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Solidarité animale

de Yves Bonnardel et Axelle Playoust-Braure

récension rédigée parKarine ValletProfesseure certifiée de Lettres Modernes.

Synopsis

Société

Machines à produire du lait, de la laine ou de la viande, matériaux d’expérimentation pour la science ou objets de divertissement dans les cirques, l’exploitation des animaux cache un envers du décor où la souffrance est reine. En cause ? Le spécisme, cette idéologie dominante qui attribue la supériorité à l’espèce humaine. Il est plus que temps de remettre en question ce modèle social, responsable des pires atrocités envers les non-humains, mais aussi envers les humains.

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1. Introduction

Sujet de société incontournable, la cause animale est portée par les mouvements animalistes, qui ont pris une telle ampleur ces dernières années que leurs revendications ne sont plus le fait d’une minorité.

Leur combat investit désormais la scène politique et les recherches scientifiques récentes, dévoilant les capacités sensibles des animaux, leur donnent encore plus de crédibilité. Pourtant, l’exploitation animale, même la plus cruelle, demeure une pratique bien ancrée et parfaitement légalisée dans notre société où le spécisme, postulant la supériorité de l’espèce humaine, reste la règle.

Comment expliquer la perpétuation d’un ordre spéciste, dont l’immoralité est d’autant plus flagrante que l’on a accordé le statut d’être sensible à l’animal ? En quoi cette logique suprémaciste a-t-elle aussi des conséquences sur les structures sociales humaines ? Vers quelles solutions tendre pour trouver les clés d’un vivre-ensemble respectueux ? Axelle Playoust-Braure et Yves Bonnardel décryptent les rouages de la société spéciste afin de mettre en lumière les enjeux profonds d’un changement de civilisation, prôné par les antispécistes.

2. La souffrance animale dans la société contemporaine

De nos jours, l’animal est considéré comme un matériau vivant, exploitable dans le cadre des activités humaines. En toute impunité, les pratiques les plus cruelles s’effectuent à son encontre dans le cadre de l’expérimentation animale, mais aussi de la consommation alimentaire : crustacés démembrés, volailles gavées, bovins égorgés, poissons éviscérés vivants, etc.

Cette conception trouve sa concrétisation à grande échelle dans l’élevage intensif, où les animaux sont dépossédés de toute individualité. Privés de liberté, ils deviennent des « biens-marchandises ».

Grâce aux progrès de la zootechnie, on optimise leurs capacités de rendement pour les faire correspondre à des exigences de profit, au détriment de leur santé. Par la sélection génétique ou l’administration d’antibiotiques, on développe leur potentiel en matière de masse musculaire, de rythme de croissance ou de mise-bas. Les animaux sont ainsi réduits à l’état de machines à produire des œufs, du lait ou de la viande.

Le nombre d’animaux tués chaque année par ces pratiques est colossal, notamment parce qu’ils sont devenus une source alimentaire extensible selon les besoins des humains. Aujourd’hui, 99 % des animaux exploités sont destinés à la consommation de viande. Depuis les années 1950, cette production a été multipliée par cinq. Sans compter que les industries agroalimentaires créent une nouvelle demande dans les pays du Sud en recourant au dumping, l’exportation de produits animaux de médiocre qualité. Dans cette tuerie de masse, il faut aussi comptabiliser les non-humains qui meurent avant l’âge d’abattage, incapables de survivre aux traitements qu’on leur inflige. Cela concerne 20 % des cochons, de même que 22 % des lapins. Un nombre considérable de saumons d’élevage se laissent mourir en raison du manque d’espace.

Quant aux méthodes de pêche, elles causent la mort de nombreux animaux aquatiques, déchiquetés par les filets ou les rochers avant d’être remontés. Au final, 2 700 milliards de poissons par an sont victimes de l’exploitation et 70 milliards d’animaux d’élevage terrestres ont été abattus en 2016.

3. L’idéologie spéciste

La société spéciste est un système fonctionnant sur l’exploitation animale. Elle part du postulat que cet asservissement est dicté par les lois naturelles et qu’il résulte non pas de différences biologiques ou cognitives, mais d’une différence d’essence.

Alors que l’être humain serait libre et capable d’évoluer, l’animal serait prisonnier de ses instincts et dans l’impossibilité d’échapper à son propre déterminisme. Cette vision binaire fait de l’humanité une espèce supérieure, qui assoit sa domination en s’appropriant les animaux. On peut distinguer deux tendances : le spécisme direct, considérant que le simple fait d’appartenir à l’espèce humaine octroie tous les droits ; le spécisme indirect, qui s’appuie sur des capacités attribuées à l’humanité depuis l’Antiquité, telles la raison ou l’intelligence.

