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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

Façons de dire, façons de faire

de Yvonne Verdier

récension rédigée parClara BoutetDoctorante en anthropologie sociale (EHESS/EPHE).

Synopsis

Société

Cet ouvrage nous entraîne dans la temporalité périodique du corps féminin, dans son adéquation à l’organisation du temps social et des grands événements qui le compose : naissance, passage à l’âge adulte, mariage, enfantement, mort. Les propos, gestes et fonctions des femmes sont mis en rapport avec leur corps, à travers trois grandes figures de la vie sociale de Minot : la laveuse, la couturière et la cuisinière.

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1. Introduction

L’ouvrage d’Yvonne Verdier nous conduit dans le Châtillonnais, à Minot, pour y étudier le rôle des femmes dans leurs actes quotidiens qui fondent la coutume. Ici, les représentations sont intrinsèquement liées aux actions de la vie quotidienne.

Après une étude des croyances et savoirs populaires liés au corps des femmes et à l’écoulement menstruel dont il fait l’objet, l’auteure nous présente les trois grandes figures féminines du village aux fonctions bien distinctes. Elles mettent en œuvre des savoir-faire, véritables techniques (laver, coudre, cuisiner), interviennent à trois moments de la vie (âge de la ménopause, âge nubile, âge de la fécondité) et remplissent trois fonctions (faire les bébés et les morts, faire la jeune fille, faire les noces).

Elles interviennent lors des moments de passage, c'est-à-dire les moments clés de l’existence biographique et de la socialisation ; elles sont chargées de « faire la coutume » à travers les grands événements (naissance, communion, noce, décès). C'est-à-dire qu’elles font les passages, avec la notion d’accomplissement contenue dans le verbe : elles endossent une véritable fonction rituelle.

L’auteure résume son projet ainsi : « La coutume n’est jamais expliquée, mais agie – elle est une pratique –, et elle ne renvoie qu’à elle-même, explication première de l’action ; de même le destin, sur le plan individuel, est l’explication première des événements marquants du cours de la vie » (p.81). Cet ouvrage montre à quel point l’imaginaire féminin s’enracine dans les corps, dans un rythme directement relié au cycle de la lune. L’auteure nous invite à la découverte d’une pensée symbolique où la pratique féminine s’investit à chaque fois d’une fonction rituelle.

2. Les pouvoirs du corps des femmes

À Minot, la femme est réputée détenir un pouvoir putréfiant par ses menstruations. Les menstrues sont trop fortes pour le saloir, elles ont pour réputation de pétrifier le lard. Indisposée, une femme est capable de faire tourner un saloir entier, même en détournant le regard. Seul son souffle est désigné comme vecteur plausible.

Par ailleurs, « Tout se passe comme si faire tourner un saloir donnait la mesure de l’ardeur amoureuse. Les règles jouent le rôle d’affichage de la sexualité. La forte odeur qui est associée au sang menstruel et qui passe dans le souffle devient ainsi manifestation de la force du désir de la femme et, en retour, attise le désir de l’homme. » (pp.45-46).

Les règles apparaissent comme une force de contrariété : il y a ce qu’elles contrarient et ce qui les contrarie. La vulnérabilité à l’eau froide, par exemple, illustre une de ces forces, bien qu’elle varie d’une femme à l’autre. Sous menstruations, on évite donc de faire la lessive comme de se laver soi-même…

D’où le fait, pour la femme indisposée, d’être contrainte de limiter ses contacts avec le monde. En revanche, dès lors qu’elles sont enceintes, tout semble réussir aux femmes et « elles ne risquent pas de faire tourner quoi que ce soit » (p. 49).

Cette forme de pouvoir s’étend jusqu’au droit de voler, car le désir de la femme enceinte ne doit pas être contrarié, il est même bon qu’il soit prévenu et anticipé, faute de quoi le bébé risque de naître avec une marque sur son corps, évoquant durablement la frustration subie par sa mère. L’auteure fait ressortir le lien inextricable qui réside entre les manifestations physiologiques et les savoirs populaires.

3. Ce que « faire la coutume » veut dire

Faire la coutume, c’est contribuer à créer les classes d’âges, puisqu’avoir affaire à la femme-qui-aide ou à la cuisinière signifie que la femme n’en est pas à la même étape de son parcours biographique et qu’elle ne peut pas être toutes les femmes à la fois.À chaque âge sa technique, son apprentissage, son passage, sa coutume. Incarnée par la vieille femme ménopausée, la laveuse s’illustre comme la guide des morts et des nouveau-nés. À la couturière est attaché le symbole du désir, relatif à la période de puberté de la jeune fille réglée.

Quant à la cuisinière, elle prend en charge la femme mariée prête à enfanter. Ces trois types forment un véritable réseau rituel pour accompagner les moments-clés de l’existence des femmes, scandée par des étapes telles que la naissance, la première communion, le mariage ou encore la mort (corrélée à la maladie). Ces temps marquent la transformation des corps, qui sont autant de transformations sociales. Les éléments biologiques se voient alliés aux éléments biographiques.

