie quotidienne [1901], Paris, Petite bibliothèque Payot, 1979.– La naissance de la psychanalyse : lettres à Wilhelm Fliess, notes et plans (1887-1902), Paris, PUF, 2009. – Trouble de mémoire sur l’Acropole, suivi de rêve et télépathie, Paris, l’Herne, 2015. – Cinq leçons sur la psychanalyse [1910], Paris, Petite Bibliothèque Payot, 1998.— Considérations actuelles sur la guerre et sur la mort [1915], in Essais de psychanalyse, Paris, Payot, coll. « Petite Bibliothèque Payot », 1981.

Autres pistes

– Robert Samacher, Sur la pulsion de mort. Création et destruction au cœur de l’humain, Paris, Éditions Hermann, 2009. – Paul-Laurent Assoun, Freud et les sciences sociales. Psychanalyse et théorie de la culture [1993], Paris, Armand Colin, 2008.– Michelle et Vincent Chalmeton, Sigmund Freud. La vie et l’œuvre (1856-1939), Paris, Economica, 2005.Sigmund Freud, Au-delà du principe de plaisir [1920], in Essais de psychanalyse, Paris, Payot, coll. « Petite Bibliothèque Payot », 1981.

© 2021, Dygest