La nature humaine s’avère donc la condition pour bénéficier d’une considération morale et sociale. Elle s’oppose à l’animalité. Si celle-ci peut constituer un critère scientifique qui classe les humains et les non-humains parmi les animaux, elle peut aussi être appréhendée comme une catégorie sociale dont sont exclus les premiers et qui attribue aux seconds le statut d’objets et de dominés. Le processus idéologique d’animalisation d’un individu lui retire sa souveraineté et le transforme en bien appropriable et « tuable ».

À l’inverse, plus on correspond aux critères associés à l’humanité, moins on risque d’être animalisé et d’être ravalé à une fonction accessoire. Dans cette conception anthropocentrique qui est le propre de l’humanisme, nous nous définissons par opposition à l’animal. C’est pourquoi nous faisons l’objet d’un « dressage à l’humanité » , qui nous permet de maintenir cette distance en dissimulant notre animalité, par exemple en nous habillant, marchant debout ou nous parfumant.

4. La condition animale, reflet des dominations sociales

Le spécisme repose sur le même fonctionnement que le racisme ou le sexisme. L’analogie entre l’élevage et l’esclavage est mise en lumière par l’historien Karl Jacoby, qui constate que c’est en Mésopotamie que les premiers systèmes d’asservissement humain et animal ont fait leur apparition. Cette appropriation des individus touche aussi les femmes.

Pour Colette Guillaumin, l’esclavage et le servage trouvent leur prolongement dans le « sexage ». C’est ainsi qu’autrefois, les femmes appartenaient à leur père, puis à leur mari. On leur imposait des règles de chasteté et le devoir conjugal. Jusqu’en 1907, elles ne purent disposer de leur propre salaire et il fallut attendre 1975 pour que la légalisation de l’avortement leur permette d’acquérir la souveraineté sur leur corps.

L’exploitation animale a servi de modèle pour édifier un système social fondé sur la domination d’une catégorie d’humains sur une autre. L’androcentrisme résulte de cette transposition à l’échelle humaine : l’homme mâle, blanc de surcroît, s’est érigé en dominant, n’accordant aux femmes, aux Noirs ou aux animaux qu’un statut secondaire. Quant à l’anthropocentrisme, il a pour effet délétère de conduire à la hiérarchisation des rapports sociaux entre humains. Plus l’individu se révèle puissant, plus il a un droit de suprématie sur l’animal. La chasse des proies nobles, telles que le cerf, a longtemps été réservée à l’aristocratie. Ce n’est qu’à la Révolution française que le droit de chasser s’est démocratisé, instaurant une égalité d’accès à la domination de l’animal.

Cette hiérarchisation a été poussée à l’extrême à travers l’exploitation humaine. Des populations ont été déshumanisées et dévalorisées de la même façon que les animaux. La colonisation s’est appuyée sur l’animalisation de peuples que l’on n’hésitait pas à qualifier de sauvages et de cannibales. La domination de populations humaines procède des mêmes techniques d’asservissement que pour les animaux : exploitation de la force de travail des individus, privation de liberté par l’enfermement ou les chaînes, appropriation des corps par les mutilations ou le marquage au fer, création de réserves, etc. Dans le cas des non-humains comme des humains, l’argument justifiant ces pratiques demeure le capacitisme, c’est-à-dire le fait de posséder des facultés supérieures.

5. L’incohérence des mesures instaurées

Bien que depuis 2015, la loi octroie aux animaux le statut d’êtres sensibles, le Code civil les place dans la catégorie des biens meubles. À tel point que lorsque des élevages sont décimés par un incendie, on parle en termes de pertes matérielles pour le propriétaire.

La législation apporte en outre des améliorations qui ne remettent pas en cause les fondements de la maltraitance animale. Elle propose des mesures pour assurer le bien-être des animaux… dans les abattoirs ! Elle entérine le droit d’abattre les non-humains à vaste échelle. Les recours en justice contre les abattoirs et les élevages n’aboutissent, au mieux, qu’à de piètres sanctions. L’« immunité alimentaire » demeure la règle lorsque les animaux sont exploités pour être mangés. Les réglementations condamnent finalement les non-humains à une « inexistence sociale et juridique ».