Mais le temps a passé, ce qui structurait le social semble disparaître, la coutume se perd. Les femmes n’accouchent plus chez elles mais se rendent à Dijon ; de même, on ne meurt plus chez soi. La lessive est prise en charge par un appareil électroménager. La notion même de rythme périodique liée au cycle lunaire et le rythme scandé par les menstrues du corps de la femme n’a plus de sens. Les saisons ne sont plus marquées…

Au moment de l’enquête, constatant que la coutume se perd, la cuisinière déclare : « On ne sait plus quoi faire à manger ! » (p. 272). Les mets habituellement cuisinés sont devenus familiers et ordinaires, on parvient difficilement à distinguer le repas festif d’un repas dominical. La coutume impliquait des échanges (partager le cochon, rémunérer la femme-qui-aide en nature, etc.) qui ne survivent pas.

4. La laveuse dite « la femme-qui-aide »

Appelée « la femme-qui-aide », on dit que la laveuse fait les bébés et les morts. C’est à sa mère qu’elle succède à la tâche. On vient la chercher dès les premières douleurs, c’est elle qui prépare le lit de la parturiente. Elle ne laisse au médecin et à la sage-femme (quand ils sont déjà sur place et n’arrivent pas après la bataille) qu’un rôle secondaire.

Sa fonction n’est pas tant d’aider à l’accouchement que de « faire le bébé ». Une fois né, la première étape consiste à donner le premier bain tandis que le père arrive. La femme-qui-aide prend ensuite l’enfant, le lave et le vêt. Une fois l’accouchement accompli, elle offre à la mère une collation et remet la literie au propre.On l’appelle aussi lorsqu’un décès est constaté. La femme-qui-aide fait la toilette du mort (le lave, le rase, le coiffe) et prend soin de jeter l’eau usagée hors de la maison.

C’est le seul élément qui doit sortir de la chambre du mort. Le reste doit y rester enfermé : on ferme les fenêtres et les volets… De même, les horloges sont arrêtées jusqu’à ce que le mort soit enterré. Elle l’habille et prépare le lit, l’allonge avec l’aide d’un homme pour porter le corps. Elle lui ferme la bouche et les yeux puis, une fois prêt à être mis dans le cercueil, elle le recouvre. Vient ensuite le ménage mortuaire. Elle s’occupe aussi de poser le chapelet, le crucifix, l’eau bénite, d’allumer une bougie et d’organiser la veillée.

La laveuse aide à « blanchir » l’âme du mort (ce qui renvoie au symbolisme chrétien), « car la sortie du mort doit s’effectuer par l’eau, mais celle-ci ne doit être qu’un élément transitoire, elle est inacceptable comme tombeau » (p.139). De même, au début du cycle de la vie, le nouveau-né fait aussi son passage par l’eau. L’expression « l’enfant est coulé » signifie qu’il est passé, qu’il est né.

Ainsi, faire les naissances, comme faire les morts, c’est d’abord procéder à la toilette à deux moments biographiques clés. La femme-qui-aide s’affaire autour du lit, elle nettoie, elle lave. Elle prend sur elle les gestes scandaleux pour l’entourage : saisir le nouveau-né (auquel on craint de faire mal tant il est vulnérable), ensevelir le mort (en s’assurant qu’il ne laisse pas quelque chose dans le monde des vivants). Pour cela, la femme-qui-aide doit revêtir deux qualités fondamentales : l’invulnérabilité et l’innocuité.

5. La couturière

De génération en génération, la couturière reçoit les jeunes filles de la Toussaint à Pâques, l’année de leurs quinze ans, pour les dégrossir. C'est-à-dire qu’elle s’occupe de l’éducation des filles et les prépare au mariage, lors d’un séjour qui fait charnière entre deux âges. Il s’agit d’une période « durant laquelle les garçons et les filles sont respectivement “gachenöt” et “gachenöte” ou, en français, “gamin et gamine” – c’est le temps de l’école et du champ-les-vaches –, et celle qui va de quinze ans au mariage où l’on “fait sa jeunesse”, ce qui se dit, pour les filles, “faire la jeune fille”. » (p.160).

À l’école, on recevait les rudiments : apprendre à lire, écrire, compter. Le reste de l’éducation se faisait « aux-champs-les-vaches » où l’on apprend à connaître le territoire et ses recoins, c’est aussi la formation au travail. Pendant le champs-les-vaches, filles et garçons ont des activités différentes : si les garçons explorent les grands espaces et apprivoisent oiseaux et vipères, les filles ont l’ouvrage entre les mains dès le premier jour de garde et s’exercent au tricot pendant que les vaches paissent. De là, la posture préférentielle pour les filles : assises, tranquilles, les mains occupées, comme illustrées sur les tableaux de Jean-François Millet (bergères tricotant avec son troupeau).