L’imbrication entre les pouvoirs publics et les filières de l’élevage, qualifiée de « complexe animalo-industriel » par Barbara Noske, favorise l’exploitation animale. Les industriels bénéficient d’aides financières multiples. L’exploitation animale est même vivement encouragée par la Banque mondiale, qui attribue des sommes colossales à certains pays pour développer l’élevage, alors que la réduction massive de cette pratique est la condition pour contrer le réchauffement climatique. Les autorités se montrent complaisantes en octroyant des délais pour les mises en conformité. Les lois font l’objet de négociations entre les différents acteurs de l’exploitation animale. Selon l’association L214, ce sont les grands groupes industriels qui tirent les ficelles et fixent les règles.

L’absurdité de ces mesures trouve son apogée dans le fait que les recherches scientifiques ont établi les aptitudes sentientes des vertébrés et d’une partie des invertébrés. Outre leur capacité à éprouver de la souffrance ou du plaisir, l’éthologie a également permis de montrer que les animaux non-humains développent une personnalité propre, interagissent entre eux et utilisent des langages complexes. C’est pourquoi on n’hésite plus à parler de cultures animales. Autant dire que la prétendue différence, invoquée par les spécistes pour se targuer de leur supériorité, perd toute validité et que la capacité à ressentir des émotions devrait imposer un égal traitement entre les individus humains et non-humains.

6. Le mouvement antispéciste

L’antispécisme est un mouvement de défense animale qui revendique l’abolition de la viande et de la souffrance animale légalisée. Il lui est d’autant plus difficile de s’imposer qu’il s’élève contre des habitudes largement répandues, telles que le carnisme. Pierre Sigler considère qu’il faut actionner deux leviers pour obtenir une mutation concrète de la société.

En premier lieu, l’appel à la vertu permet d’inscrire la lutte en faveur des animaux à l’échelle individuelle. Même si son impact est très relatif, voire mineur, il incite les individus à marquer leur engagement et à se désolidariser d’un système dont ils ne partagent pas les valeurs. Le végétarisme est l’action la plus représentative de cette solidarité animale. Il consiste à refuser de participer à la tuerie de masse.

Il reste néanmoins compliqué d’assumer cette position dans une société qui martèle la nécessité de manger de la viande. Les végétariens sont rarement pris au sérieux, voire marginalisés, par une offre alimentaire majoritairement carnée dans les restaurants ou les commerces. Véhiculée par l’idéologie carniste, la théorie des 4 N justifie la consommation de viande comme étant une pratique naturelle, normale, nécessaire et nice, c’est-à-dire source de plaisir. Le publispécisme, désignant les publicités vantant les produits animaux, déculpabilise le consommateur en dissimulant la réalité cruelle de l’élevage par des images suicide food, où l’animal, tout sourire, se sacrifie avec joie pour satisfaire les êtres humains. Autant de stratégies qui alimentent la « végétophobie », le rejet du végétarisme.

Pour Pierre Sigler, le deuxième levier est l’exigence de justice. Il implique la mise en œuvre d’initiatives collectives et politiques visant à révolutionner la société en profondeur. Henry Spira prône une démarche stratégique pragmatique, reposant sur la négociation avec les acteurs de l’exploitation animale afin d’obtenir des avancées immédiates. Sans perdre de vue l’abolition définitive du crime organisé contre les animaux, il propose une approche progressive, évitant le conflit. L’association L214 suit la même tactique en cherchant, depuis 2019, à développer une alliance entre les écoles, les mouvements animalistes et les éleveurs. La revendication d’égalité et de justice peut être renforcée par la philosophie de l’altruisme efficace, basée sur l’impartialité et la volonté de rendre la vie meilleure pour tous les êtres vivants.

7. Créer un nouveau modèle social

Il convient d’élaborer les bases d’une nouvelle société, où les humains et les non-humains pourront cohabiter harmonieusement, libérés de tout rapport de possession.

Dans le livre Zoopolis, Sue Donaldson et Will Kymlicka proposent d’instaurer un système qui donnerait une existence sociale et individuelle à chacun. Les animaux domestiques auraient le statut de citoyens et bénéficieraient des droits inviolables de résidence, de protection, de santé et de bien-être. Les animaux liminaux, qui partagent notre environnement sans être domestiqués, seraient considérés comme des résidents, tandis que la faune sauvage disposerait d’une souveraineté propre.En tant qu’agents moraux, capables d’évaluer les conséquences de nos actes, nous avons un rôle majeur à jouer auprès des non-humains, en leur accordant la considération qu’ils méritent et en assurant la protection de leurs intérêts.

Ce travail de « civilisation des mœurs », comme le nomme Norbert Elias, doit certes prendre ses racines dans le mouvement animaliste, mais doit aussi trouver son prolongement dans le changement de paradigme des luttes sociales humaines. En ne parlant plus de droits de l’Homme, mais de droits des personnes, ou en évitant les écueils de la logique humaniste, le processus d’animalisation n’aura plus cours dans notre société et l’animalité ne sera plus un critère de dévalorisation pour aucun être vivant.

Cette solidarité interespèces implique l’élaboration d’une éthique universelle qui ne fait pas de différence entre les droits des humains et ceux des non-humains. L’égalité animale est la condition pour que ce modèle de société soit envisageable. Selon ce principe, ce qu’on juge moralement inacceptable pour les humains le devient aussi pour les animaux. Les intérêts de chaque individu doivent être évalués à l’aune de la souffrance ou du bien-être que peut lui causer une situation donnée. Il ne s’agit donc plus d’invoquer une prétendue supériorité pour justifier tel traitement ou tel acte. L’humanisme humain doit céder la place à un humanisme corporel, c’est-à-dire une approche centrée sur le critère de sentience et de vulnérabilité, valable pour tous les êtres dotés de sensibilité, quels qu’ils soient.

8. Conclusion

C’est à travers la remise en cause du spécisme que l’on réussira à abolir une idéologie qui occasionne des préjudices graves aux animaux comme aux humains.

En modifiant ce paradigme et le remplaçant par celui de sentience, on pourra réunir tous les individus doués de sensibilité sous la bannière d’une même éthique égalitaire, propice à assurer leur respect, la prise en compte de leurs intérêts, et à conduire à l’abolition de la souffrance sans distinction d’espèce.

9. Zone critique

On peut distinguer différentes tendances dans le mouvement antispéciste. Les réformistes ou welfaristes, comme le groupe Welfarm, se mobilisent pour rendre les conditions d’exploitation des animaux plus supportables pour ces derniers. En revanche, ils ne cherchent pas à mettre un terme à l’utilisation des non-humains, à l’inverse des gradualistes ou abolitionnistes réformistes. Ces derniers, à l’instar de Martin Balluch, Henry Spira ou Peter Singer, adoptent un point de vue utilitariste : leur but est bien d’abolir l’exploitation animale, mais d’agir dans l’immédiat pour amoindrir les souffrances des non-humains, dans les élevages par exemple.

Porté par des philosophes tels que Gary Francione, le courant abolitionniste se bat pour un arrêt définitif de toute forme d’exploitation animale sans accepter de conciliation. Les extinctionnismes vont même plus loin en refusant la domestication qu’ils considèrent comme un asservissement de l’animal. La philosophe Sue Donaldson conteste l’angle d’approche de l’extinctionnisme qui introduit une logique spéciste. Pour elle, nous pouvons vivre en harmonie et sans violence avec les espèces qui nous entourent, à condition de leur conférer un statut citoyen qui les protégerait et leur donnerait des droits.

Le mouvement antinature ou RWAS (Reducing Wild-Animal Suffering) crée aussi la division au sein du mouvement animaliste en raison de ses positions extrêmes. S’interrogeant sur le sort de la faune sauvage, il part du postulat qu’elle est soumise à de grandes souffrances, ce qu’illustrent la prédation ou la forte mortalité des petits. Certains proposent le recours à la génétique pour transformer les carnivores en végétariens, de ne plus mettre en place de campagne de protection pour les prédateurs ou d’encourager leur chasse, voire de décimer la faune sauvage pour son propre bien-être.

10. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Yves Bonnardel et Axelle Playoust-Braure, Solidarité animale – Défaire la société spéciste, Paris, La Découverte, 2020.

Autres pistes– Yves Bonnardel, Thomas Lepeltier et Pierre Sigler, La Révolution antispéciste, Paris, PUF, 2018.– Florence Burgat, Être le bien d’un autre, Paris, Payot, 2018.– Sue Donaldson et Will Kymlicka, Zoopolis – Une théorie politique des droits des animaux, Paris, Alma, 2016.– Tom Regan, Les Droits des animaux, Paris, Hermann, 2012.– Peter Singer, La Libération animale, Paris, Payot, 2012.

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