Objet fétiche de la couturière, la marquette constitue son ouvrage. La signification de son appellation renvoie là encore au cycle menstruel : quand les filles marquent le linge autour de leurs douze ans par leurs premières règles, on dit qu’elles vont « voir » pour la première fois. L’expression sous-entend qu’elles vont « voir la marque » … Dans un autre temps, le droit de marquette était d’ailleurs l’autre nom du droit de cuissage. C’est aussi la marque (la tache de naissance, par exemple) qui signifie un désir qu’aurait eu la mère pendant sa grossesse et qui se serait reportée sur son enfant.

Pour accomplir sa fonction de passage de l’état de jeune fille à celui de femme, la couturière intervient à nouveau le jour du mariage : après avoir « fait la jeune fille », elle « fait la mariée ». « L’hiver chez la couturière est le viatique pour la vie de jeune fille » (p. 215), mais on n’y apprend pas à travailler : la couturière ne forme pas à un métier. En revanche, une réputation de légèreté et de séduction est associée aux couturières de métier, ce qui s’explique par les caractéristiques de leur profession : d’une part, elles sont mobiles et, d’autre part, elles ont en charge la confection des parures féminines.

6. La cuisinière

Un mariage consiste à unir deux individus et, à travers eux, deux familles entre lesquelles se crée une sphère d’échanges qui, par rebond, implique l’ensemble de la communauté.

Entre les deux familles, la femme qui fait le lien au moment des noces est la cuisinière. Elle se livre à divers travaux chez ses hôtes, elle remplit aussi la fonction de bûcheronne, remplace le facteur si besoin.

Entre le langage culinaire, voire la disposition des plats, et l’acte sexuel, l’analogie est forte. La cuisinière est maîtresse de la grivoiserie et des facéties des villageois qui encadrent l’ensemble de la cérémonie des noces. Plus largement, « Cuisiner est un art que l’on doit découvrir toute seule en même temps que l’acte sexuel ; les deux choses s’improvisent en même temps » (p. 58) c'est-à-dire au moment du mariage, et plus particulièrement après la naissance du premier enfant. Jusque-là, la belle-mère continue de vivre avec le jeune couple et siège dans la cuisine.

Appelée pour les fêtes qui constituent des rites de passage (baptêmes, communions, noces, à l’exclusion des enterrements), la cuisinière tient un rôle de tiers médiateur entre les deux familles qui s’unissent. Si l’ambiance se tend, elle en sera tenue responsable et son savoir-faire sera remis en question. Aussi, il revient à la cuisinière de nommer les éléments du menu. Les villageois attachent une place importante à cette nomination qui vient donner au plat – même lorsqu’il s’agit d’un plat ordinaire – un goût d’exception.

Partout, la coutume tend à se perdre et on se plaint autant qu’il n’y ait « plus de saisons » (p. 346), qu’« on ne sait plus quoi faire à manger ! » (p. 272). La cuisinière est appelée à travailler dans les foyers mais les maisons se ferment, on n’accueille plus un individu extérieur qui viendrait briser l’entre soi. Aussi, il arrive de plus en plus fréquemment que les repas de noces aient lieu en dehors du village, au restaurant, où ce sont d’ailleurs des hommes, professionnels de la cuisine, qui se charge de la confection des plats. Ces facteurs contribuent à la perte de la coutume et des divers rituels qui la constituaient.

7. Conclusion

Façons de dire, façons de faire retrace, à travers le corps féminin, les divers éléments et rituels qui fondent la vie sociale. Les manifestations physiologiques scandent le temps, à travers des activités et des savoir-faire initiés par des femmes : « couture pour la puberté, cuisine pour la fonction procréatrice, lessive pour l’enfantement » (pp. 337-338). Les rythmes cosmiques résonnent à travers les temps biologiques.

À travers cela, l’ouvrage a pour objet de saisir le lien entre les discours, les gestes, les techniques et les rôles qu’exercent les femmes.

8. Zone critique

À partir de matériaux recueillis à quatre, avec ici les femmes pour considération principale, cette monographie d’Yvonne Verdier est un ouvrage remarquable, devenu un classique des ethnographies françaises.

On peut y lire aussi une forme de réhabilitation du corps des femmes, de ce qu’il dit autant que des signes qu’il envoie.

9. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Yvonne Verdier, Façons de dire, façons de faire. La laveuse, la couturière, la cuisinière, Paris, Gallimard, 1979.

De la même auteure– Coutume et destin. Thomas Hardy et autres essais, Paris, Gallimard, 1995.– Avec Tina Jolas, Marie-Claude Pingaud, et Françoise Zonabend, Une campagne voisine. Minot, un village bourguignon, Paris, Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, 1990.– Le Petit Chaperon rouge dans la tradition orale, Paris, Allia, 2014.

Autres pistes– Arnold Van Gennep, Les rites de passage. Étude systématique des rites, Picard, 2011 (1909).– Françoise Zonabend, « Les morts et les vivants. Le cimetière de Minot en Châtillonnais », Études rurales, n°52, 1973.– Françoise Zonabend, « Retour sur archives, ou comment Minot s’est écrit », L’Homme, n°200, pp.113-140.

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